Chapitre 21 - L'exécution [2/2]
Il se réveilla plusieurs heures plus tard, le dos tellement douloureux qu'il ne pouvait pas effectuer le moindre mouvement mais il n'avait rien dit, il avait résisté et Yhrice était toujours en sécurité. C'était tout ce qui importait, la seule chose qui comptait.
Son état physique était très secondaire. Il avait été soigné durant son inconscience et de larges bandages recouvraient ses plaies. Un traitement de faveur lorsqu'on savait que ceux qui subissaient habituellement ce genre d'entretiens étaient normalement jetés dans leur cellule avec tous les risques d'infection.
D'ailleurs, il ne croupissait pas dans une des cellules crasseuses des sous-sols mais dans un petit bureau qui possédait un divan peu confortable sur lequel il gisait.
Allongé sur le ventre avec l'esprit embué de douleur, il admirait la force et le courage des jumelles qu'il avait vu debout, combatives et fortes alors que les choses avaient été bien pires pour elles deux.
Des inquisiteurs revinrent l'interroger sur ce qu'il savait sur Yhrice mais il continua à se taire, sa semi-conscience l'aidant à respecter sa décision.
Il ne sut combien de temps s'écoula exactement mais il ne croyait pas que ça avait été très long.
Même pas tout à fait remis, il fut déplacé. Attaché à l'arrière d'un cheval et, encadré de plusieurs inquisiteurs, il fut forcé à avancer jusqu'à Hawel. Cette marche forcée et impitoyable faillit le tuer. Ses pieds saignaient dans ses chaussures et ses muscles le tiraillaient affreusement sans parler de son dos lacéré qui continuait à le faire souffrir. L'épuisement était tel qu'il ne parvenait plus à penser alors il se contentait d'avancer par réflexe, mécaniquement. Encore une fois, il ne tint que grâce à l'image de Yhrice dans son esprit.
Une fois à Hawel, il fut de nouveau enfermé, encore dans un bureau. Plus spacieux que le premier, il y avait un canapé faisant face à deux fauteuils en plus de l'ameublement ordinaire.
Ici, Allonn risquait de croiser d'anciens camarades qu'il connaissait, qu'il avait fréquentés, sur qui il avait compté, mais il était tellement mal en point qu'il n'y pensa pas vraiment et s'écroula sur le divan, éreinté, épuisé, brisé. Il ne put s'endormir réellement à cause de la douleur qui le tourmentait.
Bien qu'il n'ait subi qu'une seule séance de questionnements au fouet, la longue marche et les efforts qu'il avait dû fournir durant celle-ci avaient rouverts ses plaies qui, faute de soins, peinaient à cicatriser et manifestaient même des signes d'infection.
À cela s'ajoutait l'angoisse, plus pernicieuse. L'angoisse d'ignorer ce qui l'attendait, quel serait son sort. D'après les quelques paroles qu'il avait captées à travers sa fatigue et sa souffrance, les hautes autorités de l'inquisition avaient statué sur sa punition mais il n'avait pas réussi à en apprendre davantage.
L'autre angoisse qu'il ressentait était à l'égard de Yhrice car, même si il était parvenu à la protéger en se taisant, il doutait que l'inquisition ait abandonné les recherches et il se posait de nombreuses interrogations et s'inquiétait.
Où était-elle ? Comment allait-elle ? Était-elle en sécurité ? Avait-elle de quoi se nourrir ? Savait-elle ce qu'il lui était arrivé ? Réussirait-elle à tenir et à fuir ?
Il espérait que la majorité des questions avaient un oui pour réponse.Tout ce qu'il désirait était qu'elle aille bien, quelque part où elle serait protégée et en bonne santé. Il s'était raccroché à l'idée qu'il l'avait sauvé et qu'il lui avait permis d'échapper à l'inquisition mais, si ce n'était pas le cas, il ne lui restait plus grand chose pour l'empêcher de sombrer.
Il remua sur le divan, grimaçant à cause des ondes de douleur que le léger mouvement envoya dans l'intégralité de son corps et enfonçant sa joue contre le coussin sur lequel sa tête reposait.
Stagnant toujours entre la conscience et l'inconscience, il avait cru entendre quelque chose qui l'avait tiré de sa pesante somnolence. Il se redressa avec un grognement de douleur, les dents serrées et tenta de se lever.
