Ulina se laissa tomber dans le divan, une main plaquée sur la bouche pour retenir au mieux ses sanglots et les larmes roulaient en abondance sur ses joues poudrées.

Elle avait entendu le hurlement de souffrance terrible et avait reconnu la voix de Milinne mais, avant qu'elle ne puisse aller s'enquérir de ce qu'il se passait, vraiment très inquiète, tout s'était accéléré. Elle avait entendu des pas précipités, Eral appeler la garde et des bruits de verre brisé.
Elle avait suivit son époux dans les appartements de Milinne dont une fenêtre éclatée laissait pénétrer le vent qui agitait mollement les rideaux légers.
Avant qu'elle ne puisse poser la moindre question, elle avait remarqué l'expression de colère que portait Eral ainsi que le sang coulant de son front.
Il lui avait expliqué ce qu'il s'était produit et que, bien qu'il ignorait exactement quelle était sa nature, leur fille ne l'était plus. Elle était un être maléfique, une créature que brûlait le sel puisqu'il ne pouvait la purifier et Ulina avait commencé à pleurer.

Sa fille adorée était donc bien morte et jamais rien ne pourrait ne la ramener. Pour rajouter à cela, un monstre avait revêtu son apparence, utilisant le beau visage de Milinne pour commettre et répandre des maléfices. Elle avait tellement souhaité y croire, que son enfant était en vie et que la mort ne la lui avait pas arraché à tout jamais.
Peut-être que, si Eral n'avait pas enquêté, elle se serait bien moqué de ce qu'était en réalité Milinne. Elle lui ressemblait tellement, avait même quelques unes de ses attitudes et mimiques alors qu'importe, en un sens.
Ses sanglots prirent de l'ampleur et elle plaqua sa deuxième main sur le bas de son visage.
Eral s'assit à côté d'elle et lui passa un bras autour des épaules. Lui aussi aurait souhaité y croire, que ce soit bien leur Milinne que les soldats de la garde terrestre leur avait ramené. Leur fille qui pourrait reprendre sa belle vie injustement et prématurément écourtée. Que, finalement, elle pourrait se marier et engendrer une descendance.
Cependant, bien qu'il partage les sentiments d'Ulina, il ne réagissait pas d'une façon identique. Alors qu'elle se morfondait sans mesure et se déshydratait à force de larmes, lui, demeurait silencieux et distant.
Il camouflait sa peine sous de la colère. De la colère qu'il avait d'abord dirigé contre les assassins de sa fille, les membres de la garde qui s'étaient révélé incapables à la retrouver à temps et, à présent, elle visait cette immonde créature qui les avait trompé et usurpé l'identité de Milinne.
Il déclara :

« Il faut que je prévienne l'inquisition.
- Non !

S'écria soudainement Ulina entre ses pleurs et elle saisit son époux par le bras, le retenant alors qu'il se relevait. Il rassit à côté d'elle. Il lui saisit le visage à deux mains, la forçant à le regarder et ses larmes ruisselèrent sur ses doigts.
Son regard dans le sien, il lui expliqua lentement :

- Ce n'était pas Milinne, tu comprends ? Aussi dur que ce soit, Milinne est morte, il y a plusieurs mois déjà. Cette...chose qui s'est tenu face à nous, quelle qu'elle soit et quoi que soient ses intentions, a volé son apparence. Ce n'était pas elle.
- Mais...
- C'est un être maléfique, nous ne pouvons la laisser libre de ses mouvements. Elle pourrait faire énormément de mal.
- Je comprend, oui. Vas-y, va les avertir. »

Welëom détacha son oreille de la porte à travers laquelle il écoutait la conversation entre le couple De Livès.
Alerté par les mêmes choses que Ulina : les cris, les pas et le bris de la fenêtre, il était monté à la recherche d'une explication. Sachant qu'il ne serait pas convié à la discussion privée, il avait espionné leurs paroles, bien qu'il n'en soit pas très fier.
Le jeune homme s'appuya contre la porte, le menton dans la main, pensif et réfléchissant à ce qu'il venait d'entendre.
Donc, Milinne n'était pas revenue mais il s'agissait d'une créature ayant adopté son apparence. Il était vrai qu'il aurait été fortement surpris dans le cas contraire mais il n'avait pas non plus soupçonné un vol d'identité par un être maléfique.
Cette découverte amenait des questions : quelle était la nature exacte de cette créature ? Où se trouvait-elle à présent ? Quel était son but en se faisant passer pour Milinne ? Pourquoi créer une créature possédant la même apparence que Milinne ?
Welëom pensait pouvoir répondre aux deux dernières. Si cette personne, ou plutôt cette chose, n'était ni un démon, ni une sorcière puisque le démolabe le prouvait, elle avait forcément été invoquée par quelqu'un, une sorcière, et Welëom se doutait déjà du nom de la coupable.
Il allait devoir être extrêmement prudent.

