Chapitre 4 - Le Portrait
Une nuit tranquille et normale sur l'Oiseau des vagues : l'équipage dormait, bercé par le rythme lent du tangage de la houle, Vanilesse montait la garde, Frand cuvait et Krélia cauchemardait.
Elle se redressa subitement en retenant un hurlement.
Ça recommençait, encore. Comme c'était la troisième fois que cela se produisait depuis son embarquement, elle savait gérer à présent.
Elle enfonça profondément les dents dans ses lèvres pour s'empêcher à tout prix d'ouvrir la bouche et se leva précipitamment, s'écroulant à moitié en quittant son hamac, puis elle se rua sur le pont, veillant à rester discrète malgré son empressement. Elle n'avait pas besoin que quelqu'un le surprenne et l'interroge. C'était déjà suffisamment compliqué et, elle, assez suspecte aux yeux de certains sans en rajouter.
L'air frais de la nuit l'accueillit dans ses bras intangibles qui ne la soulagèrent ni ne la réconfortèrent.
Elle alla se placer sur le gaillard d'avant, là où le bastingage des deux côtés se rejoignaient en un triangle. Elle s'assit, les jambes étendues devant elle et s'empara de son coupe-papier en argent. Avec des gestes qui devenaient coutumiers et automatiques pour elle, Krélia remonta sa manche gauche et ajouta une nouvelle entaille aux sept mutilant déjà son bras.
La voix s'estompa dans son esprit.
Elle pencha la tête en arrière, l'appuyant contre le bastingage en échappant un soupir de soulagement qui se mélangeait à un sanglot. Ce combat régulier commençait à l'épuiser et à peser lourdement sur ses épaules mais il n'était pas question qu'elle se rende. Les conséquences seraient trop graves pour qu'elle se le permette.
Laissant les filets de sang couler librement le long de son bras et rougir sa peau pâle, elle enveloppa soigneusement le coupe-papier dans son étuis de tissus, en prenant garde à ne surtout pas ne serait-ce que frôler la lame de ses doigts, puis elle le dissimula à nouveau à sa ceinture.
Elle releva davantage sa manche pour éviter que le blanc ne s'imbibe de sang, ce qui ne serait pas des plus discret, puis elle demeura sans bouger, attendant que le vent sèche son visage en sueur et que les battements de son cœur s'apaisent. Elle savourait également le silence régnant dans son esprit.
Un silence agréable qui ne durerait que quelques heures. Que ce soit des ordres aux auxquels elle peinait à résister ou des échos d'une mémoire morte, quelque chose le romprait et elle serait forcée de se mutiler de nouveau.
Cela faisait dix jours qu'elle s'était enfui de Kiney et elle n'avait déjà presque plus de place sur son avant-bras qui, au furet à mesure que les blessures se multipliaient, bleuissait en une étrange teinte inquiétante.
Se sentant mieux et les tremblements de ses jambes ayant cessé, Krélia se releva, en s'aidant tout de même du bastingage, et elle regagna le faux-pont, encore légèrement chancelante et veillant à ce que sa manche ne retombe pas sur les traces vermeilles.
Sans un bruit, elle retourna à son hamac mais ne s'y installa pas. Aussi discrètement que possible, elle déchira un morceau de sa couverture et s'en servit pour essuyer le sang sur son bras. Une grimace déforma son visage, toucher ses plaies envoyant des ondes de douleur dans tout son membre. Elle dissimula le chiffon ensanglanté dans un coin de la pièce en se disant qu'elle s'en débarrasserait plus tard lorsque l'occasion se présenterait.
Pour le moment, elle souhaitait simplement se reposer un peu. Surmonter cette épreuve régulière l'éprouvait.
Cependant, elle n'eut pas le temps de se recoucher. Quelque chose attira son oreille.
Elle se tourna vers les escaliers donnant accès à la cale dans lesquels résonnaient des pas précipités claquant sur le bois.
Un grognement fit vibrer sa gorge. Visiblement, une nuit paisible s'était trop exiger.
Se demandant ce qu'il se passait encore sur ce fichu navire, elle s'approcha des escaliers, les bras croisés sur la poitrine.
Vanilesse sursauta violemment en tombant soudainement face à Krélia, à qui la lueur de sa lampe à huile donnait une allure fantomatique. Le jeune mousse se remit de sa frayeur passagère et Krélia demanda en murmurant pour ne pas réveiller les autres :
« Que se passe t-il ?
- Il y a un problème.
- Je l'avais deviné. Je veux savoir quel est-il.
- Désolé, je dois d'abord en référer au second, c'est le règlement, mais tu n'as qu'à venir.
Krélia acquiesça puis emboîta le pas au petit rouquin qui se dépêcha de monter sur le pont.
Quel que ce soit le problème en question, il semblait le mettre dans tous ses états. Ce devait être au moins aussi grave qu'une fissure dans la coque.
À moins qu'il ne s'affole ainsi car il était un marin novice et craignait la réprimande pour son manque d'expérience et peut-être de vigilance. Il devait désirer bien faire et se sentir rabaissé devant l'habilité de ses autres camarades.
Oubliant à nouveau ses propres recommandations, Krélia posa une main sur l'épaule de Vanilesse avant qu'il ne frappe à la porte de la cabine de Léttan. Le garçon se figea comme si il avait subitement été fait de pierres, percevant le froid intense ainsi que l'aura de ténèbres de Krélia le transpercer en creusant comme un vide au creux de sa poitrine.
