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On parla encore de la fête donnée chez les Serpentard une semaine après. Les rares Poufsouffle et Serdaigle qui y avaient mis les pieds en avaient des étoiles dans les yeux et Draco fut très vite acclamé comme l'un des meilleurs hôtes du château – après les frères Weasley, évidemment.
Avec le recul, Zoey sut qu'elle avait prodigieusement merdé devant Pansy et s'employa, tout au long de cette semaine, à passer le plus de temps possible loin des autres. La bibliothèque avait toujours été un refuge. Toutefois, c'était le premier endroit où Lorenzo l'avait cherché, ce lundi après-midi. Elle s'était donc tournée vers le Lac Noir... très vite dissuadée par la présence d'un groupe de troisièmes années qui avait élu domicile contre le tronc du chêne d'eau qu'elle affectionnait tant. Elle en avait même oublié d'aller au repas, ce qui, à fortiori, avait fini par convaincre Pansy que quelque chose ne tournait effectivement pas très rond.
Même Mattheo, qui n'avait assisté à aucun comportement étrange de sa part, avait fini par lui aussi se mettre en quête de Zoey dans le château.
S'ils m'attrapent, se disait-elle, je pourrais toujours dire que je croulais sous les devoirs.
Zoey avait fini par trouver un coin tranquille dans une salle d'étude du quatrième étage. Elle y avait passé la journée du mardi, celle du mercredi, et débutait son jeudi avec la solide conviction que personne ne viendrait la déranger.
N'importe qui qui connaissait bien la jeune fille savait que ce n'était pas dans ses habitudes de se cacher ainsi. Certes, elle était discrète et aimait la solitude, mais elle ne reculait jamais devant un problème et avait tendance à en créer lorsqu'elle était mécontente. Pour Lorenzo, Mattheo et Pansy, il était devenu évident que quelque chose s'était passé et que Zoey n'avait pas trouvé le courage – ou le temps – de leur en parler.
Lorenzo fut le premier à se plaindre de l'absence de son amie. Il aimait réviser avec elle et appréciait son tempérament posé, surtout lorsqu'il avait l'esprit en ébullition, animé qu'il était par tout un tas de projets magiques. Pansy était la deuxième sur la liste. Elle aimait sincèrement Daphné et Astoria Greengrass mais trouvait dans son amitié avec Zoey quelque chose qui allait au-delà d'un nom de famille et d'une lignée. Le plus pénible de tous fut sans conteste Mattheo. Lundi, il se contenta de poser des questions. Mardi, il se mit à geindre qu'il n'avait pas vu Zoey depuis trop longtemps. Mercredi, il était activement à sa recherche, se tournant vers la seule personne qui avait des yeux et des oreilles partout : son frère.
Jeudi s'écoula sans qu'aucun d'eux ne la croise. Elle se levait tôt, mangeait seule, ne manquait aucune heure de cours – mais diantre, disparaissait plus vite que son ombre ! Puis, à midi, c'était la même rengaine : tantôt était-elle dans les serres, tantôt dans les cachots. Tel élève l'avait vu passer à la volière, un autre se souvenait l'avoir aperçu à la bibliothèque. Et quand le couvre-feu venait, Lorenzo, qui interrogeait Luna Lovegood, découvrait que Zoey, sa Zoey, était déjà au fond de son lit.
Ce ne fut que ce vendredi qu'on la vit enfin entrer dans la Grande Salle à l'heure habituelle du petit-déjeuner. Pansy fut la première à la remarquer. Elle en jeta presque son café sur les œufs brouillés de Draco. Mattheo suivit sa camarade du regard et son visage s'illumina quand il découvrit que Zoey était là. Ils coururent à sa hauteur, embarquant avec eux un Lorenzo pas tout à fait réveillé.
– Je me faisais un sang d'encre ! s'écria Pansy en l'attrapant par les épaules.
– J'ai retourné l'école entière pour te trouver ! la sermonna Mattheo. Je me suis même battu avec un camarade de mon frère... okay, ça, ça n'avait rien à voir avec toi.
– J'espère que tu as une bonne explication, sinon, je te tue ! s'exclama Lorenzo.
