2.

Zoey trouvait toujours une bonne excuse pour ne pas sortir en soirée. Je suis mal lunée, en ce moment. Peut-être demain ? Je dois réviser pour l'examen de potion. Ce genre de chose qu'on balbutiait entre deux prétextes inventés à la va-vite, qui contenait une part de vérité dans un mensonge disproportionné.

À cet instant précis, ce qu'elle cherchait, c'était un moyen de se défiler. Elle ignorait encore la raison pour laquelle elle avait accepté la proposition de Lorenzo et Mattheo mais il n'était pas encore trop tard pour s'échapper. La tour d'astronomie ? Pratique. Frileux, toutefois. Une urgence à l'infirmerie ? Tout le monde savait que Madame Pomfresh n'engageait des élèves qu'en cas d'épidémie ou d'évènements graves – comme le dernier match de Quidditch entre Gryffondor et Serdaigle. La bibliothèque ? Si elle fonctionnait comme un repoussoir sur Mattheo, Lorenzo en franchirait les portes sans aucune hésitation pour ramener Zoey dans les cachots.

Non, il fallait se rendre à l'évidence : à moins de dire franchement qu'elle ne voulait pas y aller, l'étudiante devait assumer sa décision et rejoindre son ami dans la salle commune.

Comme convenu, il l'attendait à dix-neuf heures tapante, tranquillement adossé au mur qui faisait face aux escaliers menant aux dortoirs. Lorenzo avait passé une tenue moins formelle quoique très raffinée. Il avait gardé son pantalon d'uniforme et sa chemise blanche, et celle-ci drapait ses épaules comme tomberait sur son corps une toge de soie. Tout ce qui devait être souligné l'était sans trop d'exagération, laissant deviner qui était Lorenzo d'un simple coup d'œil. Zoey s'en voulut de n'avoir passé qu'un jean et un pull rayé. Elle aurait dû fournir un effort.

– J'étais en train de me demander dans quelle partie du château tu t'étais enfuie, s'amusa Lorenzo lorsqu'elle fut à sa hauteur.

– Je suis donc si prévisible ?

– Tu l'es un peu, oui.

Comme pour la rassurer, il passa un bras autour de ses épaules et l'attira contre lui. Ce n'était pas très surprenant, venant de sa part et Zoey appréciait ce contact. L'un des seuls qu'elle se sentait capable d'accepter après... La Serdaigle secoua si discrètement la tête que son ami n'aurait jamais pu sentir son trouble. Bras dessus, bras dessous, ils se mirent en route, ignorant les regards indiscrets qui se posaient sur eux.

– J'imagine que c'est utopique de croire qu'on sera rentré avant le couvre-feu ? demanda Zoey lorsqu'ils se retrouvèrent dans les escaliers.

– Pansy ne te laissera jamais partir avant.

– On s'est vus ce matin, elle en a peut-être marre de moi.

– Personne ne peut se passer de toi, Zoo.

On aurait pu croire qu'ils se fréquentaient mais rien, pas même une once d'attirance physique, n'animait leur relation au-delà d'une amitié sincère et profonde. Lorenzo estimait Zoey presque autant qu'elle le considérait comme un frère et il en allait de même avec Mattheo. Tout ce que Lorenzo disait à son amie, il le pensait sans désir coupable, sans éprouver le besoin de la toucher ou de l'embrasser. Il y avait entre eux ce genre de connexion indicible, qui ne faisait sens que lorsqu'on avait éprouvé l'amitié telle qu'ils la vivaient chaque jour.

Toutes ses belles promesses avaient toutefois une faille : il y avait une chose que Zoey n'avait pas su dire à ses amis et qui la hantait chaque seconde où son esprit n'était pas occupé par quelque chose. Nous n'étions que fin septembre, la jeune femme pouvait toujours en parler. Pour l'instant, c'était encore trop dur et les mots ne lui venaient pas. Elle se sentait lâche face à ce silence et avait la sensation qu'à un moment donné, cette incapacité à se confier finirait par creuser un fossé entre eux.

– On y est ! s'exclama soudain Lorenzo, ce qui interrompit Zoey dans le cours de ses pensées.

Elle n'avait fait attention à rien, pas même à son environnement. Ils étaient devant la porte de la salle commune des Serpentard.

– Lorenzo, il n'y aura pas de Gryffondor à cette soirée, si ?

Interpellé par la question, le garçon se figea avant de frapper à la porte. Il lança un regard curieux, presque suspicieux à la jeune femme, et fronça les sourcils.

– Draco n'en aurait pas invité, répondit-il doucement. Pourquoi ?

Zoey se mordit la lèvre, hésitante. C'était peut-être le bon moment ? Non.

