Chapitre 35 - Médecine parallèle

Frékilia déroulait toujours sa côte glacée et blanche à bâbord et le voyage était d'une incroyable monotonie.
Krélia s'ennuyait. Léttan avait cessé de la surveiller et de se questionner à son sujet, pensant qu'il avait découvert la vérité sur elle. Il respectait son choix et ne l'appelait pas Miline et il ne s'intéressait plus à elle que pour s'assurer qu'elle effectuait correctement son travail.
Krélia n'aurait jamais cru penser cela un jour mais ça lui manquait de ne plus croiser son regard couleur mousse dès qu'elle se retournait.
À croire qu'il n'y avait jamais rien eu entre eux, pas même la tension et les soupçons. Ils s'étaient tout de même embrassé, aussi. À voir Léttan, ça semblait n'être jamais arrivé. D'ailleurs, il lui avait bien dit que rien ne s'était passé pour lui, en effet, que les choses lui avaient seulement échappé et que c'était l'unique moyen lui étant venu à l'esprit pour calmer la situation mais cela importait peu.
Pour lui en tous cas. La jeune fille devait régulièrement se rappeler à l'ordre en se répétant que tout était mieux ainsi. Elle était un danger pour tout le monde et la seule raison pour laquelle Léttan lui avait tourné autour était qu'il se méfiait et qu'il sentait qu'elle pouvait menacer l'équipage. Sinon, il ne lui aurait jamais trouvé le moindre intérêt. Elle n'était qu'un membre de l'équipage comme un autre.
Krélia se forçait à ne pas songer trop souvent au beau second mais elle n'y arrivait pas et ses pensées convergeaient sans cesse vers lui. Elle se sentait stupide d'être tombée amoureuse en plus de tout le reste. Elle se compliquait l'existence rien qu'à se demander ce que Léttan avait à l'esprit.
Il y avait aussi Vanilesse qui, à présent, connaissait la vérité et qui avait très envie d'en parler, avec Krélia, évidemment. Il ne comptait pas trahir son secret.
En revanche, la jeune fille n'était guère loquace sur ce sujet et elle devait renvoyer le jeune mousse qui revenait sans cesse à la charge mais, au moins, il n'avait pas peur d'elle. Pour une raison qui lui échappait toujours. Il continuait à lui adresser de nombreux sourires, à effecteur ses tâches à côté d'elle et il lui avait assuré qu'il était là si elle avait besoin.
Krélia l'avait remercié dans un grommellement, n'ayant pas coutume qu'on lui tienne ce genre de discours et qu'on lui manifeste ainsi du soutien si bien qu'elle en avait été déstabilisée tout le reste de la journée sans savoir comment réagir ou se comporter après une pareille marque de confiance qu'elle se savait indigne de mériter.
Quoi qu'il en était, elle aurait préféré que ce soit Léttan qui lui offre ainsi son épaule, sur laquelle elle ne se serait pas reposé puisqu'elle savait qu'elle lui aurait provoqué une onde de douleur à cause de ses ténèbres.
Au milieu de tout cela, il y avait également les deux voix qui se relayaient pour crier dans son esprit. L'écho qui se réveillait de temps à autre pour commenter son existence qu'il désapprouvait hautement, mais, surtout, son créateur qui la menaçait, lui ordonnait de revenir, s'agaçait, la torturait.
Les deux premières plaies sur son bras avaient fini par cicatriser, vite remplacées par des entailles fraîches. Elle en avait assez de tout cela, qui ne s'arrêtait jamais, qui se répétait sans lui accorder de répit.
Elle regrettait presque les jours où elle peinait à trouver instant de tranquillité à cause du regard inquisiteur de Léttan. Là, au moins, elle ne se sentait pas aussi perdue.

