Chapitre 34

Willa ouvrit doucement les yeux. Sa tête cognait une surface dure en suivant une rythme régulier. Un ronronnement pas méconnu résonnait autour d'elle. Ses yeux s'abituèrent à la semi-obscurité qui régnait autour d'elle. Un trait de lumière passait par un écart entre deux portes.
Deux portes coulissantes qui vibraient en formant un bruit métallique.
Deux portes de train.

Ce détail fit aussitôt relever Willa. Le mouvement brusque déclencha une décharge désagréable dans sa nuque, qui se propagea jusqu'au bas de son dos.
Elle essaya de se redresser entièrement, voire de se lever, mais les mouvements du train l'en empêchaient momentanément.

Lorsque le véhicule aborda ce que la sorcière identifia comme étant une ligne droite, elle pût s'équilibrer suffisamment pour se mettre sur pieds. Willa prit enfin le temps de mieux observer ce qui l'entourait.

Comme elle l'avait déjà imaginé, elle se trouvait dans un train. Plus particulièrement un train de marchandises. Des grosses caisses en bois étaient attachées les unes au autres contre les parois du wagon, tanguant au rythme que donnait le train. Le centre de l'habitacle n'était pas très occupé: quelques torchons posés négligemment sur le sol et un gros morceau de bois - presqu'une branche d'un chêne centenaire.

Sur le bord droit pourtant, Willa distingua un léger mouvement. Elle s'en approcha tout doucement, afin d'en établir la provenance.

- On est où là ? râla quelqu'un caché dans l'ombre.

La jeune sorcière se figea, le cœur battant la chamade, avant de comprendre que la personne qui venait de parler n'était autre qu'Abby. Elle se rapprocha donc de l'adolescente, qu'elle retrouva en train de se lever et peinant à trouver un équilibre stable.

Abby sursauta en voyant apparaître soudainement Willa.

- Tu sais ce qui nous est arrivé ? demanda Abby, alors qu'elle venait de trébucher sur un torchon et de risquer de s'étaler par terre.

- Pas du tout... répondit Willa en observant encore une fois le wagon, en quête d'un détail important.

- On est que toutes les deux ?

- Apparemment...

Un bruit étrange retentit soudain tout près de leur wagon. Les deux jeunes filles, aussitôt sur les gardes, placèrent leurs mains en position à la fois offensive et défensive devant leur tête. Après quelques secondes d'attente, et leur courage envolé, elles décidèrent finalement de se cacher derrière une des piles de caisses.

Un grand homme blond poussa une porte qui avait échappé à l'inspection des adolescentes et pénétra d'un pas sûr vers le centre du wagon. Sa voix suave résonna dans le compartiment lorsqu'il chuchota presque:

- Où êtes vous ? Willa ? Abby ?

Willa regarda Abby avec étonnement. Comment cet homme inconnu pouvait-il connaître leurs noms ? Mais Abby ne réagit pas et observa béatement l'homme. Il devait avoir environ 25 ans et ses magnifiques yeux verts rendaient son regard envoûtant.

- C'est Monsieur Thomas... chuchota la sorcière du vent, visiblement sous le choc.

- Tu le connais ? demanda Willa, tout aussi doucement.

- C'est mon prof d'anglais du collège...

Willa inclina légèrement la tête sur le côté avant de regarder à nouveau l'homme. Il ne s'aventurait pas très loin dans le wagon mais semblait observer chaque recoin d'un œil expert.

- Ton prof ? Qu'est ce qu'il fait là à ton avis ? souffla Willa.

- Qu'est ce que j'en sais ? répondit Abby, en haussant légèrement le ton.

L'homme s'arrêta brusquement et se tourna doucement vers les caisses en bois empilées. Une fois face à la cachette exacte des filles, il avança d'un pas avant de demander:

- Abby ? C'est toi ? Pourquoi tu te caches ? Je ne vous eux aucun mal !

Willa échangea un regard interrogateur à son amie:

- C'est vrai ça: pourquoi on se cache ? s'enquit-elle sans pour autant bouger de sa cachette.

- Parce qu'on est dans un train, qu'on ne sait pas pourquoi et qu'un prof vient de surgir de nul part en nous disant qu'il ne nous veut pas de mal ! s'écria aussi doucement que possible Abby.

- Willa ? Tu ne me connais pas encore mais moi, j'ai beaucoup entendu parler de toi... continua le professeur en arrêtant de bouger.

Le train emprunta un virage brusque sur la droite, ce qui fit voler Willa et Abby contre la paroi. Les caisses attachées continuaient à les cacher, malgré leur nouvelle position.

