Un silence imprégna l'air, laissant à tout le monde le temps de réaliser pleinement la valeur de cette nouvelle.

Esteban prit la parole, coupant court à toutes les réflexions trop recherchées des adolescents.

- De quoi vous vous souvenez d'avant votre enlèvement ? demanda-t-il en s'adressant à Willa et Abby.

Aussitôt, la sorcière du feu posa la main sur sa nuque, se remémorant la douleur étrange qu'elle y avait perçue avant de chanceler dans la forêt.

Yohann lança un regard inquiet à sa soeur lorsqu'elle fit le même geste que la première.

Esteban s'approcha de Willa et balaya d'un geste de la main les cheveux qui lui tombaient en cascade sur la nuque. Il la tâta avant de hocher la tête à l'attention du jumeau. Celui-ci se positionna derrière sa soeur et saisit sa nuque du bout des doigts.

Avec une légère pression, il fit apparaître une petite boule mobile logée sous l'épiderme de la nuque d'Abby. Willa observa alors l'adolescent écarter ses doigts afin d'ouvrir une entaille au niveau de la grosseur. Étonnement, la peau se sépara en deux sans difficulté tandis qu'Abby grimaçait.

- Qu'est ce que tu fais ? questionna-t-elle.

Willa ressentit alors des picotements à la base de sa nuque qui se répendirent jusqu'à son coccyx. Elle grimaça à son tour quand elle sentit les doigts froids d'Esteban sur le haut de son dos. Quelque chose sembla sortir de sa nuque, sans qu'elle ne sache de quoi il s'agissait exactement.

Elle rejeta un oeil à Abby et vit Yohann sortir une espèce de puce gris métallisé de la nuque de sa soeur. À moitié gluante, elle était comme collée à la peau de l'adolescente.

Willa sentit qu'on tirait sur sa nuque et en déduit qu'Esteban en était au même stade que Yohann.

Enfin, sa tête se relâcha vers l'avant. La pression avait cessée et elle porta aussitôt sa main à sa nuque.

- Qu'est ce que c'est que ça ? demanda-t-elle, dégoûtée en observant le petit objet.

Esteban observa attentivement la puce qu'il avait recueilli dans le creux de sa main, ainsi que celle d'Abby, que Yohann avait enfin réussi à retirer.

Il leva enfin la tête en brandissant l'une des deux du bout des doigts afin que les adolescentes puissent mieux voir ce qu'ils leur avaient fait sortir de la tête.

La puce semblait être séparée en deux petits compartiments minuscules. Esteban la fit basculer de gauche à droite puis d'avant en arrière et les jeunes filles purent voir une sorte de liquide bouger dans le compartiment le plus petit.

- L'infirmière les a testé les deux et...

- Quels "deux" ? l'interrompit Abby.

- Le deuxième se trouvait dans le deuxième compartiment et vous a déjà été administré.

Willa et Abby échangèrent un regard inquiet que Yohann brisa en les rassurant par un hochement de tête compréhensif.

- Celui qui vous a déjà été injecté semble être un sédatif relativement puissant...

- Comment vous pouvez le savoir ? demanda Willa.

- Il en restait chez les puces des garçons.

Abby se tourna vers son frère et passa sa main dans sa nuque. Celui ci lui attrapa le bras et redirigea la main de sa soeur sur son avant-bras. En effet, dans le creux de son coude se trouvait un petit pansement blanc.

- Vous en avez aussi eu ?

Théo acquiesça en montrant son propre avant-bras, lui aussi recouvert dans le creux du coude par un pansement.

Esteban les interrompit en continuant:

- Le deuxième semble être une sorte de poison... mortel...

- Et ? s'inquiéta Abby.

- Aucun de vous n'a apparemment été en contact avec lui ! finit Esteban.

Abby souffla, imitée par Willa.

Cette dernière sentit un liquide couler le long de son dos, comme si une goutelette de sang s'était finalement échappée de la plaie pour dévaler sa colonne vertébrale.

Elle posa donc sa main sur sa nuque mais au lieu de sentir un liquide poisseux comme devrait l'être le sang, elle toucha du bout des doigts un liquide frais, épais et... lisse. Plutôt étrange pour du sang.

Elle porta sa main devant son visage et vit des tâches argentées agrémenter le bout de ses doigts. Esteban observa la main de l'adolescente d'un air surpris et la lui saisit pour la voir de plus près.

Puis il saisit la puce qu'il avait sortit de la nuque de Willa et la fixa intensément.

