21.
Tom fixait le plafond de son dortoir, allongé sous sa couette, les mains croisées sur son estomac. La soirée s'était terminée quelques heures plus tôt, après que les derniers survivants – les irréductibles fêtards – aient enfin abandonné les canapés de velours pour retrouver leurs plumards. Depuis, le jeune homme s'était traîné dans son dortoir, avait défait sa chemise, passé son pyjama et s'était glissé sous ses couvertures après s'être assuré qu'il avait bien sa baguette à portée de main. Il ne dormait jamais très loin de son précieux instrument et se montrait particulièrement irascible lorsqu'on l'obligeait à la laisser de côté.
Là, allongé dans le noir, Tom attendait que le sommeil vienne, lui qui guettait avec impatience ce moment où ses paupières se feraient plus lourdes et ses sens moins alertes. Seulement, les secondes, les minutes puis les heures s'égrenèrent sans qu'il ne puisse gagner cet état de semi- béatitude avant quelques heures de sommeil profond.
Il avait embrassé Zoey. Non.
Zoey Walker l'avait embrassé.
Et il lui avait semblé aimer ça.
Il se retourna dans son lit, pris d'une soudaine envie d'hurler dans son oreiller. Ce n'était pas bon. Pas bon du tout. Il avait prévu d'être en colère, de la repousser si elle osait lui parler. Il avait été hors de lui toute la soirée. On ne jouait pas avec Tom Riddle. On le respectait. On était flatté de marcher à ses côtés. Il était fou à l'idée que dès son arrivée, ce n'était pas lui qu'elle avait cherché mais la compagnie de son frère. Tom en avait conscience : s'il avait été nécessaire de faire un choix, Zoey irait toujours vers Lorenzo et Mattheo. Je ne suis rien pour elle, se souvint-il amèrement. Simplement un bouclier.
Cette idée lui tordit l'estomac d'une manière qu'il n'avait encore jamais expérimenté. Pourquoi cela lui déplaisait-il autant ? Était-ce parce que, quoiqu'on en dise, Zoey Walker était une jolie jeune femme ? Était-il, ne serait-ce qu'un infini peu, sous son charme ? Tom se retourna dans l'autre sens, ferma ses yeux, les plissa si fort qu'il en eut mal à la tête.
Il voulait l'embrasser à nouveau. Pas juste un pathétique effleurement, pas simplement une caresse. Le préfet voulait poser ses lèvres sur celle de sa fausse petite-amie, l'attirer contre lui, passer un bras autour de sa taille et la tenir comme ça jusqu'à ce qu'il ne puisse plus respirer. Il voulait regoûter à la saveur sucrée de son parfum et à la tendresse du geste.
Elle s'était forcée. Voilà ce qui le guettait, lui trottait dans un coin de la tête et revenait le hanter telle une mauvaise conscience. Tom le savait, Zoey avait été très claire sur la question quand ils avaient décidé de se mettre ensemble. Je ne veux pas qu'on s'embrasse, avait-elle dit alors qu'ils se promenaient dans le parc du château. Et Tom, sur le moment, ne pouvait être plus d'accord.
Le garçon avait vite compris – il ne fallait pas être un génie pour le saisir – que la Serdaigle faisait référence à sa précédente relation. Elle avait eu l'air perdue, avant de l'embrasser. Absente, égarée dans un espace-temps qui lui était propre.
Pourquoi, par Merlin, avait-elle fait ça ? Pour qu'ils ne perdent pas la face devant Daphné et Millicent ? Pour rendre fou son frère ? Pour faire hurler Pansy ? Pour le troubler ?
Tom enfonça plus profondément sa tête dans l'oreiller. Il inspira trois fois et s'empêcha de grogner. Son cœur avait battu plus fort. Si fort qu'il s'était demandé s'il allait s'arrêter ou mourir de honte. Et tout ce qu'il lui restait, c'était la frustration que ça n'ait pas duré assez longtemps.
*
Tom ne vit pas Zoey du dimanche. Il ne l'aperçut pas non plus le lundi matin, au petit-déjeuner et quand il vint la chercher en cours de Défense Contre les Forces du Mal, elle n'était pas non plus au rendez-vous. Il la chercha à la bibliothèque, à la Tour d'Astronomie et s'inquiéta véritablement quand il ne la vit pas aux côtés d'Hermione alors que commençait le cours d'Histoire de la Magie.
Le soir venu, le préfet profita de sa ronde avec Padma Patil pour enquêter. Ils marchaient
– Tu n'es pas au courant ? s'enquit la préfète des Serdaigle.
– De quoi ?
– Lorenzo l'a emmenée à l'infirmerie au beau milieu de la nuit, hier soir.