Le voyage s'écoulait donc dans cette ambiance complexe pour Krélia qui n'en était que plus irritable et, en se réveillant le matin du quatrième jour, sa seule envie était de frapper quelqu'un ou quelque chose. Ses camarades feraient mieux de s'abstenir du moindre mot de travers et de surveiller leurs paroles attentivement.
La jeune fille se leva en grognant et de mauvaise humeur. Une mauvaise humeur qui augmenta lorsqu'elle remarqua que le navire était immobile.
Que se passait-il ? N'y avait-il plus de vent pour gonfler les voiles ? Le seul moyen de le savoir était de monter sur le pont.
Elle espérait seulement que cela ne se prolongerait pas. Encore une fois, c'était dangereux pour elle de rester trop longtemps au même endroit.
Autour d'elle, le reste de l'équipage, moins Nialek qui était de garde, échangeait des regards en se demandant, comme Krélia, pourquoi le navire n'avançait plus. Lorsqu'ils se tournèrent vers la jeune fille pour partager leur interrogation, elle les esquiva vivement et gagna le pont.
Sa première constatation fut qu'il faisait nettement plus froid que la veille lorsqu'elle était allée se coucher.
Suivant leur itinéraire, ils s'étaient rapproché de Frékilia et de son climat glacial.
Krélia frissonna en ramenant sa large chemise un peu plus proche d'elle en quête d'un peu plus de chaleur mais sans grand succès. C'était tout ce qu'elle pouvait faire pour se réchauffer puisqu'elle n'avait pas d'autres vêtements. Heureusement que le froid ne pouvait pas la tuer.
Elle coinça ses mains sous ses aisselles pour se protéger des engelures. Elle ignorait si elle pouvait en souffrir mais préférait ne prendre aucun risque.
Sur le gaillard d'arrière, Léttan avait boutonné son manteau et portait des gants en épais cuir gris. Wiesse aussi s'était emmitouflé et tous deux paraissaient préoccupés, certainement à cause de l'inertie du navire.
Voyant que ses camardes étaient réveillés, Nialek quitta son poste au nid de pie pour aller se reposer à son tour.
En passant à côté de Krélia, il remarqua ses violents frissons ainsi que son habillement léger. Le marin retira l'épais lainage en grosses mailles qu'il portait et le tendit à la jeune fille qui le repoussa en levant les yeux au ciel. Peut-être avait-elle froid mais elle n'était pas une jouvencelle qui attendait qu'un homme règle ses problèmes à sa place.
Dans son esprit, l'écho s'opposa. Elle aurait dû accepter. Elle n'avait pas la moindre envie de mourir stupidement d'hypothermie. Krélia retint un rire sarcastique à cette remarque puisque l'ancienne conscience qui la prononçait était déjà morte depuis un moment.
Tout en soufflant sur ses doigts pour les réchauffer, la jeune fille s'approcha du bastingage, suivie des autres matelots, et elle s'y pencha pour constater que la coque était prise dans la glace.
Forcément. C'était un risque à prévoir en s'approchant de l'île de glace des Caëlinnes. Les eaux proches de ses côtes étaient très souvent prises dans la glace et il était courant que des navires se retrouvent emprisonnés dans ce piège.
À côté de Krélia, Aolenne jura et Vanilesse soupira.
La jeune fille monta sur le gaillard d'arrière pour demander au capitaine, quelque peu agressive à cause du froid et de sa crainte de se faire repérer à force d'immobilité :

« Que comptez-vous faire pour toute cette glace ?
- Attendre qu'elle fonde.
- Et c'est tout ?
- Évidemment que non. Je crois qu'il y a des pioches quelque part à la cale. Il suffit de fragiliser la glace pour permettre au bateau de passer. Léttan, appelle les autres s'il te plaît. »

