Il était là




Je ne sais pas si tu te souviens vraiment de ce jour-là. Ce jour de pluie, un peu flou, un peu gris, un peu comme si toute la douceur triste du monde s'était retrouvée en toi. Comme toujours, tu avais surgi des nuages, et, au coin d'une rue, tu étais apparu face à moi. Aujourd'hui encore, les ans passés n'effacent pas les yeux rieurs. Teintés d'une ardeur triste, qu'il étaient, du sommeil d'une soirée d'automne.

Nous avions marché longtemps. Nous nous étions beaucoup perdu. Pourtant, il résonnait en toi cette confiance certaine en l'inconnu; et les gens te dévisageaient, ne sachant pourquoi le rire d'un jeune fou envahissait leur coeur tout à coup.

Même lors de ces fois où la vie semblait lasse, où les larmes avaient coulé longuement sur mes joues et sur les toits, ton sourire était inaltérable. Fait de pierre, tantôt triste, généralement insolent, il savait irradier mes joues de cette lueur que seul les êtres grands possèdent. Cette lueur remplissait de soleil nos jours de pluies et la Lune quand tu disparaissais tout à coup.

Le jour tremblait quand tu es arrivé cette fameuse fois. Comme toujours nous n'avons pas beaucoup parlé. Je me contentais de te jeter de petits regards çà et là pour m'assurer que tu étais vraiment là, encore avec moi. Le gouffre de nos pas ondulait à travers les pavés. Nous marchions toujours.

Arrivés face à la mer, enroulés dans cette bruine qu'était le silence, tu prononçais tes dernières paroles:

" Tu sais, le monde est une sombre cave, c'est dur, très dur d'en sortir, même pour quelques secondes. Oh bien sûr tu peux essayer de t'échapper mais crois-moi, il manque bien trop de mots à notre échelle pour ne pas tomber.

Je ne sais pas vraiment si ce que je suis en train de faire est juste, après tout, tu ne méritais pas autant que moi de subir la vérité. Pourtant je l'avais senti ce petit truc, tu sais, cette étincelle qui crépite au fin fond de ton ventre; la même chose qui te fait aimer ce vieux tableau décrépi au fond d'une salle ou cet auteur que tu admires malgré ta pleine conscience du connard inculte qu'il était. Tu la connais bien toi, dis moi ? Je suis un peu ton petit connard inculte de poète qui pense qu'il peut refaire le monde en se riant de lui-même.

Cette lueur donc, je la sentais depuis cette soirée sur la plage où tu dansais n'importe comment autour du feu, avec tous ces mongols bourrés qui te tournaient autour comme des mouches autour d'un bout de viande. Tu étais complètement faite. Ma pauvre, complètement faite et pourtant, l'étincelle de mon ventre a bouilli dès l'instant où j'ai posé mes yeux sur ton visage. ça rendait si beau qu'il me fallait à tout prix l'écrire.

Déjà ce jour là je n'ai pas pu, enfin pas vraiment. J'étais devant ma feuille, la main posée sur le papier et je ne pouvais pas. J'ai pris conscience que les mots jamais, jamais les mots n'exprimeront la beauté des choses . Je l'ai reçu en pleine tête cette gifle, je te jure j'en ai vu des étoiles, un de ces coups dont tu peux dire clairement qu'il y a eu un avant et un après.

Les mots ne signifiaient plus rien. Du jour au lendemain, j'avais enfin compris que la pensée, si grande soit-elle n'était rien d'autre qu'un étallage de feuilles mortes dès qu'elles dépassaient le stade de pensées propres. Tout avait le goût de moisi.

Non pas que j'ai la prétention de dire que mon charabia avait une once de grandeur avant, mais je croyais avoir trouvé mon truc et que peut-être que mes mots à moi apportaient à la vie plus de sens.

Quelle belle connerie que l'espoir, je me suis toujours dit. L'espoir c'est bon jusqu'à ton entrée au lycée, ensuite c'est juste de l'instinct de survie.

Pourtant cette nuit là j'ai regardé ma page encore vierge, je t'ai regardé toi qui brûlait autant que le feu en te prenant les pieds dans le sable et je me suis dit que j'allais quand même essayer de m'exprimer, de m'exprimer vraiment.

Tu connais la suite, toi et moi, on a commencé à défier le temps. On avait trouvé ce moyen de vivre un peu mieux, en parlant peu, en riant beaucoup. On explorait l'impensable en parcourant les rues, chaque moment était unique, impérissable dans sa fragilité.

On avait dépassé les mots tu comprends ? On avait dépassé les mots.

On se prenait les tempêtes au lieu du léger souffle des pages. On s'était élevé si haut, si haut que personne n'aurait pu nous arrêter. Mais la vie ça fonctionne pas tout à fait comme ça finalement. On ne reste pas jeune éternellement, la fougue ne plait pas au monde.

