La fille de Trianon
Les montures s'arrêtèrent en entendant le coché beugler : "Ho là!". Comme à son ordinaire, plongée dans ses pensées, Louisia ne faisait pas attention et tomba de la banquette. Par pur politesse, Alexandre lui tendit la main pour l'aider à se relever. Il se retint difficilement de rire et se contenta d'esquisser un sourire moqueur. Les quelques fois où il avait pris la route avec Mlle de Vibraye, cette même scène se répétait systématiquement.
-Décidément! A quoi pensiez-vous donc? demanda Alexandre qui savait pertinemment que son amie lui mentirait en répondant à cette question
-Merci! Euh...à rien de spécial. fit distraitement la brune
-Bon! A présent nous allons devoir entrer dans Trianon. Cela ne devrait pas être difficile!
-Ah! Détrompez-vous, les gardes ne laissent passer que les domestiques et les invités de la reine qui possèdent son jeton...
-...et nous ne sommes ni des domestiques, ni des invités de sa Majesté. dit le jeune homme, découragé
Malgré tout, ils sortirent du fiacre, donnèrent au chauffeur son du puis se dirigèrent vers l'entrée du jardin de Trianon. Les deux gardes suisses postés juste devant l'entrée ne les laisseraient jamais entrer! Puis une idée folle fit irruption dans l'esprit de Louisia. Elle retint Alexandre d'avancer puis lui susurra à l'oreille:
-J'ai une idée: vous direz aux gardes qu'une certaine Mlle Lessange aurait été invitée par la reine car c'est votre sœur etc... enfin vous saurez bien inventer! Pendant ce temps là, j'escaladerais le grillage et m'introduirais discrètement dans le jardin français, à côté du château.
-Quoi?! Mais vous êtes folle! lança le jeune homme, On va vous voir!
-Pas si vous faites correctement diversion! fit la jolie Louisia en se rapprochant du grillage, Allez-y! Maintenant!
"Mais que me fait-elle faire?!" se demanda Alexandre qui craignait de finir ses jours à la Bastille. Mais aucun autre plan n'était envisageable et Alexandre se résigna suivre le plan. Furtivement, il jeta un coup d'œil à Louisia qui attendait qu'il capte l'attention des gardes pour qu'elle puisse franchir la barrière. Il prit alors un air impérial puis aborda les deux gardes:
-Excusez-moi messieurs mais je recherche ma jeune sœur. Je suis certain qu'elle est ici car elle s'est faîte invitée par la reine. Mlle Lessange, voyez-vous? demanda-t-il d'un ton aristocrate très juste.
Alors qu'Alexandre faisait son numéro, Louisia commença à escalader la grille. Elle semblait près du but, sa jambe gauche déjà de l'autre côté. Délibérément, elle passa l'autre jambe au-dessus du pic de la barrière. Enfin elle put poser ses pieds sur l'herbe fraîche mais soudain..."Sckrrrritch!" "Quel était ce bruit?!" s'interrogea la jeune fille. Elle n'eut même pas le temps de regarder qu'elle avait compris: la jupe de sa robe était déchirée. En effet, quand elle vérifia, elle constata avec horreur qu'à travers la fente on pouvait apercevoir jusqu'à son genou. Proprement indécent! "Pas le temps de cacher ça!" s'enquit-elle en se rappelant sa mission. D'un signe de la main, elle fit comprendre à son coéquipier qu'elle se trouvait dans le jardin. Ce dernier répondit par un clin d'œil discret.
-Monsieur! Cessez tout de suite! Nous pouvons vous assurez que votre sœur ne se trouve pas ici. s'énerva l'un des gardes qui perdait patience
-Mais je vous le répète: elle est avec la reine! Alors laissez-moi entrer ou allez la chercher! protesta Alexandre
-Bien...mon collègue et moi nous souvenons parfaitement des gens qui entrent et sortent de Trianon. Alors décrivez-nous votre sœur et nous vous dirons si elle est passée.
