Chapitre 11 - Retrouvailles familiales
Après huit jours, l'Oiseau des vagues pénétra enfin dans les eaux du port de Lémolia.
Un temps de voyage qui leur en avait paru le double, même si la suite du trajet avait été paisible, contrairement au début entre les pirates et la Colère de Dinéa.
Ils avaient dû se restreindre puisque une partie de leurs réserves de vivres avaient terminée dans les flots impétueux. L'état du navire avait également fait angoisser. La coque avait souffert des assauts des vagues en plus de l'attaque des pirates et tous craignaient qu'elle ne se disloque avant d'arriver mais, heureusement, et grâce à une surveillance étroite, ils avaient atteint leur destination sans autre désagrément que la faim leur rongeant le ventre.
Pour Krélia, elle avait été plutôt simple à ignorer puisque la jeune fille avait été en proie à ses douleurs menstruelles bien plus désagréables et qui la rendaient particulièrement irritable. Tout le monde avait donc préféré la laisser en paix et aucun commentaire sur ses mains brûlées n'avait été prononcé.
Ses blessures avaient rapidement cicatrisées, que ce soit grâce aux soins de Frand, qu'elle avait été forcée de reconnaître compétent, ou grâce à son métabolisme efficace. Que se soit l'un ou l'autre, elle se passait de bandage depuis deux jours et plus aucune cloque ne marquait sa peau qui demeurait encore rougie et ses doigts manquaient encore de souplesse mais elle s'en sortait mieux qu'elle le craignait.
Finalement, il ne s'agissait pas de séquelles permanente mais de blessures plus tenaces que les autres.
Accoudée au bastingage pour regarder les bâtiment de Lémolia se rapprocher, la jeune fille plia les articulations de ses doigts pour les dégourdir un peu.
Heureusement que Léttan avait l'esprit beaucoup trop focalisé sur l'éventuelle disparition de son frère pour s'occuper d'elle, sinon, elle n'aurait pas pu respirer une seconde et il aurait passé son temps à surveiller l'évolution des brûlures, mais elle avait été tranquille. Sauf qu'elle se doutait qu'il reviendrait sur l'incident dès qu'il serait certain pour l'état de son frère.
Pour le moment, le second était fébrile d'être enfin arriver à destination. Il trépignait sur place, défaisait ce qu'il venait de faire pour le refaire quelques secondes après, tournait en rond. Comme le disait si bien l'expression, il brassait de l'air et commençait à agacer tout l'équipage. Heureusement qu'ils accostaient dans quelques minutes car personne ne garantissait qu'il ne risquait pas de terminer par-dessus bord.
Krélia se détourna du jeune homme que remuait sans savoir comment occuper ses mains en secouant négativement la tête, ses yeux turquoises au ciel.
Ils ne se trouvaient plus qu'à quelques mètre du quai fait de larges pierres grises claires.
Contrairement à Giléanne ou à Uriques, il n'y avait qu'une unique jetée qui se terminait en pente douce à l'ouest en se prolongeant par une plage de sable clair.
Sur cette même plage, à une dizaine de mètres du rivage, s'espaçaient de petites maisons de bois peint en vert, rouge, jaune, blanc ou bleu, comme un village avant la ville avec laquelle les rues communiquaient. Ce hameau était certainement un vestige des toutes premières habitations construites par les pêcheurs qui avaient battit un village qui s'était rapidement développé pour devenir la cité de Lémolia. Aucun doute que les familles qui habitaient là continuaient à vivre de la pêche.
Derrière ce petit bourg, les bâtiments étaient en pierres et à colombages vernis qui conférait une atmosphère chaleureuse, d'après Krélia.
Plus le regard s'éloignait vers le centre de la ville, plus les constructions s'élevaient, que ce soient des demeures bourgeoises, le palais du régent ou la flèche de la cathédrale qui dominait toutes les autres, bien loin de la modeste chapelle en bois brut du hameau.
Léttan attendit à peine que l'ancre soit jetée pour bondir à quai sans perdre le temps de mettre la passerelle en place.
Krélia leva une nouvelle fois les yeux au ciel en le voyant se réceptionner durement sur les larges pavés du quai. Il aurait pu se casser une jambe et, là, ça aurait été nettement plus compliqué d'aller s'enquérir de l'état de son frère.
