Chapitre 37
Il faisait noir. Willa et Abby ne pouvaient pas voir à plus de quelques dizaines de centimètres devant elle.
Il faisait froid. Les deux adolescentes grelottaient malgré elles. Les entrailles de la Terre étaient gelées...
Le passage devenait étroit. Le seul contact rassurant qui les liait encore, c'est à dire la pression mutuelle de leurs mains serrées, se relâcha et Abby passa devant Willa.
Aucun bruit ne régnait. De temps en temps, la voix grave d'Esteban se faisait entendre, assourdit par les parois terreuses qui les enfermaient.
Ils descendirent ainsi un escalier pendant quelques minutes, marche par marche, doucement.
- Attention, c'est la dernière ! prévint Esteban en criant.
Willa fit encore plus attention à l'endroit où elle posait ses pieds. Une main tâta la sienne à l'aveugle. Elle l'attrapa et reconnu celle d'Abby, reconnaissable à deux bagues, une au pouce et l'autre au petit doigt.
- Suis-nous, chuchota la voix de l'adolescente dans le noir.
Willa n'arrivait à fixer son regard nul part. Elle avait les yeux grand ouverts mais ne percevait rien de plus pour autant.
Elle atteignit enfin la dernière marche irrégulière et plaça sa main libre devant elle. Son amie lui chuchotait des détails sur les courbes que prenaient le souterrain, l'empêchant de se cogner.
Enfin, une petite lueur illumina un point flou au bout d'une galerie droite. Leurs pas se firent plus rapides et ils débouchèrent finalement sur une grande salle au plafond voûté.
L'afflux soudain de lumière fit papillonner les paupières des deux adolescentes alors que le vampire se dirigeait rapidement au fond de la pièce, où se trouvaient des adultes.
Abby lâcha la main de Willa, qui retrouvait peu à peu une vision convenable, pour se diriger en courant vers un garçon qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau.
- Yohann ! s'écria-t-elle des sanglots dans la voix.
Celui ci la souleva de terre et la serra de toutes ses forces. Il appela Alison qui arriva en courant à ses côtés. Elle serra à son tour Abby dans ses bras en pleurant de joie avant que celle ci ne désigne l'entrée de la "caverne".
Quand la chasseuse aperçut sa meilleure amie, elle laissa les jumeaux à leurs retrouvailles et se précipita vers elle. Elle se jeta dans ses bras et Willa la serra contre elle, trop heureuse de l'avoir retrouvée pour reprendre ses anciennes querelles.
Elle se dégagea de l'étreinte et observa son amie avec un regard flouté par les larmes.
- Je veux plus jamais qu'on s'engueule !
Alison, surprise, se mît à rire nerveusement. Rires et larmes se mélangeaient tandis que d'autres personnes venaient les rejoindre.
- Oh je suis tellement contente que tu sois de retour ! s'écria une jeune fille que Willa reconnut aussitôt comme étant Roxane.
La fée serra Willa dans ses bras, avant d'être poussée par ses amies, Hope en première, suivie par Swan et Théo. Les filles la serrèrent aussitôt dans leurs bras, suivies après un petit temps d'hésitation par le sorcier. Une fois que tout le monde eût pleurer de joie, Willa se retourna vers le frère et la sœur qui était toujours dans les bras l'un de l'autre.
- Pourquoi ils ne vont pas l'accueillir ? chuchota Willa à Alison, qui lui serrait la main comme si elle avait peur de la lâcher et qu'elle ne disparaisse, en regardant Abby.
- Si tu les sépares maintenant, je suis pas sûre que ça se passe très bien pour toi, répondit la chasseuse en rigolant.
Le groupe bavarda brièvement, les uns racontant très brièvement à l'autre ce qui s'était passé pendant son absence.
Enfin, Yohann et Abby les rejoignirent.
- Bon, racontez nous ce qui vous est arrivé maintenant, s'écria Hope à l'attention des deux revenantes.
Willa et Abby se consultèrent du regard avec complicité et Abby ouvrit la bouche pour commencer à raconter leurs aventures à leurs amis lorsque Swan s'écria:
- Qu'est ce que tu t'aies fait au bras !
Son regard était fixé sur le bandage ensanglanté de son amie. Tous les autres regards suivirent à leur tour cette direction.
- Je crois que je me le suis cassé, s'empressa d'expliquer la sorcière.
Les regards s'agrandirent par l'horreur et Willa précisa:
- Mais on s'en ai occupé provisoirement... Il faut juste qu'elle passe voir l'infirmière.
