Chapitre 21 : Autre culture


Milly


Je n'insiste pas. Je ne souhaite pas être une invitée fatigante, un poids pour lui et c'est avec l'esprit débordant de confusion que je saisis la céramique chaude entre mes mains. Le breuvage n'a rien d'extraordinaire. De couleur encre, je tente de déceler des différences entre nos deux produits et ne vois rien qui pourrait me dire que c'est une boisson faite par des monstres. Je cesse d'observer, souffle sur le liquide pour éviter une brûlure au troisième degré – tout en fuyant le regard perçant d'Ash qui ne me lâche pas d'une semelle – et bois une gorgée.

La différence frappante se trouve dans le goût et je suis totalement surprise par ce fait. Le café a une saveur épicée unique en son genre et surtout, pétille sur la langue. Dès que j'avale, ce « pétillement » poursuit son chemin dans la gorge pour disparaître au niveau de l'estomac. Je n'ai jamais expérimenté un produit de ce genre.

Moi qui suis accro à la caféine, je suis entièrement conquise !

Je repose ma tasse et regarde vivement Ash qui n'a pas dit un mot.

– Tu aimes ? me demande-t-il avec chaleur en voyant l'émerveillement sur mon visage.

– C'est super bon ce truc ! m'exclamé-je d'une voix légère. Betty est... ce qu'elle est mais elle sait faire le café !

– Hé bien, si j'avais su qu'un simple kawa pouvait te décoincer, je te l'aurais fait boire depuis longtemps.

J'ignore totalement sa remarque et préfère me concentrer sur cette nouvelle sensation qui a parcouru mon corps.

– Mais c'est quoi qui pétille dans la bouche ? le questionné-je, désireuse de connaître ce phénomène. C'est étrange, c'est la première fois que je ressens ça.

– C'est de la magie, me souffle-t-il, comme s'il délivrait un terrible secret.

Je reste interdite par sa réponse. Je louche sur son visage pour déceler une forme de mensonge ou encore une moquerie, mais il n'y a rien. Ash attend patiemment, tout en appréciant son breuvage, sans pour autant perdre une miette de mon état stupéfait.

– Tu veux dire qu'on peut manger de la magie ? articulé-je, incapable de trouver une logique dans ce fait.

– Faudrait que tu sortes de ta grotte de temps en temps, me conseille-t-il, un brin taquin. Bien sûr qu'on peut se nourrir de la magie. Sinon on crierait famine et on n'existerait plus depuis des lustres.

Attends, attends ! Ça veut dire que les monstres ne s'alimentent pas comme nous et ont besoin de la magie pour survivre ?

Mince, c'est bien la première fois que je regrette de ne pas avoir suivi les cours d'histoire. J'aurais peut-être su cette info depuis longtemps...

– Je n'ai jamais goûté à des produits de chez vous, c'est pour ça. Mais, ce n'est pas dangereux pour nous ?

– Hm. Il est vrai que les humains ont rarement accès à ce genre de denrée. On est assez exclusif, tu sais. Et pour répondre à ta question, non, je ne pense pas. Tant que tu ne manges pas que notre nourriture, tu ne crains rien.

Je hoche la tête, soulagée que je ne tomberai pas malade après avoir goûté à cette merveille puis continue ma dégustation.

La conversation entre Ash et moi s'éternise à mon grand étonnement. Divers sujets sont abordés, et bien souvent ce ne sont que des banalités. Je souhaite aussi lui poser des questions sur sa vie ou plus intimement sur son anatomie de monstre, mais je n'ose pas. Je trouve que c'est assez audacieux de demander comment il boit ou même comment un squelette possède des paupières. Je n'ai pas envie de me faire passer pour une obsédée ou une dépravée.

On s'entend bien. Ça me fait du bien de parler, d'échanger, même si je crains constamment de dire une chose qu'il ne faut pas et que cette convivialité, si fragile, parte en fumée.

Bien que tout se passe bien, je ne peux m'empêcher de jeter de temps en temps des coups d'œil à l'entrée ouverte du bar-café. J'espère toujours apercevoir Mme Mercier, mais pour l'instant je n'ai vu que Betty qui fait je-ne-sais-quoi à l'intérieur.

Tiens, je remarque qu'il n'y a aucun client, à part nous. Les affaires ne semblent pas bien marcher... En même temps, avec l'accueil que Betty réserve, faut pas s'étonner !

– Pourquoi tu regardes autant la porte ? demande Ash, me sortant de mes pensées. Tu te languis de ta super copine ?

– Non, dis-je en essayant de supprimer un sourire. Je voulais juste savoir s'il y avait la patronne.

– La patronne ? Tu viens de la voir. C'est Betty et elle est la seule employée du café.

Cette attente de retrouver un visage familier s'est volatilisée, pour laisser place à une forme de désillusion. L'air abattu, je fixe ma deuxième tasse, commandée par Ash tantôt au vu de mon coup de foudre pour leur breuvage imbibé de magie.

– Tu sembles déçue, remarque le squelette, les orbites plissées par mon changement d'humeur subite. Il y a un problème ?

– C'est juste que..., commencé-je avant de soupirer légèrement et de rencontrer son regard typiquement lui. Il y a quelques mois, je travaillais dans ce café et comme il est ouvert à nouveau, je pensais que mon ancien employeur était revenu.

– « Avant » ?

– Avant que les monstres arrivent...

Avant même que les mots ne sortent de ma bouche, je regrette de suite cette réponse. Je ne veux pas entamer un sujet qui pourrait vexer Ash, sachant qu'on arrive relativement bien à communiquer jusqu'à présent. Je ne souhaite pas sous-entendre que c'est indirectement à cause de leur venue que je suis au chômage...

Mes doutes se confirment quand je le vois se redresser sur sa chaise, tout en remettant ses mains dans les poches. Son sourire plaqué sur son faciès est encore présent mais moins véritable, émettant étrangement une chaleur froide.

Tout en tordant mon stupide paquet qui va ne plus rien ressembler, je veux lui présenter des excuses – toujours et encore des excuses, c'est ma façon idiote d'apaiser un conflit – et parler d'autre chose, un sujet plus paisible gorgé de non-dits, mais Ash me devance :

– Tu ne trouves pas que le terme « monstre » est assez péjoratif, presque mesquin ? me demande-t-il d'une voix qui manque un nuage de douceur.

Surprise, je ne m'attendais pas à ce genre de question et c'est avec le cœur battant que je lui réponds faiblement :

– Je pensais que c'était le nom de votre espèce ?

– Tu crois ? As-tu regardé dans un dictionnaire la définition exacte de ce mot ? Quand tu traites un humain de monstre, ce n'est pas pour souligner sa beauté ou son charme. Non, c'est tout autre chose...

Je n'ai jamais pensé de cette manière. Je les ai toujours appelés ainsi, car on m'a appris à les nommer de cette façon. On appelle un chat, un chat, n'est-ce pas ?

– Que veux-tu dire, Ash ?

– Veux-tu connaître notre véritable nom, l'appellation que l'on ne partage qu'entre nous ? m'interroge-t-il, mystérieux. Je suis de bonne humeur et je peux t'avouer un petit secret autour de cette table. C'est pour m'excuser de t'avoir questionnée tout à l'heure.

Je ne comprends pas cette envie soudaine de me révéler une telle chose, mais je serais hypocrite si je n'admets pas qu'il a titillé ma curiosité.

– O-Oui, je veux bien...

– Approche-toi dans ce cas.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top