Tinnam et Nialek installèrent la passerelle pour que ceux souhaitant descendre à terre de manière civilisée puisse le faire. Encore une fois, Krélia ne se comptait pas parmi eux. Comme à Uriques, elle préférait rester à bord, s'y sentant plus en sécurité que dans les méandres de la ville, qu'elle aurait pourtant souhaité visiter.
Lémolia lui semblait être le fruit d'un curieux métissage entre la simplicité modeste et la complexité massive.
Wiesse se dirigea vers la capitainerie signalée par un blason peint sur sa façade pour payer leur emplacement au quai accompagné de Nialek. Le capitaine se retourna pour regarder Léttan qui s'éloignait déjà vers la fin de la jetée.
Le jeune homme paraissait beaucoup moins fébrile et nettement plus anxieux que sur le navire. Wiesse savait parfaitement quelles relations il entretenait avec sa famille puisqu'il l'avait pris sous son aile juste après son départ de chez lui. Retourner à la maison familiale n'était pas facile pour lui.
Inquiet de l'état émotionnel de son second, Wiesse décida de le faire accompagner par l'un des matelots. Il se tourna vers son navire et promena le regard sur son équipage puis ordonna avec un mouvement de tête indiquant la direction que prenait Léttan :
« Krélia, va avec lui.
- Quoi ? S'exclama la jeune fille.
- Il a besoin de quelqu'un avec lui et, en général, les femmes sont plus compatissantes. »
Nialek lâcha un rire sarcastique en levant les yeux au ciel. Krélia releva le coin supérieur de sa lèvre en un grognement mais elle ne pouvait pas totalement lui en vouloir ou lui donner tort.
Il était vrai qu'elle n'était pas la personne la plus empathique qui soit. Son créateur ne l'avait pas doté de ce genre de choses et, comme elle savait qu'elle ne serait pas à l'aise avec un drame familiale et incapable de soutenir Léttan malgré son désir de le faire, elle n'obéit pas à Wiesse. Ce dernier, constatant qu'elle ne bougeait pas, lui adressa un regard insistant.
Souhaitant s'éviter des sanctions pour insubordination, la jeune fille se résigna dans un lourd soupir, faisant bien comprendre à tout le monde qu'elle était profondément contrariée, puis elle descendit à quai et courut derrière Léttan avant de le perdre de vue.
Entendant des pas précipités se rapprocher de lui, le jeune homme stoppa et se retourna. Il fut sincèrement surpris de découvrir Krélia. Elle le rejoignit et s'arrêta à sa hauteur, légèrement essoufflée.
Léttan posa un regard interrogateur sur elle, attendant qu'elle lui fournisse une explication ou une raison à sa présence. Ce qu'elle ne fit pas, croisant seulement les bras sur sa poitrine.
Après plusieurs secondes de ce jeu de silence, Krélia s'impatienta et l'informa :
« Wiesse ne veut pas te laisser seul.
- C'est aimable de sa part et tu t'es porté volontaire ?
- J'ai été désignée d'office.
- Ça m'aurait étonné aussi.
Conclut Léttan, du même avise que l'équipage, avant de se remettre en route. Krélia lui emboîta le pas en grommelant.
Qui pouvait-elle si personne ne lui avait appris à compatir aux peines d'autrui ? À présent qu'elle était totalement façonnée, c'était plus difficile de combler ces lacunes.
Elle se posta à côté de Léttan, refusant de rester sagement derrière lui comme un animal de compagnie et, puisque de toute manière, elle était déjà cataloguée comme la garce de service, elle lui demanda sans délicatesse ni peser ses mots :
- Que feras-tu si ton frère est mort ? Vas-tu porter le deuil avec ta famille ou repartir avec nous ?
Léttan leva les yeux qu'il avait écarquillés par la rudesse du questionnement.
Il y avait tout de même des manières plus agréables de demander ce genre de choses mais, en un sens, cela ne le dérangeait pas, une fois le choc de l'interrogation passé. Personne n'avait réellement osé aborder le sujet durant le voyage et aucun des marins n'avait vraiment su comment se comporter avec lui.
Interprétant son regard, Krélia s'excusa :
- Pardon, je dois être plus douce, je sais.