***

Deux membres de la garde terrestre, Fryrt et Hayne, avaient chevauché durant des heures, dans le froid de la nuit, sous le levé du soleil incandescent et dans le vent de la mâtinée.

Ils étaient partis immédiatement après l'ordre d'Eral De Livès d'aller vérifier la tombe de leur fille à Kiney. Ils n'avaient eu aucune envie de contrarier cet ancien inquisiteur dont la réputation n'était plus à faire. Sans compter qu'il y avait trois mois, il avait manqué de détruire le poste de garde lorsqu'on lui avait appris le décès de sa fille. L'affaire avait été si retentissante que, même eux, en poste à Giléanne, en avaient entendu parler.

Poussant leurs montures à leur maximum, ils atteignirent la capitale en début d'après-midi. Ils se présentèrent au premier poste de la garde et se renseignèrent sur la direction à prendre pour gagner le cimetière d'Elentiya, un cimetière réservé à la noblesse.
Grace aux indications de leurs confrères, ils trouvèrent sans difficulté cette dernière demeure pour nombre d'âmes.

L'endroit était ceint d'une haute haie d'ifs. Les allées de graviers légèrement rosés étaient soigneusement entretenues, quelques carrés de pelouse entouraient les mausolée principalement de marbre et des arbres de différentes sortes s'élevaient entre les tombes.

Fryrt et Hayne laissèrent leurs chevaux à l'entrée et pénétrèrent dans le cimetière. Leurs pas crisèrent sur les graviers des petits sentiers et ils eurent la sensation de troubler la quiétude du lieux. Ils n'étaient pas les seuls visiteurs et quelques personnes se recueillaient ça et là.
Les deux soldats se dirigèrent vers la partie du cimetière qui accueillait les sépultures les plus récentes, là où se trouvaient sans aucun doute celle de la fille des De Livès. Là, ils se séparèrent pour ne pas perdre de temps.
Fryrt la repéra le premier et il appela son collègue qui le rejoignit à pas pressés. De la part des De Livès, ils se seraient attendu à un grand mausolée en l'honneur de leur enfant mais il ne s'agissait que d'une petite pierre tombale en marbre blanc veiné de rose aux angles arrondis et sur laquelle était gravé le nom de Milinne De Livès, la date de sa naissance et celle de son tragique décès ainsi qu'un petit portrait gravé dans la pierre.
Ils constatèrent en même temps que la terre autour et sur la tombe avait été retournée. Ça ne semblait pas particulièrement récent mais cela datait de moins de trois mois.
Autre chose attira leur curiosité. Cela ressemblait à un cercle tracé autour de la tombe en partie effacé par le vent et la pluie. Hayne s'agenouilla et passa le doigt sur cette étrange délimitation. Elle avait été faite avec un genre de poudre qu'il n'avait jamais vu. Cela ressemblait beaucoup à de la terre mais en beaucoup plus fin et avec une étrange odeur légèrement fruitée.
Il se releva alors que Fryrt s'approchait de la pierre tombale à côté de laquelle il s'accroupit. Il passa une main sur une partie de la pierre. Les sourcils froncés, il dit à Hayne de venir.
Son compagnon le rejoignit à côté de la sépulture. Fryrt lui montra quelque chose : un petit symbole gravé dans le marbre. Cela ressemblait à un cercle dans lequel s'entrecroisaient différents motifs. Ils échangèrent un regards, des fois que l'autre aurait une idée de ce que cela pouvait bien signifier.
La seule chose certaine était que tous ces éléments étaient plus qu'étranges.
Ils feraient bien de retourner à Giléanne pour informer Eral De Livès de ces trouvailles troublantes.