Chapitre 1
Un son infernal le fit grogner. L'incessant bip du réveil lui ordonnait de se lever. Tristan sentit qu'un mal de crâne commençait à s'emparer de lui, alors il se retourna vivement dans le lit pour écraser le bouton STOP du réveil matin. Le pas traînant et la sensation qu'un étau lui encerclait la tête, il entra dans la salle de bain. Après une douche rapide, il fixa son reflet dans le miroir. Il avait la peau plus pâle que de coutume, faisant ressortir quelques vieilles cicatrices discrètes, mais pourtant bien visibles. Ses traits étaient tirés et deux gros cernes assombrissaient ses yeux gris. Un seul diagnostique pouvait être tiré d'un état aussi déplorable couplé à un mal de crâne. Il avait la gueule de bois. Il soupira. Cela lui arrivait rarement, d'habitude Tristan ne dépassait pas les deux verres. Il était une personne raisonnable. Pourtant, il devait avouer que l'échec cuisant auquel il avait fait face dans ses recherches de la veille avait provoqué une grande frustration qui s'était soldée par un nombre déraisonnable de verres. Tristan soupira à nouveau. Il s'était senti si près du but hier. Il avait touché la solution du bout du doigt, il l'avait senti. La réponse à toutes ses questions lui était brièvement apparue, avant d'être violement balayée par le résultat négatif du test final. Des mois de travail réduits en poussière. Il repartait à zéro. Décidant de ne plus y penser, Tristan avala un cachet puis enfila un jean et un T-Shirt au-dessus duquel il ajouta un pull. Continuant son rituel matinal, il se fit une tasse de café et une tartine de confiture – ingrédient que ses origines françaises lui interdisaient de troquer pour n'importe quelle autre garniture étrangère. S'installant confortablement dans son fauteuil, il repensa malgré lui au van de la veille. Ses réactions grotesques lui revinrent en mémoire et il laissa échapper un petit rire moqueur. L'excès d'alcool n'était manifestement pas bon pour lui.
Sur la route, Tristan ne put s'empêcher de jeter quelques regards furtifs dans les rétroviseurs de sa Mercedes pour s'assurer qu'il n'était pas suivi. Rien ne lui parut suspect et il continua sa route vers l'Est de la ville. Il longea l'Elbe jusqu'à arriver sur son lieu de travail. Là encore, il scruta l'endroit où s'était trouvée la Volkswagen le jour précédent. L'emplacement de parking était vide ce matin et Tristan sentit ses épaules se détendre.
Le Max-Planck-Institut für molekulare Zellbiologie und Genetik était un grand bâtiment possédant plusieurs ailes et étages que l'on pouvait associer aux différentes sections de recherches. Tristan voyait ce lieu comme une ruche où les chercheurs allaient et venaient, s'échangeant des informations, travaillant en groupes et possédant un objectif commun : faire progresser la science. Le Max-Planck-Institut, nommé plus communément par son anagramme MPI, était divisé en quatre départements. Au deuxième étage se trouvait le département de la Génétique et du Développement, dont les recherches étaient centrées sur le développement embryonnaire. Le troisième étage était occupé par cinq laboratoires appartenant au département de Régulation du Génome et ayant chacun leur fonctionnalité. Cette section étudiait le développement et la régénération des cellules souches avec un intérêt particulier pour leur rôle dans la régulation épigénétique. L'aile Est était partagée entre le département de Biologie Moléculaire Informatique – dont le but était de coupler plusieurs disciplines comme les mathématiques, l'informatique et la génétique pour faire des analyses bio-informatiques – et le Groupe de Recherche de Maladie et Développement – qui avait pour objectif de trouver comment l'information génétique gouverne le développement normal et anormal de l'embryon. Enfin, l'aile Ouest était divisée en plusieurs laboratoires servant à des groupes de recherche indépendants.
Tristan scanna son badge et traversa le hall. Des dizaines de personnes s'affairaient déjà dans cette fourmilière géante.