Par réflexe, il se dégagea très brutalement, manquant de renverser l'huile de sa lampe. Krélia se pressa de ramener son bras vers elle. Elle oubliait toujours ça.
En voyant l'expression peinée sur le visage de la jeune fille, Vanilesse se dit qu'il aurait pu mieux contrôler sa réaction mais Krélia se reprit rapidement et, à voix basse, elle proposa à son jeune camarade :
- Si jamais c'est très grave et qu'il y a des répercutions, nous prétendrons que nous avions échangé nos tours de garde et c'est moi qui ai commis une faute, d'accord ?
- C'est vraiment très gentil de ta part, Krélia, mais j'assumerai mes erreurs. Ce n'est pas à toi de les payer.
Malgré son refus, Vanilesse sourit largement. Il était vraiment très touché que Krélia soit prête à se sacrifier pour lui, surtout qu'être sur ce navire semblait très important pour elle, autant que pour lui.
Les autres se méfiaient d'elle mais, lui, il savait qu'elle était une bonne personne et elle venait de le lui confirmer malgré ses faux airs de garce.
Revenant à ce qui les amenait ici, le sourire de Vanilesse fana sur ses lèvres et il inspira profondément pour délier le nœud d'appréhension qui s'était formé dans sa gorge puis il frappa quelques coups timides contre la porte de la cabine.
Il releva le regard vers Krélia, tentant de puiser un peu de soutien et d'encouragement dans ses yeux turquoises mais elle les détourna avant de les reposer sur lui avec un sourire incertain. Elle ne devait pas avoir l'habitude de rassurer.
Ils entendirent des froissements de couverture puis des pas sur les planches et Léttan leur ouvrit, l'air encore ensommeillé.
Krélia dû retenir une exclamation amusée en voyant son second ainsi. En effet, c'était la première fois qu'elle voyait Léttan dans un état aussi négligé, enfin, la première fois qu'elle ne le voyait pas parfaitement apprêté de la tête aux pieds. Contrairement à son habitude, il ne portait pas de veston, ni de bottes et sa chemise verte était largement déboutonnée sur son torse. Ses cheveux longs étaient en bataille et l'ombre d'une fine barbe noire noircissait ses joues et son menton.
Krélia se dit qu'il était presque encore plus séduisant ainsi qu'en temps normal. La jeune fille leva les yeux au ciel en grommelant.
Ne manquerait plus qu'elle s'entiche de l'homme qui la surveillait pour rajouter au précaire de sa situation incertaine. Sans compter qu'il n'y avait pas de meilleur moyen de le faire s'intéresser davantage à elle.
Elle revint à la réalité en entendant Vanilesse annoncer à Léttan, avant que ce dernier ne puisse les interroger sur les raisons de leurs présences et de son réveil anticipé :
- Il y a un problème. C'est le tableau, il a disparu.
- Quoi ? S'exclama Léttan en se réveillant tout à fait à cette nouvelle.
- Je suis allé inspecter la cale et il n'y était plus. S'il te plaît, ne dis rien au capitaine. Il risquerait de me renvoyer de l'équipage et tu sais que ce travail est très important pour moi. S'il te plaît.
- Vanilesse, calme-toi. Nous allons tenter de tirer cette affaire au clair, ne t'inquiète pas. Tu as dû tout simplement mal regarder, pas la peine de s'affoler. J'enfile quelque chose de plus présentable et je viens revérifier avec vous.
- Pourquoi ? Je te trouve bien comme ça.
Lança Krélia avec un fin sourire en parlant, bien évidemment, de l'apparence de Léttan. Ce dernier répliqua d'un regard noir, prenant cela pour une moquerie, ce qui était à moitié vrai, alors qu'elle-même était échevelée et sans chaussures. Par contre, son bandeau était toujours noué autour de son cou.
Ne souhaitant pas laisser Vanilesse s'angoisser, Léttan se contenta de passer ses bottes et tous trois se rendirent à la cale.
Depuis bientôt une semaine qu'elle travaillait sur l'Oiseau des vagues, Krélia n'y était encore jamais descendue, l'occasion de le faire ne s'était jamais présentée. Elle suivit Léttan et Vanilesse sans un mot.
Leurs deux lampes projetèrent des ombres fantasmagoriques sur les caisses et les tonneaux entreposés là. Certains contenaient des réserves, d'eau et de nourriture, et d'autres étaient vides. Ils étaient là au cas où une cargaison ne serait pas fournie avec le contenant. Il y avait également des filets, comme dans la cuisine. Krélia s'interrogeait d'ailleurs sur la pertinence d'un tel matériel sur un bateau marchand. Des cordages s'enroulaient ça et là et des morceaux de tissus, peut-être d'anciennes voiles, recouvraient quelques caisses.
Elle ne prolongea pas son observation sur de longues minutes car ses sources de lumières, alias Léttan et Vanilesse, s'éloignaient, la laissant dans l'obscurité. Non pas qu'elle craigne les ténèbres, de sa part, ce serait un comble mais, pour trouver un objet en particulier, y voir quelque chose était conseillé.
Elle contourna un empilement de caisses amarrées aux parois par de solides cordes et découvrit quelque chose qui la surprit.
