Chapitre 12

La température continuait de chuter à l'approche du mois de janvier et malgré la couverture que lui avait prodigué Alexandra, il crut plusieurs fois qu'il ne survivrait pas à une autre nuit glaciale. Mais outre la douleur physique qui le tiraillait, il se sentait terriblement déprimé. La solitude pesait sur son cœur et son loup hurlait à la mort, réclamant son âme-sœur qu'il n'avait pas vu depuis trois jours. Lui qui au début était déterminé à survivre à cette épreuve, sentait l'espoir le quitter peu à peu, remplacé par un immense vide. Il avait besoin de la voir, de toucher sa peau chaude et lisse, de glisser ses doigts dans ses longs cheveux dorés. Depuis trois jours, il n'avait plus ressenti aucune émotion d'Alexandra, il ne l'entendait plus, ne sentait plus son parfum de liberté l'entourer. C'était comme si elle avait disparu. Comme si leur lien s'était brisé. Avait-elle renoncé ? Ne le désirait-elle plus ? Incapable d'affronter cette vérité, il s'écroula contre les barreaux de sa cellule. Et il attendit. Depuis des jours il attendait, ne sachant quoi réellement, mais il ne pouvait faire que ça. Attendre ...

Le grincement des gonds de la porte du bâtiment le fit sursauter. Il bondit sur ses pieds, faisant cliqueter les chaînes qui le retenaient, et agrippa les barreaux de la cellule, le cœur gonflé d'espoir. Il força ses yeux à voir au plus profond du couloir obscur, écouta avec attention tous les bruits environnants et renifla l'air dans l'espoir de déceler l'odeur de son âme-sœur. Mais la silhouette qu'il aperçut était trop grande, les pas étaient trop lourds et il reconnut les relents désagréables de Nelu. Le Chef de guerre l'approcha, un bol fumant à la main et un sourire complaisant sur la face. Les phalanges de Tristan se crispèrent autour des barreaux d'argent et il grinça des dents. Une vague de rage destructrice provenant de son loup le submergea. Il regarda Nelu glisser le bol sous les grilles avant qu'il ne se redresse pour le fixer à son tour.

- Je dois avouer que j'avais pensé que tu rendrais l'âme bien avant. Un loup paria, terrassé par ce vide que seule son âme-sœur peut combler. N'est-ce pas dramatique ?

Tristan ne répondit pas à cette provocation, se contentant de resserrer son emprise autour des barreaux.

- N'aies pas trop d'espoir, Damné, elle ne reviendra pas te voir. Azriel la garde bien au chaud, à l'abri, dans sa chambre. Il lui sera plus compliqué de fausser compagnie à une bonne dizaine de gardes. Elle doit sentir le lien s'estomper à l'heure qu'il est. Mais pas de panique, elle est forte, elle survivra. Par contre, en ce qui te concerne, je vois que c'est déjà en train de te tuer.

L'âme de Tristan sembla se dessécher d'un coup. Pareille à une feuille de papier jetée au feu, elle se rétrécit, se froissa, se noircit, puis se consuma lentement. Il ne la reverrait plus. Il allait mourir ici, dans cette cellule, sans pouvoir faire ses adieux à Alexandra. Tristan sentit un picotement lui remonter l'épine dorsale. Sa peau se mit à brûler, ses muscles se tendirent et son esprit se brouilla. Il poussa un grognement sourd qui se répercuta contre les parois en briques de la construction. Son loup faisait surface, rendu fou de douleur par cette annonce, il réclamait sa liberté pour pouvoir hurler toute sa peine. Tristan perdait le contrôle, il le sentait. Mais alors qu'il s'attendait à être envahi par la douleur atroce de la transformation, ses forces l'abandonnèrent et il s'écroula au sol. Il était bien trop épuisé pour subir un changement de corps.

- Laisse-moi la voir, implora-t-il en levant des yeux pleins de larmes vers Nelu.

- Je n'ai pas le pouvoir de prendre cette décision, répondit le Chef de guerre sur un ton détaché. Et puis, même si je l'avais, je ne t'accorderais pas ce dernier souhait. Les créatures dans ton genre ne méritent que la mort.

- Laisse-moi la voir, je t'en prie ! Cria Tristan d'une voix rendue rocailleuse par le froid.

Toutefois, Nelu ne répondit pas, son regard satisfait toujours baissé sur le prisonnier. Tristan répéta ces mots de nombreuses fois, devenant de plus en plus misérable. Mais il se fichait éperdument de pleurer, d'être pitoyable et humilié. Son cœur était éparpillé en de microscopiques éclats dans sa cage thoracique et avait laissé un trou énorme dans sa poitrine. Il sentit les larmes dévaler ses joues et ne fit rien pour les retenir.

- Pathétique... soupira Nelu avant de s'éloigner, laissant Tristan se morfondre sur le sol.