- On dirait que la tienne a légèrement fondu...

Willa appuyait sur sa nuque afin d'éviter que le liquide étrange ne lui tâche ses vêtements.

Le regard d'Esteban s'obscurcit: il semblait inquiet.

- Va voir l'infirmière, lui intima-t-il.

Willa hocha la tête et fit un pas avant de se rétracter et de demander:

- C'est par où ?

Le liquide argenté commençait à déborder de sa main recroquevillée sur sa nuque. La quantité de métal dans son sang dépassait bien les doses qui auraient dû s'y trouver, même si la puce avait entièrement fondu - ce qui n'était pas le cas.

- Théo, tu veux bien l'accompagner ?

Le jeune homme hocha la tête et prit Willa par l'épaule pour la diriger vers une cavité qu'elle n'avait pas vu jusque là. Yohann s'interposa cependant en proposant:

- Pourquoi on n'accompagnerait pas tous Willa ? Comme ça, on pourrait finir la discussion là-bas.

Esteban acquiesça et ils se retrouvèrent bientôt tous dans ce qui était nommé "l'infirmerie". La cavité s'était en fait ouverte sur une salle, plus petite que la première, mais plus éclairée, par des spots placés à intervalles réguliers sur le plafond et les murs.

L'évacuation avait été effectuée dans l'urgence et l'infirmerie n'avait pas fait exception. Apparemment, il n'avait été ramené que des anti-douleurs mineurs et des désinfectants, ainsi que des compresses. Le matériel manquait pour soigner correctement les blessés qui s'entreposaient dans cet endroit clos.

En effet, cinq adolescents étaient allongés sur des lits de camp disposés contre la paroi. Apparemment, cet endroit avait déjà servi en cas d'urgence car des appareils à perfusion étaient disposés à côté des lits de fortune. Cependant, aucune perfusion ne pendait en direction des patients. L'infirmière, qui avait déjà pris en charge Willa le jour de la rentrée, faisait des allées et venues entre ses patients. Quand elle vit arriver les cinq nouvelles personnes, ses yeux s'agrandirent de stupeur et elle sortit de la salle en leur expliquant:

- Je vais chercher du renfort !

Les quatre adolescents se regardèrent, étonnés, et Esteban conduit Willa vers un lit inoccupé.

Personne ne parlait, ni les nouveaux venus, ni les patients déjà installés.

L'un des adolescents semblaient avoir 15 ou 16 ans. Il devait sûrement se trouver dans la seconde Alpha, car il ne disait rien à Willa. Il semblait paisible et paraissait dormir, malgré son bandage au bras et sa jambe surélevée.

Une autre adolescente était éveillée mais fixait sans précision un point vague sur le plafond de la pièce. Elle ne bougeait pas et respirait calmement. Un bandage lui enserrait la tête, recouvrant la totalité de son front. Ses cheveux blonds mi-longs étaient éparpillés en pagaille autour de son visage mâture. Elle devait sûrement approcher de la majorité.

L'un des trois derniers patients se leva doucement. C'était un garçon brun, qui posa son pied nu sur le sol terreux et se dirigea vers un autre lit. Il paraissait plus jeune, peut être 13 ans, et avait le bras immobilisé. Il se glissa dans le lit d'un autre garçon de son âge, qui se redressa alors. Les deux jeunes adolescents se ressemblaient comme deux gouttes d'eau, s'en était presque troublant. Ils devaient sûrement être jumeaux. La seule chose qui les différenciait l'un de l'autre étaient leurs blessures. Alors que le premier ne pouvait bouger le bras, le second ne pouvait se déplacer à cause d'une attelle serrée autour de sa cheville. Ils se mirent à chuchoter des choses incompréhensibles en silence.

Willa observa alors le dernier lit occupé afin de distinguer la personne qui y était allongée. À voir les draps tirés sur le corps frêle du dernier patient, celui-ci devait être petit, très jeune.

Du bruit provenant de l'entrée de la salle se fit alors entendre. L'infirmière en surgit, suivie de près par Roxane et Alison.

Alors que la fée marcha sur les pas de la femme, qui la redirigea vers les jumeaux allongés dans le même lit, Alison s'arrêta et observa ses amis. Yohann commençait déjà à s'approcher d'elle mais la chasseuse rejoignit le dernier patient.

Elle s'assit sur le bord du lit et sembla carresser les cheveux blonds qui appartenaient à la personne allongée. Celle-ci montra des petites mains en s'étirant et se redressa difficilement.

