1- Une injustice.
Nefeli
Mes pieds claquent dans un bruit sourd sur les pavés souillés, pendant que mes yeux parcourent les ruelles remplies de corps inertes, et d'autres encore en vie, dénués de sentiments et de conscience. Comme si la mort ne voulait leur prendre que leurs âmes en laissant leurs hôtes pourrir lentement ici. Une mort douloureuse, longue, où leurs yeux s'ouvrent, leurs doigts vacillent quand ils arrivent à puiser de la force pour se dégourdir les membres et quand chaque parole devient un supplice pour qu'on les aide. Oubliant les politesses pour ne se concentrer que sur l'essentiel : garder leur nourrisson qui ne survivra pas ici plus longtemps, leur rapporter un peu de nourriture ou leur donner de l'argent.
La mort, à l'extérieur de la ville-centre, côtoie de près les habitants. Pourtant, auparavant, une très grande partie de la population avait accès aux soins, et pour certaines cités, aucune somme n'était demandée en échange. Maintenant, gagner quelques euros est le signe que les dieux ont entendu nos prières. Mais tout cela concerne surtout les humains et les métisses. Rien que de me balader dans ses ruelles refont surgir en moi des souvenirs et des faits que je me force à oublier. Ma mère et ma sœur, cette société où tout le monde ferment les yeux devant cette séparation entre les Faes et les êtres dénués de magie. Humains et métisses. Devenue une malédiction de naître dans ce corps. Voici où en est arrivé le monde d'aujourd'hui.
Pendant que je me rapproche des riches quartiers, mes yeux se posent sur un homme donnant quelques pièces à une jeune fille avachie au sol, la peau sur les os et des haillons comme seul tissu pour la protéger des intempéries. Après son noble geste, l'homme aux oreilles pointues se retourne dans ma direction alors que je passe derrière lui. Nos regards se croisent. Nos âmes s'effleurent.
Sa tête me dit quelque chose, mais je ne creuse pas plus.
Mais on dirait que lui aussi cherche à savoir qui je suis. Ses pupilles, presque éteintes, sont accrochées aux miennes, les yeux plissés comme pour savoir d'où vient ce visage familier. Il me regarde de la même façon qu'un enfant qui tente de trouver un trèfle à quatre feuilles.
Alors, à mon tour, je tente de retrouver son nom, si un jour déjà je le connaissais. Je ne m'arrête pas pour autant et continue mon chemin. Passant derrière lui, nous mettons un terme au contact visuel, et enfin j'arrive à le reconnaître alors que je change de ruelle.
C'était lui. Depuis l'aube de notre enfance, nous nous connaissons, lorsque mon admiration pour lui était aussi grande que l'envie de tout connaître pour calmer ma soif de curiosité. Il était tout pour moi. Désormais, il reste le Prince héritier. Futur Empereur des six continents conquis durant ces deux siècles. Prince ne répondant qu'aux ordres de son père et de ses deux sœurs cadettes. Pourtant, envers et contre tous, on dit de lui que c'est un des Faes les plus puissants. Si on oublie sa mère morte quelques années auparavant.
Vu l'étendue de leur pouvoir, ce n'est pas pour rien s'ils sont les deux seuls que tous respectent sans rechigner.
Mieux vaut ne pas s'attirer la foudre des dieux. Ou de ce qui s'en rapproche.
Tournant maison après maison, j'arrive finalement à l'endroit où seule, j'arrive à trouver le sommeil. Fatiguée de mon excursion, j'examine l'habitation de pierres, contente d'y trouver de nombreuses plantes grimpantes qui jour après jour embellissent l'habitacle, ainsi que quelques fleurs embaumant la rue d'un parfum exquis qui donnent leur charme au bâtiment. C'est la lumière dans l'obscurité de la basse ville. Rares sont les habitats entretenus ici. Posant ma main sur la poignée froide, je déverrouille la porte et entre, laissant le thé d'ylang-ylang et de camomille se répandre dans mes narines. Mon appareil photo à la main, j'entre dans le salon après avoir défait mes chaussures et les avoir posées à l'entrée, puis m'installe sur le gros canapé qui me sert aussi de lit. Pressée de regarder les photos prises, je zappe toutes celles sur la nature et les animaux, comme celles prises dans la forêt, pour arriver au vif du sujet. Entre morts et vivants, sur les clichés, il est difficile d'y voir la différence tant les survivants sont en piteux état. Comme la petite fille vue avant. Si j'avais pu, je l'aurais aussi immortalisée. Elle, sa peine et son malheur.
Mais le Prince était de sortie, et le prendre en portrait m'aurait peut-être valu un procès si, d'ici la diffusion, personne du Royaume ne connaît encore son visage. Sans oublier que mes activités ne sont certes pas illégales, mais elles sont vues d'un mauvais œil par le reste de la population vivant dans les riches quartiers.
Pourquoi laisser quelqu'un essayer d'aider les pauvres, s'ils risqueraient de voir débarquer nombre de sang impur près de chez eux ?
Quelle humanité...
Me rappelant comme à mon habitude l'injustice qui règne ici depuis bien avant la nouvelle ère, je me remémore le jour où j'ai trouvée ma petite sœur et ma mère allongées sur le sol dur, appuyées contre les déchets qui traînaient. L'une noyée dans son vomi et l'autre morte d'une crise cardiaque. Je n'ai même pas pu leur offrir une cérémonie à cause de leur "race", après être rentrée sur ma terre natale. Elle qui avait toujours su s'en sortir, j'ai prié chaque nuit le dieu Hadès pour qu'elles reviennent à moi, en vain. Quelqu'un avait découvert leurs origines et leur avait tout pris, ne leur laissant que peu de tissus pour cacher leur nudité et prenant avec eux leurs papiers d'identité. Impossible de se plaindre à la police si vous n'êtes personne.
Une migraine et des soubresauts me prennent encore aujourd'hui au dépourvu. Je me dirige difficilement au toilette, où je m'autorise ensuite à tout sortir. Ce sentiment d'être vide ne veux partir depuis la découverte de leur corps. Dès lors que je pense à ma famille. À mon père qui a engendré tout ça. À la famille royale. Au Prince.
Une fois la crise calmée, je me brosse la bouche anciennement pleine de bile, lorsque, une fois finis, des bruits de coups à la porte se font entendre. Je sors de la salle de bain faisant aussi office de toilettes et pars rejoindre l'entrée de ma maison. J'ouvre et c'est mon copain que je vois, un bouquet de fleurs à la main.
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