Chapitre 30 - Jamais d'inquisiteur à bord !

« Je pensais que c'était moi l'étranger mais, visiblement, c'est vous qui ne comprenez pas bien cette langue. Je vous ai dit de déguerpir de mon navire et vous revenez négocier une place à bord ? Vous ne doutez de rien !

Drämen partit d'un rire moqueur en rejetant la tête en arrière, rire repris par une partie de l'équipage. Alowen en particulier alors que Léanisse se contentait d'examiner l'inquisiteur et sa compagne avec les bras croisé sur la poitrine.
Allonn contracta les mâchoires enserrant les poings, vraiment vexé et en colère d'être raillé de la sorte. Yhrice lui serra l'avant-bras pour tenter de l'apaiser. Il ne fallait pas qu'il s'emporte contre le capitaine.
Ils venaient pour le convaincre d'accepter de leur faire suivre la route de l'Oiseau des vagues et répondre à cette provocation par l'énervement ne les aiderait pas, au contraire. Ils n'auraient plus qu'à chercher une autre embarcation et un autre équipage prêt à la navigation, ce qui se raréfiait par ces temps, qui se trouvaient toujours soit-disant sous l'emprise d'une malédiction.
Donc, l'inquisiteur se contraignit au calme en inspirant profondément à quelques reprises pour s'imposer un peu d'apaisement et puisant également dans celui que lui transmettait Yhrice.
Il ne sut comme il put ignorer Alowen, qui continuait à se gausser doucement, assise sur le bastingage et son tricorne sur la tête. Léanisse lui donna un coup de coude dans le genou pour la faire taire et sa jumelle cessa de se moquer en serrant fermement ses lèvres l'une contre l'autre.
Les poings sur les hanches, Drämen précisa :

- En d'autres termes, c'est non.
- Donc, vous refusez ?
- Exactement et je me trouve déjà bien urbain de vous avoir laissé monter et de vous avoir écouté.
- Vous ne pouvez pas refuser ! Je vous le demande au nom de l'autorité de l'inquisition !
- Raison de plus pour vous répondre non.

L'équipage s'esclaffa de nouveau et même Léanisse eut un sourire en coin amusé, bien qu'également désabusé.
Croire qu'invoquer l'organisation des chasseurs de maléfices les persuaderait de les accepter à bord était bien mal connaître le capitaine du Fleuret. Au contraire de ce qu'Allonn espérait, c'était le meilleur moyen pour qu'il les jette par-dessus bord.
Les phalanges d'Allonn craquèrent. Son envie de frapper ce petit capitaine n'avait jamais été aussi violente. Voyant que le coup s'apprêtait à partir, Yhrice le retint en empoignant son avant-bras à deux mains et elle ramena son bras le long de son corps. Elle entendit les dents de son fiancé grincer à côté d'elle.
Peut-être pourrait-elle essayer de reprendre les négociations pendant qu'Allonn se calmait et retrouvait son sang-froid. Elle fit un pas en avant, cessant de se dissimuler derrière Allonn qui s'était placé ainsi en une attitude de protection.
Les rires cessèrent et les regards convergèrent sur elle, intrigués de voir comment cette petite demoiselle allait se montrer plus persuasive que son inquisiteur de compagnon.
Du moins, ce furent les pensées de la grande majorité des membres de l'équipage car Alowen, elle, la détailla avec un sourire concupiscent. C'était vrai que la première fois qu'elle l'avait vu, il y avait quelques heures, elle l'avait trouvé à son goût.
Ne remarquant pas Alowen qui la déshabillait presque du regard sans chercher à se cacher, Yhrice prit la parole :

- Peut-être pourrions-nous au moins vous expliquer pourquoi nous avons besoin de vos services ?
- Si cela vous plaît de vous fatiguer inutilement...
- Vous nous avez expliqué que la créature se trouvait sur un navire mais il est parti pour Argine. Nous avons besoin d'un équipage pour pouvoir le rejoindre.
- Il y a d'autres navires alors au revoir.
- Peut-être mais plus beaucoup qui naviguent et  vous êtes les seuls à savoir ce que nous poursuivons.
- Ne comprenez-vous pas que nous ne voulons pas de vous à bord ?
- En fait, c'est de lui dont nous ne voulons pas. Elle, elle peut rester tant qu'elle veut.