Willa reconnut alors Jade, la petite soeur d'Alison. Inquiète pour la petite fille, Willa fit mine de se lever pour la rejoindre mais Roxane la stoppa net.

Comment elle a pu arriver là aussi vite ? s'étonna la sorcière.

- Qu'est ce que tu as ? demanda-t-elle sérieusement.

Ce fut Esteban qui répondit pour Willa.

- Une puce lui a été injecté dans le cou. Depuis qu'on l'a retirée, un liquide argenté coule sur sa nuque.

Roxane ouvrit de grands yeux ébahis et appela son mentor. L'infirmière approcha et observa sa nouvelle patiente.

- Quelle sorte de puce ? demanda-t-elle à Esteban.

- De cette sorte, déclara-t-il en lui montrant une des deux puces.

La femme observa attentivement l'objet tandis qu'Esteban lui expliquait l'utilité des compartiments.

- Il y a donc risque de contamination, conclut-elle finalement.

Elle se retourna ensuite vers Roxane et lui désigna Willa d'un geste vif de la main. La fée comprit aussitôt ce qu'elle devait faire et demanda à son amie:

- Reste assise et regarde l'entrée.

Willa s'exécuta sans broncher. Elle sentit la main chaude de Roxane lui retirer les cheveux qui lui tombait alors sur la nuque. Une série de pression précise suivit avant que Roxane ne déclare:

- Il semblerait que la puce fondue se soit diluée dans ton sang, en se reproduisant.

- Mais pourquoi ça aurait fondu ? questionna Willa.

Abby la regarda en lui répondant avec évidence:

- Tu es une sorcière de feu. Ton sang est chaud. Sans mauvais jeu de mots, précisa-t-elle ensuite.

Roxane hocha la tête, donnant ainsi raison à Abby et à son diagnostic.

- Le liquide argenté semble circuler dans tes veines sans t'affecter. Mais... Je pense qu'il faudrait te filtrer le sang pour l'évacuer entièrement de ton corps. On ne connaît pas sa nature exacte et ça pourrait être dangereux sur le long terme.

L'infirmière acquiesça et félicita Roxane.

- C'est exactement ça ! Va chercher le matériel maintenant s'il te plait.

Roxane obéit et quitta ses amis en se dirigeant vers une autre cavité sombre.

Alison s'approcha de Willa en tenant par la main Jade.

La sorcière se releva et prit la petite dans ses bras en demandant à sa soeur:

- Pourquoi elle est là ?

Elle la cajolait, dansant d'un pied sur l'autre, en attendant la réponse. Jade semblait fatiguée et respirait par de longs râles silencieux et douloureux.

- Les crises d'asthme et de panique ne font pas bon ménage, expliqua la chasseuse.

Willa serra Jade plus fort dans ses bras en l'embrassant sur le front.

- Elle reste en observation ici jusqu'à nouvel ordre.

La sorcière hocha la tête et Abby caressa les cheveux de Jade, qui s'était assoupie dans les bras de Willa. Apparemment, la petite fille était très fatiguée.

Elle alla donc la redéposer dans son lit inconfortable et promit à Alison:

- Vu que je suis ici pour quelques temps aussi, je te propose de la surveiller !

Alison haussa les épaules et lui répondit:

- C'est gentil mais je dors ici aussi. Je reste toujours avec elle.

Roxane s'approcha de nouveau de Willa, et la fit s'allonger sur un des lits. Elle présenta une longue aiguille à la sorcière qui pâlit légèrement. Elle tourna la tête tandis que la fée enfonçait la pointe dans une des veines de l'avant bras de Willa.

Ne sentant rien, la sorcière décida de regarder mais redétourna la tête à la vue de la pique enfoncée dans son bras. Un tube y était relié, ainsi qu'à une machine sophistiquée. Un liquide argenté emprunta doucement le tuyau une fois que Roxane mit la machine en route. Il rejoignit lentement l'intérieur de l'appareil et ressortit au bout de quelques minutes légèrement moins argenté.

- Ça va prendre pas mal de temps, déclara Roxane.

Willa haussa les sourcils et s'allongea aussi confortablement que possible dans le lit. Elle regarda Esteban, attendant qu'il relance la discussion qu'ils tenaient tout à l'heure.

- On en reparlera plus tard... déclara-t-il simplement avant de partir. Repose toi bien.

Willa le remercia brièvement avant de poser sa tête sur son oreiller. Elle observa ses amis et dit à haute voix:

- Ces prochains jours vont être longs...