Chapitre 16
Le mobilier de la bibliothèque avait été déplacé contre les murs pour libérer l'espace. Le tapis brodé et poussiéreux qui habillait le plancher était recouvert de cartes. Pour une si petite maison, la collection de livres était impressionnante. Les volumes de différentes couleurs et épaisseurs s'alignaient sur les étagères qui tapissaient les murs. Certains étaient de très vieilles éditions dont la reliure avait été abîmée par le temps. Ainsi, Anca avait acquis au cours de sa longue existence une quantité astronomique d'ouvrages traitant de tous les sujets, allant de la biologie à la culture tibétaine.
Alexandra se mit sur la pointe des pieds, tendant son bras le plus possible dans l'espoir d'attraper le dernier Atlas dont elle avait besoin. Ses doigts éraflèrent la couverture sans parvenir à le saisir. Un bras passa au-dessus de sa tête et une main plus grande, aux longs doigts fins, s'empara de l'objet. Surprise, elle fit volte-face et se heurta de plein fouet au torse de Tristan. Son visage s'écrasa sur son pectoral et un juron s'échappa de ses lèvres. Elle releva les yeux pour croiser le regard de son âme-sœur, qui avait un sourire satisfait plaqué sur la figure.
Refusant de lui laisser l'avantage et déterminée à finir ce qu'elle avait commencé, Alexandra le repoussa doucement, le faisant reculer de quelques pas. Le contact de sa paume contre le buste de Tristan fit gronder sa louve. Elle sentit sa musculature sous son T-shirt et ne put s'empêcher de l'admirer. Il était indéniable que son âme-sœur avait changé. Il avait les épaules plus larges, paraissait plus imposant et avait un regard sévère et déterminé. La puissance de son loup ainsi que son aura de dominant émanaient de chacun de ses gestes. La jeune femme était persuadée que Tristan était destiné à devenir Alpha et à diriger, bien qu'il refusât obstinément de reparler de l'allégeance de Nicolae.
- Est-ce ceci que vous cherchiez, docteur ? Demanda-t-il, sur un ton formel, tout en allongeant son bras pour lui tendre l'Atlas.
- Oui, merci.
Sa réponse se voulait sèche mais elle ne parvint pas à dissimuler le rire qui se cachait derrière ses mots. Elle s'empara du livre dans un mouvement brusque, l'arrachant presque des mains de Tristan, avant de le dépasser, sans un regard pour lui. Elle l'entendit soupirer d'amusement mais elle ne lui fit pas le plaisir de répondre. Il était hors de question qu'il la distraie. Elle trouva la page qu'elle cherchait, sur laquelle était imprimée une autre carte, et posa l'ouvrage à côté des autres, étalés sur le sol.
- Très bien, commença-t-elle. Les plus importantes meutes d'Europe se trouvent en Pologne et en Ukraine. Mais il y a également la Croatie, la Russie et la Norvège.
La jeune femme pointa différentes cartes, encerclant des régions précises de chaque pays énoncé. Tristan portait toute son attention sur ces informations, déterminant les meutes les plus proches. Le temps les desservait. Jamais ils ne parviendraient à rassembler tous les loups par eux-mêmes. Naturellement, plus ils seraient nombreux, plus les Alphas accepteraient de se battre facilement. C'était pourquoi il était impératif de rallier les meutes les plus importantes en premier.
- Bien évidement, les Loups Bleus de France possèdent un certain pouvoir et sont assez nombreux, poursuivit Alexandra, sur un ton plein de sous-entendu.
Contrarié, le loup de Tristan grogna. Il voyait parfaitement bien où elle voulait en venir et il n'aimait pas ça. Il enfouit ses poings dans les poches de son jean pour dissimuler ses articulations blanchies par la vague de colère qui le submergeait.
- Je ne pense pas que Philippe nous laissera s'approcher de ses frontières. Il s'est rangé aux côtés de ton père. Jamais il n'acceptera de sa battre pour nous.
Alexandra qui s'était accroupie près des cartes pour mieux les détailler, se redressa brusquement. Ses sourcils étaient froncés et elle avait cet air sur le visage qui traduisait sa profonde détermination. Elle ne lâcherait pas l'affaire si facilement et Tristan s'arma de patience pour une nouvelle querelle.