Tom tressaillit. Il fronça les sourcils puis toisa la jeune femme, attendant d'elle qu'elle lui raconte tout ce qu'elle savait sur le champ.
– Tom, Zoey fait des cauchemars terribles, la nuit, soupira Padma, l'air étonnée. Elle ne t'en a pas parlé ?
Le garçon secoua la tête. Il avait bien remarqué que Zoey était toujours fatiguée, qu'elle somnolait parfois lorsqu'ils étudiaient à la Réserve, le nez dans ses grimoires. Tom était loin de se douter que c'était parce qu'elle dormait si mal.
– Non, avoua-t-il. Je peux te laisser finir la ronde ?
Padma ne sut comment réagir. Qu'est-ce qui était plus étonnant ? L'inquiétude visible, s'emparant des traits de Tom ? Ou qu'il abandonne si facilement ses devoirs de préfet pour s'occuper de quelqu'un ? Elle bafouilla vaguement une réponse. Tom, toutefois, avait déjà tourné les talons.
Il débarqua à l'infirmerie et traversa la première pièce d'un pas déterminé jusqu'au bureau de Madame Pomfresh. L'infirmière du château fut assez surprise de le voir à cette heure-là de la nuit, sans son habituel sourire charmeur.
– Zoey Walker ! s'exclama-t-il d'un ton pressant.
– Monsieur Riddle, les heures de visites sont largement dépassées, je ne peux pas...
– Je vous en prie.
Comment refuser à Tom Marvolo Riddle son droit de passage ? Madame Pomfresh, cependant, était immunisée à ce ton autoritaire qu'il employait parfois quand il voulait désespérément quelque chose. Conscient qu'il n'aurait pas l'infirmière aussi facilement que prévu, le préfet se mordit la lèvre, serra les poings sur le petit bureau de bois et se força à sourire.
– C'est ma petite amie, murmura-t-il, jouant la carte de l'amoureux transi.
– Votre visite attendra les heures autorisées. Zoey doit se reposer, Tom.
– Je voudrais juste la voir, ne serait-ce qu'un peu.
Les yeux doux. Le sourire charmeur. Il avait tout pour lui. Pourquoi lui résistait-elle ainsi ?
– Je ne partirai pas sans l'avoir vu.
C'était son dernier argument. Madame Pomfresh considéra ce garçon, dix-sept ans tout juste, si bien habillé d'ordinaire, toujours si noble, avoir l'air si paniqué qu'il ne parviendrait même plus à réciter l'alphabet si on le lui demandait. L'infirmière ferma les yeux, poussa une profond soupir et se redressa dans son fauteuil.
– Je vais voir si Mademoiselle Walker est encore réveillée, alors, déclara-t-elle.
Il eut l'air si soulagé qu'elle sut qu'elle avait bien fait. Madame Pomfresh se leva, s'enfonça dans la seconde partie de l'infirmerie et disparut derrière un pan de mur. Parce qu'il devait prendre son mal en patience, Tom enfonça ses mains dans ses poches et parcourut l'avant-poste de l'infirmerie en long, en large et en travers jusqu'à ce que Madame Pomfresh revienne.
Il ne se reconnaissait pas. Il n'aurait accouru pour personne... ou si, seulement pour son frère. Pour se rassurer, Tom se répéta qu'il était là pour rappeler à Zoey qu'elle lui avait promis l'accès à la réserve et, qu'au fond d'un lit à l'infirmerie, elle ne pourrait pas répondre à ses exigences. Ça ne calma pas les battements de son cœur ni l'inquiétude qui le rongeait à tort. Qu'était-il en train de se passer ?
– Vous pouvez la voir, Tom. Vingt minutes, pas une de plus.
Le sourire qui naquit sur les lèvres du garçon fut le plus beau que Madame Pomfresh n'ait jamais vu chez lui.
– Merci !
Et il s'empressa de contourner le bureau à la recherche de Zoey.
Tom la trouva, allongée dans le lit le plus proches des grandes vitres de l'infirmerie, au fond de l'alcôve. Les rideaux avaient été tirés autour et Tom s'y glissa avec la peur de la déranger. Au moins, j'aurais eu un semblant de bon sens, ce soir, songea-t-il alors qu'il la découvrait, assise dans son lit, en pyjama.
– Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle d'une voix pâteuse.
Le préfet tira une chaise pour s'asseoir à ses côtés et s'approcha si près d'elle qu'elle eut un léger réflexe de recul. Zoey était pâle – même ses lèvres roses, celles qui l'avaient embrassé, étaient fades. Le regard qu'elle posait sur lui était éteint, épuisé. Elle n'était pas coiffée et semblait avoir passé sa journée entière à attendre que le temps passe.