- Un peu, oui. Pour répondre à ta question, je n'y ai pas encore réfléchi. J'y songerai lorsque je saurai. Pour le moment, je vais devoir me confronter à ma famille...
- Tu ne t'entends pas avec tes proches ?
- Pas vraiment. Je suis parti après la mort de mon père à cause d'une dispute il y a maintenant six ans et j'ai coupé tous les liens.
Léttan termina en enfonçant les dents dans sa lèvre inférieure. Visiblement, il s'en voulait d'avoir adopté ce comportement et s'était pour cela qu'il n'avait encore jamais repris contact avec sa famille car il culpabilisait de l'avoir abandonné, seulement, plus le temps passait, plus il était dur de revenir et il s'était involontairement enfermé dans ce cercle vicieux. Il redoutait l'accueil qu'il recevrait.
Que pourrait-il dire ? Simplement s'excuser ? Cela lui paraissait bien maigre après six ans sans donner le moindre signe de vie. Et si son frère était bel et bien mort, que ferait-il ?
Il ne se l'était pas demandé avant que Krélia ne lui pose cette question. Trop obnubilé par l'angoisse, il n'avait pensé à rien d'autre.
Peut-être que sa mère refuserait de le voir quelles que soit les circonstances et qu'elle le chasserait. Dans ce cas, il ne pourrait pas lui en vouloir.
Et si ses proches ne le reconnaissaient pas ? La dernière fois qu'ils l'avaient vu, lorsqu'il était parti, il n'était qu'un adolescent de quatorze ans et il avait beaucoup changé en six ans. Il n'était plus un garçon chétif, hésitant et capricieux.
Toutes ces inquiétudes et ces interrogations tournaient dans sa tête, renforçant l'angoisse qu'il ressentait déjà. Alors qu'il avançait, il ne cessait d'agiter les doigts avec nervosité, tout comme Krélia mais, elle, c'était pour assouplir ses articulations sous sa peau encore raide.
Les mouvements répétés du second l'agacèrent rapidement et elle riva ses yeux turquoises sur ces mains qui paraissaient ne pas pouvoir rester calmes. Sentant son regard sur lui, Léttan comprit et s'efforça de ne plus bouger les mains et les croisa devant lui. Krélia soupira de soulagement, trouvant bien plus agréable de ne plus le percevoir s'agiter à côté d'elle, et ils continuèrent leur marche dans le calme mais pas pour plus de quelques minutes.
N'ayant que la gestuelle pour tenter d'évacuer son appréhension, Léttan se trouva un nouveau comportement de nervosité. Il sortit un ruban de velours noir de la poche de son veston pour nouer ses longs cheveux sur sa nuque. Il avança quelques pas avant de défaire ses cheveux pour les attacher de nouveau quelques secondes plus tard, exactement comme sur le navire.
Ce petit manège commença vite à énerver Krélia qui se disait qu'assommer Léttan pour le transporter sur son dos serait certainement moins pénible que ça, si seulement elle savait où vivait sa famille, alors elle se contenta de contracter les mâchoires en espérant qu'ils arriveraient bientôt.
Elle fut à bout de patience plus rapidement qu'elle ne l'aurait imaginé. Sans qu'il puisse le prévoir, elle arracha le ruban des mains de Léttan qui poussa une petite exclamation, à la fois surpris et indigné. La jeune fille noua le lien autour de son propre poignet. Ainsi, elle était sûre qu'il arrêterait.
Le jeune homme stoppa dans sa marche, les poings sur les hanches et lui adressa un regard courroucé face auquel elle se justifia en s'emportant un peu :
- Tu es affreusement agaçant ! Ce n'est pas comme ça que tu te sentiras plus à l'aise !
- Je le sais mais j'appréhende tellement...
- Pourquoi ? C'est ta famille.
- As-tu écouté ce que je t'ai dit toute à l'heure ? Ça fait six ans que je ne me suis pas manifesté après un coup de tête. Ils ne vont certainement pas m'accueillir à bras ouverts, tu comprends ou pas ?
Sans attendre une éventuelle réponse de la part de Krélia, Léttan reprit son chemin d'une démarche à présent plus colérique qu'angoissée.