Lança Alowen en montrant Yhrice d'un mouvement du menton avec un regard enflammé et en se passant la langue sur les lèvres.
Drämen leva les yeux au ciel avec un soupir. Et après c'était les hommes qui couraient tous après d'éventuelles conquêtes. Ceux qui pensaient cela ne connaissaient vraisemblablement pas Alowen.
Léanisse frappa sa jumelle au bras avec un geste de reproche. Ce n'était vraiment pas le moment de jouer les séductrices, surtout qu'elle n'arriverait à rien. Décider de tourner autour de la fiancée d'un inquisiteur était exactement le genre d'idées farfelues et incongrues qui passaient parfois par l'esprit d'Alowen qui, visiblement, ne retenait jamais la leçon.
Face à l'attitude de la jeune fille, Yhrice fronça les sourcils et Allonn se plaça à nouveau devant elle.
Puisque plus personne ne savait comment réagir après l'intervention plus ou moins déplacée d'Alowen et que les regards évitaient de se croiser, Drämen préféra feindre l'indifférence, comme si il n'avait rien entendu, et il reprit la parole après un raclement de gorge gêné :

- Bien...euh, notre position reste la même. Nous n'accepterons pas de vous amener à la rencontre de ce navire, ni maintenant, ni jamais. À présent, allez vous-en. La conversation n'a que trop duré.
- Un instant !

Le rappela Allonn alors que Drämen avait fait volte-face pour regagner sa cabine, ayant l'intention, comme il l'avait déjà signalé, de clore la discussion, trouvant qu'il avait déjà accordé beaucoup trop de temps à ce petit inquisiteur qui commençait vraiment à l'agacer.
Le capitaine se retourna de nouveau vers Allonn, une main sur la poignée de son sabre, se demandant si il allait devoir l'utiliser pour enfin les faire partir.
Yhrice se sentit nettement moins assurée subitement, entre le regard d'Alowen, qui continuait à peser sur elle, et les doigts de Drämen crispés sur sa lame. Peut-être qu'ils feraient mieux d'obéir et de trouver un autre équipage plus disposé à les aider. La jeune fille recula, un peu effrayée et appréhendant ce qu'il pourrait se passer.
À l'inverse, Allonn paraissait bien plus confiant. Il s'avança face à Drämen, juste séparé par quelques centimètres, forçant le capitaine à lever le regard, puisque l'inquisiteur était un peu plus grand que lui.
Les poings sur les hanches, le jeune inquisiteur choisit d'abattre le dernier argument qu'il lui restait, et qu'il espérait efficace, surtout qu'il n'était pas certain qu'il soit fondé, et il déclara :

- Je pense que vous allez tout de même nous trouver une place.
- Ah oui ? Et pourquoi donc ? Rien que pour rire, je suis curieux.
- Vous me forcez à faire quelque chose qui me déplaît mais, soit vous nous aidez sans contrepartie, soit il se pourrait que vous ayez très prochainement une visite de la garde marine.
- Et pourquoi s'intéresserait-elle à nous ?
- Car vous êtes des pirates. Ce n'est pas compliqué à déterminer. Des femmes sur un navire, une politique bien personnelle et un navire non répertorié, j'ai vérifié.
- Ah merde ! Je pensais vraiment les inquisiteurs plus stupides ! Vous n'avez qu'à les prévenir, je vous en prie. Je ne trahirai pas ce que je pense. Cette fois, c'est la dernière fois que je vous dit de partir. Ne m'obligez pas à vous l'expliquer de force.
- Je crois que nous avons épuisé toutes nos possibilités. Viens, Allonn. »

