24 : Les chroniques de La Luna I

Il était une fois, un jeune comte qui vivait dans un royaume merveilleux, au pays des songes et de la magie. C'était un homme honnête, plein d'esprit et très riche de surcroît. Il avait perdu ses parents lorsqu'il était encore enfant et avait hérité d'une charmante propriété où il faisait bon vivre. Ce domaine s'appelait La Luna, car on avait remarqué que la lune y paraissait toujours plus grosse que nulle part ailleurs.

Le jeune homme était réputé pour sa générosité ainsi que son tempérament fantasque qui réussissait l'exploit de plaire à tous, nobles comme serviteurs. Il avait l'habitude d'organiser de grandes fêtes où il étonnait ses convives par d'impressionnants tours de magie.

Toutefois, malgré ses nombreux atouts, Owen (tu l'as reconnu) désespérait de trouver une femme.

– Et pourtant, les dieux savent à quel point il aimait batifoler durant sa folle jeunesse, tu me suis ? ajouta le Livre, sur le ton de la confidence.

Alicia roula des yeux embarrassés. L'expression « batifoler », associée au comte, lui paraissait tellement...improbable.

– Tu me vois ravie pour lui. Et donc ?

Donc, quand on lui demandait : « Cher comte, ce n'est pas le succès auprès des damoiselles qui vous fait défaut, pourquoi ne vous mariez-vous pas ? »

Il répondait qu'il attendait de connaître le véritable amour.

C'est alors qu'un soir d'hiver, tandis qu'une tempête de neige faisait rage, quelqu'un vint frapper à sa porte. Cette personne n'était autre que la princesse Rosa-Selena de Fiorodovna, la fille du Roi. Accompagnée de son page, elle cherchait un abri pour la nuit. La jeune fille expliqua au comte que, comme toutes les princesses ayant atteint leur dix-septième année, elle devait partir à cheval rejoindre sa tour où elle attendrait de rencontrer son prince charmant. On l'hébergea donc dans les règles de l'art, et même mieux. Tous les domestiques s'activèrent pour lui offrir un accueil digne de son rang. Quant à Owen, il tomba amoureux d'elle au premier regard.

Rosa adorait la compagnie du comte. Avec lui, elle pouvait s'exprimer librement, sans s'embarrasser du protocole princier qui la privait de toute relation sincère et spontanée. Même son prénom, symbole de beauté, de grâce et de féminité, lui rappelait chaque jour la lourde charge de son devoir. Elle aurait voulu s'appeler simplement « Selena », parce que ce prénom lui rappelait la lune et la joie de son enfance. Mais sur ce point, Owen refusa tout écart d'étiquette, trop charmé par la comparaison entre la princesse et la rose.

Il l'invita à séjourner au manoir jusqu'au retour du beau temps. La princesse accepta. Ces quelques jours passés en compagnie du comte furent un réel enchantement.

Malheureusement, leur bonheur fut de courte durée. Quand la neige se mit à fondre, le comte accompagna la princesse jusqu'à sa nouvelle demeure puis s'en alla le cœur meurtri, sans oser lui avouer son amour.

De retour chez lui, le manoir lui parut horriblement vide. Ses pensées allaient toutes pour la jolie Rosa-Selena. Si bien qu'un jour, n'y tenant plus, il prit la route en direction de la tour d'argent où habitait l'élue de son cœur. Cette dernière fut ravie de le revoir et lui avoua qu'elle avait longtemps espéré sa visite. Pendant un long moment, ils parlèrent de musique, de poésie ainsi que des inconvénients à vivre dans une tour. Enfin, sans prévenir, Owen sortit une magnifique rose de sa manche et lui déclara son amour. C'était la plus sincère et la plus belle des demandes en mariage que la princesse avait jamais entendue. Or, contre toute attente, la jeune fille ricana et répondit sur un ton hautain qu'Owen ne lui connaissait pas :

– M'épouser ? Vous voulez que je sois la risée du royaume ? Depuis que j'habite cette tour, je vois des hommes se bousculer de l'aurore au crépuscule pour me demander sans cesse la même chose. Quelle déception ! Je l'avoue, vous êtes... original. Votre conversation, vos tours de magie ont le don de m'enchanter et je n'ai jamais connu de compagnie plus amusante que la vôtre. Mais regardez-vous. Vous êtes beaucoup trop... étrange. Tous les hommes les plus forts et les plus beaux du royaume se prosternent à mes pieds, et je devrais poser mes yeux sur vous ? Allons, Owen, ne soyez pas ridicule ! À moins que vous ne changiez complètement d'apparence, jamais je ne voudrai de vous.