Des geôles. Deux petites cellules contiguës aux barreaux de fer et équipées d'arceaux métalliques pour attacher les prisonniers. Krélia ne s'attendait pas à trouver un équipement semblable sur un navire marchant mais, après tout, si le capitaine devait faire face à des mutins ou des voleurs, mieux valait un endroit où les enfermer pour les empêcher de nuire.
Krélia ne s'attarda pas davantage sur les fers, elle espérait seulement ne jamais s'y retrouver, puis elle rejoignit les deux autres postés non loin.
Vanilesse montra un espace vide entre deux caisses en indiquant :
- Il était là, tu te souviens ?
- Il me semble mais rien n'est sûr alors ne t'en fais pas.
Les paroles de Léttan ne rassurèrent pas Vanilesse. Lui, il était certain de l'endroit où se trouvait la toile lors de leur départ d'Uriques et, ce qu'il constatait à présent était que cet emplacement était vide.
Krélia attira son attention d'un coup furtif à l'épaule, veillant à ne surtout pas faire durer le contacte pour éviter de lui transmettre sa noirceur. D'un mouvement de la main, elle pria le petit mousse de lui prêter sa lampe. Ce qu'il fit sans poser de question. Krélia s'agenouilla à côté de l'endroit qu'avait pu être occupé par le portrait. En approchant la lanterne du sol, elle remarqua une trace dans la poussière. Une fine emprunte en longueur, exactement ce qu'aurait pu laisser un cadre.
La jeune fille redressa la tête et contredit Léttan, désolée de confirmer les craintes de Vanilesse :
- Navrée mais je crois bien que le tableau n'est plus là où il devrait.
- Et merde ! Jura Léttan. Bon, Vanilesse, ne t'inquiète pas. Je ne vais rien dire au capitaine. Nous allons retrouver le portrait et ce sera réglé. Ni vu, ni connu.
- Merci beaucoup mais où a t-il bien pu passer ?
- Je ne vois qu'une explication, raisonna Krélia, c'est quelqu'un de l'équipage.
- J'aimerais m'offusquer d'une pareille accusation mais, effectivement, il n'y a pas d'autre explication.
- Mais qui aurait pu ? Demanda Vanilesse.
- Ça, c'est ce qu'il va falloir comprendre. Suivez-moi.
Ordonna Léttan en remontant déjà vers le faux-pont.
Krélia et Vanilesse lui emboîtèrent le pas sans protester ou s'attarder derrière. Ils désiraient vraiment connaître le nom et les justifications du coupable.
La jeune fille remarqua que Vanilesse gardait la tête piteusement baissée. Le tableau avait disparu sous sa surveillance, qui que ce soit le voleur, il se considérait comme responsable. Krélia le devinait sans peine, seulement, elle n'était pas douée pour consoler ou rassurer. Elle, elle était faite pour effrayer pourtant, la détresse du petit mousse la touchait. Elle lui aurait bien passé un bras autour des épaules si elle n'avait pas su qu'il se serait senti encore plus mal après.
Elle se contenta donc de suivre Léttan en silence et le visage fermé comme à son habitude.
Sur le faux-pont, tous dormaient toujours tranquillement comme en témoignaient les ronflements et les respirations profondes.
Léttan se plaça bien au milieu des dormeurs puis il se racla la gorge et s'écria avec une voix de poissonnier, que ne ressemblait absolument pas à son timbre normal :
- Allez, on se remue ! On s'agite ! Tout le monde debout !
Nialek se retourna vers Léttan en soulevant légèrement la tête de sa couchette, un œil plus ouvert que l'autre. Il fronça les sourcils, ne comprenant pas la raison de ce réveil brutal et en avance sur l'horaire. Léttan ne lui fournit aucune réponse.
Julys, lui, ne se questionna pas. Il obéit simplement et se leva sans un mot. Tinnam peina à émerger de son sommeil, ayant besoin de ses huit heures réglementaires mais il se força et vint lourdement se poster à côté de Julys. Nialek se redressa, s'essayant sur sa couchette mais il ne se leva pas, attendant les explications de son second pour savoir si c'était la peine ou non.
En revanche, Aolenne continua à dormir. Il se contenta de faire un mouvement de la main ordonnant clairement qu'on lui fiche la paix.
Léttan soupira. Il mit sa lanterne dans les mains de Krélia qui, étant partie sans éclairage, se retrouvait maintenant avec deux lampes. Le second s'avança jusqu'au hamac d'Aolenne, qu'il saisit à deux mains et qu'il retourna violemment. La soudaine rencontre de son nez avec les planches du sol réveilla le marin qui se releva en se massant le front.
Léttan vint se poster face à eux, les bras croisés sur la poitrine, en secouant négativement la tête.
Il ironisa :
- Belle performance, messieurs. Heureusement que ce n'était pas un bateau ennemi ou une tempête qui approchait, sinon, nous serions déjà au fond de l'océan.
- Mais il y a la cloche pour les urgences. Se dédouana Aolenne.
- On ne sait jamais.
- Donc, tu nous réveilles au milieu de la nuit pour un exercice ? Demanda Nialek, mi-sarcastique, mi-sérieux.
- Pas du tout. Il s'est passé quelque chose de grave. Le tableau a disparu et c'est forcément quelqu'un de l'équipage qui l'a volé.
- Hein ? S'offusqua Julys. Pourquoi ferions-nous une chose pareille ?