Le second acquiesça en adressant un regard neutre à Krélia puis il alla réunir le reste de l'équipage, y compris Nialek, qui venait juste de se coucher et qui les rejoignit en grommelant. Léttan exposa la situation à tous ainsi que les directives de Wiesse pour y remédier.
Il y eut quelque protestations et des soupirs déjà découragés face à l'ampleur de la tâche qui les attendait. Creuser dans la glace à coups de pioche par un tel froid était loin d'être une besogne aisée. Ils seraient épuisés avant de déloger le navire.
Malgré leur non-motivation pour se lancer au travail, ils descendirent à la cale à la recherche des pioches et Krélia se posait une question.
Pourquoi y avait-il des pioches sur un navire marchand ? Décidément, le matériel embarqué sur l'Oiseau des vagues demeurait un profond mystère à ses yeux. Qui avait décidé ce qu'il fallait à bord ?
Quoi qu'il en était, pour l'instant, cette étrange organisation les arrangeait et ils avaient les outils nécessaires pour briser cette glace qui les empêchait de progresser. Tout ce qu'elle voulait était quitter cette inertie et reprendre sa fuite, et elle détruirait la glace sur tout le long de la côte de Frékilia si il le fallait.
Aolenne revint de la cale, les bras encombrés des outils, assisté de Vanilesse qui en portait la moitié, et il les distribua à tout le monde sans exception. Même à Wiesse qui tendit la main pour s'emparer d'une des pioches. Krélia referma les doigts autour du manche de l'outil qu'on lui tendait, les articulations raidies par le froid.
Aolenne et Tinnam mirent la passerelle en place et le bois teinta avec un bruit clair contre la glace.
Alors qu'elle allait descendre à la suite de Nialek qui marmonnait toujours contre son manque de sommeil, une main abattue sur son épaule la retint. Krélia se mordilla la lèvre inférieure car il n'y avait qu'une personne qui osait la toucher de la sorte. Cependant, Léttan la lâcha rapidement.
La température était déjà suffisamment basse sans qu'il ne se glace davantage en prolongeant le contacte avec Krélia.

« Que se passe t-il ? S'enquit la jeune fille.
- Tu devrais enfiler ça.

Conseilla Léttan en tendant un vieux manteau à Krélia. Elle examina le tissu brun usé. Visiblement, il appartenait au second mais il l'avait remplacé par le neuf qu'il portait actuellement.
Comme avec le lainage que lui avait proposé Nialek, elle refusa le vêtement en secouant négativement la tête et elle écarta le bras du jeune homme de manière à pouvoir passer. Elle avait sa fierté et ne comptait pas s'abaisser à attendre un chevalier servant lui portant secours.
Si elle avait besoin de quelque chose, elle se débrouillait. Après tout, elle était arrivée jusqu'ici seule et sans aide. Elle n'avait besoin de personne.
Sauf que Léttan ne le voyait pas de la même manière et, contre son avis et s'en moquant bien, il posa son ancien manteau sur les épaules de Krélia, la couvrant et la coupant du froid.

- Qu'est-ce que ça peut te faire que j'ai froid ?
- C'est mon rôle de second de prendre soin de l'équipage et, à priori, tu fais partie de l'équipage. Met ça.

Ordonna fermement Léttan avant de passer devant Krélia pour descendre avant elle.
Renonçant à jouer les fières et acceptant de s'asseoir sur son orgueil, la jeune fille passa les bras dans les manches et elle se sentit immédiatement mieux. Le froid n'engourdissait plus ses muscles en raidissant ses articulations. Elle ferma les boutons, s'enveloppant dans une fine coquille de chaleur.
Ce serait bien plus simple à présent qu'elle ne tremblait plus de tous ses membres. C'était bien mieux qu'elle puisse contrôler les mouvements de sa pioche.
Le problème était que le vêtement portait encore l'odeur de Léttan et, depuis leur baiser, c'était le genre de choses qui l'empêchait de se concentrer correctement. Elle grogna d'agacement. Elle n'acceptait pas d'être retenue par la moindre chaine, une des raisons pour lesquelles elle s'était enfuie de Kiney et qu'elle s'était embarqué sur l'Oiseau des vagues, et l'amour était une dépendance qui l'énervait.
La jeune fille chassa ces pensées et elle rejoignit le reste de l'équipage qui se de déployait autour du bâtiment. Krélia se plaça entre Nialek, derrière elle, dont les grognements incessants commençaient vraiment à l'agacer profondément, et Léttan devant elle.
Sur ordre de Wiesse, se trouvant de l'autre côté du navire par rapport à eux, ils commencèrent à abattre leurs pioches sur la glace. De petits éclats de glace se mirent à jaillir autour d'eux. Krélia ferma les yeux pour éviter d'en recevoir dedans.
Le son de leurs coups résonna sur l'océan gelé en se répercutant sur la glace. Des fissures se créèrent autour du point d'impact de la pioche de Krélia. Finalement, ce n'était pas si compliqué et bouger aidait à combattre le froid.
Un souffle de vent s'engouffra dans la voilure et l'Oiseau des vagues cilla légèrement. Bien, au moins ce qu'ils faisaient n'était pas inutile et ils semblaient efficaces.
Krélia donna un nouveau coup et les fissures se firent plus larges et profondes. Apparemment, ils en auraient pour moins longtemps qu'ils ne le craignaient tous en s'attelant à la pénible tâche.
Seulement, Krélia supportait un problème. Nialek qui marmonnait toujours et de plus en plus fort, si bien qu'elle entendait ses jurons, portés par le vent jusqu'à ses oreilles et ça l'énervait sérieusement.
La jeune fille posa sa pioche le long de sa jambe et elle lui lança sans se retourner, les dents serrées par l'énervement :

