Chapitre 10
Durant la nuit, la neige était tombée sur le campement et avait rapidement recouvert les branches des arbres et les toits des maisons. Le vent glacial qui soufflait dehors ce matin n'effrayait pas les membres de la meute qui continuaient d'entrer et sortir des bâtiments. Alexandra avait décidé de lui faire visiter le village sous les bons conseils de sa mère. Tristan avait beau s'être couvert le plus possible, il grelottait depuis qu'ils avaient quitté la demeure familiale. La jeune femme, habituée par le froid de sa terre natale, n'avait pas l'air de souffrir autant que lui. Ils marchaient dans la neige, les bras liés, profitant d'un moment de calme. Les membres du fameux Conseil arrivaient ce soir et ils allaient devoir décider des mesures à prendre. Tristan sentait que la nuit allait être longue.
Perdu dans ses pensées, il sursauta lorsque quelque chose lui encercla la jambe gauche. Il baissa les yeux pour voir une toute petite paire de mains accrochée fermement à son pantalon. Un petit garçon qui ne devait pas avoir plus de quatre ans le regardait avec un mélange de curiosité et d'admiration.
- Coucou, toi, salua Tristan, attendri par les grands yeux bruns de l'enfant.
Il tenta de faire un pas de plus, mais le garçon resta pendu à son vêtement. Il baragouina quelques mots roumains que Tristan ne comprit pas. Cherchant de l'aide, il se tourna vers Alexandra. Elle souriait tendrement face à la scène qui se déroulait devant ses yeux.
- Il veut que tu le prennes dans tes bras, traduit-elle.
Bien qu'étonné par l'aisance du petit bonhomme à se fier à un inconnu, il s'exécuta. A présent à la même hauteur que lui, le garçon s'amusa à lui toucher le nez, puis les joues et les oreilles. Tristan se laissa faire, enchanté par l'enthousiasme du petit.
- Comment s'appelle-t-il ?
- Demande-lui toi-même, répondit doucement Alexandra.
Jusqu'ici, la barrière de la langue ne l'avait pas dérangé. L'anglais était devenu sa première langue grâce à son travail, et il le parlait couramment. Cependant, il fut très surpris de constater que la grosse majorité de la meute maîtrisait également cette langue. Certains membres avaient même fait l'effort de le saluer avec un petit « hello », ce qu'il avait trouvé très attentionné. Alexandra lui avait appris que cette langue était enseignée aux enfants dès le plus jeune âge, ce qui leur permettait plus tard de pouvoir communiquer avec d'autres meutes ou bien se rendre à l'étranger sans problème. Bien qu'il trouvait cela très commode, il se promit tout de même d'apprendre le Roumain.
Alexandra donna la phrase en roumain qui servait à demander son nom à quelqu'un, puis Tristan la répéta au garçon en prenant soin d'être fidèle à l'accent. L'enfant sembla comprendre car il tourna son visage rond vers lui.
- Ioan, répondit-il tout simplement.
- Aller, ramenons-le à sa mère, dit Alexandra en reprenant sa déambulation. Anca va être dans tous ses états lorsqu'elle se rendra compte qu'il a encore disparu.
Tristan réprima un rire et emboîta le pas à son âme-sœur. Celle-ci lui montra la salle commune où se tenaient les réunions de la meute. Puis ils passèrent devant l'école qui était déserte lors de cette période de l'année.
- Tous les enfants de la meute vont à l'école ici. Bien sûr, ils sont libres d'aller étudier parmi les humains, mais les mères ont souvent beaucoup de mal à se séparer de leurs petits. Donc le plus souvent, l'éducation se fait au campement, expliqua Alexandra.
Ils continuèrent leur marche tranquillement. Tristan remarqua que, plus loin, des hommes transportaient de gros rondins de bois sculptés comme des sortes de bancs vers la forêt.
- Que font-ils ? Des préparatifs pour les fêtes de fin d'année ? Questionna-t-il en se rappelant que Noël était dans peu de temps.
- Non, nous ne fêtons pas Noël. Et le Nouvel An chez nous est très différent du vôtre. Lors de la dernière nuit avant la nouvelle année, nous organisons d'immenses rassemblements avec les meutes de différents pays afin que les loups les plus chanceux trouvent leur âme-sœur. La plupart ne trouve pas leur moitié mais repart avec un conjoint.
