Épilogue ~ Extinction
TW : Violence / Souffrance physique - psychologique
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Töm s'efforça de maintenir sa respiration. Enchaîné par les bras à un plafond de cellule, il ne ressentait presque plus aucune douleur. Ses membres atrophiés ruisselaient de sang à cause des barbelés incrustés dans sa peau. Ses pieds nus effleuraient à peine le sol fangeux, sur lequel pourrissaient des restes humains. L'odeur nauséabonde l'avait déjà fait rendre trois fois, à tel point que le xomythois, trop affaibli, n'avait même pas essayé de viser par terre quand la quatrième était survenue. La sueur, la terre et ses régurgitations dégoulinaient à présent sur son corps décharné et transi de froid.
On l'avait abandonné. Töm était isolé depuis des dizaines, voire des centaines de tours – bien que toute notion de temps eût déserté son esprit accablé. À chaque moment de lucidité, il tentait de se rappeler ce qu'il avait vécu pour en arriver là, mais seules des bribes de souvenirs percutaient ses fondations ébranlées.
Tòphios l'avait assommé avec son arme dans la grotte d'Andromède. À son premier réveil, on l'avait traîné de force sur des sentiers glacés. On l'avait bâillonné et aveuglé avec un bout de tissu. Puis, quand il n'avait plus été capable d'aligner un pas devant l'autre, on lui avait administré une substance au goût aigre et avarié. Il avait alors repris connaissance dans cette geôle, au beau milieu des ossements putréfiés et de l'air toxique, ligoté à des liens métalliques.
Töm n'avait jamais crié, jamais appelé à l'aide. Il n'avait même jamais tenté de se libérer, mais il avait pleuré. Les premières heures, l'angoisse avait pris possession de son corps. Ses pires cauchemars avaient refait surface et il s'était imaginé mourir de milliers de façons, toutes plus épouvantables les unes que les autres.
Isolé dans une pénombre quasi-totale, il ne sut jamais quand Zunqèl se levait ou se couchait. On le nourrit qu'en de rares occasions, lui servit des restes pourris à l'aspect limoneux qu'il parvenait toujours à ignorer. Au départ, la faim le tiraillait, le contorsionnait afin de soulager son estomac vide. Puis, peu à peu, elle disparut, et Töm n'éprouva plus aucune sensation.
Un crissement métallique finit par racler le sol et résonner dans ses entrailles. L'ustralois ne sut dire s'il était heureux ou paniqué de l'entendre. Son corps éteint ne réagissait plus et ce, même quand Tòphios apparut dans son champ de vision.
L'hybride toisa son prisonnier avec envie. Il se délecta de ce morceau de chair qu'il avait face à lui et se contenta de le détacher. Töm s'écroula au sol tête la première, sans pour autant ressentir la moindre souffrance. Inerte, il laissa Tòphios le relever. Ses longues griffes acérées transpercèrent sa peau pendant qu'il le traînait hors de sa cellule et l'emmenait vers l'inconnu.
Töm traversa plusieurs couloirs humides aux effluves pestilentiels. Ses pieds écorchés ratissaient la terre, se heurtaient contre des os poussiéreux. De temps en temps, ses oreilles s'attardaient sur des souffles mystérieux ou des plaintes aiguës. Il ne réussit toujours pas à ouvrir les yeux, à distinguer la nature de ces jérémiades, mais il supposa qu'ils appartenaient à des captifs ; des ustralois dont l'avenir, inexistant, ne leur réservait rien d'autre que des tourments.
Le sol se changea en matière dure et froide, à l'instar de l'humidité, qui disparut pour laisser place à un air glacé. Un nouveau bruit de porte retentit et Töm usa de ses dernières parcelles de force pour observer son environnement.
Tòphios l'entraîna dans une pièce aussi vaste que la salle du trône de Drakkä. Soutenu par d'immenses piliers bariolés de pierres précieuses, l'édifice luisait sous la chaleur d'étranges flammes violettes. Celles-ci lévitaient à quelques mètres du sol noir laqué, semblables à des âmes accompagnant Töm vers son ultime jugement. Le xomythois arriva devant une série de marches, puis fut jeté à terre.
Un malaise l'envahit avec une telle intensité qu'il peina à respirer. Son souffle se bloqua dans sa gorge. Ses membres se crispèrent. Enfoui au plus profond de son être, son Feu réagit alors à l'aura maléfique qui descendait sur lui.
Une main – ou plutôt ce qui s'en apparentait – glissa de son crâne à sa nuque. Paralysé par la peur, Töm n'osa relever la tête. Des filaments noirs serpentaient sur le sol et suivaient un amas de brouillard, qui, lui-même, tournait autour de son corps avachi.
— Rhad hël donkö onkyer sezì ? demanda une voix inconnue, d'un timbre aussi éraillé que terrifiant.
— Kat, löq ark, répondit Tòphios.