- Tu pourrais le soumettre, murmura-t-elle, essayant de le raisonner. Exerce sur lui ton aura. Fais-le abdiquer. Montre-lui ton pouvoir et fais-en ton vassal.
Elle avança lentement vers lui, ses yeux azurs plongés au fond des siens, sa voix douce emplissait la pièce. Tristan eut, lors d'un bref instant, l'impression de se trouver face à Elanora. Le regard d'Alexandra semblait percer jusque dans son âme, la mettant à nue et la manipulant avec délicatesse. Tout comme la nuit où la Luna avait découvert son secret et lui avait laissé le choix de s'exprimer ou non, s'adressant à lui ans le moindre mot, il jurerait entendre la voix de son âme-sœur résonner dans sa tête à ce moment précis. Semblable à une mélodie enivrante, la voix lui susurrait d'affronter tous les Alphas qui résisteraient, de faire peser son aura de puissance sur eux, de les soumettre. Un mot se mit à raisonner dans sa tête. Pouvoir. Son esprit se laissa tenter et imagina un avenir dans lequel il serait l'Alpha de tous les Alphas, il régnerait alors sur tous les loups. Il serait le roi. Il étendrait sa puissance sur le monde entier. Il serrait invincible. Il pourrait même soumettre la race humaine. Il deviendrait le maître de tous. Le mot s'amplifiait dans son esprit, prenait plus d'espace, était plus fort.
Soudain, un contact froid le ramena violemment à la réalité. Il baissa les yeux sur le visage de son âme-sœur, qui avait saisi sa main. Un sentiment de haine s'empara de lui. Tristan se dégagea d'Alexandra et lui tourna le dos. Respirant profondément, les yeux fermés, il cherchait à se calmer. Il détestait ce qu'Alexandra lui avait fait ressentir à l'instant. Et il haïssait le fait qu'il se soit laissé tenter. Depuis quand était-il attiré par tout cela ? Tandis que son sang bouillonnait dans ses veines, son loup s'agita, rendu instable par ce surplus d'émotions. Il inspira un grand coup et ses narines se remplirent de l'odeur de la jeune femme. Même si c'était elle qui avait provoqué cet horrible désir en lui, son parfum le calma un peu.
- Je ne soumettrai pas les loups par la force, grinça-t-il entre ses dents serrées. Je ne les forcerai pas à se battre en utilisant mon aura.
- Mais pourquoi ? Protesta Alexandra.
Les épaules de Tristan se tendirent et il sentit tous ses muscles se crisper. La colère le prit à nouveau. Plus féroce, plus tenace, plus destructrice. Malgré les sentiments négatifs de son âme-sœur qui la mettaient mal à l'aise, Alexandra ne se démonta pas.
- Tu sais aussi bien que moi que sans ton aura, cela ne fonctionnera pas. Sans Alpha pour tous les diriger, les meutes ne seront jamais complètement reliées entre elles. Et rien ne nous assure que le moment venu, elles ne renonceront pas ou ne serviront pas leurs propres intérêts pour se confronter les unes aux autres ! S'exclama-t-elle, presque implorante à présent. Alors pourquoi t'obstines-tu ?
Tristan se retourna brusquement, faisant face à son âme-sœur, la dominant de toute sa hauteur. La fureur déformait ses traits habituellement si sereins.
- Parce que s'ils sont incapables de se battre pour leur propre salut, dans ce cas il n'y a plus rien à faire ! Tonna-t-il. S'ils refusent de lutter pour la survie de leur race, ils sont condamnés, et personne, même pas moi, n'y pourra quoi que ce soit !
Alexandra était restée pétrifiée sur place. Jamais elle ne l'avait vu dans un tel état. Il soupira profondément avant de reprendre d'une voix plus calme.
- Le but est de leur faire admettre la situation à laquelle ils sont confrontés. Trop longtemps les loups ont vécu avec la certitude d'être dissimulés du regard humain, mais aujourd'hui, tout est sur le point de changer. S'ils ne se défendent pas d'eux-mêmes, l'espèce est condamnée.