Tristan fut choqué d'apprendre que l'échange de cadeaux traditionnel était remplacé par un espèce de speed-dating, mais il ne dit rien et hocha la tête. Ils passèrent devant un bâtiment qui ne ressemblait à aucun autre. Des colonnes soutenaient des arches sculptées entourant l'édifice. Une coupole en verre surmontait la structure en bois dont chaque parcelle était remarquablement travaillée. Tristan se fit la remarque que cela ressemblait à un genre d'église ou autre monument religieux.
- C'est le temple consacré à la déesse de la Lune, lui dit Alexandra en suivant son regard. C'est ici que tous les rites sont célébrés. Comme l'acceptation dans la meute, qui est votre version du baptême ; la reconnaissance du loup, après la première transformation, l'échange de sang qui équivaut au mariage chez vous ; et le dernier adieu que nous faisons à ceux qui nous quittent pour rejoindre la déesse. Tous ces rituels sont présidés par l'Ancien. Marcus – tel est son nom – est le loup le plus vieux de la meute. Il a été marqué pour représenter la déesse sur Terre.
Une fois encore, Tristan hocha la tête, essayant d'assimiler toutes ces nouvelles informations. Ioan restait immobile dans ses bras, absorbé par les boutons de son manteau qu'il tentait de défaire sans succès. Alors qu'ils continuaient d'avancer dans le camp, Tristan remarqua quelque chose d'étrange ; il n'avait vu aucune échoppe ou épicerie.
- Comment faites-vous pour nourrir la meute si les membres refusent de se mêler aux humains ? S'étonna-t-il.
- La meute s'auto-suffit financièrement. Lorsqu'un nouvel Alpha est nommé à la tête de la meute, il devient chef mais également patron d'une importante firme transnationale qui se transmet d'Alpha en Alpha. Les revenus des entreprises qui nous appartiennent sont directement versés à la meute et utilisés pour acheter du matériel, des vêtements ou de la nourriture. Ensuite, c'est le rôle des Essentiels d'approvisionner la meute. Sans eux, nous n'aurions aucun moyen de commercer avec les humains.
- Donc, si j'ai bien compris, les Essentiels sont des humains qui appartiennent à la meute et qui naviguent entre les deux mondes.
- Exactement, approuva Alexandra. Rares sont les loups qui n'attirent pas l'attention lorsqu'ils sont entourés d'humains. Ceux qui savent s'adapter peuvent quitter la meute temporairement pour leur métier ou exercer un travail hors du camp. Les Essentiels, eux, ont cette possibilité de faire de longues études, et deviennent souvent médecins, architectes ou ingénieurs.
Tristan était subjugué par l'organisation de la meute. Chacun semblait avoir sa place, son objectif. Personne n'était laissé de côté. Pendant un moment, il se demanda quel serait son rôle dans cet endroit.
Soudain, il fut bousculé et manqua de perdre l'équilibre et de déraper sur le sol glissant. Ses bras se resserrèrent autour de Ioan pour ne pas qu'il tombe. Passablement agacé, il regarda autour de lui pur trouver celui qui lui était rentré dedans. Ses yeux tombèrent sur un loup noir de la taille d'un labrador, guère plus gros, qui portait sur son dos une petite fille. Elle semblait avoir une dizaine d'années et avait un regard malicieux.
- Catalina, Pietro, appela Alexandra. Ça suffit, allez jouer ailleurs !
Visiblement, les enfants avaient l'air d'être moins réceptifs aux ordres de leurs supérieurs car ils restèrent là et leur firent des grimaces. Tristan sentit l'irritation s'emparer d'Alexandra qui leur cria dessus dans sa langue. Même lorsqu'elle vociférait de la sorte, son doux accent sonnait parfaitement bien aux oreilles de Tristan. Malheureusement, les deux enfants ne comptaient pas obéir. La jeune fille ramassa de la neige et la lança sur eux alors qu'ils continuaient leur route. Ioan fut couvert de neige et commença à protester en chouinant. Tristan entendit son loup gronder et se retourna vivement vers les dénommés Pietro et Catalina. Il les foudroya du regard, agacé, et, contre toute attente, la peur s'empara de leur visage et ils détalèrent comme des lapins.
- Les enfants, souffla Alexandra. Quel dommage que l'aura des Alphas ne les atteigne pas.
Après seulement quelques mètres, ils s'arrêtèrent à nouveau et Alexandra toqua à une porte. Une femme brune portant un tablier tâché leur ouvrit. Elle montra respectueusement sa gorge à la jeune femme, reconnaissant leur différence de rang.
- Bonjour, Anca, dit-elle. Nous te ramenons Ioan qui s'est encore échappé.