-Parfait. Elle a une chevelure brune remontée en chignon et des iris bleus saphir. Aujourd'hui, elle porte une anglaise bleu aux motifs fleuris gris et rose. Elle est plutôt grande pour une femme et fine. Cela vous convient-il ou dois-je en rajouter?
-Non, monsieur...c'est assez pour conclure qu'elle n'est JAMAIS entrée à Trianon.
-Ah! La voilà donc! s'exclama Alexandre en désignant Louisia du doigt
Les deux gardes se regardèrent, interloqués. Alors l'homme disait vrai?
-Mademoiselle Lessange?!l'interpellèrent les gardes en chœur
Louisia mit quelques secondes avant de saisir que c'était à elle que l'on s'adressait. Elle prit soudain peur. Qu'est-ce que les gardes pouvaient bien lui vouloir? Elle s'avança vers eux en arborant un sourire crispé et en cachant la déchirure de sa robe.
-Ouiii? fit elle d'un ton comique
-Cet homme est-il bien votre frère? la questionna un des gardes
-Oui, c'est mon frère aîné. Mais que fais-tu là Augustin? improvisa Louisia
-Je t'ai cherchée partout!
-Excuse-moi mon cher frère, je te croyait au courant! Dites-moi, messieurs, laisserez-vous passer mon frère s'il vous plait ?
-Hum...bon et bien...soit, oui! Mais c'est exceptionnel!
Louisia esquissa un large sourire en guise de remerciement puis saisit le bras d'Alexandre et l'entraîna dans les jardins de Trianon. Elle sautillait sur place en rigolant:
-Nous avons réussi!! Alexandre, nous avons réussi, nous sommes à Trianon! Jamais je n'aurais cru y mettre un jour les pieds.
-Nous pouvons nous féliciter! J'avoue que je doutais de mes talents de comédien mais tout compte fait je pense que je m'avère assez doué... rit-il à son tour
-Je regrette juste d'avoir abîmé une aussi belle robe...Mme la duchesse va m'étriper! déchanta la jeune fille en montrant à son ami les dégâts
-Ah. Enfin, ce n'est pas déplaisant de voir votre belle jambe! Cela aurait peut-être suffit à nous faire rentrer... plaisanta Alexandre en regardant cette dernière
-Goujat! Vous me croyez donc capable d'imiter une courtisane pour notre mission! J'ai beau être déterminée jamais je n'irais jusque là! s'offusqua Louisia en donnant une tape sur l'épaule du jeune homme
Alexandre allait répliquer mais en apercevant un groupe de courtisans s'approcher, donna un coup de coude à Louisia.
-Quoi? répondit-elle avec hargne
-Là-bas! Regardez, des courtisans!
Louisia plissa les yeux pour mieux voir puis sursauta.
-Diantre! C'est bien plus que des courtisans, ce sont la reine et ses amis!
La reine? En effet, Alexandre voyait une femme en tête du groupe. Mais elle n'avait rien d'une reine: élancée, blonde, le menton un peu grassouillet, la peau pâle, et vêtue d'une simple robe en gaulle.
-Alors allons nous cacher derrière les buissons! proposa-t-il
-Non, venez! ordonna la jolie brune en se dirigeant vers un petit édifice décoré de deux colonnes de style romain.
-Qu'est-ce? demanda Alexandre, intrigué
-Le théâtre de la reine. Elle aime beaucoup jouer avec sa troupe.
-Que voulez-vous que nous fassions ici?
-On trouvera surement un déguisement de soubrette et de domestique ici.
-Nous verrons bien...
Le portail du théâtre de la reine se dressait devant eux. Et il était fermé... Tant pis! Alexandre sauta par-dessus après avoir pris son élan. Ensuite de l'autre côté, il aida Louisia en la saisissant à la taille. Cette fois sa robe ne se déchira pas !
