16

Quand elle sortit de la salle commune pour petit-déjeuner, lundi matin, Tom l'attendait. On aurait pu croire qu'il avait fait un effort ou qu'il s'était parfumé. En réalité, le jeune homme n'avait rien changé à sa routine habituelle : son apparence était toujours méticuleusement soignée, de la façon dont il avait noué sa cravate à la manière dont le pli de sa cape retombait sur ses longues jambes.

Zoey ne se gêna pas pour l'observer. Après tout, elle s'apprêtait à prétendre qu'ils avaient une relation ensemble. Des occasions de détailler ce garçon, la jeune femme en aurait plus que nécessaire. Aujourd'hui, alors qu'ils jouaient le premier acte de leur petit numéro, Tom débordait d'assurance et son sourire charmeur, d'ordinaire réservés à ses professeurs, était tout entier dédié à la Serdaigle.

– Walker, la salua-t-il quand elle arriva à sa hauteur.

– Riddle.

Ils se toisèrent. Un observateur indiscret n'y aurait vu que du feu. Car le sourire de Tom était trompeur, séduisant et celui de Zoey, timide. Quelque chose, dans leur langage corporel, trahissait aussi cette gêne de se retrouver; cette hésitation qui caractérise les premiers instants d'une relation. Sous le vernis de ce tableau parfait, il cherchait à vaincre l'indifférence que provoquait la jeune femme chez lui et elle doutait déjà de la réussite de leur entreprise.

– Et donc ? demanda Zoey.

– Je ne sais pas. J'ai rédigé le contrat.

Il fouilla dans sa poche et en extirpa un morceau de parchemin. Zoey le déplia. Les termes étaient simples : jusqu'à la fin de l'année scolaire – qui prendrait fin après leurs examens respectifs – Tom et Zoey étaient tenus de se présenter au reste de l'école comme un couple amoureux. Le préfet s'engageait à aider Zoey à repousser Cormac et à accepter n'importe quelle faveur demandée par la jeune femme. En échange, la Serdaigle continuerait de fournir à Tom un accès à la Réserve et veillerait à ce que l'image froide et distante du préfet s'efface peu à peu.

– Les détails annexes – contacts physiques, fréquences des rendez-vous, surnoms... - seront discutés au fur et à mesure de la relation, lut Zoey, dubitative. Parce que tu espérais que nous échangerions nos salives ?

Elle avait parlé sur le ton de l'humour mais son visage s'était brusquement décomposé au souvenir des baisers volés par Cormac. La remarque ne provoqua aucune réaction chez Tom qui se contenta de lui lancer un regard vide d'émotion. La Serdaigle en conclut qu'il n'avait pas l'intention de l'embrasser tout de suite. Elle chassa donc cette pensée de son esprit en repliant le contrat.

– Bien, j'y apporterais quelques modifications, soupira la jeune femme en le rangeant dans l'une de ses poches. Tu as des questions ?

– C'est moi qui devrais te demander ça, non ?

– Je n'en ai pas. Et toi ?

Tom haussa les sourcils. Lui qui s'était imaginé de longues heures de négociation se retrouvait fort dépourvu devant l'apparente indifférence de sa complice. Il soupira.

– Que font les couples une fois qu'ils sont ensemble ?

Zoey voulut répondre qu'elle n'en avait aucune idée mais c'était faux. D'abord parce qu'elle avait été grande amatrice de romance et que son père, contre toute attente, aimait autant le cinéma d'horreur que les grands drames romantiques. Ensuite, et Zoey était obligée de l'admettre, les quelques jours qui avaient suivi ce baiser forcé devant leurs familles respectives, Cormac lui avait sorti le grand jeu. Et c'était sûrement là qu'il avait réussi à me faire baisser ma garde.

– On pourrait marcher main dans la main, suggéra la jeune femme bien que l'idée lui déplut fortement.

Elle ne manqua pas de remarquer qu'à Tom non plus, cette idée ne plaisait pas.

– D'accord, soupira-t-il au bout d'une longue minute de réflexion.

– Et, tu vas arrêter de m'appeler Walker. Mes parents m'ont donnée un prénom, autant que tu t'habitues à le prononcer, toi aussi.

– Si tu cesses de m'appeler Riddle à tout bout de champs.

Elle ricana.

– On pourrait se trouver un petit surnom chacun.

– Ne poussons pas le bouchon trop loin, tu veux ?

