Chapitre 23 : Le propre d'un squelette


Ash


Putain, mais qu'est-ce que je fous ?

Je la regarde s'éloigner lentement d'une démarche peu assurée et j'ai une terrible envie de me fracasser mon crâne contre la table. Peut-être que ça me permettra de remettre les idées en place et d'arrêter de ressentir une certaine empathie à l'égard de cette femme.

Bordel, je ne suis pas là pour jouer au psy, mais pour écarter tout danger potentiel à l'encontre de mon frère.

Pourtant, le plan était simple. Je devais trouver une occasion d'aborder cette humaine, de la mettre en confiance et, avec des mots suaves que toutes filles aimeraient entendre, je devais lui soutirer des infos sur Joachim. Elle n'était qu'un pion, un rouage manquant pour que j'atteigne mon but, et tout ce que j'avais à faire était de la mettre dans ma poche.

Mais ça ne s'est pas passé comme prévu.

Déjà, c'est presque mission impossible pour l'approcher. Depuis notre première rencontre, je surveille l'entrée de son immeuble, dissimulé assez loin dans une ruelle pour ne pas me faire remarquer par des riverains soupçonneux. Elle n'est pas sortie une fois en l'espace de plusieurs jours ! Je me demandais même si elle hibernait ! Moi aussi, j'aimerais me prélasser sur mon canapé à ne rien branler de mes journées, mais j'ai un travail à accomplir. Alors, je suis resté ici comme un imbécile à me raidir les os et j'espérais un miracle, une soudaine activité de la part de la femme.

Dans ma misère, ça m'a permis de repérer les environs, les humains qui y habitent, les faibles possessions du couple dont j'ai la surveillance. Tous les matins, je me postais de bonne heure dans ma planque et voyais la gueule de con sortir, prendre sa vieille Renault 19 noire customisée en tuning – il a vraiment des goûts de merde, ce type ! – et démarrer en trombe au point de réveiller les voisins qui ont eu le malheur de se prélasser au lit.

Il m'énerve. Il m'insupporte. Ce parasite prend ses aises tous les soirs dans notre appart et c'est un véritable supplice de voir sa grande complicité avec Had. Et moi, pour le bonheur de mon frère, je me tais, tout en fantasmant sur comment je pourrais me débarrasser de lui.

Une fois, j'en avais tellement marre de sa gueule que je devais faire quelque chose, sinon j'aurais fait un petit meurtre en fin de soirée.

Joachim a une habitude quand il entre chez nous. Il lui faut son café. Pourquoi ? Je ne sais pas mais il lui faut son putain de breuvage, et avec un sucre s'il vous plaît ! Je ne comprends pas l'attrait des humains pour leur boisson, c'est foutrement amer et on dirait de la flotte ! Je préfère largement la nôtre, bien plus subtile et raffinée.

Had était si enjoué de servir de bonniche à chaque fois que ça me faisait grincer des dents et, pas plus tard qu'hier, j'en ai eu assez de ce cirque. J'ai décidé d'agir. À la grande surprise de mon frère, je me suis porté volontaire pour préparer l'habituel café – depuis le début, j'ai insisté auprès de lui pour que son ami ne goûte en aucun cas notre nourriture à base de magie car il n'en était pas digne, même si Had assurait le contraire. Quelle ne fut pas ma jouissance quand cet humain a découvert malgré lui que j'ai remplacé le sucre par du sel et qu'il a fait un joli jet sur toute la table. Had a eu l'air de rien après l'incident mais, une fois seuls, j'ai eu une sacrée leçon de morale par mon adorable petit frère, plus aussi réservé lorsqu'il faut prendre la défense de cette larve.

Je ne vois pas de quoi il se plaint, j'aurais très bien pu mettre des débris de verre. Mais je ne l'ai pas fait. Je ne veux pas choquer l'unique membre de la famille qui croit encore que je suis quelqu'un de bien.

Je sais que c'est petit, que j'aurais pu agir de manière plus mature et, sans doute, laisser une chance à cet homme. Mais mon instinct me dit qu'il y a anguille sous roche, qu'un humain ne peut pas s'entendre avec l'un des nôtres en l'espace d'une demi-heure. J'écoute toujours cette partie de moi, surtout quand il me met en garde sur une potentielle menace envers ma famille.

Alors, sans son consentement et quand Had était trop occupé pour m'inclure dans leur groupe, je me suis concentré sur son allure trop détendue et j'ai écouté la mélodie que produit son âme.

C'est une particularité que les monstres ont. Chaque être vivant possède une âme, une entité spirituelle qui est l'incarnation même de la personne, de son identité et de son parcours de vie. Cette âme émet un son et peut être entendue si on souhaite ardemment l'écouter. On appelle cela l'intention.

Les monstres peuvent étouffer sciemment leurs sons, contrairement aux humains qui n'ont aucune conscience du lien qu'ils ont envers leur propre âme. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'âme est spirituelle, similaire à de la magie, alors que les humains ne sont constitués que de masse. Le physique ne peut comprendre le psychisme. Mais, en y réfléchissant bien, l'âme est la seule source de magie que l'humain possède, et entre autres, l'unique point commun qu'ils ont avec les monstres. Mais cette splendeur, ce miracle de la vie, a été reniée par eux dès leur naissance.

Nous, les squelettes, avons plus de facilité d'écoute et, contrairement aux autres monstres, sommes les seuls à pouvoir avoir un aperçu de l'âme juste en observant attentivement les yeux.

Les yeux sont les miroirs de l'âme, comme on le dit si bien.

Nous avons cette particularité, ce don de vision, même si l'être en face n'est pas conscient ou refuse d'être soumis à ce genre de procédé. C'est très pratique lors des interrogatoires, afin de savoir si l'accusé a de mauvaises intentions ou non. L'âme est l'incarnation véritable de l'être et ne peut mentir, à l'inverse de son hôte.

Bien qu'il ait une bonne entente générale entre les différents types de monstres, les squelettes sont quand même craints par leurs congénères. Je ne leur reproche pas d'être ainsi. Qui voudrait être épié, décortiqué, jusqu'aux tréfonds de son existence sans pouvoir rien y faire ? En tant que monstre, il faut être consentant pour pouvoir s'écouter mutuellement et nous, nous pouvons violer silencieusement l'intimité des autres, sans distinction aucune, avec la seule force de notre pensée.

Had ne fait pas ce genre de pratique, trouvant que c'est de la profanation envers autrui, même s'il m'a avoué avoir entendu par mégarde quelques âmes mélodieuses quand il était plus jeune. Pour ma part, j'excelle dans ce domaine, dépassant de loin certains de mes confrères squelettes connus dans ce milieu.

Et c'est pourquoi j'ai usé de ce pouvoir sur cet humain, nommé Joachim. Quand il a eu le dos tourné, quand personne ne regardait, j'ai écouté son âme.

J'ai décelé un écho, si faible qu'il aurait pu passer inaperçu pour un monstre quelconque. Malheureusement pour ce type, je suis un spécialiste en la matière.

L'écho signifie une intention que l'on dissimule. Une arrière-pensée.

Ça me conforte dans l'idée que ce mec est une personne totalement fausse. 

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