La femme ouvrit de grands yeux en apercevant l'enfant dans les bras de Tristan et s'avança pour le prendre. Tristan se sépara de son nouvel ami à contrecœur.
- Merci de l'avoir ramené, dit-elle en les regardant à tour de rôle. Je ne sais plus quoi faire avec lui. Depuis qu'il marche, il escalade tout. Dès que j'ai le dos tourné, il essaye de sortir de la maison. Et avec toute l'agitation qu'il y a pour la Veillée, je n'arrive pas à garder un œil sur lui en permanence.
- Il a de l'équilibre et de l'audace, ça, c'est certain, remarqua Alexandra. Il sera certainement un bon vârcolac.
Les deux femmes échangèrent un sourire plein d'espoir, puis le couple prit congé d'Anca. Ils traversèrent le campement, main dans la main, à nouveau seuls.
- Que signifie « varcolac » ? Demanda Tristan après un moment.
- C'est le mot roumain pour « loup-garou ».
- Et ce nom que tu me donnes tout le temps, « dragul meu » ?
Alexandra sourit malicieusement, un regard amoureux fixé sur lui. Elle se rapprocha davantage de son âme-sœur, se collant contre son épaule.
- Tu aimerais bien savoir, n'est-ce pas, dragul meu ? Le taquina-t-elle.
Tristan fit un bruit contrarié et elle explosa de rire devant son air boudeur.
- C'est l'équivalent de « mon amour » en français.
Il fut tout de suite rassuré mais surtout, il se sentit bête. Lui qui avait pensé qu'il s'agissait d'un genre d'insulte, il s'était complétement trompé. Un sourire enfantin plaqué sur les lèvres, ils reprirent leur marche.
Alexandra l'entraîna dans un endroit assez particulier. Au beau milieu de la forêt, perdu entre les arbres, une clairière recouverte d'une légère couche de neige s'étendait sur plusieurs centaines de mètres. Rien ne semblait pousser dans ce petit carré désert et Tristan se dit que la forêt d'Hoia Baciu avait tout de même quelque chose de très étrange.
Des rangées de bancs, ceux-là même qu'ils avaient vus plutôt, occupaient la moitié de la surface déboisée. De l'autre côté, un duel sans merci avait lieu, tranchant drastiquement avec la pureté du lieu. Deux loups, un noir et un brun, se battaient violemment sous le regard de plusieurs hommes enroulés dans d'épaisses couvertures. Le loup noir semblait à bout de forces, face à un adversaire bien plus grand et costaud que lui. Le brun renversa son opposant d'un puissant coup de patte qui lui déchira le dos. La pauvre bête hurla de douleur avant de s'effondrer au sol. Tristan avait observé la scène, horrifié. Ne devait-il pas intervenir ? Son sang se glaça lorsqu'il vit que le vainqueur se diriger en grondant vers le loup noir, les crocs sortis.
- Ne devrions-nous pas faire quelque chose ? S'inquiéta-t-il.
- Non, mieux vaut ne rien faire, répondit Alexandra sur un ton qui parut trop léger à Tristan compte tenu de la situation. Nelu t'en voudrait à mort de l'interrompre en plein entraînement.
- Un entraînement ? Il aurait pu le tuer !
- Ne t'en fais pas, le rassura-t-elle. Malgré son horrible caractère, Nelu est un excellent professeur. Il forme les meilleurs guerriers de tout le pays. Il est notre Chef de Guerre. Ce titre fait assez barbare, je te l'accorde. En réalité, il forme les gardes qui surveillent nos frontières et il doit garder un œil sur l'Alpha et sa famille. Il me suivait partout quand j'étais enfant, et c'est lui qui m'a appris à me battre.
Lorsque Tristan fut rassuré de voir que Nelu avait épargné son adversaire, il fit demi-tour et reprit le chemin de la demeure d'Azriel, son âme-sœur à ses côtés.
Le prochain coup qu'il jouerait serait décisif. Il avait toujours été très bon à ce jeu mais Alexandra était une joueuse redoutable. Toutefois, son égo lui interdisait d'être mis échec-et-mat par la jeune femme. Alors qu'il s'apprêtait à déplacer son fou, une musique du groupe ACDC se fit entendre. Tristan se leva pour aller chercher son téléphone. C'était Charity qui avait choisi sa sonnerie de portable, en grande amatrice de métal et de rock. Le jeune homme sourit lorsqu'il vit le nom de son amie s'afficher sur l'écran. Il décrocha.
- Salut, Cha.