Y allant par étape, il commença par pivoter en position assise en posant les pieds à terre et, s'aidant de ses deux mains sur le divan, il se mit debout. Il vacilla, la tête lui tournant et sa vision se brouillant, puis il retomba lourdement sur les coussins.Durant plusieurs secondes, il eut la sensation de flotter et il crut retomber dans l'inconscience mais la porte qui s'ouvrit sur sa gauche le ramena à la réalité et l'aida à rester éveillée.
Il termina de revenir totalement à lui lorsqu'une personne se rua dans la pièce pour se précipiter vers lui en criant son nom d'une voix aiguë et larmoyante.
Allonn écarquilla les yeux, encore sonné, et ne s'attendant pas à voir sa mère. Ne pensant qu'à la sécurité de Yhrice et emporté par tous les derniers événements, il n'avait plus vraiment songé à ses parents jusqu'à maintenant.
Il passa ses bras dans le dos de Lycianne, sa mère, qui pleurait contre lui. Il grimaça lorsqu'elle l'enlaça à son tour, posant ses mains sur ses blessures, mais il ne dit rien. Il ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait, étourdi par la douleur et l'épuisement, mais il saisit lorsque, en relevant les yeux, il vit Sden, son père, accompagné de son ancien supérieur.
Ce dernier semblait déçu et en colère. À l'inverse de son père dans le regard de qui l'incompréhension dominait même si son visage restait neutre. La seule expression qu'Allonn avait jamais vu transformer ce masque de force et de sang-froid était les sourires lumineux qu'il leur adressait souvent, à lui et à sa mère.
Il reporta son attention sur cette dernière, serrée contre lui.
Il tenait d'elle sa peau hâlée et le mordoré de ses yeux mais il n'avait pas hérité de sa chevelure rousse qu'elle portait courte. Étrangement, elle lui semblait avoir vieilli de plusieurs années alors qu'il l'avait vue il y avait seulement quelques mois, pleine de joie et de vie comme à son habitude.
« Ne vous apitoyez pas trop, il n'a que ce qu'il mérite. Lança l'ancien supérieur d'Allonn.
- Comment osez-vous ? Siffla Sden. Ne voyez-vous pas l'état dans lequel est ma femme ? Vous vous sentez obligé d'en rajouter ? Sortez ! Laissez-nous avec notre fils !
L'inquisiteur obéit. Il adressa un regard de mépris à Allonn, qui s'en moqua, puis sortit en laissant tout de même la porte entrouverte derrière lui, au cas où.
Allonn était très surpris de la réaction de son père. Il ne n'aurait pas pensé qu'il le défende et chasse son ex-supérieur de la sorte.
Ne croyait-il donc pas les propos de l'inquisition ? Pourtant, il en faisait partie, comme toute leur lignée. La chasse aux sorcières était une affaire de famille chez les Quarelle. D'ailleurs, Sden portait l'uniforme : la tunique bleu persan sous la cuirasse cloutée des quatorze cercles dorés.
Soudainement, une question vint à l'esprit d'Allonn, repoussant son angoisse, ses autres interrogations et sa douleur.
Son père était-il au courant de ce qui se pratiquait dans le secret des sous-sols des postes aux bannières bleues ? Le savait-il et avait-il choisi de fermer les yeux sur ces atrocités ? Y aurait-il participé ?
Subitement, Allonn avait une toute autre vision de son père, qu'il avait toujours respecté et admiré pour sa bravoure et sa force. Il avait besoin d'avoir une réponse, de savoir si son père était bien celui qu'il croyait ou une toute autre personne.
Repoussant délicatement sa mère, qui sanglotait en silence, effondrée, le jeune homme se leva du divan, toujours légèrement incertain sur ses jambes et, faisant face à son père avec un regard dur, il lui demanda d'un ton froid et tranchant :
- Le saviez-vous ?
- Quoi ? De quoi parles-tu, Allonn ?
- Les méthodes que notre "sainte organisation" tait. On peut le comprendre. Enfermer et torturer des personnes, parfois innocentes, il n'y a pas de quoi être fier !
- Mais enfin ! Tu crois vraiment que c'est le moment ?
- Le moment de savoir si mon père est un meurtrier, un assassin, un tortionnaire, un psychopathe ? Oui, ça l'est !
- Allonn, tu divagues complètement ! Sanglota Lycianne. Ce doit être le choc, mon pauvre petit.
- Quel choc ? S'étonna Allonn.
