4- Douce nuit.



Nefeli - TW



Je lui donnais ce qu'il voulait, quelques gémissements, quelques caresses dans sa chevelure. Mais c'est les yeux fermés que j'ai fini par endurer le reste. Je ne voulais plus voir. Je ne pouvais plus.

Assise au bord du lit, les jambes repliées et toujours nue, je n'ose bouger. Déchirer un peu plus chaque jour à mesure que je le laisse faire, je n'arrive pas pour autant à crier mon rejet. À le chasser de tout contact. À défaire tous liens qui nous unissent.

Au point où je suis, j'ai l'impression que me laisser couler dans ce quotidien – une fois l'​habitude prise – pourrait devenir vivable.

Tu t'y feras.


Comme pour appuyer ma pensée, je tourne la tête et observe l'homme derrière moi. Ses paupières fermées avec ses longs cils caressant sa peau, en passant par sa large carrure, lui fait prendre toute la place dans mon lit, d'autant plus qu'il ne se gêne pas pour étendre ses bras. Comme une petite souris, je suis là à scruter le chat qui me hante. Qui m'empêche de vivre. Guettant ses moindres faits et gestes, je calme ma respiration pour entendre la sienne, constatant qu'il est encore en vie. Et ce, pendant encore plusieurs siècles. S'il n'avait pas seulement le charme et le temps pour lui, peut-être serais-je toujours amoureuse. L'ai-je déjà été pour lui ? Ne suis-je pas plutôt tombé dans le piège de la solitude ?

Cette évidence me frappe. Plus de mère, plus de sœur, et l'homme dont j'étais follement amoureuse s'en est allé se barricader dans son palace. Aucune figure paternelle, et nulle autre famille. Mon côté introverti m'a toujours valu une moindre chance pour me faire des amies, alors, lorsqu'il m'est apparu tel un prince charmant, je me suis laissée aller.

J'étais mieux seule qu'avec lui finalement.


Donnant un geste à la parole, je finis par me lever et cherche ma toilette des yeux, puis me rappelle qu'il me les a arrachées avant d'arriver dans ma chambre. Alors, c'est sur la pointe des pieds que je me déplace sur le parquet, contournant les coins du lit, le petit ficus et mes étagères pour enfin passer la porte laissée entreouverte. Les rayons de la lune illuminent suffisamment les pièces pour qu'à la fin, tous mes vêtements soient de nouveau sur moi. Comme perdue, je me pose, les genoux repliés, sur le doux fauteuil pour échapper au canapé où il avait d'abord commencé à me prendre. Je ne peux même plus appeler ça "faire l'amour". Au fond, ce n'est qu'une bête qui m'utilise pour assouvir ses envies animales. 

Quelle humanité, encore une fois...


Les yeux dans le vide, je me mets à me remémorer tous ses défauts, comprenant de plus en plus ma bêtise d'être resté si longtemps avec, et c'est, morose, que je me lève dans un dernier effort pour quitter ma propre maison. Chassé par ses images de cette dernière nuit, j'enfile mes bottines de randonnée et un gros pull, cachant ainsi la nudité de mon cou et du début de ma poitrine, par les boutons de ma chemise envolés par la force de ses doigts. Je sors ensuite en trombe de mon logement et cours parmi les rues sombres de la basse-ville. Je croise quelque drogués prêts à me faire la peau si j'ose les scruter de travers, ce qui n'est pas le cas puisque je suis trop concentré pour ne pas tomber sur le sol parfois terreux, parfois constitué d'enrobé ou de pavés de pierres naturelles. Me rapprochant de plus en plus des lampadaires allumés pour les fêtards fortunés, je ralentis et reprends mon souffle, aspirant l'air absent d'un quelconque arrière-goût d'excréments ou de gaz.

L'architecture des habitations et l'entretien passent au fur et à mesure du tous au tous. Par des bâtiments serrés les uns contre les autres, en quasi-ruines avec des fissures apparentes, quelques trous béants et les menuiseries infestées de mites, celle-ci laisse place à de somptueuses villas grecques classiques, aux jardins plus grands que nécessaire, peints à la chaux et arborant des plantes et des arbres fruitiers différents pour chacune d'elles. La mode en Grèce s'est déportée avec brio jusqu'au Royaume. Certaines, pour se caractériser des autres, sont peintes d'une couleur différente, restant toutes de même dans les tons pales pour ne pas créer un choc avec les ruelles claires. On passe de l'obscurité à la lumière. De la basse ville à la ville. Une distinction si voyante, que c'est à se demander si ça ne les dérange pas de voir par-delà les balcons le paysage sombre des quartiers pauvres, avec comme doux chant ceux des oiseaux et les cris d'agonie des mourants devenant de plus en plus fous.

Une cité angélique bien trop proche des enfers.


Ne regardant plus où je vais du moment que je finis le plus loin d'Evander, je me laisse me perdre parmi la belle ville-mère. Je bouscule les quelques marchands préparant leurs stands pour la journée, mais personne n'ose régler leurs comptes avec moi. Ils ont dû sentir mon odeur. Comme toujours, mon surplus d'émotions m'emmène dans ce petit parc que j'aime tant. La végétation règne en maître, détruisant les lampadaires et les bancs en béton. Depuis la mort de la Reine, plus personne n'entretien son jardin, où, à ce qu'on disait, elle passait son temps à jouer avec son fils et déjeuner avec le Roi.


Mes yeux parcourent les hautes herbes, cherchant une petite place où me poser, mais au loin, cachée entre deux troncs d'arbres, je vis une petite fille. Assise en tailleur en nourrissant une chatte vagabonde et sauvage, avec ses petits derrière, ses cheveux d'un blond clair volent au gré du vent. Le pelage de l'animal et de ses petits sont marqués par la boue et quelques petites ronces emmêlées, faisant tâche auprès de l'enfant portant un chiton propre en lain, d'une couleur de vert tirant sur le blanc. Les broches d'une qualité à n'en point douter viennent coiffer en chignon sa tignasse bouclée et ses doigts caressant avec lenteur le chat sont parsemés de bagues dorées. Moi-même, je me sens inférieur, de trop, à côté de cette jeune fille.

Des brindilles craquent sous mes pas lorsque je me rapproche et la femelle s'enfuit sans tarder, alors que la gamine me regarde de ses yeux perçants, irritée de mon intrusion qui a fait fuir sa seule compagnie. Elle me fait aussitôt culpabiliser de ma venue, alors que je souhaitais seulement la rejoindre pour découvrir la douceur cachée derrière la crasse des petits félins. Pour ne pas faire la sauvage à la fuir, mes lèvres tentent, dans un dernier recours, de désamorcer la situation.

« Tu es toute seule ? » Mon hésitation à lui parler à travers cette phrase se fit marquante, et je ne saurais dire si elle est timide ou méfiante lorsqu'elle hoche comme seule réponse la tête de haut en bas. 



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