5- Obligation royal.
Hael
Arrivé dans la salle dont père m'a donné l'ordre de me rendre, j'observe les ameublements posés exprès pour l'occasion. Autrefois simple pièce où trois divans bleu saphir trônaient avec en son centre une simple table basse en bois et des peintures de toutes sortes que ma famille avait choisies pour décorer les murs, la voici maintenant avec de belles couvertures dorées sur les canapés, plusieurs tables remplies de mets dont les cuisinières ont le secret et quelques coussins sur la douce moquette rouge chair à laquelle de beaux tapis orientaux sont posés. Les quelques femmes assises sur les fameux oreillers sont toutes vêtues de nobles accoutrements de par le choix de la robe et les accessoires choisis et ne manquent pas d'empester le parfum aux notes de lavande et de vanille. Drôle de mélange, pensais-je en contenant une grimaçe face à l'odeur insoutenable pour mes facultés olfactives. Voyant que je risque de déranger leur palabre avec mes salutations, je fais signe de tête à la seule qui m'a aperçu et vais découvrir mon goûter. Sur les coupes de vin viennent s'ajouter de fines dorures incrustées dans le verre, aussi présentes sur les plateaux où viennent se mélanger des variétés de nourriture de tous continents. En passant par les mochis fourrés aux fraises des bois, les tartes au citron ou bien les gâteaux grecs à l'orange, le Royaume est devenu le lieu de rencontre de mille et une cultures. Pendant que je cherche dans mon esprit de quoi aurait envie mon palais et mon estomac, la dame que j'avais saluée vient se poster près de moi. Au diable le parfum. Je vais finir par demander à père de les interdire, pensais-je alors que je manque de vomir lorsque je sens ses cheveux à la vanille qui viendraient presque me caresser le visage par notre proximité. Sa frange se balance de droite à gauche à mesure qu'elle me parle de banalités sur l'évolution de la cuisine depuis le règne du Roi et j'acquiesce sans vraiment écouter, car, en attendant, je n'ai comme préoccupation que de remplir mon ventre et de revoir la femme du passé vue plus tôt.
C'est à se demander si elle est si naïve à croire que je l'écoute attentivement, alors que mes yeux ne cessent de changer de direction pour trouver l'aliment qui viendra me combler. J'enfouis quelques gâteaux dans le gosier, répandant d'abord leur douce saveur sur le palais, et finis par rôter. Le son grossier coupa court au monologue de la jeune femme qui ne se cacha pas pour montrer son dégoût envers son futur roi. D'un simple bruit, j'ai balayé toutes ses heures obligatoires de leçons de bonne conduite. Comme si elle venait de se rappeler son devoir, elle se reprit aussitôt, esquissa un rictus et partit s'assoir avec les autres en silence.
Quand je me retourne pour faire ce dont pourquoi je suis présent ici, je remarque les portes ouvertes sur le Roi qui, à sa tête exaspérée, n'a pas manqué ma belle expulsion bruyante de gaz. Je comprends que si je ne fais rien pour les plaire et continue mon manège d'homme répugnant, je ne ferai pas long feu.
M'asseyant sur le fauteuil laissé libre, le Roi vient me rejoindre dans un silence. Même les femmes ont arrêté de jacasser. Certaines, par sa venue, recoiffent leurs mèches rebelles tandis que d'autres se redressent. Toutes veulent l'impressionner.
« Nous voici, mesdemoiselles, réunis pour que vous rencontriez l'Héritier au vu de votre devoirs. Inutile de vous préciser que vous ne devez en aucun cas dire qui vous servez. Pas même à vos proches. Vous pouvez bien entendu dire que vous servez un être de sang noble, mais c'est tout. Aucune description physique ne doit être divulguée. Son identité est restée secrète jusqu'ici, et elle le restera jusqu'à ce que j'en décide autrement. » Il arrêta son monologue pour guetter le grand portant en bois qui ne tarde pas à s'ouvrir sur une autre dame accompagnée d'une fillette. Son visage, déjà dur en temps normal, devint plus glacial encore lorsque ses yeux couleur cendre se posèrent sur la plus jeune des deux. Ses pensées à son égard restent muettes et il reprend l'air de rien. « J'attends de vous toutes un grand respect envers lui, une totale loyauté, et que vous répondiez à ses besoins comme tel il vous est demandés. Le refus n'est pas acceptable. Bien qu'il ne soit que prince, n'oubliez pas que bientôt, il sera votre roi. Voir peut-être votre Empereur. Servez-le comme tel.»