Yhrice entraîna Allonn à sa suite, trouvant qu'il était vraiment temps de laisser ces pirates en paix. Ils devaient certainement arriver à court de tolérance à leur égard et, comme ils ne s'encombraient pas avec la loi, elle préférait ne pas trop les énerver.
Allonn adressa un regard noir à Drämen, qui s'en moquait bien, qu'avait-il à faire des rancœurs d'un inquisiteurs, puis il redescendit sur le quai, accompagné de Yhrice qui se retourna vers le navire, inquiétée par cet entretien avec des pirates.
Allonn lui prit la main et l'entraîna derrière lui, voyant qu'elle se sentait troublée par cette conversation. Elle se demandait surtout comment ils allaient trouver un équipage complet disposé à se lancer à la poursuite d'une créature maléfique. Cela aurait été tellement plus simple que ces pirates acceptent de leur rendre ce service, sans compter qu'ils connaissaient déjà le navire qu'ils pourchassaient et son équipage ainsi que les risques encourus dans cette affaires.
Pourquoi haïssaient-ils l'inquisition à ce point ? Car c'était bien ce qu'ils avaient vu chez ces personnes, de la haine clairement manifestée à l'encontre d'Allonn et de sa tunique bleu persan.
Oui, ce serait tellement pratique que Drämen veuille bien d'eux à bord.

Ils arrivèrent au poste de l'inquisition où une chambre les attendait, normalement.
Allonn ne prononça pas un mot de tout le trajet, lui aussi réfléchissant au moyen de retrouver l'Oiseau des vagues et sa passagère maléfique.
L'un de ses collègues inquisiteur vint à sa rencontre pour s'enquérir de l'avancée de l'affaire après cette première journée. Le bilan fut mitigé, bien qu'il ait réuni des éléments s'avérant utiles et pertinents, il était quelque peu assombri par leurs difficultés à convaincre les pirates et donc à trouver un moyen de poursuivre la créature.
Allonn en profita également pour interroger son confrère, au cas où il connaîtrait la nature de la chose dont il remontait la piste mais l'homme secoua négativement la tête, ignorant. Yhrice retint un soupir affligé en levant les yeux au ciel.
Comment pouvaient-ils lutter contre les maléfices qu'ils tentaient de détruire si ils ne savaient même pas ce qu'ils poursuivaient ? Elle avait bien fait de suivre Allonn pour s'assurer qu'il ne se mettrait pas en danger.
Le jeune inquisiteur prit Yhrice par la main, la tirant de ses pensées, et il la conduisit dans les étages où se trouvaient les quartiers des inquisiteurs. Il y avait même des familles qui vivaient là, Yhrice espérait que ce n'était pas ce qu'Allonn prévoyait pour eux après leur mariage car elle doutait de pouvoir garder ses secrets au milieu de dizaines d'inquisiteurs.
Ils entrèrent dans une petite chambre meublée d'un lit, d'une armoire, d'une commode et d'un coffre. Une porte donnait sur le cabinet de toilette dans le fond.
Yhrice s'assit sur le bord du matelas, pensive.

« Mes collègues devraient pouvoir trouver une embarcation.
- C'est trop stupide de ne pas voyager avec ceux qui savent exactement de quoi il retourne !
- Mais ce n'est pas grave et je préfère me trouver avec d'honnêtes marins plutôt qu'avec des pirates. »