- Oh my god, tu m'as fait une de ces peurs, le Français ! Mais t'es où, bon sang ? Ca fait deux jours qu'on a plus aucune nouvelle ! Je suis passée chez toi, j'ai cru que t'étais malade, mais t'étais pas là et tes placards étaient vides ! T'es parti sans rien dire.
De toute évidence, Charity était complétement à côté de ses chaussures. Tristan lui dit de se calmer après avoir attendu que son flot de parole soit écoulé.
- Je vais bien, la rassura-t-il. Je suis en Roumanie avec Alexandra.
- Ah, fit Cha, gênée. Très bien. Quand rentrez-vous ?
- Je ne sais pas. En réalité nous avons un petit problème et je ne sais pas combien de temps il nous faudra pour le résoudre. Cela pourrait prendre quelques jours, tout comme quelques semaines, voire plus.
Tristan entendit Cha parler avec une autre personne au bout du fil. Elle avait l'air de relayer toutes les informations qu'il lui donnait.
- Hey fils ! Lança la voix paternelle de Franz. Cha m'a dit pour ton problème. T'as besoin d'un coup de main ?
- Non, c'est gentil mais vous ne pouvez rien faire sur ce coup.
- Bon, dans ce cas, tu veux que j'aille expliquer ton absence indéterminée ?
- C'est vraiment sympa, Franz, mais je les appellerai demain. Ce soir je saurai certainement combien de temps nous devrons rester ici.
- D'accord. Bon courage, fils, n'hésite pas à appeler si tu as besoin de quoi que ce soit. Fais gaffe à toi.
- Merci. Prenez soin de vous et surveille bien Cha pour moi.
Sur ce, la ligne fut coupée, laissant Tristan pensif. Rentrerait-il vraiment en Allemagne ? Ou bien resterait-il ici avec la meute ? Aurait-il une chance de retrouver sa vie d'avant et ses amis ?
Exceptionnellement, Azriel décida que le Conseil se tiendrait dans la salle à manger plutôt que dans la Salle Commune pour éviter d'éveiller les soupçons. La dernière chose dont il avait besoin était d'une meute apeurée.
Lorsque les autres Alpha les plus puissants du monde furent arrivés, on les mena directement au lieu de rendez-vous. Ils s'assirent dans un désordre complet, laissant les bouts de la table vides, ce qui permettait d'installer un semblant d'égalité entre eux. Azriel étaient accompagné d'Elanora, d'Alexandra, de Tristan et de Nelu, et à eux seuls, ils occupaient tout un côté de la table. En face, se tenaient Stephen, venant du Canada ; Maria, originaire d'Amérique Latine ; Philippe, meneur des loups de France ; et Asmâhan, dirigeante des meutes d'Orient. Tristan se sentit un peu écrasé par toutes ces auras qui opéraient leur puissance en même temps. Il comprit alors que chaque Alpha possédait une aura qui lui était propre. Celles d'Asmâhan et de Stephen paraissaient plus douces, moins oppressantes. Ils devaient utiliser le respect plutôt que l'intimidation pour se faire obéir. Pour Philippe et Maria, c'était le contraire. La peur provoquée par leur aura invitait n'importe quel loup à se soumettre sur-le-champ. Les Alphas restaient silencieux, se dévisageant, patiemment. Ils semblaient attendre quelque chose.
Ce fut lorsque Tristan s'aperçut que la chaise en face de lui était vide que la porte de la salle à manger s'ouvrit pour laisser entrer le dernier membre du Conseil. Un petit homme chétif à la démarche instable apparut. Il se déplaçait à l'aide d'une canne sculptée et avançait lentement. Sa peau était ridée et il était chauve. Tristan se demanda combien de milliers d'années il pouvait bien avoir. Puis, il remarqua les marques noires qui recouvraient le crâne et le front du vieil homme. Il devait s'agir de ce fameux Ancien, pensa Tristan. Le vieillard s'avança dans la pièce et scruta l'assemblée de son regard vivace et savant. Ses yeux s'arrêtèrent sur Tristan qui frissonna. Il avait le même regard perçant qu'Elanora. Sans le quitter des yeux, l'Ancien fit quelques pas dans sa direction, comme pour apercevoir un animal étrange. Soudainement, il s'arrêta net, la peur clairement visible sur ses traits, et poussa un petit cri d'effroi. Alors il pointa son doigt squelettique vers lui, tremblant.
- Un Damné ! S'écria-t-il. Pauvres fous, vous avez fait entrer un Damné !
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