12
Attention, ce chapitre contient la mention d'une agression sexuelle et une crise d'angoisse.
*
Zoey était assise sur un lit à baldaquin et agrippait avec force le rebord boisé, ses ongles s'enfonçant discrètement dans les rainures du matériau. Au loin, elle entendait le murmure de la musique jouée dans la salle de réception, au rez-de-chaussée. C'était un air entraînant, délicatement enrobé des conversations menées par les convives.
Elle avait chaud malgré sa robe à volants et les fines bretelles qui s'entêtaient à glisser de ses épaules nues. Quelque chose l'empêchait de respirer correctement, un étau puissant, qui serrait à chaque inspiration sa prise autour de sa poitrine. La jeune femme se sentait lourde, épuisée, la tête dodelinant d'avant en arrière. Avait-elle trop bu ? Non, sa mère avait contrôlé chaque verre qu'elle s'était servie ce soir. Pas une seule goutte d'alcool n'avait caressé ses lèvres. Peut-être était-ce la nourriture ? Zoey n'avait pas un estomac fragile pourtant. Elle avait eu la main assez légère sur les plateau de fruits de mer et il suffisait d'une crevette moins fraîche que les autres pour qu'elle fasse une indigestion. Je ne suis pas nauséeuse, se morigéna-t-elle pour la énième fois.
Non, c'était pire que des nausées. Pire qu'un peu de fatigue ou qu'un coup de chaud. Son corps entier était endolori, comme endormi. Elle se sentait ailleurs, détachée de ses sensations primaires.
La porte de la chambre s'ouvrit. Délicatement. Un jeune homme entra, s'annonçant d'une voix qui semblait parvenir d'un autre monde. Plongée dans cet étrange brouillard, elle ne reconnut pas son visage, encore moins son timbre. Et quand il s'assit près d'elle, qu'il posa ses mains sur ses épaules et qu'il retira doucement les bretelles de sa robe, la jeune femme se sentit happée par une odeur.
L'âpreté du cuivre, la saturation du plomb, la salinité de l'eau de mer.
– Cormac... souffla-t-elle alors qu'il l'allongeait dans le lit.
Elle n'aurait pas su dire pourquoi elle se laissait faire. Zoey se sentait si faible et le garçon était doux, méticuleux. Ses mains parcouraient le tissu de sa robe sans vraiment le toucher, son souffle était dans son cou, sa prise ferme, autour de sa taille et ses jambes, lourdes, sur les siennes qu'elle ne sentait plus.
– Tu m'auras fait attendre tout l'été, se plaignit le Gryffondor d'une voix ferme, autoritaire. Je voulais te toucher comme ça depuis que tu m'as embrassé, sur la plage.
Elle avait beau fouiller dans ses souvenirs, elle ne se rappelait pas avoir fait ce pas. Oui, le baiser avait existé. Mais il n'avait rien de doux, rien d'amoureux. Il avait été possessif, violent. Lui avait laissé un arrière-goût de sang.
– Je ne suis pas... bégaya la jeune femme en posant ses mains sur le torse du garçon. Je ne suis pas dans un état normal.
– Moi non plus. Tu le sens, non ?
Il se pressa un peu plus contre le corps brûlant de Zoey. Écrasé sur le flanc de sa cuisse, le tissu de sa robe remonté sur sa peau nue, le membre pulsait au rythme des battements de cœur du garçon.
– Mais tu vas y remédier, Zoo, l'informa Cormac alors que sa main libre se refermait sur sa cuisse. Tu vas être une gentille petite amie et...
*
Zoey se redressa en hurlant de douleur dans son lit, brûlante de fièvre. Elle inspira brusquement, obligeant un peu d'air à circuler dans ses poumons étrangement vides. Tremblante, l'étudiante jeta ses couvertures par terre, s'expulsa de son matelas et courut jusqu'aux toilettes dont elle ouvrit la porte si violemment qu'elle s'écrasa contre le mur dans un puissant claquement. Se jetant à genoux devant la cuvette, Zoey eut tout juste le temps d'ouvrir la bouche.