Yhrice pencha la tête vers son épaule en un demi-acquiescement, ne pouvant que donner raison à Allonn mais refusant de démordre de son idée.
Cet équipage aurait été parfait. D'après ce qu'on racontait, les pirates n'avaient peur de rien, c'était l'idéal pour la situation, mais le capitaine s'obstinait dans son refus et affichait avec insolence son désaccord pour la vocation d'Allonn, comme tout  son équipage d'ailleurs. Il n'y avait rien à faire. Ils ne voulaient pas d'hommes de l'inquisition à bord. Même le chantage d'Allonn n'avait pas eu le moindre effet. Ils préféraient se faire arrêter, peut-être pendre, plutôt que de les accueillir sur le Fleuret.
Yhrice fit tomber son menton dans sa paume sans cesser de faire tourner ces idées dans son esprit.
Si seulement il avait été simple par les temps qui couraient de dénicher un équipage prêt à naviguer, elle ne se serait sûrement pas tourmenté de la sorte. Sans compter que les jours qu'ils perdraient à chercher, l'Oiseau des vagues s'éloignerait et pourrait même changer de cap, effaçant la piste de cette créature, qu'elle sentait si proche et distante à la fois.
Tout en réfléchissant et s'agaçant d'arriver toujours à la même conclusion, que c'était vraiment rageant que Drämen les chasse, elle commença à tapoter son genou du bout des doigts tout en marmonnant à voix basse.
Elle pinça prestement les lèvres en s'apercevant qu'il s'agissait d'une formule qu'elle murmurait inconsciemment. À force de remuer les faits dans son esprit, une solution qu'elle n'avait pas cherché à trouver lui était venue.
C'était un sort de contrôle léger, quelque chose permettant de plier autrui à sa volonté mais sans en faire un pantin totalement soumis. En fait, le principe était d'implanter une idée dans le subconscient d'une personne pour qu'elle l'applique ensuite au moment utile.
Yhrice s'empressa de chasser les mots de son esprit. Elle ne voulait pas user de magie !
Cependant, ce serait le moyen de tout régler. Ainsi, ils obtiendraient l'équipage qui convenait parfaitement pour cette affaire et ils pourraient lever l'ancre dans deux heures au grand maximum, n'accordant pas beaucoup d'avance à l'Oiseau des vagues.
Yhrice tordit la bouche en hésitant.
Après tout, ce n'était pas de la grande sorcellerie violente et le sortilège ne comportait pas le moindre risque pour la cible. Elle ne ferait qu'aider Allonn à stopper une menace, ça ne la transformait pas en quelqu'un de mauvais. Elle combattait le mal avec ses propres armes, rien de plus, et elle ne changerait pas Drämen en esclave sans conscience. C'était simplement pour le convaincre puisque les mots ne suffisaient pas.
Les scrupules de la jeune fille s'effacèrent pour céder la place à sa décision.
Prétextant un besoin de se rafraichir, elle alla s'enfermer dans le cabinet de toilette qu'elle prit soin de verrouiller derrière elle, ne souhaitant vraiment pas être surprise par Allonn, surtout qu'ils se trouvaient au cœur du poste de l'inquisition. Jeter un sort dans les murs de l'inquisition, quelle impertinence, mais c'était pour la bonne cause, donc justifié.
Elle n'avait pas de matériel de maléfice mais se débrouillerait. Un peu d'eau, le nom complet de la victime et de la volonté devraient fonctionner.
Encore une fois, la vasque lui servit de récipient. Yhrice ne put s'empêcher d'imaginer l'expression de celle qui avait fait son éducation magique, la plongeant dans un tourbillon infernal dont elle s'était à peine extirpée pour y être expédiée de nouveau, qui soutenait que des ustensiles appropriés garantissaient la qualité des sorts. Cette sorcière ne jurait que par les casseroles en étain mais cela ne dérangeait pas Yhrice de ne pas respecter ses précepts, au contraire. C'était cette femme qui l'avait précipité dans cet enfer alors pourquoi aurait-elle le moindre respect pour une chose venant d'elle ?
La jeune fille chassa ces pensées et se concentra plutôt sur le sort qu'elle se préparait à jeter.
Elle espérait profondément qu'il serait assez léger, comme celui de communication, pour que son démon ne s'aperçoive pas qu'elle usait à nouveau de magie. Elle se força à ne pas envisager cette éventualité qui la paralysait en faisait remonter des souvenirs désagréables. Elle inspira profondément et détendit ses épaules pour se lancer.
Les mots de la formule en langage démonique rappèrent son palais en franchissant ses lèvres. Comme pour le sort de communication, elle trouva que les paroles exactes lui revinrent trop facilement en mémoire. Ce n'était pourtant pas faute d'avoir essayé d'oublier tout cela et, bien que cela l'arrangeait présentement, le déplaisir était bien plus grand.
Dans la vasque, l'eau se teinta de violine pâle. Yhrice continua à réciter la formule en intercalant le nom de Drämen entre chaque phrase.
Cela dura de longues minutes, trop longues au goût de Yhrice qui craignait de voir se manifester son démon à cause de son activité magique.
La jeune femme soupira de soulagement lorsque l'eau reprit son apparence initiale, indiquant que le sort avait fait effet. Un fin sourire se traça sur son visage.
À présent, il ne restait plus qu'à persuader Allonn de retourner voir les pirates, encore une fois.