Krélia lui emboîta le pas en fronçant les sourcils. Non, elle ne comprenait pas. Durant ces derniers jours où elle avait parfois tenté de percer les mystères des relations humaines, elle avait cru saisir que la famille était un groupe de personnes partageant les mêmes origines et le même sang, à quelques détails près, et qui étaient unies par la confiance et l'amour mais, apparemment, c'était encore plus complexe que ça.
Décidément, ce sujet demeurait bien obscure à ses yeux.
Tout en continuant à s'interroger, elle descendit sur la plage à la suite de Léttan. Le second trop méfiant venait donc d'une famille de pêcheurs. Voilà une information qui surprenait Krélia. À la voir, avec sa belle prestance et son apparence toujours parfaite, elle l'aurait plutôt imaginé avoir des origines plus nobles. Pourtant, elle était bien placée pour savoir que les apparences ne montraient que rarement la vérité.
Leurs pieds s'enfoncèrent dans le sable, ceux de Krélia moins que ceux de Léttan, la jeune fille étant plus légère.
Les épaules du jeune homme se raidirent et Krélia le sentit se tendre à son côté. Encore une fois, elle aurait souhaité lui poser une main sur l'épaule pour l'encourager si, avec son aura de ténèbres, cela ne risquait pas d'empirer sa nervosité déjà bien présente. Ne pouvoir transmettre aucun soutien à Léttan la peina et elle préféra détourner le regard pour examiner les alentours.
Après tout, elle qui désirait connaître le monde autrement qu'à travers ses connaissances innées, trouvait une occasion dans ce tour forcé à terre.
Vues de prés, les cabanes n'étaient pas si petites et certaines s'élevaient sur deux étages. Certes, elles n'atteignaient pas la taille des bâtiments en pierres s'agglutinant derrière elles. Si leurs couleurs différaient, les tuiles de leurs toits étaient toutes identiques, brunes, et les larges poutres les soutenant étaient peintes de blanc éclatant. À cause du sable, il était impossible aux habitants de cultiver un jardin mais de nombreux rebords de fenêtres supportaient des jardinières où fleurissaient des pétales colorés. Il y avait également des poteaux de bois enfoncés dans la plage et reliés par des fils sur lesquels pendaient du linge claquant dans le vent, comme des voiles de navire, ou bien des poissons séchant au soleil.
Plus loin vers l'ouest et face aux vagues se dressait une digue faite de rochers noirs. Certainement protégeait-elle le hameau des tempêtes.
Dessus, Krélia aperçut une silhouette, celle d'une femme plongée dans l'observation de l'océan.
Krélia suspendit son examen des lieux en suivant Léttan qui bifurquait entre deux maisonnettes. La jeune fille remarqua que les pas du second se faisaient de plus en plus lourds et que, inconsciemment, il ralentissait.
Il s'arrêta devant la porte blanche d'une cabane rouge, le cœur tambourinant et incapable de faire un mouvement. La peur le paralysait. La peur de savoir pour son frère après douze jours d'angoisse et de doute et également de revoir les siens qu'il avait lâchement abandonné. Il sentait son estomac se tordre et avait l'impression que son cœur allait jaillir par sa bouche.
Les lèvres soudainement très sèches, il dressa le poing pour toquer mais il suspendit son geste, vide de toute détermination. Il laissa son bras retomber le longe de son corps en secouant négativement la tête. Il ne pouvait pas, il en était incapable.
Il se renseignerait sur le sort de son frère en posant des questions sur le port. Encore une fois, il se montrait lâche face à sa famille. Il fit volte-face avec l'intention de retourner au navire et il tomba face à Krélia qui attendait sans un mot derrière lui.
Lisant le doute sur le visage de Léttan, elle lui sourit doucement, cherchant à l'encourager, et c'était le premier sourire véritable et sincère que le jeune homme lui voyait et il se sentit étrangement flatté qu'il lui soit adressé. Se sentant poussé par cette simple expression plutôt discrète, Léttan revint sur sa décision et fit à nouveau face à la porte de la maison de son enfance.
Il était vrai que, Vanilesse par exemple, aurait été plus expressif comme compagnon que Krélia mais elle venait de lui prouver qu'elle le soutenait.
