Milly

Assise sur le fauteuil à pianoter sur le téléphone, j'attends patiemment que les garçons reviennent de leur visite dans notre domicile. Je n'ai pas à patienter longtemps, on fait vite le tour dans un 20 mètres carrés. En pleine conversation sur l'étrange conception que peut avoir un studio – comme avoir un lit près du coin cuisine par exemple –, ils reviennent dans le salon. Je n'entends que deux voix, la troisième est manquante. Je relève la tête et range mon téléphone dans la poche. Le seul qui ne participe pas à l'échange verbal est Ash, toujours en retrait à fixer divers points dans l'appart. Je ne sais pas pourquoi il se comporte ainsi et qu'est-ce qu'il souhaite trouver en agissant de la sorte. Il n'a pas l'air à l'aise, est sur le qui-vive et s'attend probablement que quelque chose, dissimulé derrière les murs, l'attaque à tout moment.

C'est étrange... On dirait qu'il a peur, ou quelque chose comme ça. J'ai l'impression de me voir...

Had tente par plusieurs fois d'inviter son frère à parler, mais soit il se prend des vents, soit il a un regard de biais avant d'être ignoré. Même si je ne suis pas totalement à l'aise avec Had, ça me fait de la peine que ses efforts ne soient pas récompensés.

Ils s'installent autour de la table basse, où le café est prêt depuis quelques minutes. Les frères sont sur le canapé, Ash en face de moi, Jo est à ma gauche sur le siège de bureau qu'il a décalé jusqu'à nous et moi, je ne bouge pas de mon fauteuil.

Ash regarde sa tasse d'un air sceptique. On dirait qu'il s'attend à ce qu'elle explose ou qu'elle regorge d'un poison que j'ai mis discrètement quand il avait le dos tourné. Son comportement me contrarie et titille quelque chose dans mon être. J'ai envie de le décoincer un peu, ou du moins le rendre plus à l'aise auprès de nous comme Had a pu le faire avec moi.

– Tu sais, tu peux le boire, lui lancé-je d'une voix légère. Promis, je n'ai pas craché dedans.

Il stoppe net son observation et me lance un regard pénétrant. On peut entendre une mouche voler dans l'appart et je regrette tout de suite mon sens de l'humour boiteux. Had ne sait plus trop où se mettre et Jo a des yeux ronds comme des billes. Face à cette situation embarrassante, je deviens rouge pivoine, m'apprêtant à faire des excuses quand un petit rire retentit dans la pièce.

Ash, le glaçon à l'air bougon, vient de montrer un éclat de gaieté, quelque chose que je pensais qu'il était incapable de ressentir jusqu'à maintenant.

– Tu n'as pas froid aux yeux, petite.

Pendant un bref instant, ses pupilles brillent d'une étrange lueur avant de redevenir aussi ternes qu'un pâle reflet du clair de lune. Son humeur joyeuse a disparu, pour laisser place à ce visage de marbre, aussi accueillant qu'une pierre tombale. Il se concentre à nouveau sur sa tasse et la prend sous nos yeux scrutateurs.

J'ai l'impression de savourer une petite victoire. C'est étrange de ressentir ça, alors qu'il n'y a pas si longtemps, je ne voulais rien avoir à faire avec eux.