Chapitre 22 : Un éclat de vie


Milly


Il me dit ces mots d'un ton si bas que je devais prendre quelques instants pour bien assimiler sa demande. J'ai l'impression que, bientôt, je vais faire une grande découverte et que je porterai un lourd secret que je ne pourrais partager avec personne.

Le cœur chargé d'une excitation que je n'ai plus goûtée depuis bien longtemps, je déglutis et me penche légèrement. Ash fait de même, diminuant la distance qui nous sépare.

– Nous nous appelons..., commence-t-il avec un timbre qui a encore baissé en intensité.

Sans m'en rendre compte, je m'approche davantage de lui et m'allonge pratiquement sur la table pour être le plus près possible. Je veux savoir ce qu'il a à me dire et je crains de ne rien entendre. Il n'a aucune réaction face à mon comportement burlesque et s'avance lentement, si lentement que ma nervosité a gagné un niveau.

Il glisse son visage près du mien. Mon corps se tend automatiquement à cette proximité car il n'a connu qu'un seul homme. Cette intrusion dans ma bulle personnelle m'effraie légèrement, mais la curiosité est bien plus forte pour que je m'éloigne en courant.

Ash se permet de déplacer une de mes mèches pour mieux souffler au creux de l'oreille cette information inavouable :

Des monstres.

Et il s'éloigne soudainement, me laissant comme deux ronds de flan sur la table. Je fixe son air espiègle revenu à la vie et il glousse faiblement face à mon incrédulité.

– On a toujours été des monstres, me révèle-t-il avec un clin d'œil. C'est vous, les humains, qui avez déformé ce mot en insulte, en quelque chose d'humiliant. Peut-être une stratégie minable pour nous provoquer ou propager une terreur à notre encontre durant la guerre, mais... Ça va, petite ?

Les yeux écarquillés et bouche bée, je louche sur ce monstre sans rien dire, trop choquée pour que l'information parvienne rapidement à mon cerveau. Lentement, mais assurément, je commence à comprendre ce qui se passe.

Attends... Il vient de me faire une blague ? Ce mystère, toute cette mise en scène, était juste une plaisanterie ??

Face à mon manque de réaction, Ash devient moins sûr de lui. Il tente de poursuivre d'une voix légère, sans doute pour colmater certains dégâts qu'il a pu engendrer :

– Hé, je voulais juste te faire une blague. Il ne faut pas trop le...

Il ne peut continuer sa phrase. Un rire incontrôlable prend possession de mon être et le prend totalement au dépourvu.

Pour la première fois depuis cette rencontre dans ce café, Ash cesse de sourire. Un choc gagne brutalement ses traits à l'entente de cet éclat de vie.

Je ne sais pas ce que j'ai, mais c'est plus fort que moi. Le trop-plein de mauvaises aventures ? La fatigue ou cette blague qui a fait son effet ? Je ne sais pas mais mes nerfs lâchent. Je ris tellement que je commence à faire des bruits de grincements alarmants. Ce sont les particularités de mon fou rire, toujours inchangé malgré sa rareté.

Ash est un peu inquiet par ces bruits non identifiés – un âne croisé avec une truie, sans doute – mais quand il voit que je continue de m'esclaffer comme une bossue sur la table qui me sert de lit, il ne prend pas la peine d'appeler les urgences.

Je remarque Betty sur le pas de porte, qui a enfin compris d'où viennent ces cris d'animaux de la ferme, et me regarde comme si j'étais une folle avant de repartir vaquer à ses occupations.

Je me fous complètement de son opinion tellement je suis dans l'hilarité. Néanmoins, j'essaie de me calmer avec difficulté. Il serait dommage que je fasse une syncope ici. Secouée par des spasmes nerveux, je me rassois correctement et observe un Ash encore chamboulé.

– Wow, ça, c'est un rire communicatif ! tente-t-il de reprendre mais je vois bien que j'ai touché quelque chose en lui.

– O-Oui, pardon ! reniflé-je en essuyant mes larmes. Je fais des bruits bizarres quand j'ai un fou rire.

– C'est un beau bruit. Tu devrais le faire plus souvent.

Mes joues sont en feu face à ses dires et je ne peux affronter son regard plus longuement. Fixant ma tasse, le sourire aux lèvres, je savoure son compliment comme un bonbon et laisse ses bienfaits se répandre dans mon ventre.

Ash est franchement sympa. Certes, il faut le suivre, et il a un humour un peu douteux mais... j'arrive à me sentir à l'aise avec lui... 

Je le trouve bien moins terrifiant que la première fois.

Un énorme sourire gagne mes traits et cela fait trembler le sien.

Le temps passe, les minutes filent et c'est avec une certaine sérénité que je continue mon échange avec lui. Il ne dit plus de blague, peut-être a-t-il eu sa dose d'émotions ?

– Je dois y aller, Ash.

– Quoi, déjà ? lance-t-il instinctivement avant de froncer les sourcils – qu'il n'a pas bien évidemment.

– Je suis ici depuis deux heures et c'est mon quatrième café, précisé-je, flattée par sa réaction. Encore un peu et ma vessie va exploser.

– Je ne veux pas de détails, fait-il d'un revers de la main. Je suis bien content d'être un squelette et de ne pas connaître ces petits tracas du quotidien.

Je souris à sa remarque et je suis curieuse d'en savoir plus. De le connaître un peu plus que ses plaisanteries. De découvrir en quoi consistent réellement les tracas d'un squelette.

Chaque chose en son temps...

J'espère qu'il y aura une prochaine fois...

Je me lève, mes jambes raides me remercient pour cette soudaine activité. Ash aperçoit enfin mon objet anti-stress et ne peut s'empêcher de faire une dernière blague :

– Tu sais, à force de tenir ce truc, ça ne sera plus des spaghettis que tu auras mais des coquillettes.

Effectivement, mes pâtes sont dans un sale état et je ris face à ce constat. Je trouve que c'est une très belle note pour terminer une discussion.

– Merci pour ton invitation, c'était super sympa, soufflé-je, le cœur léger.

– Je t'en prie, à tout moment, dit-il avec son éternel clin d'œil, ce qui sous-entend qu'il y aura une prochaine fois.

Et c'est à ce moment-là que je devrais m'en aller et retourner dans mon antre vide. Mais mes pieds refusent de bouger. Je ne veux pas partir comme ça... Quelque chose en moi crie que ça ne devrait pas se finir ainsi. Je souhaite le remercier autrement, d'une façon différente qu'un simple mot de courtoisie.

Je me mordille la lèvre inférieure et tords mon stupide paquet avant d'avoir le courage de me lancer :

– Ash ?

– Oui ? répond-il, plein de patience.

– Had a raison sur un point. Tu as vraiment un bon fond.

Son sourire disparaît encore une fois. Il me fixe d'une telle manière que j'ai l'impression que ses pupilles ont gagné en volume, ce qui me permet d'observer avec plus de précision l'origine de leur brillance.

Un condensé de lumière, des milliers de particules de diamants dissimulées, qui font que la vie existe dans ses gouffres sans fond.

Une vraie beauté dans son regard que jamais je n'aurais pensé découvrir aujourd'hui.

Pourtant, leurs éclats sont bien trop intenses pour moi. Je me sens happée par elles, presque prisonnière par leurs flammes. Après un bref mouvement de la main, je me détourne et le quitte sans lui donner la peine de me répondre.

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