Mon père, une fois sa phrase finie, observe la femme tout juste arrivée. Celle-ci était restée à sa position ; entre le couloir et la salle commune. Ses mains croisées et posées sur son ventre, sa tête levé fièrement et son kimono traditionnel lui confèrent un genre que les autres n'ont pas. Puissante, supérieur, mais aussi unique.
Elle demande l'autorisation au Roi d'entrer et, malgré son accent asiatique marqué, sa phrase reste limpide. Je ne sais si elle est là depuis longtemps pour être aussi compréhensible, ou si elle vient tout juste d'arriver en Nouvelle-Gaule pour avoir un accent aussi prononcé. Tu auras tout le temps de le savoir en faisant sa connaissance.
« Voyons ma chère, rejoignez-nous. S'esclaffe mon géniteur avec une mine enchanté. Écoutez toutes. Elle vient de loin, alors sachez la mettre en confiance. J'ai pu discuter avec elle, et Zeus sait comme elle est brillante. Je suis sûr que vous saurez lui apprendre les ficelles du métier au Royaume.
Comme unique réponse, la concernée s'approche et me salue de la tête.
— Je ferai de mon mieux pour vous servir, déclare-t-elle d'une voix modulée.
S'ensuit ensuite un dialogue que même elles trouvent ennuyant. Question sans fond, aucun de nous ne veut connaître l'autre, et ce, durant plusieurs heures. Même si la Japonaise m'intrigue, je n'ai aucune envie de participer davantage à l'entrevue, si ce n'est qu'en dévorant les petits plats. Elles essayent de me faire arracher les mots de la bouche, mais, enfermé dans mon mutisme, je ne leur donne que des hochements de tête.
*
Les 6 coups du soir sonnent enfin, me faisant prendre en compte le temps que je suis passé ici à ne rien faire. L'ennui, bien trop dur à supporter, est devenu mon ennemi depuis bien longtemps. Pourtant, à la cour, il ne cesse de me suivre. Meris et Vanora ont plus de chance que moi. Entre leurs sorties et voyages entre amies, leur emploi du temps vide de toutes obligations assommantes, et avec père qui ne fait même pas attention à leurs comportements, elles ont de vraies vies de princesses dont toutes les petites filles rêvent.
« Mon Prince ? »
Ma vue, bloquée sur le tapis aux milles motifs différent, se déplace pour chercher les yeux de celle qui m'a appelé.
Ses yeux mono-paupière me fixent, un sourire discret aux lèvres. Je l'observe, attendant qu'elle me dise pourquoi elle me dérange durant mes pensées centrées sur ma jalousie envers mes sœurs.
« Souhaitez-vous que je vous accompagne jusque dans votre chambre ? » Elle ajoute ceci avec, cette fois-ci, plus de mal pour aligner toutes les syllabes. Pourquoi m'accompagner, tiens ? Elle veut espérer avoir mes faveurs ? Me savonner dans la douche ? Pour éviter toute intimité entre nous, malgré le but même qu'elle soit encore présente ici à m'attendre, alors que toutes les autres dames sont déjà parties, je déclare qu'il n'en est pas nécessaire et qu'elle doit être exténuée.
N'attendant aucune réponse de sa part, je me lève du fauteuil où mon fessier et mon dos ne faisaient plus qu'un avec et pars en direction de la porte. Les soldats postés se dépêchent de m'ouvrir, et c'est un avec regard en arrière que je vois le visage de la Japonaise me fixer. Le regard dur, la bouche fermée d'agacement et les poings serrés. La petite fille à côté d'elle a perdu ses traits doux et calmes pour les remplacer par ceux d'une enfant soucieuse par quelque chose. Peut-être même qu'il s'y cache de la peur. Je me contente de continuer mon chemin pour enfin goûter au confort de mon lit et à cette sensation d'être enfin libre, seul, sans quiquonce pour me surveiller.
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