***

Drämen grommelait, accoudé au bastingage, le visage écrasé dans ses mains.
L'insistance de ce ridicule petit inquisiteur l'avait grandement énervé et il ne parvenait plus à penser à autre chose ou à se calmer.
Pour qui se prenait-il pour invoquer l'autorité de l'inquisition sur son navire ? Il avait eu de la chance qu'il ne l'embroche pas, cet avorton !
Cet homme se donnait des airs de défenseurs, de celui qui avait une haute opinion de lui-même et qui affichait à quel point il était quelqu'un de bien, mais il savait très bien que des innocentes avaient été torturées et l'étaient encore dans les caves de l'inquisition et ça ne lui ôtait pas le sommeil ni son auto-satisfaction.
Si jamais il recroisait cet homme, il ne garantissait pas de garder son sang-froid, surtout en ce moment. C'était à croire que la population des Caëlinnes s'était accordé pour le faire sortir de ses gonds en cette période déjà compliquée pour lui.

Le capitaine se retourna vivement dans un sursaut et il regarda autour de lui. Il avait cru entendre quelqu'un lui susurrer des paroles incompréhensibles à l'oreille mais la personne la plus proche de lui se trouvait à deux mètres et il était certain qu'il s'agissait d'une voix de femme.
Drämen leva les yeux vers les cordages, soupçonnant peut-être une plaisanterie d'Alowen mais cette dernière discutait avec Léanisse sur le gaillard d'avant. À en juger par leurs expressions respectives, elles parlaient de la visite de l'inquisiteur.
Drämen secoua la tête. Avec la fatigue et l'agacement, il avait dû avoir des hallucinations auditives. Il ferait mieux de ne plus penser à l'agaçant personnage qu'était Allonn et de se trouver un autre sujet de réflexion pour s'occuper l'esprit.
À peine ces deux pensées s'enchainèrent-elles que la voix murmura à nouveau à son oreille. Cette fois, il l'avait clairement perçut et il pouvait certifier qu'il ne s'agissait pas du timbre d'Alowen et encore moins de celui de Léanisse, qui était légèrement plus grave que celui de sa jumelle alors quoi ? Était-il en train de perdre la raison entre l'anniversaire de son calvaire, l'apparition d'un être maléfique, les accusations de Léttan et il ne savait quoi encore ?
Après tout, c'était une fin logique à l'histoire pitoyable du pauvre hère qu'il était.
Soudain, un brusque et violent mal de crâne le saisit, lui donnant l'impression que sa tête allait éclater. Il se prit le front entre les mains en poussant un grognement de douleur qui augmenta cette subite et étrange migraine.
Depuis l'autre côté du navire, Léanisse remarqua son malaise. Abandonnant Alowen au milieu de sa phrase, elle rejoignit prestement son capitaine qui vacillait, courbé en deux avec une grimace de douleur sur le visage.
Remarquant à son tour le subite état de Drämen, Alowen suivit sa sœur qui passait un bras dans le dos du capitaine pour le soutenir. Drämen s'appuya contre elle en pesant sur elle de tout son poids sans le vouloir, la faisant tituber en arrière.
Elle tenta de l'appeler et de lui demander ce qu'il lui arrivait mais c'était comme si il ne l'entendait pas et il ne fit que râler contre son épaule. Léanisse échangea un regard inquiet avec sa jumelle, ne sachant que faire, alors que le reste de l'équipage commençait à converger vers eux, se demandant ce qu'il se passait et s'inquiétant pour son capitaine qui paraissait subitement bien mal en point.
Alowen, pas la plus adepte de la subtilité, releva le visage de Drämen et lui asséna deux gifles, une sur chaque joue, pour tenter de le tirer de cette sorte de torpeur douloureuse, mais sans succès. Léanisse adressa un regard de reproche à Alowen qui haussa les épaules.
La jeune fille lança à sa jumelle, évoquant leur enfance, ce qui était fort rare :

« Heureusement que tu voulais être guérisseuse quand t'étais petite !
- J'essaye de trouver une solution !