- C'est exactement pour cela que nous sommes là. Pour le moment, nous n'accusons personne. Nous allons commencer par fouiller le bateau entièrement mais discrètement. Wiesse ne doit pas être mis au courant. »
Les membres de l'équipage acquiescèrent sans s'opposer.
Ils n'appréciaient pas de se faire traiter de voleur et tenaient à prouver leur innocence.
Nialek se leva. Il se retourna vivement vers Tinnam qui portait sur lui un regard soupçonneux. Il serra les poings avec l'envie de les abattre sur ce vieux naïf mais ça ne plaiderait pas en sa faveur, surtout qu'il était le principal suspect.
Ils se répartirent les différentes parties à examiner et se séparèrent mais personne ne resta seule au cas où le voleur en profiterait pour déplacer son butin à l'insu de tous et, par le plus grand des hasards, Krélia se retrouva en compagnie de Léttan.
Le second eut un léger rictus de contrariété en regardant Aolenne et Tinnam entrer dans sa cabine. Ça ne lui plaisait pas de voir son espace personnel se faire investir ainsi mais il préférait cela plutôt que de faire porter les soupçons sur lui.
Krélia le tira par la manche, prenant garde à ne pas toucher sa peau, pour le ramener face à la porte d'une autre cabine. Le second commença par frapper quelques coups discrets mais audibles et, comme rien ne bougea durant plusieurs minutes, Krélia toqua plus fort, faisant trembler la porte sur ses gonds. Léttan lui adressa un regard de reproche, la priant d'être plus délicate. Ce à quoi elle répondit par un haussement d'épaules désintéressé.
Comme avec Vanilesse, Krélia entendit des pas traînants et des grommellements puis Frand apparut dans l'embrasure.
Krélia eut un mouvement de recule, dégoûtée par les fortes effluves d'alcool émanant de la pièce et du médecin de bord. Renonçant à être polie, de toute manière, Frand était bien trop ivre pour s'en apercevoir, elle plaqua sa manche sur le bas de son visage, empêchant l'odeur désagréable de parvenir à ses narines.
Le médecin s'accrocha au bastingage pour ne pas chuter et il s'enquit :
« Quelqu'un est blessé ?
- Non, Frand, répondit Léttan en détachant soigneusement les syllabes. Nous avons seulement quelque chose à vérifier.
- Ah, si c'est que ça.
Marmonna Frand en s'écartant de la porte pour laisser entrer ses deux visiteurs.
Il fronça les sourcils lorsque Krélia passa devant lui. Il ne devait plus se souvenir plus que très vaguement de leur rencontre. La jeune fille ne prit pas la peine de se représenter. Ce vieil alcoolique n'avait qu'à pas abuser de la bouteille.
La première constatation qu'elle fit fut que le sens de la décoration de Frand consistait à laisser traîner des bouteilles plus ou moins pleines dans toute la pièce. Léttan lui lança un regard soutenu qu'elle interpréta sans mal et elle s'abstint donc de tout commentaire et, sans un mot, elle entreprit de fouiller la cabine à la recherche du portrait disparu.
Ce n'était pas parce que Frand était le médecin de bord et qu'il était imbibé d'alcool qu'il était innocenté d'office.
Le médecin les laissa faire sans les questionner davantage. Il s'appuya contre le mur en embrassant le goulot de sa bouteille.
Krélia entreprit d'inspecter la commode alors que Léttan se chargeait du lit. La jeune fille se fit la remarque qu'ils n'avaient pas eu besoin de communiquer pour se mettre d'accord. Il fallait croire que, lorsqu'il y avait une bonne raison et pour défendre Vanilesse, ils s'entendaient presque à la perfection. Elle ouvrit le premier tiroir contenant des vêtements soigneusement pliés et rangés. Peut-être que Frand faisait un peu de ménage dans ses rares moments de sobriété.
Minutieuse, Krélia glissa la main entre les différents habits pour s'assurer que rien n'était dissimulé entre. Ses doigts rencontrèrent quelque chose de dur et froid au milieu des tissages de laines. Elle fronça les sourcils en palpant l'objet avec plus d'intention. Il s'agissait d'un cercle de métal et elle identifia également une chaîne.
Un bijou ?
Intriguée, Krélia s'assura que ni Frand ni Léttan ne s'occupait d'elle puis elle sortit le collier de sous les piles de vêtements. Il s'agissait d'un médaillon en fer blanc gravé d'épais motifs abstraits.
Qu'est-ce que c'était ?
Cela l'intriguait mais ils avaient plus important à gérer et Frand prendrait certainement mal cette intrusion dans sa vie privée. Elle s'interrogerait donc à ce sujet plus tard et en secret. Discrètement, elle rangea le bijou dans sa poche. Elle se déculpabilisa en se disant que, faisant partie de l'équipage, elle était en droit de savoir qui la soignerait en cas de problèmes.
Se concentrant à nouveau sur sa tâche, elle ouvrit le second tiroir qui, lui, contenait des dizaines de fioles, sûrement des remèdes. Elle passa ensuite à la petite étagère mais elle ne recelait que des bouteilles, certainement d'alcool, d'autres de préparations médicinales.
Léttan referma le coffre et secoua négativement la tête en réponse à la question silencieuse de Krélia, qui hocha le menton.
