Chapitre 28

Willa resta devant la porte en bois quelques secondes avant d'oser frapper trois coups timides. Elle se retourna afin de regarder la voiture qui l'attendait, garée dans la petite allée qui bordait la cabane, avec à son bord Alison, Jean et Esteban.

L'homme la regardait avec un sourire encourageant, le même qu'affichait Alison juste à côté de lui. Jean, derrière, était caché par la pénombre qui régnait à l'arrière de l'habitacle.

Alors qu'elle avait toujours la tête tournée, Willa entendit le "clic clac" caractéristique d'une porte en train d'être déverrouillée. Un vent de panique s'empara aussitôt d'elle et elle n'eut alors qu'une envie : aller se cacher en courant derrière le tas de bûches qui trônaient à quelques mètres. Elle lança sa jambe vers la droite, espérant avoir le temps de fuir mais la porte s'ouvrit et le temps lui manqua pour mettre son plan à exécution. Elle se retrouva donc face à face avec un homme.

Cet individu ne lui disait rien. Elle fut tentée un instant de s'excuser du dérangement en faisant demi-tour.
La quarantaine dépassée depuis peu, il afficha un large sourire à la vue de Willa. Ses yeux s'illuminèrent lorsqu'il la vit face à lui. Ses cheveux bruns coupés courts lui donnaient un air sévère que contredisait les quelques épis qui s'étaient glissés là. Une légère barbe lui avait poussé sur les joues et le menton, formant un petit duvet piquant. Son sourire s'élargit d'avantage lorsqu'il réalisa pleinement que l'adolescente se trouvait devant lui.

- Willa... lâcha-t-il dans un souffle soulagé.

Ce n'est que lorsque l'homme prononça son nom que Willa le reconnu. Son père se tenait en face d'elle, tellement métamorphosé en comparaison avec les semaines qui avaient suivi le décès de sa mère, que la sorcière ne l'avait pas reconnu.

En venant ici, elle voulait simplement rentrer, récupérer ses affaires et repartir, en ignorant l'homme qui l'avait tour à tour adoptée, élevée comme sa fille, protégée comme un trésor, puis lâchement abandonnée.

Mais maintenant qu'elle se trouvait au seuil de ces retrouvailles, ses convictions s'effritèrent et elle fut tentée d'aller serrer son père dans ses bras. Mais elle tint bon et rentra dans la maisonnette d'un pas rapide mais peu assuré.

Les yeux mouillés et le nez piquant, elle observa la décoration intérieure qui ressemblait énormément au style de son ancienne maison. Un salon zen dans les tons rouges et gris l'accueilla, ce qui la calma un petit peu. Sur le canapé en cuir trônait un coussin. Un coussin plutôt simple carré, avec, sur la housse, une petite orchidée rouge brodée.
Le coussin de sa mère.
Celui qu'elle mettait sur ses genoux lorsqu'elle rentrait épuisée de ses longues journées de travail.
Celui qu'elle utilisait toujours lors des batailles de polochons familiales organisées en week-end.
Celui de sa mère morte il y a moins d'un mois.

Elle ralentit le pas et attrapa le coussin. Elle le prit tout d'abord du bout des doigts, ne voulant pas enlever les dernières traces de sa mère. Elle le serra finalement contre sa poitrine et respira à plein poumon l'odeur qui s'en dégageait. Une odeur de nature, de fraîcheur. Une odeur de bord de mer et du vent qui y soufflait. Une odeur apaisante et réconfortante. L'odeur de sa mère, qui n'avait pas changée.

Sans s'en rendre compte, Willa se retrouva à genoux, les coudes posés sur le canapé. Des larmes silencieuses coulaient le long de ses joues rosies. Elle étouffa un sanglot et se rappela.
Le sourire de sa mère, qui transmettaient une joie de vivre hors du commun.
Son rire et ses yeux bleus qui donnait à quiconque l'envie de lui faire confiance.
Son regard expressif si joyeux et plein de vie.

Les larmes dévalaient le visage de l'adolescente par milliers, mouillant son t-shirt et le coussin. Elle sentit une pression sur ses épaules puis un corps près du sien. Une main guida sa tête jusqu'à une épaule musclée.

Elle s'y blottit avec espoir et souffrance et laissa sa tristesse quitter son esprit meurtri. Une nouvelle odeur arriva jusqu'à elle. Une odeur de baguette tout juste sortie du four et de pâtisseries en tout genre, mélangée au parfum enivrant de fleurs et d'herbe coupée. L'odeur de son père.

Une nouvelle main se posa sur son épaule et elle leva la tête, curieuse de savoir qui se trouvait là. La vue embrumée par les larmes, elle adressa d'abord un sourire triste à son père, qui la serrait dans ses bras. Elle distingua une silhouette derrière la tête de son père, debout devant la télé. Des cheveux bruns longs et ondulés rassemblés dans une belle queue de cheval. Un uniforme bleu et noir donnant une allure stricte.

- Maman... lâcha Willa dans un souffle.