Se justifia Alowen. Léanisse leva les yeux au ciel en se rappelant de ne jamais demander le concours de sa sœur si jamais elle était malade.
Sur un signe de la main, la seconde demanda l'aide d'un des marins, un colosse aussi grand que large, pour allonger Drämen au sol sans que son crâne ne heurte les planches.
À présent qu'elle pouvait mieux observer le capitaine, Léanisse l'examina. Ses bras et ses jambes étaient raides mais ses lèvres remuaient sous des paroles inaudibles et son œil valide s'agitait sous sa paupière. Il semblait en proie à un délire mais rien ne l'expliquait.
Il se portait parfaitement bien quelques minutes auparavant. Ça avait été tellement soudain, elle ne comprenait pas. S'assurant qu'il n'avait pas de fièvre, Léanisse posa une main sur son front et elle le trouva frais alors pourquoi était-il dans un état pareil ?
Au contact de la jeune fille, Drämen s'agita encore davantage. Léanisse s'empressa de retirer sa main mais le jeune homme ne s'apaisa pas. Sous les mouvements de plus en plus violents de ses yeux, la paupière valide de Drämen s'entrouvrit, dévoilant le bas de son globe oculaire et Léanisse ne put retenir un vif mouvement de recule en le voyant.
L'œil de Drämen n'était plus normal. Son apparence avait changé, il avait une légère teinte violine pâle. Maintenant, Léanisse savait ce qui avait causé le malaise de son capitaine. La sorcellerie.
Entre l'attaque qu'ils avaient subit et ce malaise, Léanisse commençait vraiment à se demander si Drämen n'avait pas contrarié une sorcière mais quand et comment ? Pourquoi une femme en voudrait-elle... Léanisse interrompit sa question silencieuse d'elle-même. Si, elle devinait très bien.
Il n'était pas particulièrement exceptionnel de voir le capitaine du Fleuret s'éclipser de la taverne en charmante compagnie. Chose que Léanisse remarquait toujours avec désaccord. Non seulement il se permettait d'afficher ses conquêtes provisoires sous ses yeux à elle mais, en plus, il éconduisait une sorcière. Quel idiot !
S'énervant soudainement contre Drämen, elle qui parvenait pourtant à se contenir, elle gifla le capitaine, imitant Alowen qui grommela tout bas. Alors, elle, elle méritait des reproches mais Léanisse pouvait faire exactement la même chose.
Cette nouvelle agression ne fut pas plus efficace que la précédente et Drämen demeura inconscient et de plus en plus agité, à la limite des convulsions.
S'inquiétant vraiment malgré sa colère qui l'avait étreinte, Léanisse se tourna vers le reste de l'équipage et ordonna sans s'adresser à quelqu'un en particulier :

- Allez chercher un médecin !

Avant que quelqu'un ne puisse obéir, Drämen se redressa vivement, faisant sursauter Léanisse, qui eut un nouveau mouvement de recule.
Le capitaine promena son regard autour de lui, l'air visiblement troublé et perdu. Léanisse soupira de soulagement en constatant que son œil valide, le seul qu'elle voyait, était redevenu normal. Il avait retrouvé cette couleur ambrée typique des habitants de Vran.
Il se passa une main sur le visage, la respiration légèrement haletante. Voyant tout son équipage réuni autour de lui avec une expression inquiète, il demanda :

- Que se passe t-il ?
- Nous espérions que tu pourrais nous l'expliquer. Répondit Alowen en croisant les bras sur sa poitrine.
- La prochaine fois, méfie-toi te tes conquêtes d'un soir.
- Hein ?