Bien, après cette inspection, elle pouvait déduire deux choses essentielles. Premièrement, Frand était bien un alcoolique et, deuxièmement, il n'avait rien à voir avec la disparition de la toile.
- Désolé pour le dérangement, Frand.
S'excusa Léttan en sortant.
Le médecin haussa les épaules et grommela quelque chose d'incompréhensible puis il referma la porte derrière Krélia.
Léttan sourit tristement mais il ne dit rien et Krélia demeura également silencieuse. Elle suivit le jeune second sur le pont principal. Ici, il n'y avait pas énormément de cachettes possibles mais ils vérifièrent tout de même avec soin chaque recoin à la recherche de la moindre trace du tableau.
La seule chose que découvrit Krélia fut qu'il y avait tout le nécessaire pour entretenir les quatre canons, un de chaque côté. Léttan lui expliqua qu'ils étaient à l'abandon car ils n'avait pas retrouvé de maître artilleur et qu'ils avaient déjà suffisamment de travail sans rajouter cela à la liste déjà longue des tâches à remplir sur l'Oiseau des vagues. Sur ce point, Krélia ne put que lui donner raison.
Ils retournèrent sur le pont pour retrouver le reste de l'équipage dont les recherches s'étaient avéré tout aussi infructueuses que les leurs.
- Comment est-ce possible ? S'énerva Léttan. Il ne s'est pas envolé !
- Et si nous cherchions plutôt le coupable. Il n'aurait ensuite qu'à nous dire où il a planqué le portrait, ce sera plus simple. Proposa Julys.
- Bonne idée, approuva Aolenne. Surtout que nous savons déjà tous de qui il s'agit, n'est-ce pas, Nialek ?
- Tu m'accuses ? Siffla l'intéressé.
- Tu es le seul à avoir des antécédents sur ce navire et quelque chose disparaît lorsque tu songes justement à changer de carrière. Il faut croire que la prison ne t'as pas appris...
Nialek se jeta sur Aolenne, l'interrompant. Tous eurent un mouvement de recule alors que les deux hommes s'empoignaient.
Krélia fronça les sourcils. Nialek était donc un criminel repenti ? Décidément, ce navire la faisait naviguer de surprise en surprise.
D'abord interdit, Léttan se reprit prestement et intervint. Il s'interposa entre les deux marins et tenta de les séparer, une main sur l'épaule de chacun mais ils l'ignorèrent. Aolenne se baissa vivement pour esquiver le poing de Nialek qui, déviant de sa trajectoire heurta la mâchoire de Léttan.
Ce dernier vacilla en arrière. Au vide qui se creusa au fond de sa poitrine ainsi qu'au froid mordant qui l'envahit, il comprit que Krélia venait de le rattraper pour lui éviter une chute en plus. Il aurait souhaité la remercier mais il ne fit que se dégager brusquement pour se débarrasser de ces insupportables sensations.
Il lui adressa un regard d'excuse qui sembla la laisser indifférente. Elle reporta son attention sur Nialek et Aolenne qui continuaient à échanger des coups sans se soucier de la contre-productivité de cette occupation et du fait qu'ils avaient frappé Léttan.
S'énervant de cette constatation, elle serra les poings et cria :
- Ça suffit !
Sa voix sembla claquer sur l'eau les entourant et gonfler les voiles, un peu comme si elle était devenue vaguement tangible. Son intonation avait également été différente que d'habitude, plus aiguë, tirant sur le strident.
Krélia se racla la gorge, certainement irritée par ce cri, et croisa les mains dessus, visiblement gênée mais, au moins, tous s'étaient figé au son de sa voix et Aolenne et Nialek ne se battaient plus.
Se remettant, Léttan remercia Krélia d'un hochement du menton, mais elle détourna le regard.
Nialek recula, s'éloigna d'Aolenne. Il essuya le sang au coin de ses lèvres en déclarant :
- J'ai payé pour mes erreurs alors inutile de me les rappeler.
- Que se passe t-il ici ?
Tonna le timbre de Wiesse depuis le gaillard d'arrière. Krélia avait dû le réveiller en ramenant le calme de son cri.
Vanilesse se raidit alors qu'une expression de crainte descendait sur son visage. À présent, ils allaient être obligés de tout expliquer au capitaine et il serait puni pour son manque de vigilance. Exactement ce qu'il souhaitait éviter.
Le garçon recula, se dissimulant de moitié derrière Krélia qui était pourtant à peine plus grande que lui.
Léttan rejoignit Wiesse et lui détailla toute l'affaire et exposa aussi la raison pour laquelle ils avaient volontairement omis de l'avertir.
Lorsque son second eu terminé de lui faire son contre-rendu, Wiesse hocha lentement la tête à plusieurs reprises puis il descendit rejoindre son équipage sur le pont. Il promena son regard sur ses marins. Nialek et Aolenne détournèrent le leur, se sentant coupables de s'être ainsi emportés.
Le capitaine s'arrêta sur Vanilesse à qui il fit signe de s'approcher. Le jeune mousse obéit, la tête basse. Il n'osait pas relever les yeux sur Wiesse.
Ce dernier lui posa une main sur l'épaule et lui assura :
- Tu n'auras pas de problème. Le seul à blâmer est celui qui a volé. Nous pouvons déjà être certain que ce n'est pas Nialek. Il n'est pas suffisamment stupide pour récidiver alors que nous ne sommes que neuf à bord.