- Et si tu la fermais un peu, pour voir ?
- Tu as des réclamations à faire, Krélia ?
- Ouais ! Tu me tapes sur les nerfs !

S'exclama Krélia avec colère en se retournant pour s'avancer vers Nialek, qui cessa de piocher pour river son regard énervé sur elle. Ils s'affrontèrent un instant en silence, se lançant dans une joute visuelle mais aucun ne baissa les yeux et Nialek commença à se sentir mal-à-l'aise face à l'impénétrabilité des yeux sombres de Krélia qui ne cillait pas.
Finalement, il préféra reprendre cette affrontement de manière verbale et gestuelle, en ayant besoin pour dissiper la tension s'étant amassé sur ses épaules pendant que Krélia le fixait d'une façon qu'elle seule savait faire, alors il s'écria :

- Si tu avais enchaîné les heures de garde et ça, j'accepterais d'écouter tes remarques mais comme ce n'est pas le cas, je te dirais seulement que je t'emmerde et que tu n'as qu'à prendre ma place si tu as un quelconque problème !
- Ne m'énerve pas, Nialek, ce n'est pas le moment !
- J'ai peur ! La petite rouquine me menace !

Nialek accompagna son ton sarcastique d'une grimace moqueuse et d'un geste ironique qui mirent Krélia hors d'elle.
Elle serra les poings, oubliant totalement le froid qui l'engourdissait lentement et enfonçant ses ongles dans le bois du manche de sa pioche qu'elle tenait toujours.
Nialek secoua négativement la tête avec une expression dédaigneuse adressée à la jeune fille, qui s'en sentit encore plus furieuse, tout en retournant à sa tâche mais pas pour longtemps. Krélia l'interrompit en lui décochant une gifle en laissant tomber sa pioche qui tinta contre la glace. Nialek tituba en arrière, légèrement sonné par la force du coup mais il se reprit rapidement et grinça des dents, le manque de sommeil lui conférant vraiment, vraiment mauvais caractère.
Alors qu'en temps normal, reposé, il n'aurait jamais levé la main sur une femme, une jeune fille qui plus était, au simple motif qu'elle l'avait simplement frappé sous l'énervement, il riposta. Krélia l'esquiva en se déportant sur le côté sauf que son mouvement fut plus brusque que prévu et elle eut trop d'élan. Elle s'entailla l'avant-bras droit sur la lame de la pioche de Nialek qui n'y avait plus fait attention.
La jeune fille poussa un bref cri, plus de surprise qu'autre chose. La véhémence de Nialek retomba immédiatement et il s'empressa de laisser tomber son outil pour venir s'enquérir de l'était de Krélia qui tenait son bras blessé en sifflant de douleur.
Alerté par son cri, qu'il avait identifié être teinté de souffrance, très justement, Léttan les rejoignit en courant. Ses yeux se posèrent sur la pioche tachée de rouge et sur Nialek, visiblement terriblement navré, qui tentait de voir le bras de Krélia qui, elle, le repoussait en lui donnant des coups d'épaule, les mâchoires serrées.
Léttan l'écarta doucement et prit l'avant-bras de Krélia entre ses mains gantées.
Le vieux manteau usé n'avait pas protégé la jeune fille, pas plus que sa chemise dont les lambeaux se collaient à la large plaie qui saignait et paraissait profonde. Le second croyait apercevoir l'os entre les bords de la chaire déchirée.
Léttan grimaça, n'imaginant pas la douleur de Krélia et la trouvant incroyablement courageuse de la supporter avec seulement un froncement de sourcils.

