1.
L'automne venait seulement d'arriver. Emmitouflée dans sa cape, le bas du visage dissimulée sous son écharpe aux couleurs bleu et bronze, Zoey avait trouvé un peu de calme au bord du Lac Noir, non loin de la plage de galet où quelques étudiants profitaient encore des derniers rayons de soleil. Il ne faisait pas assez chaud pour que l'étudiante se sépare de ses vêtements mais suffisamment bon pour jouir de cet fin d'après-midi ensoleillée.
En contre-bas du rivage, Zoey percevait les rires, les exclamations enjouées et parfois, perçant le silence, une insulte ou une taquinerie bien placée. La Serdaigle se concentra, délégua ses sons à un arrière-plan feutré et s'abandonna au roulis de l'eau sombre sur les galets blancs, au chant mélancolique d'un oiseau ou au souffle du vent dans les branchages. C'était, songeait-elle en s'installant confortablement contre le tronc noueux du chêne d'eau, l'endroit parfait pour lire.
Il devait être seize heures. Un peu plus, peut-être moins. Plongée dans son ouvrage – un traité poussiéreux sur les procès des sorcières de North Berwick, la jeune femme de seize ans était parvenue à cet état miraculeux de semi-conscience où la seule chose qui importait vraiment était le texte qu'elle déchiffrait et le vent qui venait, de temps à autres, caresser son visage gelé. Zoey ne perdait pas une miette du texte, rien qui puisse manquer à sa compréhension de l'évènement et encore moins à la beauté discrète du vieil anglais, langue dans laquelle avait été rédigé le traité.
Ce tableau aurait été parfait si, d'aventure, les galets n'avaient pas crissé sous les pas pressés de deux jeunes gens qui, elle en était sûre, se rapprochaient.
– Il n'y a que toi pour lire ce genre de choses, remarqua une voix masculine derrière la Serdaigle.
Zoey nota soigneusement la page, la ligne et le mot où elle avait buté et, figée dans cette position si confortable, se contenta de lever les yeux au ciel.
– Et il n'y a que vous deux pour me déranger quand je lis, répliqua-t-elle.
Bien que son ton fut quelque peu agressif, elle souriait discrètement.
– C'est de sa faute, Zoo, marmonna la voix.
– C'est toujours de ma faute, Lorenzo, grogna une seconde, plus grave.
Zoey Walker ferma non sans regret le livre qu'elle posa sur ses genoux et ne prit pas la peine de se lever. Elle se retourna vaguement et adressa un coup d'œil amusé à ses camarades de classe.
Lorenzo Berkshire était le plus petit d'entre eux. Serdaigle lui aussi, il était connu à l'école pour ses talents et son imagination sans limite. Il ne traînait pas beaucoup avec les camarades de son dortoir, préférant à leur compagnie celle des Serpentard, mais était particulièrement apprécié de tous, notamment parce qu'il jouait comme attrapeur au sein de l'équipe de Quidditch. C'était un ami fidèle, doux et compréhensif. Presque naïf... mais c'était à s'y méprendre. Zoey ne connaissait pas plus fourbe que Lorenzo lorsqu'il s'agissait de gagner quelque chose.
Il en était tout autre pour Mattheo Riddle. Le dépassant d'une bonne tête, batteur dans l'équipe de Serpentard, le jeune homme était connu pour ses frasques – dignes des frères Weasley – et son appétence pour le combat à mains nues, préférant la poésie du poing au langage chantant des sortilèges. Probablement avait-il été impliqué dans une énième rixe puisqu'à cet instant précis, son visage tuméfié était égratigné et il s'échappait de son nez un filet de sang écarlate.
Zoey les dévisagea, excédée. C'était toujours la même rengaine : alors qu'elle venait de dénicher le meilleur endroit pour lire, convaincue d'avoir trouvé le paradis, Lorenzo et Mattheo débarquaient et, d'une simple pichenette dans la bienséance et le flegme anglais, venaient bousculer l'univers apaisé de l'étudiante. C'était, à son plus grand damne, ce qui les rendait si attachants.
– Assis-toi, soupira Zoey en tapotant l'herbe humide près d'elle. Je vais te soigner pendant que vous m'expliquez ce qu'il s'est passé.
– C'est très simple...
Lorenzo s'attela au récit. C'était une histoire de quiproquos – encore – et d'insultes lancées en l'air par un joueur de l'équipe de Poufsouffle. On n'avait pas pu retenir Mattheo qui s'était jeté sur son camarade avant que celui-ci n'ait eu le temps de se protéger le visage. Mais on ignorait qui était le vainqueur car, même si les deux énergumènes s'étaient bien battus, le préfet des Serpentard était arrivé de nulle part.
– J'ai horreur de... Aïe... me faire attraper par... eh, ça, ça fait super mal ! mon frère !
Zoey observa un instant le visage de son ami. Elle avait essuyé le sang et remis son nez droit grâce à un sort qu'elle avait appris il y a trois ans, lors des cours du professeur Lupin. Tout du reste, il méritait de garder ses bleus un peu plus longtemps. Cela lui rappellerait peut-être qu'il n'était pas invincible et l'assagirait. La jeune femme n'y croyait pas elle-même.
– Tu devrais t'estimer heureux que Tom ne t'ait pas attrapé, le sermonna Lorenzo. Même si ce n'est qu'une question de temps...
– Vous devriez arrêter de me mêler à vos aventures, intervint la jeune femme en rangeant sa baguette dans la poche de sa robe. Et aller à l'infirmerie, comme des grands garçons. Je ne suis pas Médicomage et je n'ai pas toujours ce qu'il faut pour éponger des litres et des litres de sang.