Ils pénétrèrent dans les lieux. Les murs étaient tapissés de papier peint bleu et le bois était peint de doré. Des deux côtés de la pièce se trouvaient des banquettes en velours bleu assorties aux murs. Devant la scène se trouvait une estrade de marbre, un marbre qu'on ne trouve qu'à Carrare. Et juste au-dessus étaient inscrits dans de l'or les sceaux de Marie-Antoinette. Les deux coéquipiers montèrent sur scène puis entrèrent dans les coulisses avec la plus grande discrétion.
-Quelle aubaine! Il n'y a pas âme qui vive ici. s'exclama Alexandre
-Tenez! Voilà une malle, c'est surement ici que sont rangés les costumes. lui dit Louisia
-Ici? Dans une vulgaire malle? fit le jeune homme qui s'imaginait plutôt une grande garde-robe pour la royale comédienne qu'était Marie-Antoinette!
Louisia leva les yeux au ciel avec consternation avant de se diriger vers la malle pour l'ouvrir. A son plus grand contentement, celle-ci était ouverte. Parmi tous les costumes elle trouva des déguisement de fleurs, de bergères, de soubrettes et de valets. Alexandre en saisit un puis dit:
-Cela me semble plutôt adapté, non?
-Hum...oui, ça devrait faire l'affaire! Pour ma part je vais prendre ce simple déguisement de soubrette.
Les deux "espions" partirent se changer. Alexandre se dissimula derrière le rideau tandis que Louisia se permit d'utiliser le paravent. A peine une minute plus tard, tous deux étaient déguisés et en apercevant son coéquipier sortir de sa cachette, la jolie brune se mit à rire. Le déguisement de valet était, disons...un peu court!
-Très amusant, Louisia! Allez-y, je vous en prie continuez donc à vous moquer de moi! fit Alexandre, quelque peu blessé dans son honneur
-Ce n'est pas de vous que je me moque, c'est de votre accoutrement! le reprit-elle entre deux ricanement
Il lui adressa un sourire faux avant d'arborer à nouveau son air mauvais.
-Bon, et si nous essayions de la retrouver cette fameuse fille de Trianon! lança Louisia
-Si elle a un jeton c'est sûrement parce qu'elle sert la reine, non? supposa Alexandre
-Assurément...A cette heure elle doit suivre la reine à la ferme du hameau ou au belvédère.
-Si vous le dîtes! Je vous suis.
Ils s'échappèrent discrètement du théâtre de Marie-Antoinette de la même manière dont ils étaient entrés auparavant. Après ça, ils tentèrent de se repérer dans Trianon. Soudain une idée germa dans l'esprit d'Alexandre.
-Et si nous nous séparions? Je veux dire, vous pourriez chercher du côté du belvédère et moi de la ferme du hameau? suggéra le jeune homme
-Pourquoi pas...mais saurez-vous trouver votre chemin? Trianon est très grand! fit sa coéquipière
-Ne vous inquiétez pas une seconde pour moi! A présent, partons!
Louisia hocha la tête en guise d'approbation avant de décamper. Quant à Alexandre, il se débrouilla pour trouver quel chemin emprunter. Il marcha de longues minutes, entouré de verdure et de courtisans. A plusieurs reprises on lui demanda ce qu'il faisait là à se balader. Et à chaque fois, le détective raconta des versions différentes. Il longea un grand étang puis su qu'il était arrivé à destination en reconnaissant un moulin et ce qui semblait être un village miniature. On y voyait des chèvres, des vaches, des cochons et d'autres animaux de la ferme. Cette petite ferme réchauffa le cœur d'Alexandre car elle lui rappelait celles que l'on pouvait voir à Chaumont. Près de la laiterie, se trouvait la reine et sa petite cour personnelle. Parmi cette cour il y avait principalement des femmes et quelques hommes. Le jeune homme y chercha le visage de leur suspecte. Il finit par la trouver. Elle était particulièrement jolie: de beaux cheveux châtains clairs, des yeux sombres, des lèvres pulpeuses, un long cou et une taille fine. Alexandre dut reconnaître qu'il serait bien dommage que ce soit elle la coupable. Alors qu'il était plongé dans les beaux iris de la demoiselle, il reçut un caillou sur le crâne.