Il s'humecta les lèvres et frappa contre le battant de bois en refrénant sa forte envie de s'enfuir en courant. À l'intérieur, il entendit des paroles s'échanger, il crut d'ailleurs reconnaître la voix de sa mère mais ne pouvait pas en être certain après six ans, puis quelqu'un se leva précipitamment de sa chaise pour venir ouvrir.
L'air se bloqua dans ses poumons lorsque les charnières pivotèrent avec un léger grincement.
Quel ne fut pas son soulagement, mêlé de surprise, en découvrant un jeune homme de vingt-trois ans dans l'embrasure. Ne réfléchissant pas et, emporté par son soulagement, Léttan le serra amicalement dans ses bras mais l'autre le repoussa sans aucune douceur, presque sonné par l'étonnement.
Léttan se reprit et lui fit face, les yeux baissés, gêné, et il se passa une main dans les cheveux sans savoir que dire ou par où commencer.
L'autre lui apporta la solution en déclarant d'un ton froid et tranchant :
« Léttan.
L'intéressé grimaça. Il y avait tant de mépris dans ce simple nom qui était le sien.
Par-dessus l'épaule du jeune homme, Krélia examina le nouveau venu qui affichait autant de dédain.
Il était évident qu'il était apparenté à Léttan. Il avait les mêmes cheveux noirs sauf qu'il les portait courts, contrairement à son cadet, ainsi que les mêmes yeux mais en plus étroits et, bien que l'ovale de leurs visages soit identique, les traits du plus âgé étaient plus rudes et noircis d'une barbe de trois jours. Visiblement, il ne partageait pas le soin de Léttan à en juger par son pantalon en toile rapiécée et sa chemise mal boutonnée.
Il n'y avait pas à hésiter ni même à se poser la question, Léttan était bien plus séduisant que lui. Krélia secoua vivement la tête.
D'où lui venait une pensée pareille ?
Préférant ne surtout pas s'attarder sur ce fait, elle dit à Léttan, ne souhaitant pas rester davantage à terre où elle se pensait vulnérable :
- Bon, de toute évidence, ton frère est vivant alors rentrons.
- Écoute ton...amie, Léttan, et va t'en. On ne veut pas de toi ici.
Le jeune second baissa la tête encore plus qu'avant, accablé par ces paroles, mais il savait parfaitement à quoi s'attendre en venant ici et il devait bien avouer que ça c'était mieux déroulé qu'il le craignait et, au moins, son aîné était vivant, c'était tout ce qui importait.
Alors que son frère allait claquer la porte au visage de Léttan, quelqu'un demanda depuis l'intérieur de la maisonnette :
- Qui est-ce, Daliste ? Est-ce que c'est pour...
- Non, Maman. Ce n'est rien. Juste un importun.
Daliste appuya fortement sur le dernier mot en fixant Léttan avec morgue.
Le jeune homme serra les poings. Il reconnaissait qu'il avait fait des erreurs idiotes et il en culpabilisait mais il trouvait son frère quelque peu injuste. Heureusement, la personne à l'intérieur ne dû pas croire Daliste et elle l'écarta de l'embrasure pour rouvrir la porte en grand.
La femme entre quarante-cinq et cinquante ans à la chevelure noire striée de mèches blanches se figea de stupeur en découvrant Léttan sur son porche. Elle écarquilla les yeux en ouvrant la bouche sans s'en rendre compte tout en demeurant immobile, pas totalement sûre qu'il ne s'agissait pas d'une hallucination, puis elle prit son fils dans ses bras avec un éclat de rire joyeux.
Léttan vacilla vers l'arrière, déséquilibré par la brusque étreinte de sa mère, et Krélia s'écarta de quelques pas pour ne pas qu'il la frôle. Elle jugeait dommage de gâcher ce moment en glaçant le jeune homme de ses ténèbres.
Par contre, elle ne comprenait pas pourquoi le frère de Léttan était si en colère contre lui alors que sa mère semblait tellement heureuse de le revoir. Plus elle en apprenait sur le sujet, plus les relations familiales devenaient incompréhensibles à ses yeux.
Léttan se dégagea doucement des bras de sa mère avant de mourir étouffé, ce qui serait vraiment stupide.
Sans quitter son sourire radieux, elle prit le visage de son fils entre ses deux mains usées pour l'observer. La dernière fois qu'elle l'avait vu, il n'était qu'un adolescent tout juste sorti de l'enfance et, à présent, c'était un homme.
