Chapitre 4 [2/2] ~ Dernier Recours

- Précédemment -

     Le nain, qui s'était lentement rapproché du groupe pour pouvoir les épier, sursauta et prétexta chercher quelque chose par terre.

— Ou... oui ?

— Puisque ta curiosité n'a d'égale que ta soif d'ale ambrée, j'exige que tu amènes ces individus chez Gréo. Explique aux gardes qu'il s'agit d'un cas d'extrême urgence.

     Torvald esquissa un sourire forcé et s'inclina en guise de révérence.

— À tes ord', mon brav' soldat.

— Merci. Merci beaucoup, souffla Azérine.

— Évitez de passer par le bourg, précisa l'homme. Même s'il se fait tard, je ne veux pas que les villageois vous aperçoivent et pensent qu'il se trame quelque chose de grave.


     Torvald entraîna Azérine, Noà, Töm et Aria par plusieurs ruelles sombres, à l'arrière du village. À plusieurs reprises, il tenta de leur soutirer des informations, mais personne ne prit le risque de lui répondre. Frustré, il finit par abandonner et poursuivit sa route en maugréant dans sa barbe.

     Noà sentit son cœur s'emballer à mesure qu'il traversait les allées obscures et étroites d'Azikru. À chaque intersection, il s'attendait à retomber sur un guerrier-squelettique ou sur le corps inanimé d'un xomythois. Ses membres se mirent alors à trembler. Un sentiment d'oppression l'envahit et saccada sa respiration. Paniqué, il jeta un regard désespéré à Azérine.

— Je... j'arrive pas...

— Tout va bien, lui murmura-t-elle en lui prenant la main. On est en sécurité, ici.

— Ils sont là. Ils vont revenir pour nous, répliqua-t-il, le corps secoué de spasmes incontrôlables.

— Non. Noà, écoute-moi. Ils ne reviendront pas tout simplement parce que nous ne sommes pas les personnes qu'ils cherchent.

     Elle se plaça face à lui et plongea ses yeux dans les siens.

— C'est fini. Il n'y a que nous.

     Torvald se tourna vers les retardataires quand se rendit compte qu'ils n'avançaient plus. Après quoi, il grommela :

— Vous foutez quoi ? Gréo habite à deux rues d'ici et j'veux rentrer chez moi ! Grouillez-vous !

     Noà prit une grande inspiration et se libéra de son emprise. Azérine resta près de lui jusqu'à ce qu'ils parvinssent devant la demeure du chef. Beaucoup plus imposante que les autres habitations du village, elle était entièrement constituée de bois. Deux braseros en fonte placés de chaque côté de la porte éclairaient les environs. Noà distingua une silhouette à travers l'une des fenêtres qui semblait donner sur la cuisine. Son estomac se mit à gronder et il ne remarqua qu'à cet instant à quel point il était affamé.

— On y est, annonça Torvald en s'arrêtant devant la porte en bois massif. Vous m'laissez faire la causette avec l'garde. Et vu comment vous avez piaillé en m'voyant, évitez d'le fixer trop longtemps. J'sais pas qui vit dans vot' village, mais ici, y'a pas qu'des nains et des contrôleurs d'éléments.

     Sans attendre de réponse, il frappa contre la porte, qui s'ouvrit dans la foulée. Un homme apparut dans l'embrasure et Noà comprit immédiatement pourquoi Torvald avait voulu les avertir. Ce qu'il avait face à lui n'était rien d'autre qu'un faune adulte.

     Avoisinant les deux mètres, tout chez lui semblait ordinaire, à l'exception d'un bas de corps recouvert d'épais poils bruns bouclés et de sabots fendus. Deux grandes cornes blanches incurvées émergeaient de son crâne. Le faune dévisagea les visiteurs avec méfiance, puis se tourna vers Torvald.

— Que voulez-vous ? leur demanda-t-il d'une voix rauque.

— B'soir, Kétil, rétorqua le nain. Cette pèlerine et ses marmots viennent du village d'à côté. Ils souhaitent causer à Gréo.

— Aucune visite n'est permise à cette heure. Le chef les recevra demain matin.

— Je l'sais bien, mais c'est Arkus qui les envoie. Y'a dit qu'c'était grave, un « cas d'extrême urgence ». J'laisserais pas passer ça si j'étais toi.

— Arkus t'a demandé d'amener ces étrangers ici ?

— Ouaip, j'viens d'te l'dire, garçon. Et faut qu'ils parlent à Gréo, c'est important.

     L'hybride scruta les xomythois et reporta son attention sur Torvald.

— Je vais voir avec lui. Attendez ici, ordonna-t-il avant de leur claquer la porte au nez.

     Après d'interminables secondes, elle se rouvrit et le faune s'écarta.

— Gréo accepte votre requête. Vous pouvez entrer.

     Satisfait, Torvald s'engagea en premier, mais le garde lui bloqua l'accès.

— Pas toi. Il ne souhaite s'entretenir qu'avec ces villageois.

     Le nain lui lança un regard noir et recula, les poings serrés.

— Merci beaucoup, lui souffla Azérine après avoir passé le seuil de la demeure.

— Ouais, ouais... pas d'quoi m'dame.

     Noà l'observa faire demi-tour en marmonnant dans ses dents. Kétil referma la porte derrière lui, puis incita les fugitifs à avancer.

     Gréo les attendait dans la pièce adjacente. Assis sur une chaise en acajou près d'un feu de cheminée, il se leva quand il les aperçut. Vêtu d'un débardeur beige, le chef d'Azikru, au bas de corps aussi velu que celui de son garde, paraissait néanmoins plus robuste. Plusieurs cicatrices lui barraient le visage et l'une de ses cornes était brisée en deux. Ses yeux ambrés dégageaient une puissante aura de force et de respect. Azérine et les trois élémentaires eurent le réflexe de s'arrêter quand il s'approcha d'eux.