Zoey s'amusa de la tension qu'une simple boutade pouvait provoquer chez Tom. Elle lui tendit ses deux mains, paumes tournées vers le plafond et plongea son regard bleu dans les abysses de ses prunelles. Tom, sceptique, posa ses yeux sur sa peau blanche et ses doigts légèrement enrobés.

– Qu'est-ce que tu veux que je fasse ?

– Choisis.

Le préfet considéra les mains qu'elle lui offrait. Puis, lentement, méthodiquement, il déposa sa main droite dans la gauche et, comme si cela avait été naturel, leurs doigts s'emmêlèrent.

La sensation qui parcourut Tom à cet instant précis fut toute nouvelle pour lui. C'était... dérangeant. Ça le démangeait. Et, en même temps, la main de Zoey semblait avoir été faite pour épouser la sienne. Plus petite, toute ronde. Des doigts lisses, comme les siens, à force de tourner les pages des grimoires. Un frisson – quelque chose de doux – remonta le long de son bras, parcourut ses épaules et dévala sa colonne vertébrale.

Zoey, qui avait imaginé qu'elle détesterait ce contact, trouva qu'il n'était pas si pénible qu'elle l'aurait cru. L'étudiante avait craint cet instant où le garçon refermerait son emprise autour de ses doigts. Parce qu'elle avait haï chaque moment passé avec Cormac, chaque fois qu'il l'attrapait de cette manière. Comme s'il l'avait possédé.

La main de Tom était froide. Même si leurs doigts s'étaient accrochés, aucune pression n'était exercée sur sa paume. Zoey n'avait pas le sentiment qu'il cherchait à la coincer, à la piéger. Elle en fut soulagée. La Serdaigle observa un instant leurs mains, attachées l'une à l'autre.

– Comment tu te sens ? demanda Tom.

Elle le toisa sans comprendre où il voulait en venir.

– Qu'est-ce que ça te fait, se corrigea le garçon. Tu tressailles à chaque fois qu'on t'approche.

– Tu as remarqué ?

La jeune femme avait rétorqué du tac au tac. Sa voix, toutefois, était éteinte, épuisée. Tom s'en trouva désolé. Il n'était jamais désolé.

– Je crois que ça va le faire, conclut Zoey après quelques secondes. Est-ce que...

– Dis-moi.

– Est-ce que tu peux ne jamais serrer plus fort que ça ? Et ne pas me tirer, si possible ?

Il ne considéra même pas la demande. La réponse lui semblait évidente s'il voulait être sûr que tout se déroulerait selon ses plans.

– Je peux.

– Alors on y va.

Ils se dirigèrent d'un pas hésitant vers la Grande Salle. À cette heure-là, la plupart des élèves étaient déjà installés et quelques retardataires seulement les croisèrent dans les couloirs. Si l'on avait été à leur place, voilà ce qu'on aurait ressenti : on aurait d'abord eu le sentiment de rêver. Le couple était un peu improbable et, s'ils échangeaient, la discussion, vue de l'extérieur, n'avait pas l'air très naturelle. Puis, après avoir rencontré cet étrange apparition au détour d'un escalier, il y avait comme un blanc. Alors, curieusement, on ne pouvait s'empêcher de se retourner pour vérifier, une nouvelle fois, que l'on n'avait pas fantasmé.

Zoey, sur les premiers moments de ce trajet, se sentit mal à l'aise. Elle ne savait pas quoi dire au garçon et les discussions passionnées semblaient être confinées aux espaces discrets des rayonnages de la bibliothèque. Tom, conscient qu'il devait donner le change, s'efforçait de faire la conversation. Il lui parla du beau temps mais s'ennuya rapidement car Zoey, pas plus intéressée que ça par l'épaisseur des nuages et les chances que la pluie tombe sur le château, ne répondait que par de vagues affirmations. Le préfet s'intéressa donc à l'emploi du temps de Zoey.

– Je pourrais venir te chercher, à midi.

– Pourquoi pas. J'ai cours avec le professeur Rogue.

– Défense Contre les Forces du Mal, alors ?

Les yeux du garçon s'étaient illuminés. Zoey n'avait pas l'impression que c'était pour elle, mais trouva que c'était beau à voir et que ça changeait de son habituel regard glacial. Un peu de chaleur au fin fond de ses abysses. Encore un contraste flagrant avec le regard toujours brûlant de Mattheo.

– C'est ça. Je n'aime pas trop cette matière.

– En même temps, tu préfères les cours du professeur Binns.

