Chapitre 1 : Je suis la cassure

Alex.

Jeune garçon dans la vingtaine de l'âge.

Aucun but précis dans la vie ; diverses orientations professionnelles.

Sentiment d'incompétence présent.

Garçon banal de taille moyenne, complexé par son physique.

Ne trouve pas sa place dans la société.

Se sent à part.


*

Ce soir, l'implacable silence régna puissamment dans tout l'habitat. L'esprit se mit en marche contre la chair, et les secondes défilèrent au rythme délirant d'une folie grandissante. À quand ce terrible cauchemar cessera-t-il ? Il en avait assez.

Ô spectre de ses nombreux songes ! voici ce grand moment nocturne où tout se tait, lorsque la pensée part à la dérive d'un morbide secret recherché. La nuit envahit l'espace et le temps, apportant conseil à la méditation de l'être éveillé. Seul, était-il lors de l'épanchement de son coeur, de l'accouchement sur la vierge feuille de ses innombrables maux. Et bien conscient de son piteux moral, il conclut une nouvelle fois ceci et l'inscrivit au premier présent " Je me sens à part " répéta-t-il inlassablement à coup de crayon, sans que la fatigue n'interrompit cette introspection soudaine.

Pourquoi en était-il ainsi ?

Les choses s'étaient bel et bien parées d'un autre visage, d'une autre tournure, elles s'étaient transformées à son détriment le plus certain. Et il avait changé. Hélas !  Car depuis sa petite enfance, Alexy Bwood avait toujours arboré l'apparence d'une âme dormante dans ce monde bien trop superficiel à son goût. Il était doté d'une peau très claire qu'il hérita à sa naissance, contrairement aux autres membres de la famille. C'était une pâleur qui pouvait parfaitement traduire son état de léthargie depuis sa venue sur Terre. En effet, il était d'ordinaire absent dans ses émotions et sentiments, menant une vie simple et sans réels rebondissements. Mais voilà depuis bien un an et demi qu'il faisait le même cauchemar, mouvementant ainsi ses courtes nuits de sommeil.

Au début, il en fut presque traumatisé par la violence des éléments qui se déchaînèrent en son esprit. Tout n'était pas clair dans ses brides de souvenir, il ne distinguait à peine que des ombres noires courant dans tous les sens. Elles fuyaient un danger certain, serait-ce un monstre, une machine ? Il ne pouvait exactement identifier cette menace durant ses premières nuits agitées. Toutefois, il perçut au bout d'un certain temps, puis sentit et imagina leur présence de plus en plus. Leur visage était déformé par la panique, ne reflétant que la peur, la folie, le désespoir et même la colère. Ils avaient l'air si réels...

" Qui sont ces gens ? "

Il ne put s'empêcher de prononcer cette parole à voix basse, mais c'était une question de trop. Une interrogation qui laissait de nouveau place à un vide, à un creux monstre où s'engouffrait une persécution contre son âme meurtrie. Il avait mal. Une terrible douleur s'éveillant à cette réflexion à jamais sans réponse — peut-être. C'est alors qu'un léger cri de souffrance s'échappa d'entre ses lèvres, et les mains s'en allèrent aussitôt agripper la tête par réflexe. Comme s'il se protégeait de cette même menace qui ravageait chaque instant de repos dès lors que ses yeux rencontraient l'obscurité. Cependant, cela était bien vain. Le schéma se répéta encore, dû au choc. Il les voyait. Ces images se succéder sous ses paupières fermées sans qu'il ne puisse rien y faire, les sensations s'entremêlant une fois de plus : c'est à ce moment précis qu'il ressentit l'impuissance de l'autre. Lui de même, se sentait pareil.

Faible.

Plongé dans les ténèbres de la pièce à coucher, Alexy n'avait visiblement plus confiance en ses propres capacités. La chose, dont il était bel et bien inconscient, était son identité dans la société, voire en tant qu'être vivant. Qui était-il réellement ? Il ne le savait point. Cet homme avait déjà accompli des œuvres dans sa vie, réussit là où d'autres avaient lamentablement échoué. Un cliché ambulant qui répondait aux attentes des grands de ce monde : l'être parfait, selon eux. Un être brillant, domptant l'arithmétique et les sciences, s'imposant dans bien des milieux à si jeune âge. Cependant, maintenant et à chaque aube du jour, il ne comprenait plus. Son entendement ne demeurait plus, et sa connaissance s'effaçait peu à peu pour laisser place au doute et à l'incertitude.

La peur le hantait.