Roxane garda un regard dégoutté et demanda du bout des lèvres:
- Vous vous en êtes occupé comment ?
- Cautérisation...
Aussitôt Roxane pâlit et se plaqua la main sur le visage.
- Tu sais très bien qu'il y avait d'autres façons de faire ! s'écria-t-elle. T'as rien retenu des cours de survie du collège ?
- J'ai jamais été très forte pour ça... répondit Abby avec un léger sourire.
Roxane s'approcha de la sorcière et posa sa main sur le bandage.
- Je peux ? demanda-t-elle.
Sans attendre de réponse, elle déchira le tissu et observa la blessure. Du sang séché recouvrait la totalité de l'avant bras et la peau brûlée s'étendait sur toute sa longueur.
Roxane hocha négativement la tête tout en se concentrant sur la blessure.
- De toute façon, l'infirmière a trop de boulot, déclara-t-elle comme répondant à une remarque inaudible.
Elle paraissait débitée et faisait de sortes de cercles étranges autour de l'avant-bras de son amie.
Celle-ci se laissa faire sans broncher et demanda aux autres présents autour d'elle:
- Beaucoup de personnes ont disparu ?
Swan plissa les yeux et brandit sa main ouverte pour compter sur ses doigts tendus le nombre de disparus tout en les énumérant.
- Sasha... Jean... Monsieur Thomas, le prof d'anglais...
- Maïlana ! ajouta Hope.
- Et la prof de musique, Madame Amadée, termina Théo.
- Pour les disparus uniquement... précisa Yohann.
Willa haussa un sourcil, interloquée, autant par la dernière précision que par la guérison miraculeuse du bras d'Abby. La blessure, auparavant ouverte, puis refermée momentanément par de la peau fondue à la chaleur de ses propres flammes, guérissait à vue d'oeil.
Roxane était toujours particulièrement concentrée et de temps en temps, elle semblait dessiner des dessins étranges et invisibles sur le bras de leur amie. Des sortes d'arabesques vertes sortaient des mains de la fée, faisant circuler dans l'air une agréable odeur d'eucalyptus fraîchement coupé.
- Les disparus ? se reconcentra Willa.
- Il y a les blessés graves et ceux avec des égratignures et... expliqua Swan.
- Et il y a les morts...
Comme si ces mots avaient un pouvoir particulier, la chaleur qui régnait autour des adolescents redescendit et le froid habituel des grottes et autres cavernes souterraines les fit frissonner.
Une adolescente s'approcha du groupe et Willa reconnut Raphaëlle. La jeune fille avait les yeux gonflés et si sa peau foncée l'avait permis, Willa aurait juré qu'elle avait les joues rougies.
- Mathys, expliqua-t-elle de sa voix rauque en voyant les regard étonnés de Willa et Abby.
Un poids vint se loger dans la poitrine et dans le cœur de la sorcière du feu. Aussitôt, elle lança un regard compatissant à la louve, accompagné d'un sourire sincère. Willa ne connaissait pas Mathys depuis très longtemps mais il avait été là dès le début pour elle, l'aidant avec bonne volonté.
Il allait lui manquer, mais elle n'osait imaginer la douleur de Raphaëlle. En fait, pas besoin d'imaginer: la souffrance que ressentait l'adolescente se transmettait parfaitement par son regard en détresse. Ses mains entrecroisées ne cessaient de remettre en place ses cheveux tressés bruns. Elle ne restait pas en place et semblait lutter à chaque instant contre un ennemi insidieux et destructeur: le manque.
Abby s'écarta aussitôt de Roxane, qui rouspéta légèrement, avant de voir que la sorcière se dirigeait vers leur amie malheureuse. Elle la serra dans ses bras, en signe de soutien évident.
- Je suis vraiment désolée Raphaëlle... lui murmura-t-elle doucement.
Une larme coula sur la joue métissée de la louve et elle rendit son étreinte a son amie.
Esteban s'approcha du groupe d'amis et toussota pour se faire remarquer.
- Vous quatre, je peux vous voir seuls à seul ? demanda le professeur en désignant Yohann, Théo, Abby et Willa.
Les quatre sorciers le suivirent sans poser de question jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent dans un recoin inoccupé de la grande salle où ils étaient enterrés.
Sans laisser le temps à l'adulte de s'exprimer, Abby demanda:
- Il y a eu beaucoup de morts à part Mathys ?
Sa voix se brisa, apparemment involontairement, à la fin de sa question et son frère passa un bras rassurant autour de ses épaules.