- Alors qui ? Demanda Julys.
- Et si c'était lui ? Supposa Nialek en montrant Vanilesse. Il était le seul réveillé. Ça lui donnait tout le temps de dissimuler le tableau et de se faire passer pour la victime.
- C'est faux ! S'insurgea Vanilesse. Et puis, je n'étais pas le seul à être réveillé !
- Qui d'autre ?
Vanilesse se mordit la lèvre inférieure. Il n'avait jamais eu l'intention de lâcher cette information mais, sous la colère, elle lui avait échappé sans qu'il le veuille.
Il ne voulait pas qu'on puisse accuser Krélia par sa faute. Il lui faisait confiance et savait que ce n'était pas elle sauf que, maintenant, il était piégé. Il se dandina d'un pied sur l'autre sous le regard insistant du reste de l'équipage. Il posa discrètement les yeux sur Krélia.
Cette dernière haussa les épaules. Qu'importe ce que les autres pensaient d'elle, la vérité serait toujours pire mais, si ils l'incriminaient par facilité de déduction, elle comptait bien se défendre.
Vanilesse prit une inspiration avec l'impression d'être un horrible traître et il avoua :
- Il y avait Krélia. Je ne sais pas depuis combien de temps elle était levée.
- Évidemment ! Je vous avez dit qu'elle nous attirerait des ennuis ! S'exclama Tinnam.
- Et où l'aurais-je caché, la toile ? Répliqua la jeune fille. Sous ma chemise ?
- Pourquoi pas. Elle est bien trop large.
- Très bien.
Puisque certains semblaient promptes à la condamner sans preuve, elle allait leur montrer qu'elle ne camouflait qu'une chose sous sa chemise. Elle saisit le bord de son vêtement à deux mains et le souleva sans hésiter, exposant sans la moindre gêne sa taille fine et sa poitrine rebondie.
Tous les membres masculins de l'équipage, autrement dit, tous les marins, excepté Wiesse qui leva les yeux au ciel avec un sourire amusé, eurent comme une paralysie générale et momentanée de leurs pensées. Ils ne s'attendaient absolument, mais absolument pas à ça.
Même si il désirait respecter la jeune fille et sa pudeur récemment mise à mal, le regard de Léttan dévia sur la peau pâle de Krélia.
Cette dernière grimaça légèrement. L'écho s'énervait dans son crâne.
Comment osait-elle la montrer ainsi à des roturiers, de vulgaires marins en plus ? C'était inadmissible !
Krélia secoua la tête pour chasser cette voix agaçante et laissa retomber le tissu de sa chemise, se couvrant de nouveau.
Elle lança alors que tous n'avaient pas encore retrouvé la cohérence de leur esprit :
- Alors, y a t-il un tableau ?
- Tu es déjà une œuvre d'art. Complimenta Aolenne.
- La question est toujours la même : qui a volé ce fichu portrait ?
- Attendez, remarqua Léttan, où est Julys ?
Tous regardèrent autour d'eux sans repérer trace de leur camarde. Il avait dû profiter de la diversion involontairement offerte par Krélia pour se glisser quelque part sur le navire en toute discrétion.
Était-ce donc un aveu ? Impossible. Julys était l'homme le plus honnête et intègre qu'on pouvait rencontrer, tous le savaient alors pourquoi aurait-il fait une chose pareille ?
Le seul moyen de le savoir était de le retrouver pour le questionner sur ses motivations. Ils se séparèrent à nouveau pour explorer l'embarcation et, peut-être que, cette fois, ils tomberaient sur la toile à défaut de Julys.
Krélia feignit de ne pas s'apercevoir des regards qui pesaient sur elle et plus particulièrement sur sa poitrine et elle descendit directement à la cale, munie d'une lampe à huile. Les yeux de Léttan furent les plus difficiles à ignorer. Au moins, elle avait fournit un sujet aux rêveries secrètes de ses camarades.
Elle promena sa lumière sur les caisses qui étaient les mêmes qu'un peu plus tôt dans la nuit. Elle soupira. Tout fouiller de nouveau serait fastidieux cependant, elle n'eut même pas réellement le temps de s'atteler à sa tâche.
Un hurlement retentit sur le navire, se répercutant sur chaque planche.
Krélia releva la tête. Il s'agissait d'un hurlement d'horreur, bien différent du sien, et cette voix aiguë appartenait certainement à Vanilesse.
Krélia abandonna les caisses sans regrets et se précipita sur le faux-pont. Les autres en firent de même et tous accoururent vers Vanilesse qui se tenait debout dans un coin de la pièce.
Au début, personne ne comprit ce qu'il se passait puis les flammes des lampes se reflétèrent sur une large flaque rouge qui provenait de l'homme étendu à côté, Julys.
Nialek écarta Vanilesse pour éviter qu'il n'ait davantage cette vision sous les yeux puis il s'agenouilla à côté du cadavre de son camarade. Son expérience de criminel lui conférait quelques connaissances parfois utiles.
Krélia leva sa lampe pour observer le visage du marin décédé. Il était tordu de frayeur. Quelles que soient les circonstances de sa mort, il avait été épouvanté juste avant. Krélia s'attarda plutôt sur sa blessure : une large plaie béante sur sa gorge. Elle porta une main à son bandeau.