Ce qui lui sembla être une éternité plus tard, deux loups-garous pénétrèrent dans la cellule et le libérèrent de ses chaînes. Tristan sentit ses membres s'alléger, libérés du poids de l'argent et il fit quelques pas avec soulagement. Ses muscles endoloris par l'inactivité et le froid mirent un moment avant de retrouver toute leur fonctionnalité. Les gardes le firent sortir de sa prison et il les suivit sans broncher, vide de toute détermination. Il ne se posa pas la question d'où ils l'emmenaient, ni pourquoi. Il se contentait d'avancer, le regard triste rivé sur la dalle par terre. Lorsqu'ils passèrent la porte du bâtiment dans lequel il avait été enfermé, la luminosité l'éblouit et ses yeux le brûlèrent. Il n'avait pas vu la lumière naturelle depuis des jours. Clignant plusieurs fois des yeux, il parvint finalement à distinguer ce qui l'entourait. Le tapis de neige qui recouvrait le sol s'était épaissi depuis leur arrivée, les arbres lui parurent plus sombres et plus tordus qu'auparavant et le ciel était gris. Ce devait être une fin de journée, pensa-t-il.

Les deux loups l'escortèrent dans le camp et Tristan ne put s'empêcher de remarquer l'activité inhabituellement élevée qui animait la meute. Il crut d'abord que cela été dû à l'approche de leur mixage du Nouvel An. Mais les visages des loups et des Essentiels paraissaient inquiets. Un fracas sur sa gauche lui fit tourner la tête brusquement. Des hommes déchargeaient des grosses caisses d'un camion sur lesquelles Tristan reconnut le S et le W entrelacés du logo de Smith & Wesson, une marque d'armes à feu réputée. Alors il comprit. La meute se préparait à la guerre. Les murs d'enceinte improvisés, faits de planches et autre mobilier, que les loups gris érigeaient aux abords du camp, renforça l'inquiétude de Tristan. Son instinct lui dit que tous ces préparatifs ne seraient pas suffisants. Il était le seul à avoir rencontré l'homme mystérieux de Dresde et il était persuadé que des pistolets et une barricade pitoyable ne l'arrêteraient pas. Le militaire était bien plus malin. Lorsqu'il frappera, il le fera au moment où les loups seront les plus vulnérables, et il sera bien armé.

Tristan réfléchit à toute vitesse, essayant de déterminer le danger que courrait la meute. Que ferait-il à la place du militaire ? La solution lui vint presque instantanément. Cependant, quelques cris et la sensation d'être observé l'empêchèrent d'arriver au bout de sa réflexion. Il se trouvait désormais devant la maison de l'Alpha, où il s'était senti chez lui, accueilli comme un fils pendant un bref moment. Les membres de la meute s'étaient rassemblés autour de lui et le regardaient avec haine et dégoût. Certains l'insultèrent, rabâchant sans arrêts les mots « Mordu », « Damné » et « Paria ». Tristan ne réagit pas, plus rien ne pouvait l'atteindre ou le faire souffrir. Il était devenu imperméable à toutes cette haine. Ses yeux scannèrent l'assemblée et tombèrent sur Ioan. Le petit garçon, à nouveau séparé de sa mère, lui sourit et fit un signe de la main. Tristan, qui pensait ne plus jamais rien ressentir à part le vide qui l'habitait, fut traversé d'une vague de chaleur.

Soudainement, le silence se fit et il reporta son attention sur la demeure qui le surplombait. Azriel suivi d'Elanora descendit les marches du perron. Lui au visage agressif et elle à la douceur incroyable, exactement comme la première qu'il s'était présenté à eux, mais seulement, Alexandra n'était pas à ses côtés aujourd'hui. Tristan voulut s'avancer vers le Chef de la meute mais les gardes le retinrent. Azriel se planta devant lui, plus menaçant que jamais. Pourtant, cela ne dissuada pas le jeune homme à prendre à deux mains le courage qui lui restait. Il soutint vaillamment le regard incendiaire de l'Alpha et se redressa de toute sa hauteur, bien décidé à ne pas se soumettre. La volonté de se battre lui était revenue en traversant le campement et n'avait fait que s'accroître grâce à Ioan. Il était déterminé à ne pas laisser les loups Gris se leurrer en pensant que leurs piètres défenses les protégeraient. Coupant l'herbe sous le pied d'Azriel, et à la stupéfaction de tous, il parla le premier.

- Vous en pouvez vous lancer dans cette guerre ! Prévint-il de sa voix rendue caverneuse par son séjour en prison. Vous n'êtes pas prêts ! Ce qui vous attend en face ne peut être vaincu par des armes et une palissade !

Tristan vit d'abord de la surprise passer sur le visage de l'homme, avant qu'elle ne soit remplacée par une profonde irritation.

- Silence ! Tonna l'Alpha. Les affaires de ma meute ne te concernent en rien. Et soumets-toi à l'autorité de l'Alpha qui t'a épargné, Damné !

Ce mot venant d'Azriel le blessa tout particulièrement. Cependant, il ne le laissa pas paraître et toisa son aîné, déterminé. Il entendit le grognement de l'Alpha, ce qui le poussa à continuer.