Ils parlaient tous trois en même temps si bien que Zoey ne sut pas à qui répondre en premier.
– Je suis désolée, les gars, s'excusa-t-elle quand on l'eut enfin laissée s'exprimer. J'étais très en retard dans mes devoirs.
Peut-être aurait-elle les garçons mais Pansy n'en crut pas un mot.
– On aurait plutôt dit que tu nous évitais... grogna-t-elle.
– Pas du tout ! rétorqua l'intéressée, nerveuse. J'étais ailleurs. Tu savais que le procès des sorcières de North-Berwick avait été un évènement majeur dans l'histoire du secret magique ?
Lorenzo lui tapota l'épaule.
– Bien essayé, Zoo, mais tu ne nous auras pas à ce jeu-là.
– On te laisse tranquille pour le moment, ajouta Mattheo, mais tu n'as pas fini d'en entendre parler.
– Je ne vais plus te lâcher du regard si c'est pour que tu disparaisses comme ça.
Et sans la laisser protester, Lorenzo lui prit la main, la tirant vers la table des Serdaigle. Zoey, qui savait que cela ne servait à rien de perdre son temps et de se confondre en excuses, accepta son sort. Elle aurait mieux fait de trouver un meilleur mensonge. Maintenant, il fallait trouver un moyen d'échapper à cette fameuse conversation.
*
Samedi arriva sans crier gare. Cet après-midi-là, l'équipe de Serpentard affrontait en match amical l'équipe de Serdaigle. Lorenzo et Mattheo, d'ordinaire collés l'un à l'autre, se fuyaient comme la peste, bien décidés à régler des comptes imaginaires sur le terrain de Quidditch et non avant, au détour d'un couloir. L'amitié avait ses limites dans la rivalité sportive entre les deux maisons. Pour Zoey, c'était ce genre de journée où elle aurait aimé n'être amie avec personne.
– Et tu porteras mon écharpe, n'est-ce pas ? s'assurait Lorenzo, au petit-déjeuner.
– Je compte sur toi pour avoir mon bonnet, l'apostrophait Mattheo quand il se croisaient devant la Grande Salle.
La plupart du temps, et pour conserver sa santé mentale, Zoey ne soutenait ni l'un ni l'autre. D'ailleurs, elle assistait au match avec Luna Lovegood qui, d'une manière ou d'une autre, portait toujours les couleurs des Gryffondor, même quand ils ne jouaient pas.
Pour Zoey, ce match de Quidditch était une véritable aubaine. Ses deux amis étant occupés, il ne restait que Pansy et cette dernière organisait ses troupes pour soutenir sa maison une fois qu'ils seraient installés dans les gradins. Elle avait, bon gré, mal gré, réussi à repousser encore un peu l'instant fatidique où il lui faudrait expliquer à ses amis que quelque chose avait changé.
Aussi marchait-elle d'un pas plus léger qu'ordinaire vers le terrain de Quidditch. Pour se donner du courage, elle avait rempli ses poches de sucreries et de chocolats qu'elle comptait dévorer durant le match. C'était sa tradition : pendant que l'étudiante regardait les autres se dépenser, elle se goinfrait de sucreries en bénissant la personne qui avait inventé le chocolat.
La Serdaigle devait retrouver Luna aux pieds des gradins réservés aux élèves de sa maison. C'était un moment de liesse et il était difficile, malgré son humeur lugubre, de résister à l'ambiance générale.
Tout cela aurait été parfait si elle ne l'avait pas vu à quelques pas du stade, entouré de sa bande d'amis. Il était grand, trapu, ses cheveux brun clair et drus savamment coiffés pour se donner du style. Et quand leurs regards se croisèrent, Zoey se sentit comme prise au piège, définitivement condamnée à revivre encore et encore les images et les sensations qu'il avait imprimé sur son corps et son esprit. Elle eut envie de vomir. L'étudiante se figea, incapable de se forcer à se mouvoir. Il était en plein milieu de son chemin et, même si elle le voulait, Zoey ne parviendrait pas à le contourner sans se faire remarquer.