– Je ne voudrais pas que Mattheo se batte, mentit-elle.

Sa réponse ne soulagea pas Lorenzo mais la porte s'ouvrit avant qu'il n'ait eu le temps de répliquer. Une furie noire se jeta dans les bras de Zoey, emportant avec elle l'étrange conversation qu'ils étaient en train d'avoir.

– Et voilà Pansy, s'esclaffa Mattheo, de l'autre côté de la porte. Je me disais bien que vous alliez arriver

– Zoo ! Vous avez ramené Zoo à la soirée ! s'exclamait l'intéressée en serrant de toutes ses forces la pauvre Serdaigle.

Zoey ne savait pas comment réagir. Prendre Pansy dans ses bras ? Elle étouffait déjà, elle ne voulait pas non plus finir avec deux côtes brisées. Des portes entrouvertes s'échappaient la musique chaotique des Bizarre's Sisters et l'odeur entêtante de Bièreaubeurre et Whiskey de Feu. Il y avait du monde, c'était indéniable. Zoey ne s'en sentit que plus submergée. Elle voulait rentrer.

– Comme je suis contente de te voir ! la rappela à l'ordre son amie.

Pansy n'avait jamais eu bonne réputation. Auprès des élèves, on la considérait comme une pimbêche dont la seule passion était de terroriser les premières et deuxièmes années. En réalité, elle avait effectivement un caractère de cochon ; il cachait toutefois une appétence pour les études et une connaissance accrue de la mode sorcière et l'art en général. Rien n'avait de secret pour elle, pas même la plus discrète des œuvres accrochées dans le château.

– Pansy ? gémit Zoey en lui tapotant l'épaule.

– Hm ?

– J'étouffe !

La Serpentard éclata de rire et lâcha enfin Zoey. Celle-ci prit une inspiration – la plus agréable de toute sa vie, et se laissa prendre par la main puis traînée jusque dans la salle commune. Il était définitivement trop tard.

– J'ai mis de côté un peu de jus de citrouille pour toi, expliqua Pansy en passant un bras sous le coude de son amie. Je sais que c'est ce que tu préfères et j'ai entendu que Blaise et Mattheo voulaient verser je-ne-sais-quoi dans la cuve. Donc, surtout, ne touche pas aux boissons sur le buffet.

– Heureusement que tu es là !

Un groupe de cinquièmes années passèrent près d'elles. L'un d'eux, plus grand et imposant que les autres, bouscula Zoey, emporté par son élan et le taux d'alcool qu'il avait dans le sang. La main du garçon, bien que cela n'ait vraiment pas été le but, s'agrippa à son épaule, se refermant sur sa clavicule.

Ce fut comme un électrochoc. Elle se sentit d'abord agressée, puis sa peau, là où leurs corps s'étaient rencontrés, lui brûla la peau. Sa respiration se figea, comme coincée quelque part entre sa trachée et ses lèvres. Son corps entier fut parcouru d'un long frisson et l'image furtive d'une mauvaise rencontre se dessina dans un coin de son esprit.

– Zoey ? s'inquiéta Pansy qui avait bien vu que quelque chose n'allait pas.

La Serdaigle se sentait nauséeuse. Le contact avait été furtif mais bien réel. Le monde autour d'elle était un peu flou et, dans les volutes de fumées, dans les vapeurs d'alcools et le vrombissements des basses, elle crut percevoir des pleurs qui lui étaient familiers.

– Zoey ! insista la Serpentard, de plus en plus inquiète face à l'absence de réponse.

On la tira de sa torpeur tout en délicatesse. Pansy s'était saisie de ses épaules – elle aussi, et la secouait le plus doucement possible.

– Tu vas rester au jus de citrouille, ma cocotte.

– Hein ? Euh... oui.

Il n'y avait donc pas d'air dans cette foutue salle commune ? La Serdaigle s'appliquait à fuir le regard perçant de Pansy, cherchant au passage la moindre porte qui la couperait de cet enfer. Mais il n'y avait rien, et ces larges fenêtres qui donnaient sur les profondeurs du Lac Noir lui entretenaient la sensation qu'elle était prisonnière pour de bon.

– Zoo, est-ce que ça va ?

– Oui, oui, mentit-elle. J'ai... euh... je suis fatiguée, c'est tout.

– Tu es sûre ? Tu as réa...

La silhouette longiligne d'un blondinet se dessina derrière Pansy et, un battement de cil plus tard, Draco venait de poser son menton pointu sur l'épaule de sa meilleure amie.

– Il faut le voir pour le croire, chantonna-t-il en dévisageant la Serdaigle. Zoey Walker est venue à une de mes soirées de débauches.