Son père et sa mère... Ensemble... Dans la même pièce... À nouveau... Comme si rien ne s'était passé. Comme si rien n'avait brisé à jamais le lien unique qui les unissait : l'amour.

L'adolescente cligna des yeux encore une fois pour rétablir sa vue floue mais lorsqu'elle regarda à nouveau la silhouette féminine, elle avait disparu, laissant un grand vide dans le salon et dans le cœur de la jeune sorcière.

Ses pleurs redoublèrent, inondant l'épaule réconfortante sur laquelle elle s'était blottie. Elle reniflât bruyamment et reprit sa respiration coupée par son flot de larmes. Elle s'écarta doucement de son père et se redressa sur ses talons. Laissant de côté son animosité et sa colère, elle regarda son père avec amour et tendresse.

- Elle me manque... dit elle d'une voix étouffée.

- Moi aussi... répondit il sur le même ton.

Le père et la fille s'observèrent ainsi quelques minutes en silence avant que Willa ne se relève.

- Je... Mes amis... M'attendent dehors, déclara-t-elle d'une voix mal assurée.

Le père hocha la tête et essuya ses yeux encore larmoyants en répondant à sa fille:

- Oui, bien sûr, je comprend. Je t'ai préparé tes valises.

Willa, gênée, fit rouler ses épaules en attendant que son père aille chercher ses affaires.

Alors c'était tout ? Ses retrouvailles avec son père absent allaient se terminées comme ça ? Un grand câlin, des pleurs partagés et un bisou d'adieu allaient-ils sérieusement être tout ce qu'elle aurait de son père ?

L'homme revint une valise dans chaque main. Il les posa au sol et se gratta la nuque. La réaction de son père fit remonter la colère qui avait quelques minutes plus tôt quittée la jeune fille. Elle commença à ouvrir la bouche pour lui dire tout ce qu'elle ressentait mais l'homme parla le plus vite :

- Willa, je suis désolé. Sincèrement. Et pas seulement pour la semaine que tu as dû passer. Pour toutes les semaines où je n'ai pas su jouer mon rôle de père. Je sais que je n'étais pas là lorsque tu avais besoin de moi, et je le regretterai toute ma vie. T'avoir abandonné pendant cette épreuve a été une des choses les plus dures que je n'ai jamais dû faire. Mais je n'avais pas le choix. Avec le choc causé à la mort de...

Il se stoppa quelques instants, troublé. Il inspira profondément avant de reprendre, sous les attentes de sa fille:

- À la mort de ta mère, j'ai eu peur que tes "capacités" apparaissent. Et je ne me sentait pas à la hauteur. Mais il y a encore tant de choses que tu ignores...

Willa, qui jusque là avait écouté sans broncher, sortit de ses gonds et s'écria:

- Si je les ignore ces choses, c'est parce que tu n'as pas voulu me les dire ! C'est parce que tu me les as cachés ! Que VOUS me les avez cachés ! Tu n'as pas été capable d'assumer tes responsabilités de père parce que tu n'es pas à la hauteur ! Un père ne ment pas à sa fille ! Il la protège, voire, la surprotège mais ne lui ment pas ! Jamais !

Les larmes lui montaient aux yeux mais elle les refoula. Tout à l'heure, elle avait pleuré. Mais c'était une erreur qu'elle ne commettrait plus jamais. La faiblesse amène les pleurs et le pardon. Et Willa n'avait aucune envie de pardonner ce père qui n'en était pas un.

- Willa, c'était une décision commune que de te cacher la vérité !

- Peu importe ! Me cacher la vérité quant à mes pouvoirs passe encore ! Mais pourquoi ne jamais m'avoir dit que vous m'aviez adoptée ? Pourquoi m'avoir menti sur mes origines ? Sur ce que je suis ? Sur ce qui fait de moi la personne que je suis ?

- Une personne n'est pas définie par ses parents biologiques mais par les personnes qui l'élèvent, se défendit le père.

- Parce qu'élever un enfant dans le mensonge est quelque chose de bien définissable pour toi ? demanda la jeune fille d'un ton dur.

Sur ses mots, elle empoigna les deux valises et sortit de la maisonnette en claquant la porte. La pluie avait commencé à tomber et elle se retrouva trempée avant d'avoir pu atteindre la voiture. Les gouttes d'eau glissaient dans ses cheveux et roulaient sur son visage, dévalant à la place de ses larmes ses joues et son menton. Elle posa ses valises dans le coffre et s'engouffra dans l'habitacle sans un mot.

Les trois occupants la regardèrent surpris.

- Willa ? commença Jean avec prudence.

- J'ai pas envie d'en parler, répondit aussitôt Willa d'un ton sec et cassant en se tournant vers la fenêtre.

Quelques secondes passèrent avant que le moteur ne se mette en route et que la voiture ne roule sur le chemin irrégulier qui reliait la maisonnette de la route principale. La route cabossée et les innombrables gouttes qui s'écrasaient sur le capot définissait parfaitement le moral de la sorcière: triste, le cœur en miette, mais décidée à tourner la page. Avec ou sans son passé.

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