Son cœur se mit à battre plus vite, elle se sentit fiévreuse et prête à fondre en larmes devant l'école entière. Il n'y avait ni Lorenzo, ni Mattheo, ni Pansy pour la protéger. Elle aurait dû tourner les talons. C'était la meilleure solution, celle qui ne lui coûterait rien. Mais que se passerait-il s'il l'avait remarqué et qu'il décidait de la suivre ? Un jour de match, il n'y avait personne dans les couloirs. Tout. Tout pourrait lui arriver.
Zoey devait affronter seule ce garçon qu'elle craignait par-dessus tout. Non. Il fallait trouver une solution. Fuyant l'insistance de son regard, la jeune femme scanna la zone à la recherche d'une personne familière.
Luna était introuvable. Du reste, elle ne reconnaissait aucun élève, pas même Hermione Granger avec qui il lui arrivait de travailler de temps à autres. Puis, sur sa droite, il apparut, dépassant la foule d'une bonne tête, surveillant de son regard froid le mouvements des élèves, guettant le moindre signe d'incident et, surprenamment, indiquant à des premières années le bon chemin à emprunter. Tom Riddle.
Tom était sa porte de sortie. Zoey allait devoir y aller au culot. Gardant son bourreau à l'œil, elle inspira profondément, se persuada qu'elle avait toujours le contrôle sur son corps et s'obligea à avancer d'un pas résolu. Ce n'eut pas l'effet escompté car elle sentit que chaque fois que ses pieds se posaient sur le gravier, elle manquait de perdre l'équilibre. Elle maintint toutefois sa détermination à avancer et surveillait les faits et gestes du garçon. Lui aussi, marchait. Dans sa direction.
– Zoey, je suis... s'exclama-t-il d'ailleurs quand elle passa à sa hauteur.
Baissant la tête, elle se fit violence pour ne pas s'arrêter et, sentant qu'elle perdait pieds, accéléra le pas pour retrouver Tom. Il n'était plus très loin et, Zoey en étant sûr, il l'avait vu arriver. Aussi, quand elle fut enfin à sa hauteur, le préfet l'attendait, l'air suspicieux.
– Parle-moi, ordonna-t-elle. Comme si nous nous attendions.
– Quoi ?
– Riddle, je t'en supplie, parle-moi.
Il y eut un temps de battement pendant lequel Zoey crut qu'elle était finie. Qu'il allait ricaner à sa figure et l'abandonner sur place. Tom semblait presque mécontent qu'on ose l'interrompre dans sa tâche de préfet. La Serdaigle s'en voulut d'avoir pensé, l'espace d'un instant, qu'il allait l'aider.
– Je pense que Serdaigle va gagner, soupira le garçon et son masque tomba subitement.
Il avait, d'un coup, d'un seul, l'air plus ouvert à la discussion. Tom expliqua le pourquoi du comment, se montrant fin stratège pour un garçon qui n'assistait aux matchs que parce qu'il était obligé de veiller à la sécurité de ses camarades. Zoey l'écouta sans rien dire, hochant la tête, les yeux rivés sur son visage. Elle avait les mains qui tremblaient et le cœur qui battait si fort qu'elle n'aurait pas été surprise qu'on l'entende jusqu'à Pré-au-Lard. Les mots du Serpentard venaient toutefois combler un espace désespérément vide de son esprit et empêchaient la crise d'angoisse de prendre toute la place.
– McLaggen vient-il dans notre direction ? s'inquiéta Zoey au bout de cinq courtes minutes.
Tom s'interrompit. Il jeta un regard discret au-dessus de l'épaule de la jeune femme et reporta son attention sur elle pour lui répondre.
– Non, il est avec ses amis.
Le préfet marqua une pause, se gratta le menton, l'air de rien.
– Il nous observe.
L'idée que le regard du Gryffondor puisse être posé sur elle la pétrifia. Elle en pâlit aussitôt.
– Tu essayes de le rendre jaloux ? s'enquit le Serpentard sans parvenir à cacher le jugement sévère qu'il éprouvait à cette idée.
Zoey secoua la tête. Elle avait vraiment envie de vomir et de disparaître.
– J'ai autre chose à faire de ma vie que de jouer à ces jeux-là, articula-t-elle avec difficultés.
