2. La Mona Lisa des temps modernes
20 février 2020
Le samedi suivant, je me suis rendue à la fête de Tiphaine. Dire qu'avant ça, je détestais les fêtes.
Il y a quatre mois, jamais ma mère ne m'aurait autorisé à me rendre en soirée. Seulement, j'avais perdu toute ma sociabilité, et elle était soulagée que je ne passe pas mon temps seule dans ma chambre.
J'observe la maison de Tiphaine avec les yeux écarquillés. Je ne savais pas qu'on avait ce genre de trucs dans notre ville ! Je me prends un verre et vais m'asseoir sur une chaise. Je suis cette personne en soirée qui ne danse pas et reste assise tranquillement.
Alors que j'observe les gens présents — toujours les mêmes personnes, a.k.a le gratin populaire du lycée, mais on finit par s'y habituer —, je remarque une nouvelle tête. Une fille rousse avec un sourire Colgate danse sur la piste avec la fille brune de notre classe qui est orpheline. Elle pétille d'énergie. Je la vois sortir son portable et s'éloigner, visiblement en face cam avec quelqu'un, puis elle raccroche et s'avance vers moi.
– Tu es la fille dans les fêtes qui t'assieds en attendant de faire une rencontre qui changera ta vie ? Me dis t'elle. Je veux bien être cette rencontre, si ça te dit.
Je secoue la tête en riant un peu.
— Nan. Je suis ici pour me soûler, je réponds.
— Aaah ouais, la vieille alcoolo, mais jeune. Pourquoi tu veux te soûler ?
— Askip ça aide à oublier.
— Spoiler : absolument pas, crois en mon expérience. T'es un cliché ambulant qui oublie sa peine de cœur ?
— On peut dire ça comme ça, je soupire, un demi-sourire scotché au coin des lèvres.
— Quel est l'horrible garçon qui fait agoniser ton cœur ?
— Ça pourrait être une fille, pour ce que tu en sais.
— Oui, mais c'est un garçon, pas vrai ?
— Effectivement.
— Nous vivons dans une société héterocentrée, soupire t-elle. Alors, comment est-ce qu'il s'appelle ?
— Il s'appelle Nasa.
— Genre, comme la NASA ? Wow.
Je ris à nouveau. J'aime bien cette fille.
— C'est son surnom. En vrai, il s'appelle Lazare.
— En somme, un prénom bien éclaté. Qu'est-ce qu'il a fait, ton Nasa ? Me questionne-t-elle.
— Il a disparu. Comme ça, pouf. La veille il est là, le lendemain il ne l'est plus.
— Ouch. Je comprends, ça doit être horrible. Et donc, ça fait combien de temps ?
— Quatre mois.
— Donc, quatre mois que tu te lamentes comme un vieillard alcoolique dont la femme serait morte. Vas-tu passer quatre autres mois à te lamenter ou bien te bouger le cul ?
Une soudaine idée me traverse l'esprit. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ?
— J'ai fini de me lamenter, je déclare. Tu sais quoi, la meuf mystérieuse que je n'ai jamais vu avant ?
— C'est normal, j'ai aménagé ici il y a seulement deux semaines. Avant, j'habitais à Barjac, dans le Gard. Donc, quelle est ta nouvelle résolution ?
Je prends un regard déterminé.
— Je vais découvrir ce qui lui est arrivé. J'ai besoin de savoir si il est mort ou non, et ce qu'il s'est passé. Puisque les policiers ont classé le dossier dans les affaires d'enlèvement sans suite parce qu'ils planchent, je prendrais la relève.
— C'est incroyable ! S'excite mon interlocutrice. Je veux participer !
Je ne prends même pas une seconde à peser le pour et le contre avant de décider de ma réponse. Une fille sympa et ouverte, qui me propose de l'aide pour retrouver mon meilleur ami. Et moi, une fille en manque de sociabilité (j'veux dire, avec des personnes que j'apprécie, pas juste des popu qui ont pitié de moi) et qui veut percer le secret autour de son meilleur ami. Une équipe de choc, honnêtement.
— Évidemment que tu peux.
Je vois que la fille trépigne sur place.
— Je m'appelle Mona. Et toi ?