Cette déclaration odieuse anéantit le jeune comte. Toutefois, il promit à la princesse de revenir avec une apparence qui lui plairait. Promesse qu'il savait impossible à tenir car il ne s'agissait pas de devenir plus athlétique ou plus intelligent mais bel et bien de se métamorphoser.

Malheureusement, Owen n'avait pas le faciès d'un beau prince dont les yeux fiers se joignent à l'azur du ciel et dont la chevelure d'or reflète le soleil. Il avait, au contraire, des joues creusées par des nuits entières passées à l'étude des astres, des cheveux sombres, hirsutes, et un regard aussi trouble qu'une tempête de neige.

Un beau jour, alors que le comte se promenait sur son cheval, encore plein de chagrin, quelqu'un l'accosta. C'était une vieille dame au sourire édenté, campée sur le palier de sa maisonnette. Étonnamment, elle prétendait connaître son histoire et savoir ce qu'il souhaitait.

– Alors, vous devez savoir que ce souhait est irréalisable, rétorqua le pauvre comte.

– Entrez donc chez moi, lui répondit la vieille, et voyez par vous-même si je ne suis pas capable de résoudre votre problème.

Intrigué, le comte descendit de sa monture et la suivit dans la maisonnette, épié par le regard indiscret d'un sinistre corbeau. Au milieu de la pièce trônait une énorme marmite d'où s'échappait l'odeur putride d'un bouillon verdâtre. Un chat en équilibre sur une pile de livres tentait d'y plonger ses moustaches, en vain. Le jeune homme comprit bien vite que celle qui lui proposait son aide n'était autre qu'une sorcière. Cette dernière fouilla dans un tas de grimoires poussiéreux pour extraire enfin quelques feuillets immaculés. Elle s'empara ensuite d'un crayon joliment sculpté et le présenta au comte :

– J'ai besoin d'une goutte de ton sang.

Owen comprit le message et piqua son index avec la mine du crayon. La sorcière s'en saisit aussitôt puis se mit à griffonner en ricanant. Quand elle eut terminé, elle présenta, non pas son œuvre, mais un miroir au comte. Ce dernier était méconnaissable. Il affichait un profil aussi parfait qu'une statue de marbre antique.

Enchanté, le cœur à nouveau conquérant, Owen remercia chaleureusement la sorcière et la paya grassement avant de retourner au manoir.

– Il se fait tard, se disait-il. Demain, dès l'aube, j'irai voir la princesse. Et nous pourrons nous marier !

Le lendemain matin, à peine réveillé, Owen alla admirer son nouveau visage. Mais il poussa un hurlement de frayeur quand il vit son reflet dans le miroir. Tous les domestiques accoururent et tous blêmirent de peur à leur tour : le visage du comte avait disparu. Emporté par une colère noire, il alla trouver la sorcière et lui réclama des explications. La vieille avoua dans un éclat de rire diabolique qu'elle avait gommé le visage du comte pour lui donner une leçon.

Tu es maudit pour toujours, lança-t-elle d'une voix rauque. À moins que l'amour ne rende véritablement aveugle !

Owen essaya tant bien que mal de l'apitoyer sur son sort mais la sorcière ne voulut rien entendre et lui répondit en riant :

– Tu perds ton temps, jeune comte, ce n'est pas à moi de te rendre un visage. Je peux cependant t'accorder une faveur et te prêter un peu de mon immense magie. Seulement de quoi t'occuper pendant tes prochaines journées de solitude. Que peut espérer de mieux quelqu'un comme toi qu'on dit passionné par les illusions ? Ha ! Ha ! Approche, tu n'as plus rien à perdre !

