||












- DIS MOI ce que représente ce dessin.

- Un lycanthrope, Maître. D'apparence humaine la majorité de leur temps, ils ne se métamorphosent que la nuit, à partir du moment où la lune est assez lumineuse pour qu'elle leur donnent suffisamment de force. Ils sont très souvent confondus avec les loups.

- Comment est-ce que nous les distinguons ?

- Les loups chassent exclusivement en meutes et ils ne s'approchent pas de nos terres. Les lycanthropes sont des êtres solitaires qui s'en prennent souvent au bétail, et malgré la transformation, leurs yeux restent humains.

La vieille femme hocha la tête, les yeux luisants de malice et de fierté. Son élève restait immobile, les mains posées sur ses cuisses. D'un geste tremblant, son mentor éloigna le dessin pour en présenter un autre. L'encre noire semblait s'animer sous la flamme de la bougie.

- Et ça, qu'est-ce que c'est ?

La jeune fille plissa les yeux et se pencha sur le parchemin. Son Maître était vicieux, elle aimait lui tendre des pièges, comme ceux qu'elle dressait face aux monstres. Mais sans ces petits tours de malice, elle ne serait pas la
plus maligne des apprentis-chasseurs.

Un détail finit par lui donner la réponse, et elle redressa la tête.

- C'est un changelin.

- En es-tu sûre ? demanda la vieille femme en croisant ses bras.

- J'en suis certaine Maître.

Elle posa son doigt sur le tronc de l'homme dessiné.

- Regardez. Sa cage-thoracique ressort légèrement, tout comme les mandibules osseux sur les hanches.

- Ne m'apprends pas ce que je sais déjà Ealyr.

La chasseuse siffla si fort que la bougie s'éteignit. Ealyr remis sa main en place et s'immobilisa.

Le silence engloba la pièce, apaisant et étrange, mais agréable. Pourtant, sans lumière, les toiles et les parchemins placardés sur les murs miteux n'étaient pas rassurants, un villageois banal aurait pu croire que tout ces monstres allaient lui sauter dessus. Les ombres en profitèrent, s'adonnant à une danse élégante sur les murs et les croquis. Le vent soufflait et s'infiltrait entre les pierres. Des courants d'air, petits voyous aux rires railleurs, s'amusaient à se faufiler derrière les feuilles, renverser les plumes et les flèches, et faire grincer le fer des armes.

Ealyr se concentra une fois la bougie réanimée.

- Bien. Nous pouvons reprendre, ce n'est pas ces quelques brises qui vont cesser ton apprentissage, n'est ce pas ?

- Non, bien-sûr que non Maître, acquiesça la jeune élève qui sentait le froid grignoter ses doigts.

La vieille femme attrapa le prochain parchemin et le posa à face découvert. Les paupières d'Ealyr se soulevèrent brusquement, avant de retomber.

- Maître, je ne connais pas ce monstre-ci.

- Ah, c'est bien normal petite ! Observe, et je t'expliquerai.

L'encre formait des contours imparfaits, épais et tremblants. L'apprentie mit quelques secondes avant de bien discerner les contours de la créature et d'en analyser les détails.

C'était une bête énorme à fourrure, au dos très courbé, comme si elle portait un menhir invisible. L'avant de son corps était beaucoup plus musclé que l'arrière, ce qui lui donnait une allure agile, rapide malgré sa taille, et terrifiante. Elle avait une apparence partiellement canine, au niveau de la tête et de ses pattes avants, pourvues d'immenses griffes. Ce n'est qu'en positionnant le parchemin dans un certain angle qu'Ealyr constata que le monstre marchait sur ses frêles pattes arrières.

- Fascinant n'est ce pas ? C'est une créature rarissime que l'on appelle cœur-vide.

- Un cœur-vide ? Je n'ai pas lu ce nom dans mes livres, s'enquit la jeune fille perturbée.

- C'est normal, c'est normal. Tu veux bien te taire et me laisser t'expliquer ? Grogna son Maître.

Elle baissa les yeux en silence, plus anxieuse face à sa mentor que ce cœur-vide.

La flamme de la bougie flottait, élégante et lugubre, dessinant sur le visage de la vieille femme des jets de lumière chatoyants qui s'adonnaient à une valse fuyarde avec les ombres noires.

Ealyr redressa le menton et observa la chasseuse poser ses mains osseuses de part et d'autre du parchemin. Elle se laissa emporter par sa voix sinistre et sombre, plongée dans un terrible monde.

- Pendant des siècles et des siècles, les chasseurs ont cru que cette chose était un dieu déchu qui faisait parti de l'Ordre du Chaos. Elle était rare, et surtout, personne ne l'avait jamais vu. Ainsi, elle fut nommée désolation, car les seules traces de son passage n'étaient que des mares de sang, des cadavres déchiquetés, et des sillons dans la neige. Ils nous a fallut des siècles entiers pour découvrir que ce monstre n'était pas un dieu déchu, et pour arriver à dessiner quelques vagues croquis. Les rares carnets d'observation que nous avons à leur sujet sont presque illisibles, et la vérité et mêlée aux mensonges engendrés par les légendes, la peur.

Ealyr resta figée, complètement fascinée par le récit de son Maître. Elle sentit une vague de désir la submerger : elle voulait tant en savoir plus sur ces créatures !

- Pourquoi les avoir appelés cœur-vide ?

- Les rares observateurs ont constatés qu'aucune once de vie ne brillait dans leur yeux, ils sont certainement aveugle et sans émotion. Nous sommes des chasseurs tu sais, pas des poètes ou des érudits. On est pas là pour donner des noms compliqués aux monstres, on est là pour les tuer.

Ealyr hocha la tête et retint cette phrase dans un coin de sa tête.

- De toute façon, il est fort certain que les cœurs-vides n'existent pas, ce sont surtout des légendes. D'ailleurs, selon ces légendes...

La flamme de la bougie trembla et sa danse devint chaotique, entraînant avec elle les ombres, secouées et tremblantes. Le vent souffla plus fort, le froid se fit plus mordant, quelques flocons se faufilèrent sous l'encadrement de la fenêtre.

- Il est dit qu'un cœur-vide n'apparaît qu'en hiver, lorsque le sol est recouvert de neige, et la lune bien ronde et pleine. Un peu comme ce soir.













Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top