Le sang de Töm se figea quand il comprit où il se trouvait. Au fond de lui, il avait toujours su, même si rien n'avait pu le préparer à cela.
Pour la première fois de sa vie, Töm posa les yeux sur le fils de Sâtomb. Son visage, exempté de ce qui caractérisait un être humain, était dépourvu de toute forme concrète. De sa peau ébène et vaporeuse, le xomythois décela un nez écrasé, une bouche aux dents noires et calcifiées, ainsi que des orbites vides dans lesquelles dansaient deux lumières pourpres. Tout le reste – dont ses bras squelettiques – n'était composé que d'insubstanciel ; une matière sombre et opaque répandant derrière son sillage l'essence primitive d'Hoxynûr.
Arkalax l'agrippa par le col de sa tunique trouée et l'observa avec dédain. Töm eut l'impression de se liquéfier sur place, tant son regard irradiait la puissance.
— Pardonne les dieux pour ce que je m'apprête à te faire endurer, railla-t-il. Comment ont-ils osé impliquer un élémentaire si jeune, si miséreux ?
Töm fut incapable de rétorquer. Arkalax devait déjà être au courant de tout. De sa quête. De sa rencontre avec Kraskènyd. Du fait que Roskaï n'était pas le prophète qu'il recherchait. Il avait eu des doutes, mais, à présent, il en était persuadé : l'Ombre avait toujours eu une longueur d'avance sur ses amis et lui.
— J'ai rêvé de ce moment, celui où on me présenterait un ustralois ayant rencontré l'oracle de renom, poursuivit Arkalax. Pendant des lunes, j'ai réfléchi à un moyen de récolter ce que je souhaitais acquérir. Sa magie coule dans tes veines. Je la sens, et je sais que je pourrais me blesser en essayant de lire en toi.
Il s'approcha de Töm et huma son odeur.
— Elle est enivrante, murmura-t-il, envoûté. Aussi vieille que mon père... et tout aussi destructrice. J'ai pensé à t'épargner et t'utiliser comme appât, en sachant que tes amis se livreraient involontairement à moi, mais tu te doutes que cette solution ne peut me convenir. C'est pour cela que je vais te laisser le choix.
Arkalax monta les trois premières marches qui menaient à un trône carboné. À ses côtés reposait un sceptre parsemé de pierres d'or, d'émeraude et de béryl, au bout duquel luisait une sinistre faux en bronze.
— Soit tu coopères et réponds à mes questions sans lutter. Je te nourrirai, te placerai dans une cellule bien plus confortable et, si j'estime obtenir assez d'informations, je pourrai même te rendre ta liberté. Tu retourneras vers tes proches et profiteras de tes derniers tours avant qu'Ustral soit englouti par les ténèbres.
Il recula encore de deux marches, puis adressa un signe à Tòphios, derrière son prisonnier. À peine Töm eut-il le temps de lever la tête qu'un corps chuta du plafond et explosa au sol. Un craquement résonna dans tout le sanctuaire. Des giclées de sang l'éclaboussèrent. Horrifié, il dévisagea la dépouille inerte et disloquée de Roskaï. La peau de son visage avait été retirée, ses yeux amputés. Un liquide verdâtre s'écoulait de ses oreilles, ses narines et sa bouche.
— ... soit tu refuses, et je te renverrai à tes amis dans le même état que ce vieil homme, conclut Arkalax.
Töm retint un haut-le-cœur. Pas une seule fois, dans toute son existence, il ne s'était senti aussi terrorisé. La Mort s'immisçait déjà dans ses propres orifices et dans ses vêtements qu'il venait de souiller d'urine. Il n'y avait absolument rien à espérer. Arkalax ne le ferait jamais sortir d'ici. Il pourrirait dans cet endroit jusqu'à ce que l'Ombre décidât d'abréger ses souffrances.
— J'ignorais à quel point il était facile de tuer un être immortel, persifla le démon. Alors imagine, pour quelqu'un d'aussi insignifiant et pitoyable que toi, ce que je serais en mesure d'accomplir.
— Vous... je ne vous dirai jamais rien, balbutia Töm d'une voix brisée. Tue... tuez-moi.
Le fils de Sâtomb sourit. La lueur dans ses yeux pourpres s'intensifia.
— Tuez-moi, répéta Töm, désormais suppliant. TUEZ-MOI !
Arkalax rejoignit son prisonnier et s'accroupit près du cadavre de Roskaï. Il trempa son doigt dans la mare de sang, puis le porta à sa bouche.
— Mon pauvre enfant. Comprends bien que je ne t'accorderai jamais cette requête.
Il approcha son visage ancestral de son oreille et lui murmura d'une voix à fracturer l'Exhadràlûm :
— Je te réserve un sort bien plus effroyable, bien plus humiliant et bien plus sinistre que la mort.
À suivre...
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Rok Nardin ~ Where Is Your God Now ♪
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