Alexandra hocha automatiquement la tête dans des mouvements frénétiques. Elle n'osait plus faire le moindre geste. Son corps ne répondait plus, il tremblait simplement, choqué par la réaction de Tristan. Elle avait osé s'opposer à lui et elle venait de subir le contrecoup. Lorsqu'il s'était mis à crier, elle avait bien perçu le changement de couleur dans ses yeux. Ils étaient passés du gris au vert. Elle avait failli lui faire perdre le contrôle en le provoquant et cela l'avait effrayée.
Une fois sa colère passée, Tristan s'aperçut immédiatement de l'état fébrile dans lequel Alexandra se trouvait. Sans perdre une seconde, il la prit dans ses bras et posa son menton sur le sommet de son crâne. Il était tout à fait conscient de la peur panique qu'il avait provoquée en elle et lui demanda pardon. Tandis que ses mains frottaient son dos dans un geste de réconfort, il déposait de légers baisers sur ses cheveux. Il la sentait soudainement si fragile entre ses bras, comme s'il pouvait la briser à tout moment dans une étreinte.
- Ne t'inquiète pas, chuchota-t-il sur un ton rassurant. Une fois qu'ils auront pris conscience du danger qui les menace, ils se battront.
Ce fut avec cette conviction qu'ils prirent la route dès le lendemain. Ils partirent vers le Nord, en direction de l'Ukraine. Suivant son plan d'origine, Tristan avait décidé de se rendre en premier dans les plus grandes meutes d'Europe. Avec l'appui des Alphas les plus puissants du continent, il serait plus aisé de convaincre les autres. Cependant, Alexandra l'avait informé de la situation critique de certaines meutes. Il avait appris qu'à l'intérieur d'un même pays, les meutes pouvaient être morcelées et partager des concepts de vie différents.
Les loups ukrainiens étaient ainsi divisés en deux clans. Ceux qui vivaient à l'Ouest se rapprochaient fortement de leurs cousins de Russie. Ils partageaient les mêmes convictions, ainsi que leur vision de race supérieure que représentaient les loups-garous par rapport aux Essentiels et aux humains. À l'opposé, ceux qui vivaient à l'Est du pays étaient semblables aux Roumains ou aux Polonais. Ils étaient plus ouverts d'esprit que leurs homologues de l'Ouest et vivaient comme une grande famille unie sous le drapeau de l'égalité. Alexandra lui avait expliqué que cette séparation s'était faite dès la création du pays et n'avait fait qu'empirer depuis les révolutions de couleur. La politique humaine avait un impact direct sur les meutes qui partageaient un monde, après tout. Ainsi, l'Ukraine possédait deux clans constitués essentiellement de guerriers, opposés dans un conflit permanent. Les clans n'étaient d'ailleurs pas dirigés par des Alphas mais par des Chefs de guerre.
Tristan avait conscience du risque qu'il prenait à se présenter à eux. Alexandra les avait désignés comme des rebelles qui n'hésiteraient pas à se battre plutôt qu'à se soumettre à un Alpha. Il avait alors pris la décision d'essayer de réfréner au maximum son aura pour ne pas créer chez eux un sentiment de méfiance. Il n'était pas sûr que cela fonctionne et misait la réussite de cette entreprise sur ses capacités à se contrôler.
Ils roulaient depuis plusieurs heures sous la neige. Le ciel était blanc, tout comme le reste du paysage. Seuls les arbres des bois avoisinants contrastaient par leurs troncs sombres avec cette triste luminosité. Étant en pleine période de fêtes, les routes étaient désertes. Noël était passé sans qu'Alexandra et Tristan ne s'en aperçoivent. Ils étaient à présent à deux jours du Nouvel An. La notion de temps n'avait jamais été aussi abstraite à Tristan qu'au cours de ces dernières semaines. Il lui semblait parfois revivre cents fois le même jour, comme s'il ne prendrait jamais fin, alors que la plupart du temps, les heures devenaient des secondes. Le temps qui lui avait paru infini lors de son incarcération, lui manquait aujourd'hui.
Après avoir franchi la frontière du pays limitrophe, ils échangèrent de conducteur, comme à leur habitude. Tristan s'installa sur le siège passager et se laissa sombrer dans un profond sommeil.