Le tremblement prenait le dessus sur tout son corps. Quand Tom déciderait qu'il en avait assez, qu'il tournerait les talons, Zoey serait de nouveau une proie facile. Cormac McLaggen n'était pas très loin, il pourrait toujours la rejoindre en quelques enjambées. Et à cet instant précis, elle n'aurait aucun échappatoire.
Ce changement d'attitude chez la jeune femme n'échappa pas à Tom qui, en bon observateur qu'il était, avait jugé que quelque chose était en train de se passer. Il avait beau se persuader qu'il s'en moquait, il était compliqué pour lui d'ignorer l'état de son interlocutrice. Elle avait l'air fatiguée, inquiète, presque dépassée par ce qu'elle vivait. Il jeta un autre regard par-dessus son épaule.
Cormac personnifiait ce qu'il détestait le plus : l'arrogance du titre, de la famille, la stupidité affolante qu'on ignore parce qu'il est riche, bien bâti et, au plus grand damne de tous et toutes, plutôt beau garçon. Quelque chose, toutefois, faisait jubiler le préfet. À cet instant précis, alors qu'il avait Zoey juste en face de lui, Cormac dardait sur lui un regard consumé par la colère, la méfiance et la haine. Si j'embrassais Zoey devant lui, songea Tom, triomphant, je suis sûr qu'il essaierait de me tuer. Pour la première fois depuis qu'ils étaient camarades de classe, Tom avait en sa possession un moyen de remettre Cormac à sa place. Quelque chose dont il ne se fichait visiblement pas. Et c'était délicieux.
– La réserve, souffla-t-il d'une voix monocorde. Si je t'aide à te sortir de cette situation, je veux que tu obtiennes pour moi un passe-droit pour la réserve. Tu es la petite préférée du professeur Binns, non ?
Zoey déglutit. Elle avait l'impression de signer un pacte avec le diable. Elle acquiesça toutefois la tête.
– Je ne suis pas sûre de...
– Tu trouveras un moyen, Walker.
Elle se contenta d'opiner. La Serdaigle n'avait aucune idée de ce que Tom avait derrière la tête. L'étudiante était obligée de lui faire confiance. Merlin seul sait combien de fois Mattheo m'a répété de ne jamais faire confiance à son frère...
– Allons voir le match ensemble, proposa Tom. Viens dans les gradins des préfets avec moi.
– Avec toi ? répéta Zoey, un peu abasourdie. Mais tu n'assistes jamais aux matchs !
– Je vais faire une exception.
– Riddle, je sais que tu as ta manière de penser, mais tu peux juste m'accompagner à mes gradins. Après, je...
Je me débrouillerais, voulait-elle ajouter. Elle savait mieux que personne que c'était un mensonge. Elle aurait été incapable de monter jusqu'au gradin. La jeune femme aurait probablement trouvé un endroit discret, un peu reclus, pour se cacher et pleurer jusqu'à ce que la pression redescende.
– Je t'ai dit de venir avec moi, souffla-t-il excédé. Si je te laisse, il y a des chances que Cormac surgisse de nulle part. Si je suis là, il n'osera pas.
Zoey pesa le pour et le contre.
– Tu ne me laisses pas vraiment le choix, n'est-ce pas ?
– Non, pas particulièrement. Je n'ai pas l'habitude qu'on discute autant mes propositions, d'ailleurs.
– Très bien, se rendit-elle.
Elle fouilla dans sa poche et en sortit un chocolat qu'elle fourra dans la main de Tom. Il eut l'air décontenancé par son geste et une petite voix, au fin fond de l'être de la Serdaigle cria victoire.
– Ce n'est pas encore l'accès à la réserve, grogna-t-elle. Mais c'est une compensation.
– Je n'aime pas le chocolat.
– Débrouille-toi avec ça, Riddle. C'est tout ce que j'ai.
Zoey le défia du regard – du moins, autant qu'elle en était capable, en cet instant précis. Tom l'observa, l'air sceptique et, à la plus grande surprise de la jeune femme, lui adressa ce qui ressemblait vaguement à un sourire.
– Allons-y, Walker. J'ai hâte d'assister à ladéfaite de mon frère.
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