À côté, Daliste leva les yeux au ciel avec toujours autant de mépris.
- Tu as tellement changé, mon petit garçon.
- Pas tant que ça puisque tu m'as reconnu.
Sourit Léttan, plus à l'aise et rassuré que sa mère ne le repousse pas. Cette dernière rit, rendue très guillerette par le retour de son fils, dont elle lâcha le visage pour le saisir par la main et elle l'entraîna à l'intérieur en déclarant :
- Mais entre ! Entrez tous les deux (Krélia ne bougea pas). Vous aussi, euh...mademoiselle.
- C'est Krélia.
Lui apprit Léttan avant de se tourner vers la jeune fille qui n'avait toujours pas fait un pas.
Wiesse lui avait ordonné d'accompagner Léttan et elle l'avait docilement fait mais, à présent, elle ne se sentait vraiment pas sereine de se mêler à sa famille et de se retrouver au milieu de ses proches.
Léttan non plus ne devait guère être ravi mais il se taisait, certainement par politesse. Elle allait les laisser, c'était mieux, mais, avant qu'elle ne commence à s'éloigner, le jeune homme insista en lui faisant signe de les rejoindre de la tête avec un regard presque suppliant. Il ne se sentait pas encore capable d'affronter seul sa famille et avait donc besoin d'elle.
Le comprenant, Krélia les suivit à l'intérieur en répondant d'un hochement de tête au remerciement silencieux de Léttan qui reporta son attention sur la maison.
Elle était identique à son souvenir. Comportant deux pièces, le premier étage ne s'étendait que sur la moitié du rez-de-chaussée, qui se meublait d'un coin cuisine, qui se composait d'un âtre et d'un assortiment de casseroles en cuivre suspendu au mur, une table rectangulaire entourées de cinq chaises, d'un divan rembourré de paille en toile verte et usée et de plusieurs coffres au verni passé. Une paillasse était placée dans le fond entre la porte de la chambre et les escaliers craquants du second étage. Léttan se souvenait que c'était là qu'il dormait, enfant, avec son frère.
Les murs de bois étaient peints de motifs floraux colorés. Les fenêtres étaient encadrées de rideaux brodés à la main par sa mère et un filet de pêche était accroché à la paroi de droite. Pour terminer, des bouquets d'herbes pendaient des poutres du plafond.
D'un mouvement de la main et d'un sourire engageant, la maîtresse de maison invita Léttan et Krélia à s'asseoir à table alors que Daliste restait debout, les mâchoires contractées de contrariété. Elle raviva les braises dans l'âtre et suspendit une théière remplie d'eau au-dessus puis vint s'installer à table.
Le silence s'étendit pendant que Miria souriait en regardant son fils.
Krélia s'agita sur sa chaise, de plus en plus mal à l'aise. Sans le vouloir, elle fit grincer le bois du meuble et attira l'attention des autres sur elle. La jeune fille baissa les yeux et Léttan ne put retenir un sourire amusé. C'était la première fois qu'il voyait Krélia gênée. Elle ne lui avait pas semblé dérangée lorsqu'elle avait montré sa poitrine à tout l'équipage.
Il se pressa de chasser ce souvenir et se concentra sur sa mère qui demandait à la jeune fille :
- Alors, Krélia, vous êtes avec Léttan depuis longtemps ?
- Avec... Non ! Pas du tout !
- Tu te méprends, Maman, nous travaillons seulement ensemble.
- Quel travail ? Grommela Daliste.
- Sur un navire marchand, l'Oiseau des vagues.
- Comme c'est intéressant mais, dis-moi, pourquoi nous honores-tu de ta présence, si ce n'est pas pour nous présenter ta...charmante fiancée ?
- Daliste ! S'exclama Miria, reprochant son ton piquant à son fils.
- J'ai entendu parler de la disparition d'un navire originaire d'ici et j'ai pensé... J'ai eu peur que Daliste ne soit dessus alors...
- Mais il ne fallait te déranger, cher Léttan, ironisa Daliste. Je suis pêcheur, je ne m'éloigne jamais des côtes de plus de quelques kilomètres mais tu le saurais si tu était resté.