La sorcière posa un doigt sur le front d'Owen et murmura de rapides incantations avant de rentrer en transe. C'est alors que, sans prévenir, Owen, dont la haine devenait subitement incontrôlable, sortit un pistolet qu'il avait caché dans son manteau puis tira d'une main tremblante sur la sorcière. Celle-ci poussa un hurlement si atroce qu'il fit s'envoler le chat et miauler le corbeau... à moins que ce ne soit l'inverse. Quelque chose d'incroyable se produisit alors : en tombant, la sorcière s'agrippa au comte et continua de lui déverser malgré elle ses pouvoirs maléfiques, jusqu'au dessèchement complet !

Enfin, elle s'écroula par terre, le visage révulsé, sans vie. Owen sentit un moment son sang bouillir, comme envahi par une puissance sombre et malsaine. Quand le comte reprit son calme, il réalisa l'acte qu'il venait de commettre et fut effrayé par la magie noire qui l'habitait. Ce pouvoir l'avait poussé à se conduire comme une bête sauvage. Abattu et désespéré, il retourna chez lui, alluma un immense brasier et y jeta tous ses portraits, réduisant en cendre le moindre souvenir de son ancien visage.

Les jours passèrent et ce fut pour Owen le commencement d'une vie de tourments. De nombreux bruits circulaient sur lui et son apparence. Certains disaient qu'il était victime d'une maladie contagieuse, d'autres encore osaient affirmer qu'il avait passé un pacte avec le diable, lui donnant accès à la magie noire en échange de son visage. Ainsi, tous ses domestiques s'enfuirent, ses amis lui tournèrent le dos et plus personne n'osa lui rendre de visite. Les livres et son piano devinrent ses seuls compagnons. Mais son cœur sombrait toujours dans la mélancolie, le remord et la colère. Si bien que le domaine de La Luna, lié à lui par la magie, s'abandonna dans une même noirceur morbide. La ligne du temps, tel un grand serpent malade, s'allongeait, se rétractait, se tordait, au rythme de son ennui et de sa folie. Autour de lui, toute la nature se flétrissait, reflétant son âme fanée, à l'agonie.

– C'est ainsi que notre comte a gagné le surnom de magicien maudit.

– Oh, fit la jeune fille captivée. Et ensuite, qu'est-ce qui lui est arrivé ?

Les jours sans visage continuaient de passer tandis que, dans sa mémoire, reculaient les jours heureux. Seul restait intact le souvenir de la princesse Rosa. Comme il pensait toujours l'aimer, il eut envie de la revoir, espérant qu'elle prendrait pitié de lui.

– Son cœur est bon, pensa-t-il. Elle se sentira responsable de mon triste sort.

Or, il n'en fut pas ainsi. Horrifiée, la capricieuse princesse accusa Owen d'avoir gâché leur amitié.

– Monstre ! J'espère oublier jusqu'à votre existence ! lui cria-t-elle entre deux sanglots.

Désespéré, Owen se promit que son cœur ne se laisserait plus jamais tromper par les charmes d'une femme.

Dans le même temps, il se jura de tout faire pour retrouver un visage.

Les mots s'évanouirent progressivement sur la page pour ne laisser que le dernier, solitaire et obsédant.

Visage.

Visage

Visa e

Vis e

V i e

V e

e





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Hello ! Un petit mot pour vous prévenir que j'ai fait quelques légères modifications sur les chapitres précédents. Cela concerne le développement d'Alicia. Après plusieurs commentaires très pertinents et constructifs, je trouvais que son cheminement manquait de clarté. J'avais sous-entendu qu'elle souffrait d'un petit blocage artistique (syndrome de la page blanche RPZ) mais ce n'était pas assez clairement formulé. J'ai décidé d'insister davantage dessus, ce qui rend Alicia moins sûre d'elle et lui donne une plus grande marge de progression. Pour ceux qui seraient curieux de se mettre à jour, les principales modifications concernent :

- Chapitre 2 : Les premiers paragraphes

- Chapitre 8 : Les hésitations d'Alicia au moment où le comte lui demande de lui dessiner un visage

- Chapitre 11 : Le visage raté...

Et autre petites phrases d'auto-dévalorisation comme on aime...

Sur ce, je vous souhaite un joyeux HALLOWEEN !

Macabrement vôtre 🎃


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