- Good morning, Professor Versipel. L'interpella une femme assise derrière un comptoir recouvert de documents multicolores.
- Good morning Karen, répondit-il poliment.
Tristan avait beau se trouver en Allemagne, il avait l'impression d'entrer chaque matin dans la tour de Babel. Le MPI regroupait près de 500 chercheurs de nationalités variées, si bien que l'on pouvait entendre parler le Russe, le Chinois et l'Espagnol rien qu'en traversant un couloir. Cependant, l'Anglais restait maître de la place afin que les échanges entre les équipes de recherche soient plus simples.
Il monta au premier étage. A part les salles de réunion et de conférence, cette partie du bâtiment était entièrement réservée à la détente. Un espace central ouvert permettait aux employés de se retrouver pour bavarder et prendre un petit encas. Tristan sentait venir le besoin pressant d'un second café. Son mal de crâne avait beau s'être estompé, il n'en restait pas moins fatigué. Une tasse pleine à la main, il prit place à une des tables disposées près de la fenêtre. Il se massa les tempes et son regard se perdit par-delà la vitre. Le soleil se levait doucement, éclairant le ciel d'une lumière blafarde, sortant la ville de Dresde de la brume d'automne.
- Mais c'est qu'il est matinal notre Français ! S'écria une voix derrière lui.
Tristan décrocha son regard de la vitre et sourit à la jeune femme qui se tenait devant lui. Charity était toujours enjouée, peu importe la situation, et avait pour habitude de désigner toutes ses connaissances au MPI par leur pays d'origine. Elle était petite et fine, et possédait de grands yeux noirs contrastant drastiquement avec ses cheveux blancs. Elle ne devait pas avoir plus d'une trentaine d'années, mais son style vestimentaire rappelait toujours à Tristan celui d'une adolescente. La jeune femme semblait avoir un faible pour les T-Shirts déchirés de vieux groupes de métal ou de rock.
- Alors ? Raconte-moi ! Comment ça s'est passé hier ? Tu m'avais dit que tu étais à deux doigts de trouver ce que tu cherchais. S'exclama-t-elle.
- Je m'étais trompé. Je dois tout recommencé du début.
Le visage de Charity s'assombrit légèrement et elle prit place en face de lui.
- Oh merde. Tu me le dirais si je pouvais t'assister dans tes recherches, n'est-ce pas ? Je sais combien c'est important pour toi.
Tristan lui sourit et se contenta d'hocher la tête. Elle étendit un bras recouvert d'une quantité affolante de bracelets dans sa direction et posa sa main sur la sienne. Charity lui offrit alors ce regard d'encouragement gorgé d'espoir qui n'appartenait qu'à elle et Tristan se sentit mieux.
- Un thé ? Proposa-t-il alors qu'il se levait.
Elle accepta l'offre avec plaisir et il se dirigea donc vers la cafétéria. Charity venait d'Irlande et, comme lui pour la confiture, elle avait une addiction au thé. Ils travaillaient ensemble au département de Régulation du Génome depuis presque trois ans et étaient dans le même laboratoire, le Hnisz lab. Leur équipe cherchait les principes et les mécanismes provoquant l'activation sélective ou la répression des gènes jouant un rôle essentiel dans le développement des maladies. Tristan avait longtemps espéré que l'étude profonde du développement des maladies l'aiderait à comprendre sa « condition » et à, éventuellement, trouver un remède. Mais il s'était avéré qu'aucune de leur recherche ne présentait un cas comme le sien. Cette révélation lui avait fait ressentir à nouveau l'immense solitude dans laquelle il était constamment plongé. Il avait alors décidé d'entamer des recherches par lui-même. Sa demande pour un laboratoire disponible de 19 à 23 heures pour « recherches personnelles autofinancées » avait été acceptée l'année dernière. Depuis, il passait presque chaque soir à faire des analyses de son propre sang pour trouver l'origine de sa différence. Charity, sans même savoir de quoi ses recherches retournaient réellement, l'avait encouragé depuis le début et suivait sa progression avec intérêt. Il lui était éternellement reconnaissant pour le soutien qu'elle lui avait apporté lors de cette longue année d'échecs successifs.