Léttan grinça des dents mais il ne répliqua pas, jugeant certainement que c'était mérité et il baissa la tête en serrant les poings sur la table.
Visiblement, il avait décidé de subir les commentaires blessants de son frère sans rien dire. Contrairement à Krélia qui s'agaça fortement.
Elle se leva brusquement, renversant sa chaise et, faisant face à Daliste les poings sur les hanches, elle s'écria :
- Eh ! On a bien compris que votre méchant petit frère vous avait fait du mal alors maintenant vous pouvez arrêter de vous comporter comme un gamin capricieux ! Vous vous plaignez qu'il soit parti mais il est revenu car il craignait pour votre vie alors qu'il savait parfaitement comment vous l'accueillerez. Nous avons traversé la Colère de Dinéa uniquement car il voulait s'assurer que vous alliez bien et tout ce que vous lui servez, c'est des reproches ! Je ne connais personne qui prendrait autant de risques pour un parent avec qui il est en conflit tout en sachant qu'il serait reçu comme le pire des moins que rien!
- Tu n'es pas de cette famille, rétorqua sèchement Daliste, alors...
Il s'interrompit subitement lorsque Krélia riva un regard assassin sur lui. L'ombre dans ses iris turquoises paraissait s'être intensifiée et personne ne supportait de se retrouver sous ces yeux glaciales et furieux. Daliste n'échappa pas à ce cas.
Sa véhémence retomba immédiatement et il se tassa sur lui-même, tentant de se faire aussi petit que possible et donc de se dissimuler du regard de Krélia. Cette dernière cligna des paupières et garda son expression colérique sur Daliste encore quelques secondes avant de se rasseoir en baissant le menton.
Léttan la dévisagea, vraiment très étonné par sa soudaine montée de colère mais surtout par le fait qu'elle ait pris sa défense. Il allait de surprise en surprise depuis le débarquement.
Durant quelques minutes, plus personne ne parla ou n'osa regarder Krélia en face. La jeune fille se reprochait d'en avoir fait autant mais ça avait été plus fort qu'elle. Elle s'était emporté malgré elle mais pas question de s'excuser.
Elle s'enfonça contre le dossier de sa chaise, les bras croisés sur la poitrine.
Plus personne ne savait comment reprendre la conversation après ça. Le raclement de gorge de Léttan résonna dans la cabane. Il pianota des doigts sur la table en baissant les yeux. En le faisant, il remarqua la tenue de sa mère à laquelle il n'avait pas prêté attention auparavant. Elle était vêtue d'une jupe noire au bord brodé de rouge et de vert assortie à un chemisier au col rond blanc. La tenue du deuil traditionnelle d'Ariennte.
Léttan fronça les sourcils. Si Daliste était en bonne santé, alors qui sa mère pouvait-elle bien pleurer ?
Le jeune homme se raidit, s'inquiétant de l'absence du troisième membre de la fratrie.
Il s'enquit :
- Où est Chiraine ?
Daliste et Miria baissèrent la tête. Le cœur de Léttan bondit dans sa poitrine et son corps se couvrit d'une sueur glacée.
Il avait craint pour la vie de son frère mais jamais il n'avait songé un seul instant que sa petite sœur aurait pu se trouver à bord d'un navire pourtant, il n'était pas rare qu'elle les accompagne, enfant.
Il demanda, la peur enserrant ses tripes :
- Elle n'était pas sur le bateau ?
- Non, elle va bien. Elle est sur la digue.
- Qu'y fait-elle ?
- Elle guette.
- Quoi donc ?
- Le navire disparu. Son fiancé s'y trouvait.
- Chiraine est...fiancée ? S'exclama Léttan.
- Et oui, tu as manqué des choses en t'enfuyant, petit frère.
- Je vais aller la voir. »
Déclara Léttan en se levant sans se soucier de la remarque de son frère. Krélia n'hésita pas avant de le suivre.
Cette fois, il n'avait pas manifesté son désir qu'elle l'accompagne mais elle refusait de rester seule en compagnie de la famille du jeune homme.
Elle se sentait suffisamment mal-à-l'aise comme ça. Il fallait dire que c'était étrange de se retrouver plongée au cœur de ces affaires de famille, elle qui n'en avait pas.
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