- Celui de toute cette histoire, évidemment ! Tu es totalement bouleversé, mon chéri ! Qui aurait cru que Yhrice t'avait menti ?
- Les sorcières sont ainsi. Manipulatrices, perfides et pernicieuses. Expliqua Sden.
- Je vous interdis de parler de Yhrice comme ça ! Vous n'avez pas le droit !
- Allonn, regarde la réalité en face. C'est une sorcière et toi, tu es un inquisiteur, les choses sont simples. Il faut que tu dises ce que tu sais sur elle, c'est ta dernière chance. Ta seule pour peut-être faire changer la décision de nos supérieurs.
- Vos supérieurs, plus les miens et je n'ai que faire de leur décision !
- Allonn, tu ne comprends pas ! Tu as été condamné à mort ! Ils veulent faire un exemple de toi !
Eclata Lycianne alors que ses larmes redoublaient. Elle se prit la tête dans les mains, les épaules secouées de sanglots déchirants et douloureux.
Elle souffrait terriblement et atrocement. Son fils unique, qu'elle aimait profondément, comme une mère aimait son enfant, avait été condamné à mort et il ne semblait pas faire quoi que ce soit pour tenter d'échapper à ce sort. Elle ne pouvait pas exprimer tout ce qu'elle ressentait.
Toujours debout face à son père, qui avait détourné le regard, ne pouvant pas regarder son fils car lui aussi souffrait à la limite du supportable, bien qu'il le montrait différemment de son épouse, Allonn accusa le coup. Les yeux écarquillés, et figé au centre de la pièce, il était ébahi, stupéfait, choqué.
La peine de mort...
C'était prévisible, en effet, mais il ne croyait pas que les dirigeants de l'inquisition iraient aussi loin. Ils souhaitaient faire un exemple et dissuader toute autre personne de protéger les ennemis du Bien, ou plutôt ceux que l'inquisition déclarait ennemis pour ne pas avoir à trop réfléchir.
Il allait mourir. C'était une idée difficile à accepter et à concevoir. Personne n'était réellement préparé à se faire annoncer sa mort et surtout pas de cette façon, tué en place publique comme un vulgaire criminel.
Personne ne saurait ce qu'il avait fait, sa révolte contre un système odieux ni tout l'amour qu'il éprouvait pour Yhrice. Pour le monde entier, elle ne serait jamais qu'une sorcière s'étant détourné des dieux pour les démons et, lui, un inquisiteur qui avait trahi sa foi. Personne ne connaîtrait jamais la passion qui les avait unis ni les épreuves qu'ils avaient dû traverser.
Il venait de recevoir l'information comme une violente gifle en plein visage. Il allait mourir.
Les jambes tremblantes à cause du choc qui venait de s'abattre sur ses épaules, il se laissa lourdement tomber sur le divan à côté de sa mère, qui pleurait toujours plus, bouleversée par la réaction de son fils. Espérant le réconforter comme lorsqu'il faisait des cauchemars enfant, elle l'enlaça tendrement. Trop hébété, il ne lui rendit pas son étreinte.
Il avait été condamné à mort par l'organisation en qui il avait placé toute sa confiance, il ignorait si son père était toujours cet homme exceptionnel qui chassait les monstres cachés sous son lit et il ne reverrait jamais Yhrice. L'idée faisant peu à peu son chemin dans son esprit, il commença lentement à l'accepter.
Il referma la main sur l'avant-bras de sa mère et le serra affectueusement puis, relevant le regard sur son père, qu'il ne savait plus comment regarder, il demanda d'une voix tremblante, la gorge nouée :
- Dans combien de temps ?
- Quoi, Allonn ?
- À quand l'exécution a t-elle été fixée ?
- (Lycianne sanglota). Tu ne seras pas exécuté, Allonn ! S'écria Sden. Tu ne le seras pas car tu vas dire tout ce que tu sais et nos supérieurs vont revoir leur décision et annuleront cette condamnation !
- Je n'ai rien à dire ! Rien du tout !
- Allonn, ne te rends-tu pas compte de la situation dans laquelle tu te trouves ?
- Si...si je le sais et je suis mort de peur mais, dans quelques temps, je serais mort tout court alors...
- Ce n'est pas drôle, Allonn.
- Je le sais aussi, Maman, mais comment veux-tu que je réagisse ? J'ai très peur et mon sort est déjà scellé de toute manière.
- Allonn... Pleura Lycianne.
