Chapitre 9 : Derrière une porte close
Milly
Vers l'heure du dîner, les frères décident de partir. Je me sens soulagée de savoir que je serai bientôt seule. J'ai besoin de m'exclure physiquement, de méditer sur les aléas de la journée et sur mon comportement, surtout après la remarque de Jo.
Après un au revoir chaleureux de la part d'Had et un dernier regard d'Ash, ils quittent le studio. Jo les accompagne jusqu'à la porte d'entrée de notre immeuble.
Seule, je décide de ranger quelques vaisselles pour m'occuper. J'ai du mal à mettre en ordre mes idées, mon esprit trop chaotique pour le moment. Je suis encore focalisée par mon humiliation de tout à l'heure et, sans doute, par une mise au point imminente. Avec difficulté, je tente de m'extraire de ce miasme psychique pour me faire un petit résumé de la journée.
Had, bien trop doux... Ash, bien trop silencieux... Jo, bien trop con...
J'entends la porte claquer et je me retourne, voyant Jo verrouiller derrière lui puis enlever ses baskets. Je déglutis péniblement. Le moment fatidique approche. Je laisse tomber le rangement et me dirige vers lui.
– C'était une chouette aprèm ! dis-je d'une voix bien trop aiguë pour être normale. Ils sont super, tu ne trouves pas ?
Ce n'est pas tout à fait la vérité. J'ai passé une sale journée, qui s'est détériorée depuis ses reproches, mais j'essaie d'égayer, de camoufler le laid pour ne voir que le beau. Comme d'habitude, j'aime faire l'autruche.
– Ouais.
Sa réponse plate accentue mon mal-être. Il s'assoit à son bureau et me regarde longuement. Je n'aime pas ce regard. Je n'aime pas ce silence.
Je n'aime pas ce qui va suivre...
– Qu'est-ce qu'il y a ? soufflé-je, même si je connais déjà la réponse.
– « Qu'est-ce qu'il y a ? » répète-t-il de façon sarcastique. Tu me demandes vraiment ce qu'il y a ? Vraiment, chérie, je te pensais plus intelligente.
Sa remarque me blesse. Je savais que ça se passerait ainsi mais, même si on se blinde pour affronter une rafale, on n'est jamais totalement préparé aux impacts des balles.
Devant mon silence, sa fureur explose :
– Tu crois que c'est normal de se comporter comme tu le fais ? À faire tes blagues tordues sans t'excuser ! T'as embarrassé nos invités !
Je suis figée sur place, complètement statufiée par ses pluies de reproches. Je baisse la tête, mes doigts entrelacés avec force.
– M-Mais... j-je pensais que c'était p-pas grave... Il a ri, alors je...
– Il a ri parce qu'il est bien mieux élevé que toi ! me coupe-t-il. Tu crois vraiment que c'est des choses à dire lors d'une première rencontre ?
Je reste interdite. Après tout, qu'est-ce que je pourrais dire ? Communiquer quand l'autre pense qu'il a toujours raison ne sert à rien.
– Non, tu ne sais pas ! continue-t-il d'un ton acide. Tu fais ta mijaurée, tu gênes nos invités et après tu fais la gueule dans ton coin !
Je trouve tout ceci totalement injuste, je n'ai fait qu'une malheureuse boulette, c'est tout ! Mais, je suis incapable d'argumenter. Ma gorge est serrée par le chagrin, mes lèvres sont mâchées nerveusement et je tente de retenir les larmes qui voilent ma vision.
– Bordel, cette phrase.
Jo se lève vivement, me faisant sursauter.
– Cette phrase que tu lui as dite, cette blague avec le crachat dans son café. Qu'est-ce qu'il t'a pris de dire ça ? Je savais plus où me mettre, j'avais tellement honte ! Je ne savais pas que tu pouvais être aussi conne !
Mon être est totalement glacé, mon corps tremble par la peur et mes sanglots contenus.
– Tu l'as fait exprès, c'est ça ? Tu voulais mettre une sale ambiance, pour plus que je sois pote avec eux ?
– N-non..., bégayé-je, ébranlée par cette avalanche de critiques.