Une tasse fumante à la main, Tristan retourna à la table près de la fenêtre. Un homme d'environ cinquante ans au crâne dégarni avait pris place à côté de Charity. Il s'appelait Franz Bauer et faisait partie du Müller lab dans le même département que Charity et Tristan. C'était un professionnel en ce qui concernait le développement et la progression des cellules malades d'un organisme. Franz avait été d'une aide précieuse pour le projet de Tristan en répondant à toutes les questions de ce dernier sans en poser en retour.
- Bonjour Franz, le salua-t-il en tendant le thé à Charity.
- Salut petit. Cha m'a dit pour ton projet. Je suis désolé que ça n'ait pas fonctionné. Mais tu sais ce qu'on dit : ce sont les risques du métier !
- Oui, soupira Tristan. J'avais déjà réussi à localiser et isoler le gène responsable de la maladie mais les expériences pour trouver un traitement n'ont rien donné.
Il acheva sa deuxième tasse de café de la journée. Malgré ses nombreuses hypothèses infructueuses sur sa « condition », Tristan adorait son travail. Il se sentait utile, en essayant de trouver l'origine de maladies graves afin de sauver les gens. Mais aujourd'hui, la motivation lui manquait cruellement. Il n'était même pas capable de trouver ce qui clochait chez lui. Sentant sa détresse, Franz lui asséna un coup amical sur l'épaule.
- Allez debout, petit ! l'encouragea-t-il. Au boulot ! Dans notre travail, on n'a pas le droit de baisser les bras !
Tristan secoua vivement la tête pour se ressaisir. Franz avait raison. Il ne devait pas abandonner. Il suivit l'exemple de son ami et se leva, montrant ainsi sa résolution à avancer. Suivis de Charity, ils se dirigèrent silencieusement vers le troisième étage pour rejoindre leur laboratoire respectif et commencer leur journée.
- Tu sais le Français, tu ne t'y prends peut-être pas de la bonne manière. Dit Charity.
- La petite à raison. Si la cause de la maladie vient d'un gène, pourquoi ne pas essayer la transplantation ? Après tout, c'est une méthode qui mérite d'être essayée. Ajouta Franz, son fort accent germanique mettant une emphase sur chaque mot.
- Mais cette méthode est encore en expérimentation...
- Très juste, petit. Mais rappelle-toi que dans notre domaine, tout est risqué au début jusqu'à ce que ce risque devienne la solution.
Leur petit groupe se fit dépasser par plusieurs personnes au pas pressé. Tristan jeta alors un coup d'œil à sa montre. Huit heures trois déjà. Il était en retard. Charity et Tristan se séparèrent de Franz et pénétrèrent dans le sas menant au Hnisz lab. Là, ils troquèrent leur manteau contre leur blouse blanche nominative. Charity enleva tous ses bracelets, que Tristan n'avait jamais eu le courage de compter, et elle attacha ses cheveux blancs avec une pince. Enfin, ils se lavèrent les mains minutieusement puis entrèrent.
Toute la journée, son esprit était ailleurs. Il cherchait un autre moyen d'aborder son problème. De plus, rien de bien excitant ne se présenta à lui aujourd'hui. C'était toujours la même routine. Il prélevait, analysait, séparait des dizaines de cellules. Il échafaudait des hypothèses qui s'avéraient plus ou moins justes. La bonne humeur constante et contagieuse de Charity lui permit cependant de passer une journée agréable malgré ses préoccupations.
A 18 heures, lorsqu'ils quittèrent le Hnisz lab, Tristan se sentit submergé par une énergie nouvelle et avait hâte de s'enfermer à nouveau dans son laboratoire attitré. Charity lui proposa d'aller manger un morceau en ville en attendant que le lieu de travail en question soit disponible. Il accepta bien volontiers et ils se rendirent en ville. Lors du dîner, ils rirent beaucoup, ce qui leur fit oublier un moment leurs préoccupations.