- Je...je ne voulais pas !

Balbutia Nialek, vraiment désolé et tourmenté de lui avoir causé une telle blessure involontairement. Krélia grogna en découvrant ses dents toujours serrées. Nialek ignorait si il s'agissait d'une insulte ou si elle assurait qu'il était pardonné.
Léttan tourna le regard vers le marin qui avait pâlit mais il décida qu'il étudierait les faits et la manière dont Krélia avait été blessée plus tard.
Pour le moment, la véritable urgence était de l'amener voir Frand pour qui la soigne. Tout en plaquant une main sur la plaie pour retenir l'hémorragie comme elle-même le faisait, les doigts crispés et déjà rougis, il lui passa un bras dans le dos pour la soutenir et la conduisit vers le navire mais elle stoppa en cherchant à reculer, s'arquant vers l'arrière.
Elle protesta :

- C'est bon, ça ira. Ce n'est pas la peine !
- Arrête, c'est ouvert jusqu'à l'os ! Tu vas te vider de ton sang ! Tu as besoin de points de sutures !
- Non ! »

S'opposa farouchement Krélia en tentant de planter ses talons dans le sol mais, sur la glace, il n'y avait aucune prise pour la retenir et Léttan n'eut qu'à la pousser dans le dos pour la faire glisser et l'amener vers l'Oiseau. Krélia préféra se laisser conduire sans rechigner, comprenant qu'elle se fatiguait pour rien et n'ayant pas envie qu'il décide de la porter par l'amener de force chez le médecin de bord.
Avant de s'engager sur la passerelle, Léttan avertit Wiesse de la situation en criant.
Il sentit soudainement les épaules de Krélia se détendre et le visage de la jeune fille se décrispa, plus de froncement de sourcils ou de mâchoires contractées ni la moindre trace de douleur, mais elle se contracta de nouveau immédiatement après, la main encore plus serrée autour de son bras.
La tenant toujours, Léttan la conduisit à la cabine de Frand, seule personne à bord dispensée du travail à effectuer. Le second frappa contre la porte avec empressement. Un marmonnement alcoolisé lui répondit à travers le battant. Pourtant, Léttan ne s'inquiéta pas. Il savait d'expérience que le médecin retrouverait immédiatement tous ses moyens dès qu'il saurait que quelqu'un avait besoin d'aide.
Le jeune homme poussa la porte et fit entrer Krélia qui chercha de nouveau à résister.
Frand, gisant sur sa couchette, se redressa mollement et difficilement à leur entrée. Léttan ouvrit la bouche pour expliquer la situation au médecin mais ce dernier le prit de vitesse et comprit en avisant le sang sur la manche de Krélia.
À cette constatation, il fut traversé comme d'un éclair de lucidité et d'énergie, qui dissipa les vapeurs d'alcool, et il bondit sur ses pieds. Il remplaça Léttan auprès de Krélia et la fit asseoir sur un petit tabouret fixé au sol.
La jeune fille fronça le nez, dégoûté par les effluves écœurantes dégagées par Frand.
Le médecin voulu retirer la main de Krélia pour examiner la blessure mais elle se dégagea violemment en grognant et le repoussa d'un coup d'épaule, comme avec Nialek. Léttan fronça les sourcils, surpris par ce comportement. Il était vrai que Krélia avait manifesté son refus de se faire soigner dès que la pioche avait creusé cette blessure sur son bras.
Pourquoi cette attitude ?
C'était plus qu'étrange. Certainement était-ce car elle doutait des compétences de Frand.
Ce dernier entreprit de détacher les doigts de Krélia un à un. Elle poussa un nouveau grognement de bête blessée. Exactement ce qu'elle évoquait actuellement à Léttan : un fauve souffrant. Peut-être que cela expliquait ce comportement agressif.
Le médecin parvint finalement à retirer la main de la jeune fille qui lui dissimulait la blessure avec l'aide de Léttan qui écarquilla les yeux, hébété.
Entre les pans des vêtements déchirés et ensanglantés, il n'y avait plus rien, juste le bras pâle de Krélia, lisse de la moindre plaie et, si il n'y avait pas eu le sang rougissant sa peau et le tissu déchiré, jamais on aurait pu deviner qu'elle avait été blessée et ce seulement il y avait quelques secondes.
Léttan savait qu'il n'avait pas rêvé. Il avait vu l'os entre les lèvres de la plaie, l'état de ses vêtements, le sang, la pioche et l'état de Nialek, et, à présent, il n'y avait même pas une cicatrice, pas une seule trace d'entaille. Comme si la blessure s'était refermée seule en une minute.