– Je vais te dire un truc, chérie : tu pourras tout faire pour tout foutre en l'air mais ça ne marchera jamais. Et tu sais pourquoi ? Car ce sont mes amis, ils seront toujours de mon côté, et que toi, tu n'as rien.
Ça n'a aucune logique ce qu'il dit. Had et lui se connaissent que depuis deux semaines et il vient tout juste de rencontrer Ash, qui n'est pas enclin à faire une accolade amicale.
Rien n'a de sens ! me crie une petite voix aussitôt étouffée.
Il s'approche doucement de moi, sa fureur transformée en quelque chose de plus vicieux.
– Tu comprends ça ? Ce sont mes amis. Arrête de vouloir faire ton intéressante, t'es rien pour eux. T'es qu'un poids mort.
Mes larmes ne peuvent plus être contenues. Je m'éloigne vivement de lui et me précipite dans la salle de bain. Je ne veux pas qu'il me voie ainsi, je ne veux pas être avec lui un instant de plus. Ça fait trop mal...
Juste avant que je ferme la porte, je peux entendre cette phrase, prononcée d'un ton dégoûté.
– Les femmes, toutes les mêmes.
Je claque la porte et laisse les sanglots m'envahir. Je me tiens au lavabo, le miroir reflétant mon visage rougi, inondé de larmes. Des gémissements étouffés s'arrachent de ma gorge, la douleur presse mon estomac et ma poitrine.
Je ne mérite pas ça. Je n'ai rien fait de mal, je ne le mérite pas. J'ai peut-être abusé avec ma blague, mais je ne mérite pas d'être rabaissée comme ça. Je ne le mérite pas, je ne le mérite pas...
N'est-ce pas ?
Des tapotements se font entendre sur la porte.
– Allez, Milly, ouvre la porte.
Je m'essuie le visage et étale le maquillage noir sur les joues. Je tente de calmer mes pleurs avec difficulté. Je ne veux pas le voir, je ne veux pas qu'il admire sa toile façonnée avec ses mots.
– S'il te plaît, me supplie-t-il avec une voix aussi douce que du velours.
Quelque chose en moi cède, lui obéit. Je me maudis pour ma faiblesse. Je lui ouvre et le vois à l'encadrement, le visage sombre.
– T'as une sale tête.
La faute à qui ?
Je ne dis rien, je me mordille la lèvre, le regard larmoyant. D'un air vide, il me fixe quelques instants puis pousse un long soupir.
– Allez, viens, me souffle-t-il.
Il me prend dans ses bras et me serre fortement. Je me laisse faire, épuisée par les émotions. Je ne réponds à son étreinte qu'un moment plus tard. Sa chaleur me fait du bien, elle panse mes plaies dont il est le responsable. Comment je peux accepter son affection, après ce qu'il m'a fait subir ? Je ne me reconnais plus... depuis bien longtemps.
Où es-tu, Milly ? Où est-ce que tu te caches ?
Il me dit des mots tout bas. Des mots qu'une fille rêverait d'entendre, me berçant dans un semblant d'amour, dans une tendresse tordue.
– Je suis stressé, se justifie-t-il, son nez dans mes cheveux. Ce sont les premiers amis monstres que j'ai, et je veux que tout soit parfait. Tu comprends ? Je sais que tu peux comprendre, ma chérie. Laisse-moi tout gérer et reste en arrière, c'est pour leur bien.
Il me fait promettre des choses dont je n'ai aucune envie, me fait croire que je suis responsable de ce qu'il m'arrive. Peut-être n'a-t-il pas tort, après tout ? Est-ce vraiment moi qui le pense, ou est-ce juste l'épuisement qui parle à ma place ?
– Viens, Milly, me dit-il en m'emmenant au lit. Je vais te faire oublier tout ça.
Son regard chargé de luxure ne donne pas de place à l'imagination. Qu'importe ce qu'il a derrière la tête. C'est toujours comme ça, de toute façon. Cette spirale dure depuis quatre interminables années, ne trouvant aucune fin.
Durant cette nuit, et pour la seule fois de la journée, je me sens aimée par lui.
---
Un changement d'air s'impose ^^' On va aller voir un autre personnage au prochain chapitre !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top