Il se réveilla dans un endroit qu'il ne connaissait pas. Des tentes se dressaient tout autour de lui, parfaitement alignées dans un quadrillage régulier. Tout était calme. Le ciel était d'un camaïeu orangé, comme lors d'une soirée d'été. Il n'y avait pas un bruit, pas un mouvement. Prudemment, Tristan s'avança entre les tentes. Un murmure parvint à ses oreilles, devenant plus fort et plus net à chaque pas. Il perçut alors ce même mot répété continuellement. Pouvoir ! Mais cette fois, ce n'était pas dans sa tête. Il l'entendait distinctement s'élever dans les airs, comme prononcé par un millier d'hommes. Il continua d'avancer, guidé par les voix, jusqu'à trouver leur origine.
Devant lui, une foule d'hommes hurlait en rythme « Pouvoir ! ». Ils étaient d'une taille impressionnante, leur musculature saillante sous leurs espèces de tuniques courtes. Ils avaient les cheveux et la barbe très longs et tressés. Certains brandissaient des boucliers ronds, d'autres des épées courtes. Tristan sentit un frisson le parcourir lorsqu'il remarqua qu'ils étaient recouverts de sang, comme s'ils sortaient vainqueurs d'un violent affrontement.
D'un coup, toutes les voix se turent et les soldats fixèrent un point derrière Tristan. Il se retourna pour apercevoir un homme, semblable aux autres, qui venait de faire son apparition. Ce dernier avait la main levée, réclamant le silence. Son visage était contracté dans une grimace affreuse, lui procurant une apparence animale.
- Mes Frères ! S'exclama-t-il d'une voix puissante. Aujourd'hui commence une nouvelle ère ! Les Alphas se sont soumis à moi ! Et nous avons défié ceux qui résistaient !
Un cri victorieux s'éleva des troupes. L'homme fit un autre signe de la main et deux soldats le rejoignirent, traînant derrière eux un vieil homme maculé de tâches écarlates. Lorsqu'ils le lâchèrent, il s'effondra sur le sol, visiblement à bout de forces.
- Nous avons vaincus nos ennemis ! Reprit l'homme au visage carnassier. La dernière meute va tomber !
A nouveau, la foule répondit par des hurlements assourdissants. L'homme se tourna vers le vieillard qui s'était redressé. Tristan distingua alors sous le drap blanc sali par le sang qui le recouvrait les marques noires tracées sur ses épaules et descendant sur ses bras. Il ne comprenait pas ce qu'il se passait. Qui étaient tous ces hommes barbus ?
- Tu m'as résisté, Hérodote, dit l'homme à l'Alpha. Tu m'as défié et tu as perdu. J'ai décimé ta meute de rebelles et maintenant, c'est ton tour.
- Jamais tu ne deviendras le maître de tous les loups, Alassar, répondit l'Alpha d'une voix faible. La déesse ne te laissera pas.
Le dénommé Alassar éclata d'un rire mauvais, suivi par tous les autres.
De là où il était, Tristan décela le courage infini qui emplissait les yeux d'Hérodote. Il entendit un craquement sinistre. Un énorme loup noir couvert de cicatrices avait remplacé Alassar et se dirigeait vers l'Alpha en montrant les crocs. Tristan voulait s'interposer, venir en aide au vieillard, mais son corps resta figé sur place. Il ne put qu'observer avec horreur la bête déchirer la gorge d'Hérodote qui s'effondra à terre, mort. Une mare de sang se forma autour de lui. Alassar se tourna une fois de plus vers son armée de Damnés et poussa un hurlement victorieux.
Soudain, tout disparut autour de Tristan. Les guerriers, le loup géant, l'Alpha. Tout fut remplacé par un nuage noir qui l'encercla. Les hurlements avaient cessé, le calme était revenu. Il avait l'impression de flotter dans un mode entièrement vide et sombre. Il n'y avait rien ici. Pas de sol, pas de reliefs, pas d'air, pas de lumière. C'était le néant. Tristan ne bougeait pas. Dans son esprit, l'exécution à laquelle il venait d'assister tournait en boucle.