- Ils attaqueront lors de la prochaine pleine lune, reprit-il, insouciant des risques qu'il prenait en désobéissant. C'est là où vous êtes le plus vulnérables. Vos armes à feu ne vous serviront alors à rien et les Essentiels ne pourront vous protéger. Ils seront équipés. Ils connaissent vos faiblesses et les utiliseront contre vous. L'argent et l'Aconit Napel causeront votre défaite. Ils viseront l'Alpha et la Luna en premier, pour couper la tête du serpent. Votre seule chance, est de les surpasser en nombre de loups.

Insensible à l'aura oppressante qu'Azriel dégageait, il s'était alors retourné et s'adressait à chacun. Tous semblaient l'écouter, leurs sentiments haineux mis de côté. Tristan fut submergé d'une bouffée de chaleur et il sentit son loup présent dans son esprit. Mais cette fois, il était calme, partageant équitablement l'espace avec son opposé humain. Avant qu'il n'ait pu comprendre cette nouvelle sensation, les gardes se saisirent à nouveau de lui et le forcèrent à confronter l'Alpha une nouvelle fois.

- Je pourrais te tuer sur le champ, menaça Azriel de sa voix grave. Mais la sentence serait trop douce. Tu mérites le poids de la solitude et de l'errance.

Les loups avaient à nouveau reporté leur attention sur leur Chef. Tous retenaient leur souffle, attendant sa décision.

- C'est pourquoi j'ai choisi l'exil. Plus jamais tu ne mettras les pieds sur mon territoire et plus jamais tu ne seras accepté parmi les nôtres. Pars et ne reviens jamais !

Tristan ne réagit pas. Il avait vécu seul toute sa vie et il avait survécu. De plus, il s'était fait à l'idée, aussi douloureux que ça puisse être, de vivre sans Alexandra. Le choix d'Azriel n'avait par conséquent aucun effet sur lui.

- Dans ce cas, je pars avec lui ! S'exclama une voix derrière Azriel.

L'Alpha se retourna, profondément outré que quelqu'un ose s'opposer à son jugement et le défier devant toute la meute. Un tourbillon de mèches blondes le contourna pour venir se positionner auprès de Tristan. Tous les sens de ce dernier semblèrent êtres stimulés à nouveau et le vide qui s'était emparé de lui se combla. Alexandra était là, devant lui, et prête à l'accompagner. Il se dégagea brusquement des gardes qui, décontenancés par cette scène incongrue, le lâchèrent. Il entoura ses bras autour de la jeune femme qui sembla revivre.

- Je t'interdis de quitter la meute avec ce Mordu ! Gronda l'Alpha.

Mais Alexandra n'avait pas dit son dernier mot. Elle jeta un bref regard à Tristan, qui lui parut plus grand et plus déterminé malgré son allure affreuse, et défia son père.

- Et moi je vous interdis de l'appeler comme ça ! Gronda-t-elle à son tour. Si vous l'exilez, je l'accompagne. Vous ne pourrez pas nous séparer.

Tristan vit à cet instant l'Alpha qui sommeillait en Alexandra. Un sentiment de fierté s'insinua en lui.

- Tu connais le sort réservé au rival de l'Alpha, murmura Azriel, menaçant. Tu n'échappes pas à la règle.

Alexandra hocha la tête, plus sûre d'elle que jamais, alors que les autres loups reculèrent de quelques pas. Tristan ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. Il observa son âme-sœur s'éloigner de l'Alpha sans le quitter des yeux. Puis, les deux se mirent à tourner, le regard toujours fixé l'un sur l'autre, et lâchant des grognements dissuasifs. Tristan comprit alors qu'il se tenait au beau milieu d'un duel d'Alphas. Un frisson lui traversa le corps. Alexandra était trop jeune et inexpérimentée. Elle ne gagnerait pas ce conflit de pouvoir.

Il vit Azriel s'élancer vers sa fille à une vitesse fulgurante, prêt à se transformer. Mais il fut plus rapide que lui et, dans un mouvement à la fois brusque et calculé, il attrapa la gorge d'Azriel, le stoppant net dans sa course. Il entendit les exclamations de surprise émanant de la meute mais personne n'osa bouger. Même la Luna resta pétrifiée sur place. Tristan avait agi par réflexe, protégeant son âme-sœur du danger. Il repoussa violement Azriel sur le sol, envahi par son instinct protecteur, et le surplomba de toute sa hauteur.

- Ne-la-menacez-plus-jamais, dit-il en détachant chaque mot. Laissez-nous partir sans encombre et nous vous promettons de ne jamais revenir.

La voix de Tristan lui était soudain devenue inconnue, comme si ce n'était pas la sienne. Il fixa l'Alpha, toujours au sol, attendant une réponse. Azriel respirait fort, les yeux écarquillés par la stupeur, semblant hésiter sur le comportement à adopter. Le loup de Tristan grogna d'impatience. Alors, se passa une chose à laquelle personne ne s'attendait. L'Alpha baissa les yeux et montra sa gorge à Tristan, en signe de soumission.

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