Le visage d'Esteban se figea et il détourna le regard avant d'expliquer:
- Deux professeurs sont gravement blessés, un adolescents aussi et Mathys est le seul...
Il ne pût même pas finir la phrase tant la vérité était dure à accepter.
- Le pire a pu être évité grâce à Simon... Il a bien réagi en venant nous prévenir directement. Nous avons pu enfermer les petits dans l'école et contre-attaquer.
Théo frissonna en répliquant:
- C'est comme s'ils s'étaient acharnés sur Mathys... Qu'ils voulaient qu'il meurt...
Yohann grimaça en hochant la tête gravement. Il semblait se rappeler en détails la scène.
- Sasha est au courant ? demanda Abby.
Willa haussa un sourcil. Sacha ne lui avait parlé qu'une fois mais de ce qu'elle avait pu voir et entendre, l'adolescente était une peste. Pourquoi le sort d'un garçon aussi altruiste et serviable que Mathys importerait à cette égoïste ?
- Non... On pense qu'elle a été enlevée avant... argumenta Esteban.
Abby glissa sur son frère un regard douloureux et lui déclara:
- J'espère que je connaîtrais jamais ça...
Yohann hocha la tête vigoureusement en serrant Abby dans ses bras tandis que Willa comprenait de moins en moins la tournure que prenait la conversation.
Comment le fait de perdre son frère, et accessoirement le seul membre vivant connu de sa famille, pouvait être comparable à ce que vivrait Sasha quand elle apprendrait que son ami Mathys était mort ?
Le vampire intercepta les pensées tortueuses et légèrement haineuses de Willa et l'éclaira:
- Mathys et Sasha provenait de la même meute avant d'arriver ici... Cette meute avait la particularité d'être la Gardienne depuis des générations de nombreuses révélations quant au monde surnaturel en général.
Yohann et Abby se serrent dans leurs bras et Théo s'adossa à la paroi de la caverne pour mieux écouter l'histoire.
- Leurs secrets étaient précieux, pour la plupart millénaires, et détenus par tous les métamorphes. Quand un loup mourrait, ses connaissances étaient réparties avec égalité entre tous les membres de la meute.
Willa ne voyait pas vraiment où tout cela devait mener.
- La plupart du temps, ils ne sentaient même pas le changement. Mais lorsqu'un carnage arrivait, l'arrivée brutale de tant d'informations individuellement indécryptables était douloureuse. Heureusement, les vieux loups ne mouraient pas tous en même temps et la meute s'agrandissaient considérablement avec des naissances nombreuses. Plus le nombre de loups morts augmentaient, plus les autres loups avaient d'informations, à nouveau délivrées aux louveteaux dès qu'ils seraient nés.
Willa sentait arriver un "mais" dans l'histoire... Le souffle retenu de ses trois amis à ses côtés le lui confirmait.
- On ne sait pas vraiment qui a fait ça mais tout ce savoir réuni en un seul endroit attire les convoitises, et des personnes, sûrement d'autres loups-garou, les attaquèrent de nuit, croyant pouvoir leur voler leur héritage. Ils ne le savaient pas encore mais il n'était transmis et compréhensible qu'aux autres membres légitimes de la meute. Ce carnage fut donc vain et ils repartirent bredouilles.
Willa retint son souffle et attendit. Le sort réservé à cette meute si spéciale avait vraiment été terrible.
- Une équipe de secours, principalement composée de fées et de sorciers, était venue les aider dès que possible mais ils n'avaient trouvés que des cadavres mi-hommes mi-loups, calcinés, déchiquetés ou même dévorés.
Willa déglutit difficilement attendant la suite du récit captivant que lui servait Esteban.
- Cette équipe n'a pu trouver que deux gamins, pleurant sur les corps de leur famille et de leurs amis. Ils avaient évité le carnage de peu, étant allés chercher des baies. Les deux enfants d'une dizaine d'années étaient en état de choc et après quelques jours à l'hôpital, où les médecins ne comprenaient rien à leurs malheurs, ils furent emmenés ici.
Willa hocha doucement la tête en chuchotant:
- Sacha et Mathys...
- Leur état de choc était autant dû à la vue horrifiante de tout ce sang qu'à la venue dans leurs esprits de tous les secrets de leur meute. Ils étaient devenus les deux derniers Gardiens.
Il fit une petite pause en observant attentivement Willa avant de continuer de sa voix rauque:
- Mathys mort, Sacha est devenu la dernière Gardienne.
Les mots étaient tombés comme une sentence mortelle. Willa réfléchit et déclara:
- Et un atout considérable si elle tombait entre de mauvaises mains...
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