Dans sa panique, la jeune femme n'entendit pas ses camarades de dortoirs quitter leur lit. Quelqu'un venait de sortir dans le couloir, l'une d'elle criait quelque chose, l'autre se précipitait à la porte des toilettes mais recula devant le spectacle qu'offrait Zoey.
Elle vomit. Son repas du soir, de la bile, de la salive. Tout ce qui pouvait être régurgité se déversa dans les toilettes alors qu'elle explosait en sanglots. Agrippée de toute ses forces à la lunette, elle resta penchée au-dessus, le visage noyé dans ses larmes, incapable de contrôler le flot de mucus qui s'échappait de son nez, victime des assauts de la bile qui continuait de venir, forçant la barrière de ses lèvres à s'ouvrir encore et encore.
Une main s'empara doucement de ses cheveux, rassemblant les mèches les uns avec les autres. Puis, dans le périmètre droit de sa vision, quelqu'un apparut.
– Faut que ça sorte.
Zoey tressaillit parce que c'était une voix de garçon. Dans la cacophonie de ses émotions et de ses sensations, elle se força à se concentrer sur son sens le plus fiable et inspira profondément.
Grimoires, plumes neuves, vent d'automne. Lorenzo.
On avait tiré le Serdaigle d'un sommeil profond et sans rêve. Il avait d'abord été surpris de trouver Padma au-dessus de lui, le secouant si violemment par les épaules que sa tête avait heurté le cadre.
– Zoey ! avait-elle soufflé dans la précipitation. Elle...
Les mots n'étaient pas venus pour décrire la peur qui avait justifié le geste de Padma et qui brûlaient maintenant dans son regard. Lorenzo n'en demanda pas plus, s'extirpa de ses couvertures et suivit la préfète jusqu'au dortoir des sixièmes années. On l'escorta jusqu'aux toilettes puis Padma tira ses camarades vers la sortie pour laisser aux deux amis un peu d'intimité.
Lorenzo, désarçonné, songea que la première chose à faire était d'empêcher Zoey de se vomir dessus. Elle aimait tant ses cheveux qu'il les rassembla délicatement, évitant de la toucher s'il le pouvait. Puis, sans se presser, se baissa pour être à sa hauteur.
Si Zoey ne vomissait plus, elle continua de pleurer, la tête penchée dans la cuvette, hurlant qu'on la laisse tranquille. Incapable de poser ses mains sur le corps de son ami pour l'attirer contre lui, Lorenzo se fit violence pour ne pas laisser les émotions de la jeune femme l'atteindre. Il devait garder la tête froide, sinon, ils ne seraient d'aucune utilité pour elle.
– Tu veux que je t'aide à t'asseoir ? s'enquit le garçon. Tu es d'accord pour que je t'aide ?
Zoey acquiesça entre deux sanglots. Doucement, comme si elle était faite de verre, Lorenzo l'aida à basculer en arrière. Le corps brûlant de la jeune femme s'écrasa contre le carrelage glacé des toilettes. Sa peau se couvrit de chair de poule.
Oh, elle n'était pas très belle à voir. Les yeux gonflés, à demi-fermés. Si pâle que se dessinaient, là où sa peau était la plus fine, de longues veines violacées. De la morve coulait de son nez, se mêlant aux larmes qui dévalaient ses joues irritées et à la bile qui était restée sur son menton.
– Je vais essuyer ça, promit Lorenzo. Laisse-moi juste le temps de chercher du papier.
Il se retourna, déroula le rouleau de papier toilettes et arracha quelques feuilles qu'il plia méthodiquement.
– Je m'approche, hein. Tu sais que c'est moi, hein ?