- Tu es la quatrième enfant de la prophétie... On t'attendait depuis longtemps tu sais ?

Les paroles de l'homme étaient étranges. Qui désignait ce "on" ? Pourquoi l'attendaient-ils ?

- Oh ! Ils ne t'ont pas tout dit sur ton adoption et sur la prophétie n'est ce pas ?

Abby fit une moue contrariée envers Willa.

- Arrête de penser ! lui ordonna-t-elle.

- Quoi ? Comment tu veux que j'arrête de penser ? Et pourquoi ? s'étonna Willa.

- C'est un vampire ! Il entend tout !

Willa ouvrir de grands yeux inquiets en regardant l'homme qui continua à parler.

- Tu savais, par exemple, que c'est dans l'orphelinat où tu vis depuis peu qu'a été décidé ton écartement des affaires de sorcières ?

Willa fronça les sourcils. Comment le LOG pouvait il avoir un quelconque rapport avec son adoption ?

- Et savais-tu aussi que ton destin est de totalement bouleverser l'ère actuelle de la sorcellerie ?

Willa, de plus en plus perturbée, regarda Abby, en quête de réponses. Mais les paroles de l'homme commençaient à être les seuls bruits qu'elle entendait. Peu à peu, tous les sons alentour s'estompaient, ne laissant place qu'à la douce voix du professeur. Elle rentrait dans son esprit et insinuait le doute dans ce qu'elle croyait acquis.

- Pourquoi ne pas venir me voir pour que je t'explique tout ça en face à face ?

C'est vrai... Pourquoi pas ? s'interrogea Willa.

- Ça ne te coûte rien de venir me voir pour en apprendre plus sur ton passé et ton avenir...

Les mots, les phrases... Tout se mélangeait et s'emmêlait dans un énorme brouillard d'incertitudes et d'envies de vérité.

Willa se redressa doucement, se montrant à couvert. Sa tête dépassait des caisses. Les sangles qui les attachaient étaient tendues à leur maximum, retenant avec peine les grosses boîtes. Ses yeux fixaient intensément l'homme, qui souriait démesurément.

- Willa ? Qu'est ce que tu fais ? Reviens par terre ! murmura Abby.

- Ah Willa... Tu es là... déclara M.Thomas en faisant désagréablement durer ses fins de phrases.

Willa hocha la tête doucement.

- Et Abby est à côté de toi n'est-ce pas ?

- Non Willa ! Dit rien s'il te plait ! chuchota désespérément Abby.

- Oui, elle est là, affirma Willa d'une voix plate en désignant son amie du doigt.

- T'as zéro en amitié ! rouspéta aussitôt Abby.

- Très bien... Approche maintenant... continua l'homme de sa voix suave.

Willa avança un pas après l'autre, à un rythme régulier. Ses pieds traînaient presque par terre, comme si elle n'avait plus la force de les soulever du sol métallique.

- Bien... Très bien ! Abby, tu veux venir aussi ?

Willa continuait sa marche alors qu'Abby se ratatinait un peu plus derrière les caisses.

- Plutôt mourir... marmonna doucement, et pour elle même, Abby.

L'homme haussa les épaules, dépité.

- Abby... On ne t'a jamais dit qu'on pouvait prendre ça au premier degrés ?

Il plaça sa main devant lui, faisant signe à Willa de s'arrêter.

- Willa, brûle les sangles.

Willa se retourna doucement vers les caisses. Elle fixait la paroi du wagon avec un regard vide et dénué de toute expression. Elle forma avec ses mains une boule de feu, qu'elle envoya directement vers les caisses. La brûlure des flammes cassa nettes les sangles. Plus maintenues, les caisses tombèrent dans un grand fracas sur le sol. Certaines allèrent s'écraser directement sur la paroi du compartiment, à l'endroit exact où se trouvaient les deux sorcières quelques instants plus tôt. Abby sauta sur le côté afin d'éviter les projectiles. L'une des caisses fut projetée contre les sangles en feu, ce qui eut pour effet immédiat le noircissement du bois de cette caisse. Elle prit peu à peu feu, le propageant encore d'avantage au autres caisses.

- Tu as déjà pas mal de pouvoirs dis donc ! s'écria le vampire avant de se taire, stoppé par une quinte de toux.

Une fumée noire et épaisse montait au plafond. Le nuage sombre descendait vers le sol de secondes en secondes. Étant le plus grand, l'homme subissait en premier les dégâts de l'incendie qu'il avait demandé. Un nouveau virage brusque fit tout basculer vers la droite. Les caisses en feu, les sorcières, le vampire. Personne ne fut épargné.