Aucune théorie ne pouvait l'aider à résoudre ce problème. Il se trouvait dans sa chambre en ce moment-même, mais à quoi bon vous la décrire ? Il avait beau la ranger. Renverser tout ce qui s'y trouvait. L'ordonner à nouveau. Changer meubles et objets de place et de position. Les remettre à nouveau, comme ils étaient auparavant... C'était indéniable : son esprit était en désordre. Et celui-ci s'étalait dans tout l'espace qui ne reflétait que son état : le conflit. La crainte. Il était effrayé de ce qu'il pouvait être, car sa nature paraissait être tout sauf un être humain. Alors, ayant déjà tout essayé en ce lieu, il se leva pour la première fois de sa chaise sous une impulsion nouvelle. Le courage pris fermement à deux mains, il alla donc dans la salle de bain afin de détailler chacune de ses caractéristiques physiques.

Une bouche, un nez, deux yeux.

Il avait tout d'un humain en continuant la liste. Ainsi fut fait, il examina globalement son reflet à présent. Ses cheveux avaient repoussés depuis sa dernière visite chez le coiffeur, et gardaient cette fameuse blancheur naturelle d'un blond hors du commun. Le marron de ses pupilles était clair, presque orange à la lumière du jour ou du lampadaire. Ses traits fins ne primaient point sur le caractère masculin de son visage, c'était un homme dont l'identité sexuelle ne portait point à confusion. Âme fragile semblait-il, mais manifestait une force et un courage impensable lors des épreuves. En un mot, il était beau.

Mais grand amoureux des chiffres, l'apparence physique ne comptait pas pour lui. Ce qui avait de la valeur n'était que ce qui était imprégné de logique, de cohérence, de rationalité. Et lui, sa vie se révélait n'avoir plus de sens, un sentiment d'échec s'alourdissaient considérablement sur ses épaules. Pour lui, il était un monstre. Car il voyait des choses que les autres ne percevaient à l'œil nu, ni même à travers les hautes technologies.

Il assimila d'abord cette instabilité  à la folie. Cependant, il était toujours maître de ses sens et de ses facultés après analyse, en établissant une liste de tout comportement qui pourrait traduire un début de dégénérescence. Il n'était, par exemple, point sujet à une réelle perte de mémoire, parce qu'il faisait face à une situation inhabituelle et plus que singulière. Il était de la sorte normal de perdre ses moyens et ne savoir quoi faire au point d'oublier toutes connaissances acquises. Il n'avait d'ailleurs perdu ni la capacité de raisonner ni celle de planifier des objectifs à réaliser et les accomplir. Qui plus est, s'il était à ce stade question d'hallucinations visuelles, il aurait fallu qu'il soit atteint d'une perte de la vision centrale. Mais ce n'était pas le cas. Pour s'en assurer, il procéda même à la lettre toute sorte d'exercices visant à faire disparaître ces hallucinations : aucun résultat.  

Alexy objecta ainsi donc la possibilité d'une maladie mentale ou d'une baisse de vue, commençant alors un nouveau questionnement. Était-ce finalement un don ou une malédiction ? Pourquoi ses rêves semblaient-ils si réels ? Serait-ce une vision d'un futur malheur ou cela avait-il déjà eu lieu ? Et plus important, pourquoi était-ce une plume sur l'étagère de la salle de bain qu'il voyait constamment dans le reflet du miroir, alors que rien de tel n'était posé sur celle-ci ? Entretenait-il une correspondance avec ce que les philosophes s'attachaient à appeler le monde invisible ? Il ne croyait pas en leurs bonnes paroles d'ordinaire.

Le bout de ses doigts effleura la surface froide du miroir. Alexy caressait son propre reflet, tendresse qu'il s'offrit comme seul réconfort aux termes de cette tourmente interne. Il ferma les yeux, inspira un court instant, puis expira plus longuement. Il se regarda une énième fois, constatant que rien n'avait changé. Et il se prononça ainsi :

— Qui tu sois... je te découvrirai et j'embrasserai ce nouvel être ! 

À cette déclaration, le jeune homme se dirigea sans plus tarder dans sa chambre, le cœur un brin plus serein que les minutes précédentes. Ses craintes n'étaient pas encore écartées, mais à la manière d'un guerrier, il allait les affronter. Assurément, il dégagerait le vrai du faux un jour. Oui, un grand jour de vérité !

Se laissant ainsi doucement glisser dans les bras de Morphée, un seul mot cogitait en son esprit à la manière d'une berceuse.


C'était le nom de Mizushi.

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