Zoey hocha faiblement la tête. Elle pleurait en silence, maintenant qu'elle était adossée contre le mur des toilettes. La jeune femme n'avait plus la force d'appeler à l'aide. Elle se contenta de retrouver doucement la vue, de dévisager ce garçon qu'elle connaissait depuis sa première année et dont les traits, ravagés par l'inquiétude, étaient tirés, fatigués.
Lorenzo nettoya d'abord sa bouche et son menton. Puis, doucement, il posa ses pouces sur ses joues et chassa les larmes qui y coulaient une à une. Ils restèrent une dizaine de minutes à se faire face, plongés dans un silence confortable.
– Tu veux m'en parler ? s'inquiéta le Serdaigle.
– J'ai fait un cauchemar, c'est tout, voulut le rassurer Zoey.
Elle ne s'était pas convaincue elle-même.
– Je fais des cauchemars aussi, Zoo. Je ne vais pas vomir mes tripes au réveil à chaque fois, par contre.
Elle haussa les épaules. Ses yeux s'embuèrent, sa poitrine se souleva lentement et son corps entier trembla. Lorenzo assista, impuissant, à ses larmes, à ses sanglots.
– Je suis à bout, Lorenzo, marmonna Zoey entre deux sanglots. Je n'en peux plus.
– Je sais. Je suis là.
Il s'approcha un peu, s'installa en tailleur face à elle, conscient que chacun de ses faits et gestes pouvait la mettre mal à l'aise. La Serdaigle pleura jusqu'à ce qu'elle n'ait plus de larmes à verser. Lorenzo resta là, sans rien dire, à la couver de son regard le plus doux, le plus chaleureux. Il voulait la combler de l'amour et l'assurance dont elle manquait désespérément.
Il regrettait son rire, quand, la veille, Mattheo avait débarqué dans la salle d'étude, hurlant à qui voulait l'entendre qu'elle avait rendez-vous avec Tom Riddle ce samedi. Lorenzo voulait l'entendre les supplier de ne pas jouer les chaperons, aurait aimé qu'elle le maudisse comme elle les avait maudit. Il voulait retrouver son sourire, ses yeux pétillants. Ce visage, ce masque de douleur, le garçon aurait voulu le lui arracher.
– Cet été, ma mère a loué une maison de vacances dans un village sorcier, sur la côte. Tu sais comme j'aime la mer, non ?
– Je sais que tu l'adores.
– Je la déteste, maintenant. À chaque fois que j'y pense, je ne sens plus que l'odeur des algues qui pourrissent sur le rivage, j'ai l'impression d'avoir les poumons pleins d'eau salée. J'ai le sentiment que je vais m'y noyer.
Lorenzo se tut, chassant de ses souvenirs l'été de leur deuxième année où ils étaient allés ensemble à la mer, en Irlande. Et la douce musique de leurs rires, percutant de plein fouet le grondement des vagues qui s'écrasaient sur la plage. Le jour où elle a décidé que la mer était la plus belle chose que la nature avait faite.
– C'est là que je l'ai rencontré. Si ça avait été ici, il ne m'aurait jamais remarqué. Parce que je passe relativement inaperçue. Parce que vous êtes toujours autour. Mais là, j'étais seule, tu comprends.
Elle inspira. Sa voix tremblait. Chaque mot semblait sortir au compte-goutte.
– C... il parlait avec assurance, je le trouvais un peu imbu de lui-même... (elle rit jaune). Il me donnait la sensation d'être incroyable. Je n'avais pas vraiment de sentiment et parfois, j'étais un peu mal à l'aise. Je pensais que c'était parce que c'était la première fois que je me faisais draguer.
– Que s'est-il passé ?
– Un soir, tout début du mois d'août, ses parents et les miens ont voulu faire une promenade sur la plage. Il m'a embrassé devant tout le monde. J'étais tellement surprise que je n'ai pas osé le repousser. Et... et après c'était trop tard.