– Salut Draco, tu as mis les moyens n'est-ce pas ?

– On était en train de parler, Dray ! s'agaça Pansy en se dégageant.

– Relax, grogna ce dernier. Je voulais juste saluer mon invitée. Whiskey Pur-feu ?

Il tendit un verre à demi rempli d'un liquide ambré. Pansy, d'un geste sec, repoussa la boisson.

– Jus de citrouille, insista-t-elle. Allez viens, Zoo, je vais te servir un verre.

*

La soirée battait son plein. Zoey était admirative de l'ambiance bonne enfant, pleine de rires, d'éclats de voix et de paroles hurlées en rythme – ou pas – avec la musique. Ce n'était pas sa première soirée en compagnie de Lorenzo, Mattheo ou Pansy, mais c'était bien loin de ce qu'elle s'imaginait quand on lui disait « Draco Malefoy a organisé une fête chez les Serpentard ». C'était la première depuis que la rentrée avait eu lieue. C'était celle qui suivait... eh bien qui suivait cet été.

Zoey s'était trouvée un coin plutôt calme, à l'abri des regards. De temps à autres, Mattheo venait discuter avec elle. Il avait toujours un tas de chose à raconter. Lorenzo s'arrêtait aussi régulièrement pour s'assurer que tout allait bien. Pansy papillonnait mais son butinage finissait toujours par la ramener vers Zoey. De fait, même si elle ne se mêlait pas aux autres, Zoey n'était jamais véritablement seule. Et ça lui allait très bien.

Pourtant, alors qu'elle était en pleine possession de ses moyens une fois la crise passée, elle ne l'entendit pas arriver. Il s'était glissé près d'elle sans s'annoncer, comme s'il avait été dévoré par la pénombre et que cette dernière le recrachait subitement. Leurs regards se croisèrent tout à fait par hasard. Le sien était sombre, profond, préoccupé. Elle ne savait pas ce qu'elle dégageait, mais, à son mouvement de recul, il comprit qu'il l'avait – sans le vouloir – effrayée.

– Walker, s'annonça enfin le jeune homme.

– Riddle.

Tom, dans ce mélange de clair-obscur, était plus impressionnant qu'ordinaire. Préfet des Serpentard, préfet en chef, élève brillant, admiré par les professeurs, respecté des élèves. Il avait à son palmarès un nombre incalculable de qualité qui contrebalançait son plus gros défaut : le jeune homme était, la grande majorité du temps, un type froid et impassible particulièrement désagréable avec autrui. Zoey ne lui parlait pas beaucoup, elle n'était même pas sûre d'avoir eu une conversation dépassant les salutations d'usages en six ans de vie commune à Poudlard.

– Tu as soigné mon frère, n'est-ce pas ?

– Merci de t'inquiéter de ma santé, Riddle. Ou de ma présence ici. J'espère que tu vas bien toi aussi.

– Pardon, Walker. Je ne te savais pas si attachée aux mondanités.

Elle haussa les épaules. Elle ne l'était pas. Ou si. Quand il fallait se changer les idées.

– Je ne te savais pas friand de ce genre de soirée.

C'était officiellement la conversation la plus longue qu'elle ait jamais eue avec lui. Ce qui était à la fois très impressionnant et, en même temps, légèrement étrange.

– Je ne le suis pas. Je partais pour ma ronde de préfet.

Zoey hocha la tête. Tom traînait. Il était là, planté sur ses deux pieds, à la toiser de toute sa hauteur, le visage impassible. Et il semblait attendre quelque chose. Devait-elle le congédier ? Se sentait-il obligé de rester là ? Il pouvait partir, elle ne le retiendrait pas.

– Donc, c'est toi qui as soigné mon frère ? insista le jeune homme.

Zoey leva les yeux au ciel.

– Par Merlin, Riddle. Oui, c'est moi. Qu'est-ce que ça change ?

– Rien.

Il se tut, baissa les yeux. Eut l'air de chercher ses mots.

– C'était du bon boulot. Son nez, je veux dire.

Donc c'était ça ? Il voulait la complimenter ? Zoey s'en trouva satisfaite. Non pas qu'elle attendait de lui qu'il valide le moindre de ses faits et gestes. Mais venant de Tom Riddle, c'était plaisant. Elle s'apprêtait à lui répondre mais il avait déjà tourné les talons et se dirigeait vers la sortie. Zoey le regarda s'éloigner, engloutie par la foule des fêtards.

Elle avait beau le trouver mystérieux, Zoey sevanta d'une chose : se tenir à bonne distance de ce garçon était l'une deses idées les plus brillantes. Et pour ça, elle s'en félicitait.


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