– Je pense que c'est toi qui me dois des explications ! murmura Tom, un poil plus agacé qu'il n'aurait aimé l'être vraiment.
– J'ai juste fait un malaise, dimanche soir.
– Un malaise ?
Il chercha dans son regard la raison pour laquelle elle lui cachait la vérité mais ne sembla pas y trouver de réponse.
– Ce n'est pas ce que m'a dit Padma.
Zoey battit des cils. Ses petites mains étaient posées sur les draps. Il ne les avait jamais vues aussi blanches.
– Tu ne l'as pas torturée, quand même ?
Il eut l'air surpris quand elle lui sourit. Si elle n'avait pas eu la présence d'esprit de le prévenir qu'elle était à l'infirmerie, la jeune femme avait encore la force de la taquiner. C'était le monde à l'envers. Le préfet ne la lâcha pas, son regard inquisiteur scrutant les prunelles claires de l'étudiante.
– J'ai fait une crise, voilà tout ! craqua Zoey quand elle réalisa qu'il ne voulait pas la laisser se défiler si facilement. Ce n'étaient que des cauchemars, Tom.
– Raconte-moi.
– Je ne peux pas.
Elle cessa de le regarder. Qu'elle puisse fuir son regard lui déchira le cœur. Encore un symptôme, songea-t-il avec horreur. Je suis détraqué.
– Je ne veux pas, avoua-t-elle à demi-mot.
Tom acquiesça. Oui, c'était logique. Ils n'étaient pas proches comme Lorenzo ou Mattheo. Ils étaient engagés dans une fausse relation. Pourquoi se confierait-elle à lui plutôt qu'à un autre.
– Est-ce que tu as dormi, aujourd'hui ? demanda-t-il le plus calmement possible malgré tout ce qu'il éprouvait à cet instant.
– Non, pour être honnête, je n'y arrive pas.
– Pourquoi ?
– Parce que quand je ferme les yeux...
La confession semblait ardue. Impossible. Tom voulut la rassurer mais il n'avait pas vraiment les mots. Il la pressa maladroitement.
– Oui ?
– C'est comme si tout était trop réel.
Tom soupira. Il en avait assez de ses énigmes, lui qui avait pour habitude de tout savoir. Ne pouvait-elle pas simplement lui cracher le morceau ? L'idée d'effleurer son esprit, d'utiliser la magie pour pénétrer ses pensées, le titilla à nouveau.
– Tu dois dormir, Zoey, grogna-t-il.
Lui qui avait espéré remettre cette histoire de baiser sur la table depuis samedi soir rongeait son frein. C'était la première fois que le Serpentard ne cédait pas à ses pulsions, quitte à écraser son interlocuteur.
– Tu veux bien rester ? demanda-t-elle.
Ils échangèrent un regard. Ni l'un ni l'autre n'avait l'air très à l'aise avec cette proposition. Pourtant, quelque chose dans le regard de Zoey le suppliait de ne pas la laisser tandis qu'il jubilait intérieurement qu'elle ait souhaité qu'il reste à ses côtés.
– Si je reste...
– Encore des conditions, toujours des conditions, Tom Riddle. Reste juste.
Il leva les mains en l'air, pris sur le fait, un sourire amusé aux lèvres.
– Je peux te prendre la main, si ça te rassure ? proposa Tom.
– Tu n'es pas obligé.
J'en ai envie. Comme je voudrais t'embrasser de nouveau. Mais tu me détesterais si tu le savais.
– J'y tiens.
Zoey le toisa, jaugea sa sincérité puis entrouvrit l'une de ses mains serrées avant de s'allonger dans le lit. Tom la borda sans oser la regarder puis glissa ses doigts dans les siens. Elle était toute froide, presque tremblante.
– Tu n'as qu'à rêver de moi, la taquina-t-il en appuyant sa tête contre le mur de pierre.
Elle rit mais ne répondit rien. Cela le déçut presque.
– Tu sais, Tom, je suis désolée de t'avoir embrassé sans prévenir.
Ça m'a plu, voulut-il lui répondre.
– Est-ce que ça t'a gênée ? s'inquiéta-t-il, plutôt.
– Un peu, le temps que je me décide à le faire.
– Et ensuite ?
Elle ferma les yeux, un demi-sourire aux lèvres.
– Je crois que c'était cool, Riddle. Même s'il était un peu rapide et bâclé et que c'était la honte de t'embrasser à cause de cette idiote de Greengrass, j'aurais aimé que ce soit celui-là, mon premier baiser.
Il déglutit.
Zoey Walker l'avait embrassé.
Et elle venait de chambouler l'entièreté de ses certitudes.
Parce qu'il avait envie derecommencer.
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