6. Fouiller dans ses messages

TRIGGER WARNING ⚠️

20 mars 2020

— Pourquoi on a pas commencé par là, si on a son téléphone ?
— Mais t'es bête toi, je t'au dis qu'il avait disparu en même temps que lui ! Atena a juste ses codes de compte Instagram.
— Ça n'explique toujours pas pourquoi on a pas commencé par là.

Lino donne une pichenette dans la tête de Mona en se foutant de sa gueule. Je souris. Nous sommes assis sur le toit d'une structure de jeux dans un parc pour enfants. A tout moment, on glisse et on se casse la gueule. Je bascule dans l'Instagram de Nasa, et ignore les nombreux messages non lus (y compris les miens). Il y a beaucoup de gens qui lui ont écrit, quand il a disparu. Pour lui dire que c'était une bonne personne, des trucs comme ça.

— Lino, je vais devoir vérifier vos messages aussi, désolée.
— Tu penses sincèrement que j'ai pas déjà vérifié ? Si tu savais le nombre de fois où j'ai relu nos conversations...

Je soupire et ignore la box de messages de Lino, descendant directement dans les discussions auxquelles personne ne lui a jamais renvoyé de message. J'ignore volontairement le fait que la première boîte de discussion est une discussion avec Lino, et la seconde une discussion avec moi.

Je passe de conversations en conversations, les yeux plissés de concentration de Mona et Lino poses sur moi. Les conversations sont tout à fait normales au premier abord. Cependant, en remontant dans les conversations, j'en trouve une qui m'interpelle. Je lis la conversation à voix haute pour mes deux acolytes.

— « Je me faisais la réflexion que si je devais mourir quelque part, ce serait au pont à côté de chez moi. C'est beau. Et toi ? » « Moi je pense que si je devais mourir quelque part, ce serait dans le bois pas loin de chez moi. Genre, un endroit où les gens ne penseraient pas à venir me chercher. »

Je relève les yeux, nous nous regardons tous les trois et nous nous mettons à courir jusqu'au bois le plus proche en retenant notre respiration. C'est irrationnel, sous le coup de l'impulsion, car nous n'avons aucune preuve de ce que nous avançons. Mais au pire, qu'est-ce que nous avons à perdre ?

Mona allume la lampe torche de son téléphone et je fais de même. Lino n'a pas de batterie, donc il suit avec ma lumière. Les bois sont assez sombres, c'est un peu (beaucoup) flippant.

Nous marchons et marchons sans réellement savoir où nous allons. Je me rappelle que c'est la où nous nous étions rencontrés avec Nasa. Enfin, parlé pour la première fois. Dans cette clairière, au milieu des bois. Je vois Mona sautiller pour éviter les insectes qui croisent son chemin. Elle est particulièrement contradictoire, car, à l'inverse, elle adore les fleurs et tout ce qui touche à la nature (mais surtout les fleurs).

Je cours sans m'arrêter et sans regarder en arrière pour voir si Lino et Mona me suivent toujours. J'arrive dans la clairière de notre enfance, l'adrénaline me remplissant les poumons. Je regarde autour de moi jusqu'à remarquer une couverture étendue dans un coin.

Je commence à entrevoir une silhouette sous le plaid. Je lève un sourire, et m'approche, la sueur provoquée pendant ma course perlant sur mon front. Mes deux amis me rejoignent rapidement. Mona se place à ma gauche et Lino a ma droite. Je me mords la lèvre sous le stress et l'appréhension, mais cette couverture me redonne un petit peu d'espoir.

Après tout, « disparaître » et « mourir » n'ont pas la même signification.

Nous nous regardons tous en chiens de faïence, et chacun attrape un pan de la couverture. Je chuchote :

— 3...2...1...

Nous soulevons la couverture de concert et ce que j'y vois me glace le sang. Mes espoirs s'en prennent une douche froide. Je revois Nasa pour la première fois depuis ce soir de novembre 2019.

Il est blanc comme du papier, des insectes lui ont grimpé dessus. Il ne respire plus.

Je sens mon repas me remonter dans l'estomac et je vomis. Sur ses jambes. Putain, j'ai vomi sur un cadavre. Mon dieu, mon dieu, mon dieu. Je me décale pour continuer à vomir sur l'herbe, et Mona se précipite pour me tenir les cheveux. Mes lunettes tombent dans mon vomi. Je dois être tellement pas glamour, comme ça.

Lino commence à vomir aussi et la rousse ne sait plus ou en donner de la tête. Elle s'assied par terre et saisit son téléphone pour appeler la police. Je lui suis reconnaissante de tout prendre en main, car je ne peux littéralement rien faire, je suis bien trop choquée. En examinant Nasa d'un peu plus près, je vois de petites pilules colorées dans sa main.

Ses cheveux blonds sont devenus presque blancs, il a maigrit, ses yeux verts ne brillent plus et surtout, son cœur ne bat plus désormais. C'était facile de s'imaginer sa mort, mais voir son cadavre en vrai, c'est une autre affaire.

Et je me rends compte que Mona avait totalement raison lors de notre première rencontres. Je suis dans un putain de chagrin d'amour, un chagrin d'amis pour être plus précise.

Dans les romans, on parle tellement des chagrins d'amour, mais les chagrins d'amis ? On perd la moitié de nous meme. Et la douleur est tellement viscérale que mes entrailles s'en retrouvent déchirées. J'ai envie de cracher mes tripes et mes poumons et mon cœur.

Je n'ai plus personne pour manger au MacDo, plus personne pour me faire des blagues debiles quand je vais mal, plus personne. On parle des chagrins d'amour, mais sachez que les chagrins d'amourtié sont bien pire.

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