Mona Lisa, j'énonce intérieurement. Elles ont le même sourire envoûtant. Léonard de Vinci pourrait être son père, c'est dire.
— Aténa, je dis en souriant.
— Et moi, c'est Lino.
Une troisième voix sort de l'ombre. Je remarque le garçon à qui j'ai parlé la semaine dernière. Décidément, il a le chic pour apparaître de manière creepy dans les moments où je m'y attends le moins.
— Dans ma vie, Nasa était le seul. Je ne vous laisse pas d'autre choix que de me laisser participer, declare-t-il.
J'avoue que cette première phrase m'intrigue plus que de raison, mais ce qui me convainc vraiment, ce sont ses cernes, et son regard cassé, similaire au mien. C'est ce moment qui me fais prendre conscience de notre ressemblance, à tous les deux. NASA était la personne qui nous reliait tous les deux à la vie, à notre existence. Sans lui, nous ne sommes plus rien.
— Si c'est demandé si gentiment, je réponds sarcastiquement, d'une voix cassée qui en montre plus sur mes brisures intérieures que ce que j'aurais aimé laisser paraître.
— Pour Nasa, chuchote Lino en tendant sa main devant lui.
Je dépose ma main sur la sienne.
— Pour Nasa.
Mona nous dévisage tour à tour avec un air amusé. Cette fille se fiche de ce que l'on endure. Elle veut seulement des piqûres d'adrénaline, et je serais prête à parier qu'elle est fan de romans policiers. Sauf qu'on est pas dans un roman, là, mais dans la réalité. Mon opinion d'elle change soudainement, de manière drastique.
Mais, c'est vrai que nous sommes tous gris, contrairement à ce que Lino pense. Le monde n'est pas constitué de gentils et de méchants. Mona ne peut, dans les faits, pas être concernée par ce qu'il nous arrive. Elle veut des amis, parce qu'elle est nouvelle, et de l'adrénaline, parce que ça crève les yeux qu'elle a ça dans les veines, le goût du danger. Concrètement, est-ce que je peux lui reprocher cela ? Ça me fait juste un peu de peine de voir des étoiles dans ses yeux.
— Pour Nasa, je suppose.
On parle d'une vie (qui n'en est sans doute plus une), pas d'un jeu.
— OK, donc, comment on s'organise ? Je reprends.
— Faudrait établir une liste de trucs qui pourraient nous aider dans nos recherches, suggère Mona.
— Alors, les filles, votre enthousiasme est sympa, mais je ne pense pas qu'une soirée soit le meilleur endroit pour établir notre plan d'attaque, ironise le seul garçon du trio.
Je demande à mes deux nouveaux acolytes de ne pas bouger de là ou ils sont et avise Tiphaine et Mélina, assisses sur les genoux de leur copain respectif, dans un coin sombre de la pièce.
— Salut Tiphaine, je lance dans une tentative qui se veut enthousiaste.
Elle se décolle des lèvres de son copain pour me répondre.
— Coucou Aténa ! Tu passes une bonne soirée, ma belle ?
— De ouf, je réponds, mais ça commence à devenir étouffant, donc je vais me barrer avec Mona et Lino.
— Eh, mais je savais pas que t'aimais bien les filles, interprète mal Tiphaine.
— Lino est un garçon, je soupire, faisant abstraction de l'allusion précédente.
— Non, affirme ma supposée amie. C'est une fille qui veut devenir un garçon.
— Bref, le fait est qu'on se barre, et pas pour faire ce que tu penses que nous allons faire, donc je voulais juge te prévenir, je dis dans le but de détourner la conversation, ne voulant pas créer une bataille.
Je retourne vers Lino et Mona, et nous quittons la fête. Nous passons chez moi, et ma mère est heureuse de voir que je me fais de nouveaux amis. Depuis Nasa, je n'ai jamais ramené personne à la maison.
Ma mère aime tout particulièrement Mona, pour sa bonne humeur, et nous nous retrouvons à réfléchir dans ma chambre, entourés d'une ardoise en plastique et de post-it de différentes couleurs. Nous essayons de définir une liste qui nous permettrait de nous aider dans la recherche de Nasa.
Il cache quelque chose, j'en suis sure, et nous allons découvrir ce que c'est, et qui il a rejoint, ou pas, cette nuit là.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top