- Sortez d'ici ! ordonna l'homme, avec une voix légèrement effrayée.

Il se précipita aussitôt vers la porte par laquelle il était arrivé. Il se retourna avec inquiétude vers les deux adolescentes, comme s'il voulait finalement les protéger.

Willa se releva avec peine et se dirigea d'un pas monotone vers la porte de sortie de cet enfer. Un cri de douleur retentit dans l'habitacle.

Abby était au prises avec une caisse enflammée. L'objet, placé au dessus d'elle, était en suspension dans les airs. Ses deux mains semblaient le retenir à distance.

- Willa ! cria-t-elle, à bout de force.

La jeune fille ne se retourna pas et continua son chemin.

- Willa ! Je sais que tu m'entends ! s'égosilla Abby.

La sorcière s'arrêta de marcher. Elle resta quelques secondes sans bouger alors qu'Abby luttait toujours contre son ennemi mortel. Willa se retourna doucement, les yeux froncés et une lueur d'incompréhension dans le regard.

- Qu'est ce qui s'est passé ? demanda-t-elle, effarée.

- Je t'expliquerais plus tard mais tu pourrais m'aider maintenant ? dit tout de suite Abby.

Willa se retourna enfin complètement pour voir son amie contrôlant une caisse enflammée à quelques centimètres d'elle. La distance entre la sorcière et son ennemi se réduisait à vue d'œil.

Willa courut sans vraiment réfléchir vers Abby et saisit la caisse à deux mains. Le contact fut à la fois douloureux et agréable. Mais elle n'avait pas l'intention de s'éterniser sur ses sensations alors elle projeta le plus loin qu'elle le pût la caisse. Abby s'effondra sur le sol, le souffle coupé.

- Willa ! Reviens ici ! cria l'homme blond. Abby, viens t'abriter dans ce compartiment !

Les deux adolescentes se retournèrent d'un même mouvement vers le vampire et lui lancèrent un regard noir puis se regardèrent.

- Qu'est ce qu'on fait maintenant ? Je compte pas mourir asphyxiée ! cria Willa, pour couvrir le bruit du brasier tout proche.

- Ni moi brûlée vive ! continua Abby.

Elles se mirent aussitôt à la recherche d'un moyen de sortie autre que celui proposé par leur ennemi. Leur regard se posèrent en même temps sur un petit trait de lumière au sol. Elles le remontèrent jusqu'à voir la grande porte coulissante par laquelle on chargeait le wagon. Abby courut jusqu'à elle et tira dessus de toutes ses forces. Willa la rejoignit et l'aida. M. Thomas n'osait plus rentrer dans le compartiment en flammes.

Willa s'arrêta quelques instants pour tousser. Ses poumons se remplissaient dangereusement du gaz toxique qui s'échappait des flammes. Elle reprit sa prise sur la porte et poussa d'avantage. Enfin, le coulissement s'effectua et un peu d'air frais gagna le wagon. Willa sourit à Abby, qui ne la vit pas, trop concentrée sur ses mains. Là où la sorcière avait saisi la poignée en fer de la porte, elle était entièrement brûlée. La chair à vif devenait blanche à mesure que les couches d'épiderme se désolidarisaient les unes des autres. Willa observa les siennes avec inquiétude mais rien n'avait changé. Elle leva un regard interloqué vers son amie, toujours prostrée devant l'état désolant de ses mains.

- Abby, on soignera ça après, pour l'instant, il faut partir ! déclara Willa avec un ton pressé.

Abby releva la tête et parut aussitôt plus sûre d'elle.

- T'as raison ! On fait quoi ? On saute ? demanda la sorcière de l'air.

- C'est peut être un peu radical comme solution, non ? s'inquiéta Willa en observant par la fente qu'elles avaient ouverte le paysage qui défilait à tout vitesse.

Abby regarda derrière elle et pâlit légèrement.

- On a pas vraiment le choix je crois...

Willa se retourna à son tour et vit avec effroi le vampire s'approcher d'elles en silence. Il évitait du mieux qu'il le pouvait les flammes qui le séparaient des jeunes filles.

- Faut se décider vite ! s'empressa Willa.

Le feu se propageait deux fois plus rapidement qu'avant à cause de l'appel d'air causé par l'écart des portes.

Abby prit une grande inspiration avant de regarder à nouveau dehors. Elle attrapa la main de Willa dans la sienne et la fit se retourner de force.

- T'as raison ! Faut plus hésiter !

Abby prit quelques pas d'élan et s'élança dans les airs, entraînant à sa suite Willa, qui essayait de se détacher de cette prise qui risquait de lui être mortelle.

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