Ce ne fut que lorsqu'un éclat blanc apparut au loin qu'il sortit de son état de choc et se demanda où il se trouvait. La lumière se rapprocha sans ciller, contrastant avec les ténèbres alentours, toujours plus brillante. Une fois qu'elle fut à quelques mètres de lui, il décela une silhouette éblouissante. La femme, vêtue d'une robe d'un blanc immaculé et aux cheveux d'argent, souriait. Elle était resplendissante avec son visage rond et ses formes courbées, dessinant ses hanches, sa poitrine, ses épaules. Elle était magnifique. Presque trop belle pour être réelle. Tristan n'avait jamais vu une femme pareille. Sans savoir pourquoi, il s'exprima, remplaçant par des mots les pensées qui se bousculaient dans sa tête.
- Je n'ai rien pu faire, s'horrifia-t-il. Il l'a tué et je n'ai pas bougé. Pourquoi n'ai-je pas pu l'aider ?
La panique et la culpabilité gangrenait son corps. La femme lui offrit un autre sourire apaisant. Tout en elle suscitait le calme et la douceur.
- Tu ne peux changer le passé, Tristan Versipel, dé-lùkos-sôtêr, déclara la voix mélodieuse de la femme.
Tristan ne parvint pas à lui donner d'âge. Elle avait l'apparence d'une jeune femme, mais ses yeux laissaient transparaître un savoir et une expérience sans limites. Elle se déplaça avec une telle grâce et une légèreté qui donnaient l'impression qu'elle volait. Les pans de sa robe qui paraissait être faite de brume ondulaient dans le noir infini qui les entouraient. Rien de tout cela n'avait l'air réel. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, la femme n'était pas inconnue à Tristan. Il était persuadé de l'avoir déjà rencontrée.
- Qui êtes-vous ? Où sommes-nous ?
- Tu sais qui je suis, puisque je suis dans ta tête, dit-elle sur un ton rieur, en tournant autour de lui.
- Vous êtes la déesse, n'est-ce pas ? Demande-t-il, maintenant que tout lui paraissait plus clair. Mais que faites-vous dans ma tête ?
- Je suis venue te mettre en garde, Tristan dé-lùkos-sôtêr. Tu as vu l'ascension d'Alassar le Déchu. Il a régné par la terreur sur les loups du monde entier pendant l'ère des Damnés. Sa soif de pouvoir lui a été fatale.
- J'ai entendu parler de cette légende, se souvint Tristan, les sourcils froncés de perplexité.
- Devenir Alpha est un don. Mais le pouvoir corrompt de nombreux cœurs. Les Mordus y sont très sensibles. Le même mal qu'Alassar te guette, Tristan dé-lùkos-sôtêr, tu l'as senti. Ne le laisse pas s'emparer de toi.
- Tristan ? Appela une voix lointaine. Tristan réveille-toi !
Il y eut un long silence. La déesse le regardait, semblant attendre quelque chose.
- Que dois-je faire ? Questionna-t-il finalement.
- Ne te laisse pas tenter par l'attrait du pouvoir. Il n'est que destruction et solitude. Ne cède pas à la force. Ce n'est pas par la soumission mais par l'alliance que tu vaincras.
Tristan ne comprenait pas les mots de la déesse. Chaque parole ressemblait à une nouvelle énigme. L'incitait-elle à se battre contre les humais en ralliant les meutes ? Lui conseillait-elle de ne pas se servir de son aura pour soumettre les Alphas ? Et de quel mal parlait-elle ? Risquait-il lui aussi de devenir un tyran meurtrier ?
La voix d'Alexandra se fit à nouveau entendre.
- Il est temps, conclut la femme aux cheveux d'argent. Va, Tristan dé-lùkos-sôtêr et souviens-toi de mes paroles.
Sans qu'il n'ait le temps d'ajouter quoi que ce soit, il se sentit happé en arrière, comme entraîné par un vent violent.
Il ouvrit les yeux et se retrouva nez-à-nez avec une Alexandra paniquée. Il était toujours assis sur son siège, dans la Mercedes, qui était garée à l'orée d'un bois. Tristan se redressa, pensif. Le rêve qu'il venait de faire était des plus étranges et il ne parvenait pas à déterminer si c'était réel ou s'il avait tout imaginé.