Cela faisait remonter d'anciens souvenirs ne lui appartenant pas.
- Tu ferais mieux de ne pas regarder. Lui conseilla Nialek.
- Ne t'inquiète pas pas moi, j'ai vu pire.
- Ça ne peut pas être l'un d'entre nous ! Nous étions tous ensembles ! S'écria Aolenne, hystérique.
- Il y aurait donc quelqu'un d'autre à bord... Réfléchit Léttan. Comment est-ce possible ? Nous aurions dû trouver les traces d'une présence !
- Sauf si il s'agit d'un démon, le contredit Tinnam. Vous ne me croyez toujours pas quand je dis qu'elle apporte le malheur sur nous ?
- Eh ! Je suis la première à dire que je ne suis pas un cadeau mais je n'ai rien à voir avec ça ! Se défendit Krélia.
- Nous nous accuserons mutuellement lorsque nous nous serons occupés de lui. Ordonna Wiesse en montrant Julys.
- Je m'en charge. Ce n'est pas la peine que vous le voyez tous dans cet état plus longtemps.
Wiesse acquiesça à la proposition de Nialek et fit remonter le reste de son équipage.
À peine sur le pont, Vanilesse se précipita vers le bastingage pour vomir par-dessus bord. Léttan vint le soutenir mais lui-même était secoué comme en témoignaient ses dents enfoncées dans sa lèvre inférieure. Il y avait aussi les mains d'Aolenne agitées de spasmes nerveux. Tinnam serrait un petit pendentif à l'effigie de Dinéa en marmonnant une prière pour le repos de l'âme de Julys. Quant à Wiesse, son visage était durci en une expression de peine et de colère mêlées.
Seule Krélia était parfaitement stoïque et cette impassibilité face à la mort creusait encore plus l'écart entre elle et le reste du monde. Elle se justifia en se disant qu'elle connaissait Julys moins que ses compagnons et que son manque de réactions venait de là mais elle savait pertinemment que c'était faux.
Léttan aida Vanilesse à se redresser alors qu'il s'essuyait la bouche d'un revers de la manche.
Le jeune mousse fronça les sourcils et indiqua un point du navire d'un doigt tendu.
Léttan suivit d'un regard la direction montrée par Vanilesse et il demanda à tous :
- Le pont a t-il était fouillé ?
- Bien sûr, pourquoi ?
- Regardez.
Répondit simplement Léttan.
Tous obtempérèrent et se tournèrent vers le gaillard d'avant. Quelque chose était posé contre le bastingage, quelque chose de rectangulaire encadré dans du noyer.
Comment était-ce possible ?
C'était à croire que le tableau venait d'apparaître à cet endroit.
Mais que se passait-il sur ce navire ?
Sans demander l'avis de personne, Krélia alla récupérer la toile. Les autres la suivirent.
La jeune fille stoppa brusquement, manquant de se faire percuter par Aolenne. Elle prit le tableau et l'amena vers la lampe de Léttan pour être certaine qu'elle ne rêvait pas mais elle dû se rendre à l'évidence qu'elle n'hallucinait pas.
La peinture était vide. Il ne restait que l'arrière-plan bleu foncé. La femme représentée dessus avait disparu, par quel maléfice ?
- Je crois que nous avons découvert notre assassin. Déclara Wiesse.
- Vous n'êtes pas sérieux ? S'exclama Aolenne. Les tableaux ensorcelés ne sont que des légendes !
- Sauf si c'est une sorcière qui est peinte.
Argumenta Tinnam.
Krélia retourna la toile et l'examina de plus près. Dans le bois du cadre, elle remarqua de minuscule symboles gravés avec habilité. Il s'agissait de signes démoniaques, elle en avait vu de suffisamment près pour les reconnaître.
Cela lui coûtait de l'avouer mais Tinnam avait raison. C'était bien l'œuvre d'une sorcière. Une qui avait fait appel aux pouvoirs d'un démon pour enfermer son esprit dans la peinture. Fantastique.
Comment se débarrasser d'une telle chose ?
Elle reprit le portrait à l'endroit et elle passa les doigts sur la tache d'humidité qu'elle avait repéré la veille mais, à présent qu'elle l'examinait en détaille, elle constatait que c'était du sang qui gondolait la peinture.
Julys n'était donc pas la première victime de ce tableau maudit.
- Que fait-on ? S'enquit Vanilesse d'une voix blanche.
- Nous nous armons, répondit Wiesse. Pas question qu'il y ait d'autres morts sur mon navire. Léttan, va chercher les armes.
Le second acquiesça, l'expression grave, puis il se rendit dans la cabine située à côté de la sienne et qui servait de réserve.
Nialek les rejoignit. Il avait les mains rougies et la même mine sombre. Il s'était efforcé de nettoyer de son mieux et avait enveloppé Julys dans une couverture, n'ayant rien de mieux.
Il écarquilla les yeux en voyant le portrait. Krélia lui expliqua, alors que Vanilesse allait chercher Frand sur ordre du capitaine. Il ne voulait prendre aucun risque en laissant quelqu'un seul.
Le jeune mousse dû soutenir le médecin le temps de se regrouper avec les autres.
Léttan ne tarda pas. Il revint les bras chargés de sabres affûtés qu'il distribua à tous, excepté à Frand qui aurait été bien incapable de tenir une lame.
