Chapitre 16 : Un petit aperçu #2


Milly


Une fois à l'intérieur, je relève la tête et suis confrontée à un employé qui ne ressemble en rien à un humain. C'est un monstre, un énorme ours polaire, qui ne me lâche pas du regard. Les bras croisés et le dos bien droit, il porte un survêtement prune à moitié débraillé, dont un badge « Vigile » est accroché à sa poitrine, ce qui contraste avec la norme vestimentaire qu'impose son métier.

Je ne comprends pas. Cette enseigne est bien d'origine humaine alors, pourquoi y a-t-il un monstre pas très accueillant à l'entrée ? Peut-être que cette marque est plus ouverte d'esprit que je le pensais, et qu'il recrute sans aucune forme de discrimination ?

– E-Euh, bonjour..., bredouillé-je en serrant fortement les bandoulières de mon sac.

Il émet un grognement en signe de réponse, tout en retroussant légèrement ses babines. Je peux clairement observer sa dentition parfaite et nettement dangereuse en cas de morsure. Je déglutis difficilement face à ce comportement inhospitalier et m'enfonce dans les rayons.

Tout a changé et je ne reconnais plus le magasin. Les produits présentés sont d'origine inconnue, bien trop exotique pour ma pauvre culture générale – cette chose de couleur violette et qui est séchée comme un vieux pruneau est bien une pomme ? –, et j'émets l'hypothèse que ce sont des denrées venues de leurs terres.

Après dix minutes de recherche infructueuse, je commence à désespérer. Je n'ose pas demander à un employé de m'aider, il semble qu'ils ont tous déserté dès que j'ai posé les pieds dans leur antre. De plus, l'adorable vigile me suit à la trace. Il n'est vraiment pas discret à me lorgner au bout de l'allée et je sue des litres quand je sens son regard dur me percer la boîte crânienne.

Mais qu'est-ce que je fous ici ?? Mince, Milly, tu vois bien qu'il n'y a rien pour toi ! Prends tes cliques et tes claques et sauve-toi !

Mais mon ventre grondant me dit de continuer à explorer et je décide de lui obéir. Après encore cinq minutes à tourner en rond, je trouve enfin ce que je cherchais dans ce satané magasin ! De simples féculents d'une marque humaine, mais j'ai le sentiment de découvrir un trésor ! Ledit « trésor » vaut bien son terme car l'article coûte cinq fois le prix d'origine. Après mûre réflexion – j'ai la nette impression de me faire pigeonner –, je décide de prendre mes pâtes de luxe, quitte à retourner mon porte-monnaie pour payer jusqu'au dernier centime.

Je me dirige vers la seule caisse disponible – toujours accompagnée de mon acolyte l'ours en peluche –, et, par miracle, un monstre caméléon s'y trouve, tapant à la machine pour faire je-ne-sais-quoi. Où était-il quand j'en avais le plus besoin ? Qu'importe, ce n'est pas le moment de se questionner. Je prends une petite respiration pour me détendre et décide de le rencontrer.

– Bonjour, soufflé-je, peu sûre de moi.

L'employé sursaute face à mon intrusion, puis se retourne aussi vivement qu'un caméléon peut se permettre. Un manque de réponse se fait, affaiblissant le peu de courage que j'ai pu garder jusqu'à maintenant.

Après un court silence qui me semble pourtant bien long à mon goût, il me dit enfin :

– Bonjour.

Au moins, il m'a répondu, contrairement à son collègue. En parlant du loup, il s'est posté près de la caisse et je commence à avoir des difficultés à supporter cette pression qu'il exerce continuellement sur moi. Qu'est-ce qu'il a à être comme ça ? Je n'ai rien volé, je n'ai absolument rien tenté.

Je ne fais qu'exister...

Tout en essayant de contenir une soudaine envie de pleurer, je dépose l'article et le caissier le scanne tout de suite. Il ne me regarde pas, il est plongé dans sa machine et moi, je prie pour sortir le plus vite possible.

Je mets du temps pour payer. Il faut dire que ce n'est pas facile de trouver les bonnes pièces quand on a les mains tremblantes et qu'on est sous surveillance permanente. Tout ceci devient humiliant et j'ai l'impression que, silencieusement, on me souligne la condition précaire que je suis.

Je donne au caissier la somme exacte, mais il ne la prend pas directement des mains. Un autre malaise se crée, plombant davantage cette atmosphère étouffante. Je dois déposer l'argent sur le comptoir pour qu'il l'accepte.

Cette situation est trop lourde à supporter et j'en ai plus qu'assez.

Je n'attends pas le ticket de caisse. Je saisis l'article, bafouille un « au revoir » avant de me précipiter vers la sortie. Au moment de passer la porte coulissante, j'ai cru entendre un grognement saccadé de la part de l'ours, comme s'il avait émis un gloussement. Ce comportement, cette façon de trouver de l'humour dans mon état, alourdit davantage mon cœur et je ne peux empêcher ma vision de se voiler de larmes.

Être à l'extérieur est comme une délivrance, un baume sur mon mal-être. Je m'arrête sur le trottoir et prends le temps de savourer une bouffée d'oxygène. J'ai besoin de me calmer, de m'éloigner psychologiquement de cette ambiance pesante que je viens d'affronter et de faire le vide en moi.

C'est vraiment une journée pourrie et on n'est que le matin ! Je voulais faire un effort, sortir de mon cocon et réaliser quelque chose qui brise mon quotidien et ce fut un échec. Jamais, ô grand jamais, je remettrais un pied dans ce magasin. Je ne sais pas si c'est le fait que je sois humaine, mais si les employés se comportent ainsi à chaque client, ils fermeront vite boutique.

Je n'ai qu'une envie : rentrer chez moi, oublier tout ça et me coucher...

– Hé, la petite !

Je n'ai pas besoin de savoir qui m'interpelle – tout en me soulignant au passage que jamais je ne dépasserais les un mètre soixante –, je sais à qui appartient cette voix. Je l'ai très peu entendu mais son timbre m'a laissé une marque sans que je le sache, jusqu'à tant que j'aie conscience que je peux le reconnaître entre mille.

Je relève la tête et regarde vers le café, où deux pupilles luisantes comme des perles sont fixées sur ma personne. Ash m'a remarqué, m'a parlé et je n'ai plus aucune excuse pour m'échapper désormais.

À mon plus grand désarroi.

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