Lorenzo attendit qu'elle poursuive son récit. Que Zoey crache enfin le morceau pour qu'il ait une bonne raison de massacrer Cormac dès qu'il mettrait un pied à l'extérieur de sa salle commune. La Serdaigle resta toutefois profondément silencieuse. Le garçon sentit qu'elle n'irait pas plus loin et s'obligea à prendre une nouvelle fois son mal en patience.
– Je ne veux plus qu'il m'approche, soupira Zoey, à bout de force. Plus jamais, tu m'entends ?
– Il ne t'approchera plus, Zoo, je te le promets.
Elle secoua tristement la tête.
– Non, tant que je ne serais pas inaccessible, il continuera. Il me l'a dit. Et je ne peux pas vivre comme ça dans le peur.
– Tu es inaccessible quand je suis là, martela le jeune homme. Quand Mattheo est là. Ou Draco, ou Pansy. Ou Theo. Même Blaise.
Pour la première fois depuis qu'il était entré dans ses toilettes pour la réconforter, Zoey releva la tête et osa affronter son regard. Elle se perdit dans les magnifiques yeux bleus du garçon, dans ses traits soucieux. Dans son affection débordante.
– Tu sais très bien de quoi je veux parler, Lorenzo, rétorqua Zoey.
Le Serdaigle baissa les yeux, mécontent. Il ne supportait pas l'idée qu'on puisse faire si peur à sa meilleure amie. Et il aurait aimé qu'elle sache qu'elle n'avait besoin de personne. Qu'elle était forte. Fière. Cependant, il devait se rendre à l'évidence : il ignorait tout. N'avait que ses mauvais rêves comme hypothèses. Le mal qu'on avait fait à Zoey, Lorenzo était incapable de le mesurer.
– Je veux que ça cesse, murmura-t-elle.
Ses mots lui arrachèrent des frissons qui le secouèrent de part en part. Parlait-elle de...
– C'est pour ça que tu as dit oui à Tom ? demanda-t-il pour la faire changer d'avis.
Il ne savait pas comment réagir, avait besoin de réfléchir à la meilleure manière de la soutenir. Pour le moment, une parade suffirait.
– Peut-être, souffla Zoey. Peut-être que je veux me donner une nouvelle chance.
Et, à sa plus grande surprise, Zoey esquissa un sourire. Quelque chose, au fond de son regard, s'alluma discrètement. Une toute petite lumière, infime étincelle dans cet orage de détresse. Il en eut le souffle coupé.
– Et c'est Tom que tu choisis ? formula-t-il à voix haute la pensée de sa meilleure amie.
– Absurde, n'est-ce pas ? plaisanta-t-elle faiblement.
– J'ai arrêté d'essayer de te comprendre il y a longtemps, Zoo, mais tu ne cesses de me surprendre.
Elle eut un hoquet, marqua une pause, comme si elle guettait une nouvelle crise. Rien ne vint. Alors elle sourit timidement.
– J'imagine qu'après ça, il est hors de question pour toi de me laisser aller à ce rendez-vous toute seule ? s'enquit Zoey.
Lorenzo éclata d'un rire doux, presque rassuré.
– Plutôt crever, ouais !
Zoey le toisa, sans savoir si elle avait envie de l'attacher à ses toilettes jusqu'à ce que cette sortie à Pré-au-Lard soit finie ou si elle se réjouissait de la présence de Mattheo et Lorenzo à ses côtés. Toutefois, elle chasse cette question et se perdit dans le regard de son ami.
– Tu peux me prendre dans tes bras ? s'enquit-elle. J'ai besoin d'un câlin.
– On va peut-être libérer tes camarades et les laisser dormir en paix, non ? rétorqua Lorenzo. Et, si tu veux, on se roule en boule dans le canapé de la salle commune et on dort là ?
Zoey considéra l'offre. C'était, à ce moment-là, tout ce dont elle avait vraiment besoin.
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