Comme le monde n'est pas content, il décide de t'assommer, tu comprends, tu n'es rien toi, une petite vermine. Au fond, tu comptes pour ce monde ? Non. Nous sommes des pions, des sombres pièces qu'il se permet de malmener car il se croit gigantesque ce monde. Il croit qu'il peu nous atteindre, il croit qu'il peut nous exterminer, nous ruiner comme tant d'autres, il se trompe. Nous sommes nombreux, trop nombreux à vouloir sa perte. Le monde est un malade inconscient.

Lorsque d'autres l'auront compris, vous passerez à l'action, et vous révolutionnerez totalement la manière de vous exprimer. Fini la barrière des langues, la complexité du langage, cette sensation continuelle d'être incompris, les chiffres qui défilent sans cesse comptant les décès, les naissances, le nombre d'affranchis, de prisonniers de guerres et de fous un peu rêveurs !

Un jour, je te le promet, le monde ira mieux.

J'en ai la certitude à présent le monde renaitra grâce à toi. Toi la lumière, toi le feu sur la plage, tu représentes l'éternel.

Je suis désolé, ça doit fait beaucoupà assimiler d'un coup pour toi, je crois même n'avoir jamais parlé autant. Mon truc c'était écrire, alors même que les mots sont plus barrières que portails et qu'au grane jamais je n'ai réussi à placer des mots justes, j'aimais bien écrire. J'aimais le doux crissement de la mine sur la feuille, les marques d'encres sur mes doigts. J'aimais mes petites fautes et mes gros contresens, ça me faisait bien marrer au fond. Tout n'a toujours été qu'un bien joli jeu.

C'est sûrement là qu'on est censé se dire adieu, j'en sais trop rien.

Je te dirai bien que je t'ai aimé avec chaque battement de mon coeur, à m'en vider les forces, mais ces mots-là sont une prison bien plus que les autres. Et puis ce serait ridiculeusement faible que de dire ça, si faible que c'en est insultant. "Je t'aime" ne veut rien dire.

Le verbe aimé est usé, vidé de son essence au même titre qu'haïr.

Alors si même ces mots ne signifient plus rien pour un poète, à quoi bon ? Je t'avoue que je ne sais pas trop sur quoi mon chemin va s'ouvrir, j'aimerai te dire que je n'ai pas peur, mais ce serait totalement faux. La vérité c'est que je suis mort de trouille et que j'ai envie de vomir tellement j'ai peur de ce que je vais bien pouvoir faire de moi. Tu vas me dire qu'on a tous déjà eu peur dans la vie, que c'est pas grave, que tu es là. Mais je le sens au fond de toi, faible lueur dans les ténèbres, que tu es déjà partie, envolée. Et tu as emporté mon étincelle.

Je ne sais pas si j'étais plus heureux avant de te connaitre.

Tout ce que je sais à présent, c'est que je ne sais plus rien, qu'il va me falloir apprendre, réapprendre. Peut-être que c'est difficile pour toi pour toi mais je vais te laisser, toi, toi seule et ton génie aller plus haut, bien plus haut que les mots. On s'était dit qu'on referrait cette saleté d'Univers et bien je vais te propulser là-bas, seule. "

Puis tu es parti. J'ai tenté d'enregistrer ton discours au creux de ma tête quitte à utiliser la totalité de ma faible mémoire. Tenter de sauver les débris laissés sur ton chemin, c'est tout ce que je pouvais faire, il ne me restait que ta voix d'ange qui me crachait son dernier poison à la gueule. Mon corps était vide de tout, sauf de toi.

Tu venais à peine de me quitter que finalement, j'avais la nette impression que tu n'avais jamais été avec moi. Je t'ai insulté de tous les noms, j'ai hurlé mon désespoir au vent et et ma haine aux étoiles, rien n'y a fait. Parti.

J'ai beaucoup dormi, j'ai écrit. Des dizaines, des centaines de pages, jour et nuit pour te prouver que tu avais tord, que les mots étaient beaux et que tu devais revenir. Les mots m'ont dégouté. Ils t'avaient pris, toi, ces salauds. J'ai détesté le monde entier. Je rêvais de toi sans cesse. Puis j'ai compris.

Tu étais encore là. Tu étais partout, bien ailleurs dans les mots. Tu étais sur les murs, dans le ciel, aux fenêtres, sur mes mains, sur mon visage, partout. Tu étais la conscience propre de l'univers. Tout à coup, le monde m'a paru plus doux. Ce jour de mai, je suis sortie à moitié nue de chez moi malgré la fraicheur de l'aube et j'ai ouvert les bras au vent, je t'ai ouvert les bras. J'ai ri. J'ai ri si fort que tout mon être était secoué de la sérénité qui me prenait d'un coup. J'ai ri de tout mon soûl face au Soleil et j'ai couru comme pour te dire que je l'emmerdais.

Toi et moi ne faisions plus qu'un, tu étais ce qu'on appelle une renaissance.

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