- Tu dois leur dire, fils. Murmura Sden, la gorge nouée.
- Rien de ce que je pourrais leur révéler ne changera ma situation, c'est trop tard et je préfère mourir de toute façon. Alors, quand vais-je mourir ?
- Demain, répondit Sden. Ils ont refusé que l'on te voit avant.
- Demain...
Répéta Allonn, la bouche sèche et les membres toujours tremblants.
Demain, sa vie prendrait fin. Ça arrivait trop tôt, il était trop jeune et c'était trop injuste mais c'était aussi la peine à payer pour protéger Yhrice.
Il aurait tout de même voulu avoir plus de temps, lui dire à quel point il l'aimait, accorder un peu de temps à ses parents, juste avoir plus de temps. On en voulait toujours lorsque le moment arrivait et on emportait finalement que des regrets avec soi.
Demain, tout serait terminé. Terminé après vingt-trois ans. Vingt-trois ans pour rien, vingt-trois ans inutiles. Tout serait fini demain.
Demain. Ce mot résonnait et se répétait dans son esprit au rythme de sa peur. Demain...
Il enlaça sa mère, cherchant à se rassurer et à se préparer à ce qui l'attendait.
Sden vint les rejoindre sur le divan et les étreignit tous les deux.
- Je suis désolé. » Murmura Allonn.
Comme c'était prévisible, le lendemain arriva rapidement, trop rapidement.
Allonn eut droit à des soins pour son dos, un repas copieux, une journée de condamné. En revanche, il n'avait pas eu la permission de revoir ses parents.
Toujours enfermé dans le même bureau depuis son arrivée à Hawel, il était posté à la fenêtre depuis son réveil. Depuis son poste d'observation, il voyait la place devant le poste de l'inquisition et elle ne cessait de se remplir, grouillant et noircissant de monde.
La nouvelle de l'exécution d'un inquisiteur avait fait grand bruit et tout le monde se pressait pour assister à cela. Tout ce monde se réunissait pour le voir mourir.
Mourir...c'était ce qui l'attendait.
Seul dans cette pièce avec son angoisse pour seule compagnie, même le silence résonnait de sa peur. Il en arrivait à avoir hâte que l'heure arrive et qu'il soit délivré. L'attente de son sort était presque pire.
Heureusement, pour ainsi dire, quelqu'un ne tarda pas à venir la chercher. Il ne protesta pas lorsqu'il referma les menottes autour de ses poignets et il le suivit, la tête basse.
Cependant, il la redressa lorsqu'ils sortirent sur la place et que les regards convergèrent sur lui. Comme lorsqu'il se faisait fouetter, il visualisa le visage de Yhrice dans son esprit et invoqua toute sa volonté. Aujourd'hui encore plus que les autres jours, il ne lui restait plus que sa dignité.
Ce fut donc la tête haute mais le cœur tambourinant de peur qu'il fendit la foule jusqu'à l'échafaud dressé pour l'occasion. Au moins, il ne terminerait pas sur le bûcher.
Le regard fier d'un animal indomptable, il gravit les marches, les jambes menaçant de céder sous son poids. Il sentait son cœur tenter de s'échapper de sa poitrine alors que le bourreau passait la corde rugueuse autour de son cou. Sa respiration et son rythme cardiaque s'emballèrent. C'était la fin.
Baissant les yeux pour éviter que les spectateurs ne voient ses larmes briller, il vit ses parents se soutenant l'un l'autre au premier rang. Il leur adressa un regard désolé puis reporta son attention un peu plus loin, ne supportant pas cette vision.
Ce fut alors qu'il aperçut une silhouette qu'il reconnaissait toujours et qui tentait de se frayer un chemin.
Non !
Il ne voulait pas qu'elle assiste à cela, elle en serait détruite. C'était bien la dernière chose qu'il souhaitait. Sans compter qu'elle était en danger ici.
Il croisa le regard brun chocolat de Yhrice et y planta le sien puis le bourreau actionna la trappe dans laquelle Allonn chuta. Il agita les jambes, et ouvrit la bouche, cherchant de l'oxygène, qu'il ne trouva pas.
Rapidement, tous ses sens se brouillèrent. Sa vue devint floue, il entendit les sons ambiants comme à travers un mur épais puis plus rien. L'obscurité et le silence totales. Le noir puis une lumière éclatante.
Il ne vit pas Yhrice s'écrouler en hurlant.
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