-Aïe! Mais enfin! jura-t-il avant de se retourner en ne voyant qu'une soubrette...mais pas n'importe laquelle!
C'était Louisia! Alexandre se demanda et se redemanda inlassablement ce qu'elle faisait ici. Avec maintes précautions, la jolie brune le rejoignit avant de lui souffler:
-Il n'y avait personne au Belvédère! Je m'en suis bien doutée alors j'ai vite changé de direction. Alors? L'avez-vous trouvée? lui demanda-t-elle
-Oui, regardez devant vous. répondit-il, grognon
En regardant attentivement la jeune fille, son visage lui parut soudain très familier. Elle était persuadée de l'avoir déjà croisée quelque part. Elle réalisa enfin:
-Bon dieu! Ça y est, je me souviens! J'ai déjà vu cette fille, elle était derrière moi lorsque que je me rendais chez Rose Bertin.
-Vraiment?? Etes-vous sûre de vous?
-Oui! Et cela voudrait dire que c'est elle qui cherche à me tuer depuis le début! Pour Charlotte, c'était elle, de même pour la duchesse, aussi au grand Mogol et j'en passe!
Alexandre baissa les yeux. Et dire qu'il avait prier pour que celle qui veuille assassiner son amie ne le soit pas! Son cœur se brisa...lui qui avait eu un coup de foudre pour elle. Alors qu'il se morfondait, la reine passa devant eux avec ses courtisans dont la jeune demoiselle. Elle regarda Alexandre avec tant d'insistance que celui-ci ne put s'empêcher de l'aborder. Ahurie, Louisia se demanda ce que cet imbécile faisait.
-Pardon de vous dérangée mademoiselle, je voulais savoir si vous pouviez faire à moi et ma...sœur une visite de Trianon?
La jouvencelle haussa les sourcils, intriguée par ce valet séduisant.
-Eh bien j'en aurais été ravie mais voyez, vous êtes valet et votre sœur soubrette...Je suis une jeune femme bien élevée et ce n'est pas approprié à mon rang de servir le guide aux nouveaux domestiques. Navrée...
Louisia soupira d'agacement avant de se dire "je crois que je vais devoir nous sortir ce là...encore!" Puis s'approcha:
-Haha! En fait c'est un déguisement du théâtre de la reine. Je ne suis pas une domestique et mon...frère n'est pas du tout valet. Nous voulions juste passer inaperçu!
-Mais bien sûr, je reconnais ces déguisements! Eh bien je me présente: Maud Desmoulins! A qui ai-je affaire?
-Alexandre de...Vibraye, enchanté de vous rencontrer!
A la mention de son nom de famille, le sourire de Louisia se figea. "Quel idiot!" pensa-t-elle, "Quelle idée d'utiliser mon nom pour s'adresser à mon assaillante!". Malgré sa panique, Louisia n'en laissa rien paraître et répondit:
-Louisia de Vibraye, ravie.
-De Vibraye... répéta la jeune femme
-Oui c'est ça. fit Louisia avec méfiance. Bon, il se fait tard, je vais rentrer. A plus tard Alexandre. Mademoiselle Maud...Au revoir.
Elle tourna les talons avant même que les deux jeunes gens aient pu lui répondre. La jolie brune s'apprêtait à sortir de Trianon, les deux gardes la saisirent par les bras sans qu'elle puisse comprendre.
-Eh! Qu'est-ce que vous faîtes?! Lâchez moi! les attaqua-t-elle
Un coup de poing atterrit sur son visage, la faisant sombrer dans un sommeil profond...
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