13 : Suivez le lapin blanc
En plein milieu de la nuit du 10 décembre, alors qu'Alicia sentait son corps endolori reposer sur une surface glacée, elle n'osa croire à un retour dans la mystérieuse Contrée. Tant de fois elle s'était réveillée, le cœur bondissant, au moindre courant d'air ou au moindre hululement de chouette ! Mais elle n'avait trouvé que sa chambre affreuse et sa couette tombée au sol. Irritée par ces désillusions, elle avait cessé d'espérer et finissait par se résigner.
Pourtant, cette fois-là semblait différente. La jeune fille pouvait sentir de manière troublante sa tête froisser des bouquets de feuilles mortes et il régnait autour d'elle une lourde odeur de bois humide, caractéristique de la forêt.
Finalement, n'y tenant plus, elle palpa le sol de ses mains tremblantes : une terre froide et granuleuse s'effritait sous ses doigts. Elle se trouvait bel et bien de retour pour ce pays lugubre et mystérieux. Mais pour quelles raisons ? Le comte l'avait prévenue, ils s'étaient quittés pour toujours. Alicia chassa ces interrogations d'un mouvement de tête. Elle était trop heureuse pour laisser place au doute.
En avançant un peu au hasard dans la forêt, elle retrouva le sentier qui menait jusqu'au manoir. Alicia redoubla de prudence : qui sait si l'arbre n'allait pas vouloir l'attaquer une seconde fois ? Cette nuit-là, pourtant, la nature semblait endormie ; seul le pas furtif de la jeune fille venait troubler ce repos.
Elle jeta un regard soucieux vers la demeure grise qui se dressait sur le chemin. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle était enfin de retour.
Curieusement, la porte d'entrée était restée entre-ouverte. Alicia la poussa machinalement puis s'aventura dans le hall aussi accueillant et lumineux qu'un caveau.
– Owen ?
Un bruit sourd dans une pièce du manoir attira son attention. Elle se dirigea instinctivement vers la source de ce bruit.
Derrière l'escalier, se trouvait une petite porte en bois légèrement entrebâillée. Cette porte s'ouvrait sur une série de marches en pierre qui disparaissaient peu à peu dans les ténèbres.
Owen était visiblement passé par là et devait certainement y être encore. Pourtant, dans les films, ce genre de scène n'augurait rien de bon. Alicia en avait conscience mais depuis cette fameuse nuit où elle avait frappé à la porte du manoir, un déclic s'était produit au fin fond de son crâne et elle éprouvait une sorte d'euphorie libératrice à l'idée de braver toutes ces règles d'extrême prudence qu'on lui avait inculquées depuis l'enfance.
Finalement, elle s'empara d'un flambeau, prit une grande inspiration et fit un pas à l'intérieur. Ce qu'elle découvrit soudain dissipa ses craintes une bonne fois pour toutes. Elle venait d'entrer dans ce qui semblait être une sorte de tunnel, et pas n'importe quel tunnel : un tunnel de livres !
Les ouvrages l'enveloppaient de la tête aux pieds dans un joyeux désordre que venait rehausser la lumière du flambeau. À mesure qu'Alicia descendait les marches étroites, les ouvrages envahissaient de plus en plus l'espace, à tel point que la jeune fille était souvent contrainte de slalomer entre les planisphères, les partitions et les rouleaux de parchemin qui surgissaient devant ses yeux. Elle avait le sentiment étrange d'être tombée dans un terrier de lapin, mais un lapin drôlement cultivé.
Le tunnel prit enfin la forme d'un couloir étroit avant d'aboutir sur une pièce circulaire : le fond du terrier. Des livres et des instruments divers s'y entassaient à perte de vue, défiant toutes les lois de la gravité ! Pour Alicia, c'était sans aucun doute la pièce la plus chaleureuse et féérique du manoir.
Soudain, un courant d'air malicieux souleva ses cheveux et la lumière du flambeau s'éteignit.
Les précieuses couvertures des ouvrages se mirent à reluire sous la lueur des soupiraux tandis que le reste demeurait plongé dans la grisaille. Alicia jeta un œil au plafond, du moins, ce qui aurait dû être le plafond : le haut de la pièce s'étirait, telle une cheminée, en une sorte de dôme dont on ne voyait pas le bout à cause de l'obscurité, si bien qu'Alicia avait l'impression de flotter au cœur d'une tornade de livres.
Complètement absorbée par sa contemplation, la jeune fille heurta un magnifique pupitre incrusté de pierreries qu'elle rattrapa au vol. Dessus, l'empreinte d'un grimoire retiré il y a peu restait encore figée dans la poussière. Alicia promena ses doigts sur l'espace vide et le souvenir du comte ressurgit dans sa mémoire.
Elle allait partir à sa recherche quand elle entendit quelque chose remuer au fond de la bibliothèque.
– Owen ? appela-t-elle d'une toute petite voix.
Un fracas d'objets suivit ses mots. L'adolescente se retourna en sursautant :
– Owen, vous êtes là ?
Une ombre inquiétante tournait à toute vitesse autour d'elle et il semblait évident que ce n'était pas le comte. Soudain, une pile de livres se renversa. Alicia bondit en arrière, les yeux rivés sur la forme sombre qui avait pris place au sommet d'une chaise dont les pieds se mirent à trembler.
C'était un imposant chat noir, aussi immobile qu'une statue. Les yeux plantés sur Alicia, il lui adressa un large sourire rempli de dents aiguisées. Puis il lança d'une voix rauque :
– Bonsoir.
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