Chapitre 15 : Un petit aperçu #1
Milly
L'arrivée au centre-ville était bien plus facile que ce que je pensais. Je n'ai croisé qu'une personne – un monstre étrange au long cou, doté d'un plumage vert émeraude – qui a changé de trottoir aussitôt qu'elle m'a vu. Sa démarche s'est accélérée et elle m'a parfaitement ignorée. Ça m'arrange grandement car mon cœur s'est emballé de crainte dès que je l'ai aperçu. Je n'aurais rien fait à cette dame si elle avait choisi de ne pas m'éviter – je pense que c'est une femme, vu sa longue robe orange vif et ses yeux de biche – mais croiser un inconnu dans la rue ne m'a jamais rassuré, en particulier lorsque ça concerne l'autre espèce. Je ne sais pas pourquoi je suis comme ça. C'est idiot de réagir ainsi face l'inconnu. Mais que faire quand c'est ma peur qui prend le contrôle de mon corps, sans que je ne puisse rien faire ?
Il faut dire que je ne fais aucun effort pour changer. Je ne fais plus rien et me laisse couler...
Je fais de même que cette dame et poursuis mon chemin.
Le quartier a quelque peu évolué comparé à mes souvenirs. Les rues sont bien plus propres, de grands bacs fleuris de tulipes aux teintes vives et joyeuses sont disposés aux abords des trottoirs, donnant un environnement printanier. Sur les devantures des magasins et sur certains lampadaires – ornés aussi de fleurs grimpantes plus flamboyantes les unes que les autres – sont accrochées des bannières de couleur indigo, brodées de fil d'or aux deux extrémités. Un majestueux blason est dessiné à leur centre, représentant un lion blanc à deux têtes à la gueule ouverte, pourvu de puissantes ailes déployées.
Ils sont sans doute fiers de leur origine mais ils n'ont pas à nous l'imposer ainsi...
Je suis mitigée face à ce constat. J'ai l'impression qu'une armée est venue dans notre ville et a envahi nos terres sans qu'on le sache. Une terrible pensée s'éveille en moi, alourdissant ma poitrine. Tout ceci est-il vrai ? Y a-t-il réellement une invasion, une démarche silencieuse de leur part, pour nous extirper de chez nous ? Est-ce que ces incessants avertissements, parfois vides de sens, ont une part de vérité que je ne voulais pas écouter ?
Je secoue la tête, chassant ce questionnement sans fin. Je réfléchis trop. Ce n'est pas parce qu'ils sont exubérants dans leur croyance qu'ils ont forcément une mauvaise intention. De plus, s'ils ont véritablement une arrière-pensée, nos autorités sont là pour imposer des limites et nous protéger, non ?
Mes inquiétudes sont tellement idiotes. Nous sommes en paix, rien de tout ça n'est réel... C'est juste des spéculations qui alimentent nos peurs et nous font douter sur tout et n'importe quoi.
Comme moi, comme cette dame oiseau... Nous avons tous cette crainte des choses que l'on ne saisit pas... Mais serais-je assez forte pour changer ? Non, la vraie question est : est-ce que je veux vraiment changer ?
J'arrive enfin près de l'épicerie et ce que je vois freine mon pas. Le café en face est étonnamment ouvert et quatre tables sont disposées dehors, dont une est occupée actuellement.
Jamais je n'aurais pensé le croiser ici.
Ash est là, assis devant un verre, en train de pianoter sur son téléphone d'un air indifférent. Je suis assez loin pour qu'il ne m'ait pas remarquée et je suis bien heureuse de ce fait. Si c'était le cas, je ne saurais pas quoi faire ni dire. Comment se comporter face à un squelette à l'air renfrogné qui juge silencieusement la déco de votre appart ? Une fois ça m'a suffi, je ne souhaite pas retenter l'expérience, même si j'ai pu lui décrocher un rire, mais ça c'est dû à la chance sans doute.
Zut, qu'est-ce qu'il fout là ? Il ne peut pas rester chez lui comme tout le monde !
Je peux encore faire demi-tour... mais je vais rentrer bredouille et je n'aurais rien à manger pour ce midi !
Respire, Milly, respire... Tu vas gérer ça, et les doigts dans le nez !
Alors, je fais quelque chose d'aussi courageux que de honteux ; je change subitement de trottoir. La tête baissée, mes cheveux servant de rempart à tout coup d'œil accidentel, j'accélère mon rythme. Je prie tous les dieux de la terre et du ciel pour qu'il ne me remarque pas. Par chance, tout se passe bien et j'entre directement dans l'épicerie.
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