« Qu'est-ce que ça veut dire ? Il n'y a rien du tout, constata Frand. Si c'est une plaisanterie, elle est vraiment mauvaise !
- Euh...désolé, Frand. »

S'excusa Léttan, encore stupéfait.
Les idées et les soupçons qu'il avait entretenu et alimenté durant de longs jours revinrent à la charge dans son esprit et il croyait également se souvenir des explications de Drämen, qui lui avait raconté que rien ne pouvait blesser les lénngashes à part l'argent et cette plaie qui venait de se refermer seule sans laisser la moindre séquelle semblait être une preuve.
En tous cas, cela le devenait à ses yeux. Se pourrait-il que ce qu'il avait considéré comme la vérité à leur dernier départ de Giléanne n'était qu'une erreur, que Drämen ne se soit pas construit de délire avec ses traumatismes et qu'il savait tout. Donc, le pirate lui avait tout raconté, lui avait livré la vérité sur un plateau d'or et il avait préféré croire les mensonges d'une créature maléfique qui les avait tous manipulé. Quel idiot !
Il y avait pourtant tellement de choses qui lui avaient indiqué et qui lui indiquaient encore ce qu'elle était : un monstre, mais il avait décidé de les ignorer pour plutôt croire à cette histoire de mariage arrangé, qui n'expliquait pas tout.
Léttan abattit lourdement sa main sur l'épaule de Krélia, comptant sur ses gants pour le protéger, puis il la força à se relever et, la tenant fermement, il la fit sortir en la jetant presque sur le pont.
La jeune fille se rattrapa au bastingage puis se retourna vers Léttan, qui la fixait avec un air dur. Il avait compris et l'histoire qu'il avait lui-même créé s'était effondré.
Krélia eut un sourire en coin mauvais et moqueur accompagné d'un regard supérieur. Elle massa ce qui avait été l'emplacement de sa blessure.

« Alors, Milinne, n'aurais-tu pas quelque chose à me confesser ?
- Oui. Tu n'es qu'un pauvre idiot. Tu devrais voir ta tête !

Léttan serra les poings, ignorant comment réagir et que faire face à cette situation.
Krélia lui décocha un nouveau sourire moqueur en écartant une mèche de cheveux d'un mouvement désinvolte, toujours avec cette expression hautaine. Elle s'accouda nonchalamment au bastingage et lui lança, sachant visiblement parfaitement qu'il ne pouvait rien faire :

- Bon, je vais donc aller me reposer un peu. Avec ma blessure, c'est mieux, et puis les autres risqueraient de se poser des questions auxquelles tu ne voudrais pas répondre. Bon courage. »

Sans attendre, toujours avec son sourire railleur, Krélia descendit sur le faux-pont et s'installa tranquillement dans son hamac, laissant Léttan empli de colère et d'impuissance.
Cependant, même si elle avait affiché cette attitude désinvolte et moqueuse, sous la surface, elle s'inquiétait. Maintenant que Léttan avait découvert que ses soupçons initiaux étaient fondés et que toute l'histoire de Milinne De Livès était cousue de fils blancs, il allait revenir à la charge et, à présent qu'il était certain qu'il ne s'agissait pas de simples idées, il allait chercher par tous les moyens à la piéger pour que tout l'équipage la découvre mais, au moins, il s'intéressait de nouveau à elle.

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