– Mais tu me soignes si bien !
Et pour se faire pardonner de tous les soucis qu'il lui causait, le Serpentard lui frotta le sommet du crâne, comme on flatte un chien obéissant. C'était de loin la pire façon de la remercier. Zoey chassa cette main envahissante d'une geste agacé et se râcla la gorge pour signifier son mécontentement.
– Tu travailles encore sur ton parchemin pour le cours d'Études des Moldus ? s'inquiéta Lorenzo qui prit à son tour place sur l'herbe, de l'autre côté de l'étudiante.
– Non, je l'ai rendu hier. C'est une lecture complémentaire.
– Tu ne t'amuses donc jamais ? s'exclama Mattheo.
– Définis « s'amuser ».
– Je ne sais pas, Zoo. Aller à Pré-au-Lard, sécher les cours, se faufiler dans les cuisines, piquer le gouter d'un deuxième année et ouch !
Elle l'avait frappé. Pas très fort, pas assez pour véritablement le vexer. Suffisamment pour lui faire comprendre d'une manière très simple qu'elle était mécontente.
– Je n'ai piqué le gouter de personne ! se défendit Mattheo.
– Mais tu y as pensé ! rétorqua la Serdaigle.
– Peut-être... non ! Je n'y ai pas pensé ! Je ne le ferais jamais ! C'est promis, Zoo !
– Je préfère ça.
Lorenzo éclata de rire, bientôt rejoint par Zoey. Mattheo, déconfit, préféra ignorer ses amis. Lorsque les Serdaigle furent calmés, ils échangèrent sur leurs journées respectives. Mattheo avait trouvé un nouveau passage secret et était impatient de voir où il pouvait mener. Quant à Lorenzo, il parlait avec passion d'une idée qu'il venait d'avoir et des possibilités infinies qui s'offraient à lui pour la mettre en œuvre. Zoey se tut, embarquée dans les aventures de ses amis. Elle ne vivait pas grand-chose, du moins rien qui puisse les passionner. Tout ce qu'il lui était arrivé récemment, elle le gardait enfoui dans sa mémoire, par peur que tout ne ressurgisse. Zoey ne voulait pas ennuyer les garçons avec ses propres problèmes.
– Draco organise une fête, ce soir, se souvint Enzo. Tu ne veux pas venir avec moi ?
– Une fête ?
– Oui, ce genre de trucs où on danse, on chipe à manger et à boire chez les elfes de maisons et...
– Je sais ce qu'est une fête, Mattheo stupide Riddle.
Les deux garçons semblaient attendre la réponse avec impatience. Il fallait dire que du trio, c'était toujours Zoey, la plus raisonnable. Elle sortait peu, travaillait beaucoup. C'était une jeune femme discrète, pas très loquace quand elle était entourée d'inconnus mais si chouette une fois qu'elle se sentait suffisamment en sécurité pour se lâcher.
– Alors ? insista Lorenzo.
– Eh bien... je ne suis pas sûre que...
– Oh, allez ! s'impatienta Mattheo. Pansy crève d'envie de te voir et tu as... je ne sais pas moi, sûrement rendu tes devoirs pour les six prochaines semaines.
C'était un argument de taille. Pansy, bien évidemment. En réalité, Zoey se considérait déjà en retard sur son planning de travail mais elle aurait préféré mourir que d'affronter les taquineries de ses comparses à ce sujet.
– Bon, d'accord, soupira l'étudiante, rendant les armes. Mais je vous préviens, si je ne me sens pas à l'aise, je rentre.
Lorenzo était déjà sur ses deux pieds, surexcité à l'idée de retrouver sa bande au grand complet pour les célèbres soirées des Serpentard. Sa joie fut toutefois de très courte durée. D'un geste pressant, il enfonça son pied dans le genou de Mattheo tandis qu'il perdait brusquement ses couleurs.
– Ton frère !
Mattheo se redressa subitement, jetant un coup d'œil effaré derrière son épaule. Zoey savait que Tom, le préfet des Serpentard, était l'une des rares personnes à faire trembler son ami de peur. Et pour cause, il était réputé pour ne faire de fleur à personne, pas même sa propre famille.
– Je pensais qu'on serait tranquille ici ! geignit-il.
– Moi aussi, remarqua Zoey, cynique.
Le Serpentard la fusilla du regard mais il souriait, un peu paniqué.
– On se voit ce soir, du coup ! ajouta-t-il avant de tourner les talons pour courir dans la direction opposé à son frère.
– Je passe te chercher à dix-neuf heures ! s'exclama Lorenzo. Qu'importe ce que tu mettras, ce sera toi la plus belle de toute façon.
Le compliment fit rougir Zoey. Elle eut à peine le temps de le savourer que Lorenzo, lui aussi, avait filé.
Emportée par la curiosité, elle se retourna.
Tom avait l'air de laisser filer son frère. Il était resté planté là, à quelques mètres de l'arbre contre lequel Zoey était installée. Et il la regardait. La Serdaigle ne sut si c'était bien ou non. Il était trop loin pour qu'elle puisse observer son visage. Elle reconnut toutefois sa longue silhouette, ses boucles brunes, presque noires, et devinait – car ce n'était pas compliqué lorsqu'il s'agissait de Tom, son expression impassible.
Ils se jaugèrent du regard et, lassée par ce jeu, Zoey lui adressa un signe de tête poli avant de soulever son lourd grimoire, comme pour lui faire comprendre qu'elle était occupée. D'une certaine manière, c'était vrai. Elle avait un chapitre à terminer.
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