- Comment vas-tu t'y prendre ce soir ? Demanda-t-elle après un silence.
- Je vais suivre le conseil de Franz avec un nouvel échantillon de sang.
La jeune femme reposa lentement son verre sur la table et encra ses yeux noirs dans ceux de Tristan. Elle était soudainement devenue très calme et sérieuse et avait l'air préoccupé.
- Tu sais qu'il nous est interdit de nous servir de notre propre sang pour nos recherches et expériences, n'est-ce pas ?
Celui de Tristan ne fit qu'un tour et il sentit ses cheveux se dresser sur sa nuque.
- Oui, je sais bien. Mais ne t'en fais pas, ce n'est pas le mien.
Il rit à la fin de sa phrase pour mieux faire passer son mensonge, mais Charity n'était pas dupe.
- Donc ce n'est pas toi qui souffres d'une maladie inconnue ?
Son ton se voulait accusateur mais il savait qu'au fond elle était blessée. Tristan baissa la tête et soupira. Bien sûr qu'il savait que le jour viendrait où elle se poserait des questions. Mais il ne pouvait pas lui dire la vérité. Qu'adviendrait-il de lui sinon ? Serait-il rejeté ? Examiné ? Pourchassé ? Il décida donc à contrecœur de lui mentir une nouvelle fois.
- Non, ce n'est pas moi. C'est un de mes amis les plus proches. Il est malade depuis l'enfance et je lui ai promis d'essayer de trouver un remède.
Charity retrouva son sourire, manifestement satisfaite de cette réponse, et le cœur de Tristan s'alourdit davantage. Il finit son verre de bière d'un trait pour faire passer le goût amer du mensonge.
- Au fait, t'as entendu la nouvelle ? Reprit Cha comme si de rien n'était. Il paraît qu'il va y avoir une nouvelle indépendante aux Otto Warburg Laboratories.
Les chercheurs indépendants de l'aile Ouest tournaient sans arrêt. La plupart du temps ils ne restaient que quelques mois sur place avant de plier bagage. Il était donc de coutume pour les chercheurs permanents de se renseigner sur eux. Telle était la nature des ragots au MPI.
- Vraiment ? On sait sur quoi elle travaille ?
Charity haussa les épaules et enfourna un bout de pomme de terre dans sa bouche.
- D'où vient-elle ? Va-t-elle être une « Miss Venezuela » comme la dernière en date ?
Tristan aimait se moquer des surnoms que Charity donnait aux indépendants. L'année passée ils avaient eu le droit à « l'Américain obèse » ainsi qu'à « la vieille mégère ».
- Je ne sais pas, mais j'espère qu'elle est canon.
Tristan pouffa. La jeune femme ne cachait pas son attirance pour les personnes du même sexe. Elle en était en réalité plutôt fière et ne manquait jamais une occasion de sortir une remarque hilarante concernant certains aspects de ce genre de relation.
Plus tard, Tristan était assis dans un des nombreux laboratoires de l'aile Ouest et scrutait ses dernières recherches infructueuses. Par quoi allait-il commencer ? C'était bien beau de vouloir modifier ses gènes, mais comment allait-il s'y prendre ? Il posa ses documents obsolètes et se pinça l'arête du nez, en pleine réflexion.
Tristan se tapa le front du plat de la main, sidéré par son propre manque de discernement. Comment une transplantation ne lui était-elle pas venue à l'esprit plus tôt ?
Il releva la manche de sa blouse, se munit d'une seringue et d'un garrot, et entreprit l'extraction d'une infime quantité de son sang. Puis, il transféra le sang de la seringue dans une petite éprouvette qu'il laissa reposer devant lui sur un support en bois. Il saisit ensuite son magnétophone et l'alluma avant de commencer son journal de bord.
- Nous sommes le 2 octobre 2018, il est 19h16 et je suis le Professeur Versipel. Ceci est le troisième test entreprit afin de trouver le remède à la lycanthropie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top