Zoey pouffa.

– Chacun ses goûts Ri... Tom.

Elle avait une façon de dire son prénom qui lui plut. Sans peur, sans hésitation. Ce n'était pas le ton moqueur, parfois dédaigneux de Pansy. Ce n'était pas non plus tout en affection et en roucoulement comme pouvaient le faire certains élèves qui pensaient encore pouvoir l'amadouer. Non. Zoey prononçait ses trois lettres comme elle dirait « soleil » ou « petit-déjeuner ». Il n'y avait aucune trace de peur, de méfiance ou d'intérêt. Tom était chuchoté dans des soupirs agacés, ennuyés ou amusés.

Ils arrivèrent devant la Grande Salle. Les portes étaient ouvertes et il s'élevait dans le couloir la clameur des discussions. Tous les professeurs étaient attablés à l'exception de ceux qui commençaient plus tard. Rares étaient les élèves qui n'avaient pas cours dès huit heures le lundi.

Quand Tom passa la porte, les premiers regards qui se tournèrent vers eux furent hasardeux. On continua à rire et discuter mais il n'échappa à personne dans le grand réfectoire que Tom Marvolo Riddle, Préfet-en-Chef, coqueluche des professeurs, tenait la main de Zoey Walker qui était... qui était bien trop douce, bien trop gentille, bien trop chaleureuse – bien trop tout – pour le fréquenter.

Le couple traversa la salle sans prêter attention aux regards. Zoey joua la comédie avec un naturel qu'elle ne se connaissait pas, probablement parce qu'elle subissait de pleins fouets la tension provoquée par leur arrivée. Elle souriait à Tom, lui glissait des coups d'œil timides – ça, elle n'avait pas besoin de faire semblant, il l'intimidait vraiment.

Ils s'arrêtèrent entre la table des Serdaigle et celle des Serpentard, au niveau de Lorenzo, Draco, Pansy, Blaise, Mattheo et Theo. Leurs camarades assistaient à la scène sans comprendre, les yeux écarquillés. Tout le monde était au courant de ce rendez-vous. Personne n'avait réellement cru Tom capable de déclarer son intérêt à quelqu'un. Surtout pas à la jeune femme qui l'accompagnait.

Conscient du petit effet qu'ils produisaient, Tom lâcha la main de Zoey, lui adressa son sourire signature et rangea derrière son oreille une mèche de ses cheveux roux.

– Je serais là à midi, alors, souffla le garçon.

Zoey acquiesça, se retourna et s'installa à côté de Lorenzo. Le garçon mangeait avec Padma et un autre élève de Serdaigle en septième année, Roger Davies.

– Okay, murmura Padma.

– Est-ce que je peux avoir le jus de pomme ? demanda la jeune femme, s'adressant principalement à son meilleur ami.

Lorenzo n'esquissa pas un geste et il était à côté de la bouteille.

– Donc... c'était du sérieux, Tom et toi ? demanda Roger.

– Pansy, ajouta Padma. Elle a commencé à dire que Tom te courrait après mais personne n'y a vraiment cru.

Zoey ne trouva pas ça très étonnant. Personne de sensé n'aurait imaginé Tom sortir avec elle. C'était pour ça que leur petit couple fonctionnait. Bien que déroutant, les deux étudiants pouvaient parfaitement se plaire : studieux, ils s'étaient sûrement croisés plus que de raison à la bibliothèque. Et Zoey, qui passait beaucoup de temps avec la bande des Serpentard, devait le fréquenter aux soirées. De ce genre de rencontres furtives finissait toujours par naître un quelque chose qui débouchait sur une relation.

– Le jus de pomme, répéta l'étudiante à l'intention de son voisin de table.

Lorenzo était blanc comme un linge. Il hocha la tête, prit le jus de citrouille et le versa dans le bol de Zoey. Déconfite, l'étudiante repoussa le récipient et se tourna vers son meilleur ami.

– Tout va bien ?

– C'est juste... c'est la première fois que je te vois avec un homme.

Padma pouffa et Roger ne put se retenir de sourire. Ils échangèrent un regard entendu avec Zoey qui passa son bras autour des épaules de Lorenzo pour le réconforter.

– Il était tout mielleux avec toi, se plaignit le brun. À te tenir la main, à ranger tes cheveux derrière tes oreilles. C'est moi qui fait ça, d'habitude. Ou Mattheo, dans un de ses beaux jours. Mais Tom ?