Krélia grommela en sentant le regard incertain de Nialek sur elle. Apparemment, il doutait de sa capacité à tenir une arme. Pour lui prouver le contraire, elle raffermit sa prise sur le manche du sabre et effectua quelques mouvements de base d'escrime. Elle n'était pas particulièrement une excellente bretteuse mais elle devait être en mesure de se débrouiller.
Maintenant que tous étaient équipés, ils se placèrent dos à dos, Frand étant le centre de ce cercle de défense. Ainsi, ils pouvaient repérer toute menace même si elle venait de la mer. Les lampes placées sur le pont leur permettaient d'y voir suffisamment mais les ombres mouvantes qu'elles projetaient renforçaient l'angoisse ressentie par l'équipage et les faisaient s'alerter pour rien.
Un craquement dans les étages inférieurs les fit tous violemment sursauter mais ce n'était que les vagues contre la coque.
La tension devenait difficile à supporter, même pour Krélia. Pour, ce genre de situations, elle n'avait pas de connaissances. Un regrettable oublie de la part de son créateur.
Soudain, Nialek s'écria, rompant le silence tendu s'étant instauré :
- Là !
Tous les regards convergèrent vers la dunette où se découpaient les contours d'une silhouette sur les rayons de la lune. Krélia reconnu le chignon de la femme du portrait. Elle serra davantage les doigts sur sa lame sans détacher les yeux de l'apparition.
Celle-ci fit quelques pas puis se laissa tomber en arrière en direction des flots. Il n'y eut aucun son, pas un cri ni même une éclaboussure. Les membres de l'équipage ne surent comment interpréter cela.
Comme un avertissement ? Un signe réédition ? Impossible de le déterminer.
Contre toute attente, Léttan perdit patience en premier. Il grommela quelque chose ressemblant à un "ça suffit" en abaissant son sabre. Il s'empara de la lampe la plus proche et donna un coup de pied dans le tableau pour le faire tomber sur le sol. Sans hésitation, il posa la flamme contre la toile. Wiesse eut un mouvement visant à le retenir mais c'était trop tard. Le feu se propageait déjà, écaillant lentement la peinture.
Un terrible hurlement résonna sur l'océan. Un hurlement qui se prolongea, glaçant l'équipage d'effroi, sauf Krélia. En matière de cri strident, elle connaissait pire, bien pire.
La sorcière apparut subitement au pied du grand mat. Le bas de sa robe, ses cheveux et même une partie de sa peau se consumaient. Malgré ces flammes qui la défiguraient, il n'y avait aucun doute sur le fait qu'il s'agissait de la femme du portrait. Elle avait d'ailleurs la dague ouvragée à la main. La lame gouttait encore du sang de Julys.
Nialek fut envahi de fureur à cette vue. Il se serait rué sur l'apparition maléfique si Tinnam ne l'avait pas retenu d'un bras tout en continuant à marmonner des prières.
- Par Dinéa... Murmura Léttan.
- Je crois qu'on l'a énervé. »
Remarqua Krélia sans le moindre sarcasme. Léttan ne put que reconnaître qu'elle avait raison. Pour une fois, ses capacités de réflexions l'avaient desservi.
Vanilesse recula malgré lui, terrorisé. Wiesse ne se laissa pas impressionner malgré le surnaturel de la situation mais il ne savait pas comment réagir. Contrairement à Aolenne qui ne réfléchit pas. Il saisit son sabre à deux mains et l'envoya sur l'apparition que l'arme ne fit que traverser avant de se ficher dans le bois du mat.
Les marins se raidirent en voyant cela. Leurs armes étaient inutiles.
Que leur restait-il pour se protéger ?
La seule décision qu'ils pouvaient encore prendre était de choisir la noyade plutôt que l'égorgement, perspective peu enthousiasmante.
Une idée assez folle vint à Krélia et elle porta la main au coupe-papier toujours dissimulé sous sa chemise. Tout à l'heure, personne ne l'avait remarqué, tous étaient bien trop focalisés sur sa poitrine. Elle le déballa prestement et en remplaça son sabre.
L'argent brûlait les créatures maléfiques et était l'un des moyens les plus efficaces de les tuer. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle le conservait avec elle, donc, cet esprit devait y être sensible du moins, elle l'espérait.
Puisqu'il semblait savoir viser, elle tendit son coupe-papier à Aolenne qui la regarda comme si elle était stupide. N'ayant pas de temps à perdre en longues explications car la sorcière s'avançait vers eux, Krélia saisit son camarde par le col de sa chemise et le tourna sans douceur vers le danger. L'expression renfrogné de Krélia ne lui donna pas envie de protester et, se disant que, de toute manière, il n'avait rien à perdre, il obéit et lança l'arme de fortune sur l'apparition.
Cette fois, la lame ne la traversa pas mais s'enfonça dans sa poitrine. La sorcière stoppa subitement en portant les mains à sa blessure d'où partaient des craquelures qui s'étendirent rapidement sur son corps.
Ils avaient l'impression de regarder une peinture vieillir à vue d'œil. Quelques morceaux se détachèrent et se firent emporter par le vent nocturne. Le teint de la sorcière se ternit ainsi que la couleur de ses cheveux et de sa robe.
Un râle sortit de sa gorge et elle tomba subitement en poussière qui, elle aussi, fut balayée par le vent, loin de l'Oiseau des vagues.
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