Chapitre 11 : Une valeur cachée #2
Ash
– Had, ça va mal se finir, articulé-je d'une voix grondante. Ce n'était vraiment pas une bonne idée de copiner avec ce gars et surtout, de me le cacher. Tu ne le connais pas, tu...
– Il a toujours été très gentil avec moi et j'ai passé de supers moments avec lui. Il ne représente aucun danger, ou quoique ce soit que tu...
– Tu ne sais pas, Had ! coupé-je, virulent.
Mon explosion soudaine l'a surpris et il me dévisage d'un air incertain. Je tente de me calmer et de contenir les tremblements de mes mains qui sont bien cachées dans mes poches de blouson. Je ne dois pas laisser sortir la rage qui est en moi et surtout les mots que je pourrais regretter. Had est bien plus heureux quand il est laissé dans le flou, dans une illusion que le monde est bien plus beau que ce que la réalité nous impose, et ça restera ainsi, même s'il me tape sur les nerfs en ce moment.
Tu ne sais rien, Had. Tu ne sais foutrement rien.
Une fois le choc passé, il me regarde avec une telle douceur que mon ressentiment a failli se craqueler.
– Je sais que tu t'inquiètes pour moi, que tu fais ça pour mon bien. Tu as toujours été un super grand frère, même si tu as tes travers comme tout le monde. Tu t'occupes de moi depuis que maman est partie et que papa est... loin. Jamais je ne te remercierai assez de m'avoir élevé mais Ash, je ne suis plus un enfant. Je vais bientôt atteindre la majorité et je sais ce que je fais.
Ça, c'était un coup bas. Il sait très bien que je déteste que l'on parle de notre enfance et surtout, qu'il met un point d'honneur sur ce que l'on a traversé tous les deux. Ses souvenirs ont été bercés de merveilles, j'ai tout fait pour qu'il soit heureux, même si je devais être l'adulte alors que moi aussi, je n'étais qu'un gamin. Après tout, j'étais bien obligé d'endosser ce rôle quand les parents étaient aux abonnés absents.
Même si c'est de ma faute que maman nous a abandonnés...
Je refuse de le regarder plus longuement. Je tourne la tête pour observer le paysage qui se trouve devant moi. Un environnement gris dont la voirie laisse à désirer, un quartier délaissé où reposent des épaves qui servent encore de voitures. C'est une désolation, chargée de morosité, un contraste fulgurant avec ce coucher de soleil qui tente de mettre un panaché de couleurs chaudes dans ce milieu terne. Heureusement que le naturel embellit ce que les humains ont saccagé et transforme l'artificiel en majestueux.
Enfermé dans un mutisme qui m'est propre – un trait de caractère que j'aurais aimé ne pas avoir –, Had soupire silencieusement. Il est habitué à ce que je réagisse ainsi, c'est une façon pour moi de me protéger et d'éviter un sujet de conversation qui me dérange fortement. Il est tellement plus facile de s'isoler entre des murs de glace que d'affronter les choses qui fâchent.
Mon frère agrippe ma manche et ça me permet de revenir à lui, de croiser ses orbites si vides qui, pourtant, sont remplies de vie.
– Ash... Tout va bien se passer, je te le promets.
– Ne fais pas de promesse que tu ne peux pas tenir, dis-je plus dur que j'aurais voulu. Je savais que les humains t'attiraient mais pas à ce point. Ton fantasme va trop loin, petit frère. Que va dire la communauté ?
– Arrête de mettre la communauté là-dedans quand tu es à court d'arguments ! s'exclame-t-il en me lâchant le bras, une pointe d'agacement perçant son calme. Il n'y a aucune règle qui stipule qu'on n'a pas le droit d'être amis avec les humains.
– Non, juste d'être sur nos gardes.
– Ce n'est pas la même chose.
Je soupire lourdement devant la ténacité de mon frère. Rien ne pourra le faire changer d'avis, quels que soient mes dires. Malheureusement pour moi, je n'ai aucune preuve tangible sur mes convictions, je n'ai que de la suspicion qui tourmente mon âme.
Même si je voulais mettre de la volonté, je ne pourrais pas partager son optimisme. Je ne partage rien de bon en ce moment. Il y a toujours cette inquiétude qui ronge mon être et ce ressentiment, que j'éprouve quand je vois un humain, est bien tenace. Ces derniers sont la pire espèce qui soit et je ne leur fais pas confiance. Même après presque cent ans de paix, ils n'ont toujours pas prouvé leur valeur.
Au contraire, ils gardent le même visage, bien que certains tentent de maintenir un masque d'hypocrisie à notre encontre.
Comme cet humain qu'Had fréquente.
Je réessaie une dernière fois, même si c'est en vain :
– Je ne sais pas, je ne le sens pas ce type.
– Qu'est-ce que tu veux dire, Ash ?
Au moins, il a la décence de m'écouter et de vouloir comprendre mon inquiétude. Had a toujours été un bon frère – jusqu'à ce matin – et prête souvent une oreille attentive, même s'il gardera sa position.
– Ton Joachim. Je ne sais pas. Au premier regard, j'avais une affreuse envie de lui défoncer la mâchoire.
J'ai presque souri devant son visage déconfit, choqué par mes paroles outrageantes. C'est marrant qu'un rien puisse le bouleverser, surtout quand cela déroge à la politesse et à l'éthique qu'il suit scrupuleusement. Pour ma part, je m'en fiche. Je réagis selon la situation et je suis quelqu'un de nature. Ça peut en dérouter plus d'un – voire les blesser – mais franchement, ça ne m'empêche pas de bien dormir la nuit.
– J'espère que c'était une plaisanterie ! Tu ne feras rien, n'est-ce pas ? Je te l'ai dit, c'est quelqu'un de gentil ! La preuve, il t'a offert un café comme gage de paix.
Eh bien, bordel, c'est pas cher payé comme gage ! Et si ça ne tenait qu'à moi, je lui aurais fait bouffer son putain de café, la tasse avec !
– C'est plutôt sa copine qui l'a fait, rectifié-je, en m'installant plus confortablement sur le siège. Heureusement qu'elle est là pour accueillir les invités. Et pour quelqu'un de gentil, il a une drôle de façon de lui parler.
Had, comme à chaque fois que ça l'arrange, ne relève pas ce dernier point et préfère passer à autre chose :
– En parlant d'elle, la prochaine fois, porte des gants s'il te plaît.
Je cligne des paupières, surpris par sa demande.
– Pourquoi ?
– Parce qu'elle s'est attardée avant de te serrer la main. Elle était effrayée par ton apparence. Tu sais bien que notre présence les horrifie, en particulier nos mains.
Cette façon de vouloir se transformer pour paraître plus respectable aux yeux des autres m'irrite au plus haut point ! On accepte mon frère comme il l'est ou on ne l'accepte pas du tout !
– Pourquoi tu veux à tout prix changer pour te faire aimer d'eux ? lui demandé-je d'une voix tremblante d'amertume. Tu n'as pas à te cacher pour leur plaire, tu es très bien comme tu es !
– Si tu les voyais comment moi je les vois, tu comprendrais, répond-il faiblement.
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