Je serais là à midi, singea Roger, jouant la comédie à Padma.

– Et que je te souris à en faire rougir le professeur Rogue, ajouta la préfète des Serdaigle.

Zoey, amusée, leur fit signe de se taire. Il ne fallait pas remuer le couteau dans la plaie de son pauvre ami.

– C'est pour ça qu'il attendait devant notre salle commune ce matin, réalisa Padma.

– Pour me ravir ma Zoey, s'effondra le Serdaigle. Encore un peu et il t'embrassait.

– Je suis une grande fille, Lorenzo.

– Devant tout le monde.

– Personne ne prêtait attention à nous.

– Tout le monde prête attention à Tom.

Zoey leva les yeux au ciel, excédée par l'attitude enfantine de son ami. Elle lui tapota l'épaule, l'air de lui dire qu'il s'en remettrait et croqua dans un morceau de tarte.

– Personnellement, je n'ai rien vu venir, reprit tout de même Padma.

– Quelqu'un a-t-il déjà réussi à prédire les faits et gestes de Tom Riddle ? insista Roger.

– Comment est-ce que ça s'est fait ?

Zoey rougit. Ils ne s'étaient même pas mis d'accord sur ce mensonge. La Serdaigle allait devoir improviser, aussi choisit-elle ce qui se rapprocherait le plus de la vérité.

– Tout a commencé à la bibliothèque...

– Je n'aurais jamais dû la laisser y aller seule...

– On a juste pris l'habitude de travailler ensemble.

– Je devrais moins écouter Mattheo et être plus studieux...

– Un jour, Tom s'est installé à côté de moi et il m'a dit...

À la table des Serpentard, la discussion allait bon train aussi et, pour une fois, Tom y prenait part.

– ... que ça faisait un moment qu'on passait du temps ensemble, je voulais apprendre à la connaître. Et je voulais la fréquenter.

– Je n'y crois pas, s'opposa immédiatement Mattheo. Ce que tu appelles des amis ne sont que des idiots qui te suivent sans broncher parce que tu es puissant. Ce n'est pas ton genre de vouloir fréquenter une fille.

– Zoey était un peu réticente, avoua Tom. Elle ne m'a pas dit pourquoi mais a tout de suite précisé qu'elle n'avait pas envie de sortir avec quelqu'un.

– Et, comme un mec sain, tu as laissé tomber, j'imagine ? se moqua Pansy.

– Je lui ai proposé de réfléchir et... ça nous a amené à notre rencontre à la volière.

– Tu vois, c'est ça le problème ! râla Blaise. Des types comme toi, euh, sans manque de respect, hein, Tom, vous raflez déjà tous les cœurs, mais en plus, vous nous piquez les meilleurs.

– Ce sont tes points que je vais rafler si tu me parles encore une fois comme si on était ami.

Blaise aurait bien rétorqué qu'ils l'étaient mais, pour être honnête, tout le monde savait que Tom appréciait Draco – il semblait trouver dans le fils Malefoy quelque chose de lui – tolérait Pansy – elle savait tout sur tout, qui aurait pu mettre une telle relation de côté ? – et prétendait détester son frère quand, en réalité, il s'était déjà battu avec des garçons plus vieux que lui pour le défendre.

Dans tout cet imbroglio de relations, personne n'aurait pu se douter que Zoey Walker y avait trouvé une place de choix. On aurait supposé que Tom aurait fréquenté les Greengrass – Daphné répétait à qui voulait l'entendre que Tom lui avait déjà fait des avances. Même Millicent Bulstrode, qui n'était pourtant pas une vantarde, s'était une fois confiée sur un baiser volé au détour d'un bosquet.

Tom savourait l'effet de surprise sur le visage de ses camarades. Proposer ce deal à Zoey avait été l'une de ses meilleures idées. Il avait enfin l'attention des professeurs – il n'y avait qu'à voir la tête qu'avait tiré cette sotte de McGonagall quand ils étaient entrés dans la salle. Si Tom jouait les amoureux transis avec l'étudiante, les professeurs lui donneraient le bon dieu sans confession. Et il aurait ce fameux dossier sur lequel son avenir reposait.

– Une chose est sûre, le héla son frère alors qu'il terminait son petit-déjeuner et qu'il s'apprêtait à partir en cours.

Les deux garçons se jaugèrent et l'atmosphère autour de la table perdit quelques degrés.

– Brise lui le cœur, Tom, et je te brise la nuque.


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