Lâcha Drämen, exprimant son incompréhension par rapport à la remarque, apparemment vexée, de Léanisse.
Cette dernière ne répondit pas au regard étonné du capitaine et elle se leva sans rien dire pour s'éloigner plus loin sur le navire. Drämen se tourna vers Alowen pour qu'elle puisse lui expliquer, puisqu'elle était la personne la plus à même de deviner ce qu'il se passait dans l'esprit de sa jumelle, mais la jeune fille ne fit que hausser les épaules. Elle non plus ne comprenait pas la réaction de Léanisse.
Drämen se releva, prenant appui sur ses paumes, plutôt mal assuré sur les muscles de ses jambes. Il avait la sensation qu'il s'était produit quelque chose et que du temps s'était écoulé entre l'instant où il était accoudé au bastingage et celui où il venait de se réveiller sur les planches du pont mais il ne se souvenait que de noir.
Que lui était-il arrivé ? Peut-être qu'il avait fait quelque chose durant cette période d'oublie qui justifiait le comportement de Léanisse à son égard.
Il alla pour interroger la jeune fille et comprendre ce qu'elle lui reprochait exactement mais, alors qu'il longeait le bastingage, il avisa les silhouettes de deux personnes qu'il commençait à un peu trop connaître à son goût.
Un soupir d'agacement franchit ses lèvres. Décidément, cette journée continuait très mal mais, étrangement, son envie de les chasser, à coups de sabre si besoin, s'évapora bien rapidement, presque avant qu'elle se forme véritablement dans son esprit et il leur fit même signe de monter.
Les voyant aussi, Alowen s'approcha et demanda à son capitaine :

- Tu veux qu'on les renvoi à coups de poings ? Comme ça, il comprendront.
- Non. Je veux entendre ce qu'ils veulent. »

Alowen ouvrit des yeux ronds en dévisageant Drämen, pas certaine qu'il soit parfaitement sérieux mais elle dû se rendre à l'évidence qu'il ne plaisantait pas.
Allonn et Yhrice montèrent à bord et l'inquisiteur surveillait toutes les personnes présentes d'un regard attentif, la main sur son épée. Après s'être fait chasser, il craignait la réaction que pouvait causer leur insistance auprès des pirates.
Il se tourna vers Yhrice, puisque c'était elle qui avait souhaité revenir sur le navire même si il le lui avait hautement déconseillé et qu'elle avait dû utiliser ce regard auquel il ne résistait pas.
La jeune femme fit un pas en avant et prit la parole :

« Désolée de venir encore vous importuner mais nous voulions savoir si vous aviez réfléchi à notre demande. Peut-être avez-vous changé d'avis en quelque heures.
- En combien de langues faut-il vous le répéter ? Lança Alowen.
- Ouais, c'est bon, allez vous installer sous le gaillard d'avant. Nous levons l'ancre dans la minute.
- Quoi ? S'exclama Alowen.
- Nous les amenons à l'Oiseau des vagues. »

Annonça Drämen, les yeux démesurément agrandis par la stupeur et Léanisse les fixait d'un peu plus loin, les mâchoires contractées et les muscles vibrant de rage.
Ce n'était pas possible, elle avait mal entendu ! Drämen ne pouvait pas venir d'accepter. Elle avait des hallucinations, elle avait rêvé, c'était la seule explication.
Pourtant, elle vit très clairement Allonn et Yhrice sourire, bien que le premier soit également stupéfait et que la deuxième semble victorieuse. Le capitaine des pirates et l'inquisiteur échangèrent une poignée de main presque amicale et Léanisse manqua de s'écrouler de stupéfaction.
Alowen se tourna vers sa sœur, hébétée et ne sachant pas si elle devait se jeter sur Allonn ou sur Drämen. Peut-être sur Yhrice pour lui faire ravaler cette expression triomphale.
Drämen eut un sourire tiré et crispé, comme si on l'obligeait à la faire, ce qui, en un sens, était un peu le cas, puis il montra aux deux indésirables où ils pouvaient s'installer pour le voyage.
Quoi qu'en pense les jumelles et autant qu'elles désapprouvent, l'inquisiteur et sa fiancée étaient à bord.

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