- Tristan, tu m'as fait une de ces peurs ! S'écria Alexandra, les yeux exorbités. J'ai cru que jamais tu ne te réveillerais !
- Je vais bien, la rassura-t-il d'une voix pâteuse. J'ai simplement fait un drôle de rêve.
Quelque peu rassurée, Alexandra s'écartant de lui pour le laisser s'extirper de la voiture. Le froid de cette fin de décembre s'empara instantanément de son corps et le fit frissonner. La neige avait cessé de tomber mais le tapis blanc au sol était toujours aussi épais.
- Nous sommes arrivés aux frontières du clan de l'Ouest, déclara Alexandra en désignant la forêt.
Tristan observa les alentours. Ils étaient entourés de champs déserts et devant eux se dressaient de hauts conifères couverts d'une pellicule de neige. Il leva les yeux vers le ciel couvert et son regard s'attarda sur une tâche bleu clair. Une percée avait été faite dans les épais nuages gris et laissait percevoir un morceau de ciel azur. Mais ce ne fut pas ce qui surprit Tristan. Son cœur rata un battement quand il distingua un croissant de lune à peine visible au centre de cette petite parcelle de ciel. Aussitôt qu'il le vit, les nuages se mirent à le recouvrir jusqu'à le faire complètement disparaître. Était-ce un signe qu'il n'avait pas rêvé ? Incapable de concilier son rêve et son esprit logique, il suivit Alexandra à travers les bois.
À peine eurent-ils fait quelques pas qu'une voix menaçante les stoppa. Une femme à la carrure d'homme leur barrait la route.
- Pas un pas de plus et vous êtes morts.
Tristan sentit son loup protester face à cette menace et tenta de le contenir. Il devait à tout prix se contrôler et ne pas laisser sa dominance d'Alpha s'exercer sur les loups du clan de l'Ouest. La possibilité de devenir comme Alassar lui glaçait le sang et il ferait tout pour empêcher cela d'arriver. Heureusement pour lui, son âme-sœur fit un pas en avant et s'adressa à la femme.
- Je suis Alexandra Lupesco, fille d'Azriel, Alpha des Loups Gris de Roumanie. Et voici Tristan Versipel, mon âme-sœur. Nous venons voir votre Chef de guerre.
A peine une demi-heure plus tard, ils étaient face à Wolodymyr. Le loup semblait réticent à l'idée de venir en aide aux Loups Gris. Il tournait en rond, les mains dans le dos, les sourcils froncés. Wolodymyr devait avoir une cinquantaine d'années. Il était petit mais robuste, avec des épaules larges et un cou de taureau. Ses cheveux étaient rasés à blanc et une fine barbe poussait sur sa mâchoire serrée.
- Il ne s'agit pas seulement de la meute d'Azriel, protesta Tristan pour ce qui lui parut être la centième fois. La race entière est en danger.
- Je n'enverrai pas mes hommes se battre loin de nos terres. Le clan de l'Est profiterait de notre affaiblissement pour nous envahir. D'ailleurs, qui me dit que vous n'êtes pas à la solde de ce bâtard de russe ?
Atterré par le manque d'ouverture d'esprit de son interlocuteur, Tristan soupira et se pinça l'arête du nez. Il avait l'impression d'être face à un enfant capricieux. Il sentit son sang bouillonner d'impatience et souffla pour se détendre. La présence de son âme-sœur lui fut d'une grande aide.
- Nous ne sommes pas allés voir Andriy, rétorqua Alexandra. Nous pensions que vous seriez plus raisonnable et prompt à accepter de faire face au danger.
Cet argument piqua Wolodymyr à vif. Son visage devint rouge cramoisi.
- Je ne prendrai pas le risque de me soumettre à l'Alpha des Loups Gris en leur venant en aide, tonna-t-il. Et je ne me mêlerai pas d'un confit qui n'est pas le mien. Si Azriel n'a pas réussi à dissimuler sa meute des humains, c'est son problème, pas le nôtre.
Alexandra sentit la colère la gagner à son tour. Elle percevait également l'instabilité croissante de son âme-sœur qui ne pourrait plus se contenir bien longtemps. Alors elle le prit par la main et le tira vers la voiture, consciente qu'ils n'obtiendraient rien de Wolodymyr.
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