— Vous êtes des xomythois, annonça-t-il.

     La pèlerine se contenta de hocher la tête.

— Puis-je savoir ce qui vous amène sur Azikru, à cette heure tardive ?

— Nous... notre village a été détruit, répondit-elle. Nous avons été contraints de nous échapper...

     Gréo plissa les sourcils et jeta un coup d'œil discret à l'autre bout de la bâtisse, là où une faunesse était occupée à cuisiner. Il entraîna les visiteurs dans la pièce voisine et les incita à s'asseoir autour d'une grande table en chêne.

— Quand est-ce arrivé ? murmura-t-il, incapable de dissimuler l'inquiétude dans sa voix.

— Ce matin, rétorqua Azérine. Des créatures se sont infiltrées et ont assassiné hommes, femmes et enfants. Xomythe est tombé en quelques heures, ses habitants y compris...

     Le faune plongea ses prunelles dans celles de la pèlerine.

— Ces créatures, vous ont-elles suivis jusqu'ici ? Êtes-vous en train d'insinuer qu'Azikru est en danger ?

— Je... je ne sais pas. Je ne pense pas.

     Azérine se mit à trembler. Toutes les émotions accumulées depuis leur fuite remontaient à la surface et menaçaient de se libérer. Gréo, qui le remarqua, la fixa sans piper mot.

— Je vous en supplie, reprit-elle. Nous sommes exténués, affamés...

— N'ayez crainte, la rassura-t-il. Ma femme, Koryna, va vous apporter de quoi manger. Nous avons aussi des chambres disponibles à l'étage. Vous êtes en sécurité ici.

— Merci. Par tous les dieux, merci...

     Azérine jeta un coup d'œil à ses enfants, aussi terrorisés qu'elle. Gréo se dirigea vers la porte de la pièce. Après s'être assuré que personne ne les écoutait, il la ferma à double tour et revint s'asseoir devant ses visiteurs.

— Avant tout, j'aimerais que vous m'expliquiez en détail ce qu'il s'est passé.

     Il se tourna vers Azérine, attendant qu'elle entamât son récit.

— Je... je vous l'ai déjà dit, indiqua-t-elle. Notre village a été attaqué par des créatures, et...

— Ce serait plus facile si je vous posais les questions, la coupa-t-il. Comment étaient-elles, ces créatures ?

— Contraires à tout ce qui caractérise un être humain. Leur regard était vide, leur corps dépourvu de chair. Elles semblaient si... mortes.

     Noà ne parvint à détacher son regard de Gréo. Le visage du faune se décomposait à mesure qu'Azérine racontait son histoire, comme s'il mettait lentement le doigt sur une information capitale.

— Combien étaient-elles ?

— Plusieurs centaines, au minimum... leur nombre ne faisait qu'augmenter au fil des heures.

— Et vous pensez qu'elles ont attendu ce tour précis pour attaquer ?

     Un frisson parcourut le corps de Noà. Imaginer que ces monstres avaient planifié leur invasion depuis plusieurs tours – voire plusieurs cycles – lui glaçait le sang. Anxieux, il se sentit soudainement épié, comme mis à nu devant l'armée du démon à la gueule de loup.

— Il y a forcément une raison à tout cela... murmura Azérine.

— En effet.

     Le faune se leva de sa chaise et commença à faire les cent pas.

— Auriez-vous, par hasard, remarqué la présence d'un... dirigeant, lors de cette attaque ? Quelqu'un qui semblait la mener ?

     Noà et Aria se dévisagèrent, le souvenir du guerrier-hybride encore bien trop ancré dans leur mémoire.

— Il nous a laissés fuir, répondit l'élémentaire d'Eau. Il ressemblait à un gigantesque loup. On sait juste qu'il recherchait un prophète.

     Suite à ces mots, Gréo se rassit lourdement. Il fixait désormais Aria avec une terreur ostensible.

— S'est-il présenté à vous ?

— Non, mais il a appelé ses serviteurs des nortox.

— Il voulait qu'on prévienne les royaumes, enchaîna Töm. Il a parlé d'une ombre qui se répandait sur Ustral.

— C'est impossible...

     Les quatre rescapés se figèrent, les yeux braqués sur l'azikrin. Noà était persuadé qu'il savait quelque chose. Quelque chose qui n'augurait rien de bon.

— Kétil ! hurla-t-il au garde en se précipitant vers la porte. Annonce ma venue à Boulrèk sur le champ !

     Il se retourna ensuite vers eux.

— Vous ont-ils suivis jusqu'ici ?!

     Craintive, Azérine saisit la main de ses enfants.

— Nous vous l'avons déjà dit, nous l'ignorons.

— Et ce prophète ? L'a-t-il trouvé ?

— Non. Aucun prophète ne vivait sur Xomythe. Du moins pas à ce que je sache. Pourquoi souhaitez-vous... ?

— Il est donc toujours à sa recherche ?

— Je ne comprends pas...

— Répondez-moi !

     La pèlerine effectua un mouvement de recul, alors que les mains de Noà s'emplissaient d'électricité. Gréo le remarqua et se ressaisit aussitôt.

— Je suis désolé. Il faut que... il faut que je m'entretienne avec quelqu'un.

— Mais, vous ne nous avez pas dit ce que vous savez ! s'exclama Azérine.

— Je vous promets que nous reprendrons cette conversation. Il se fait tard et je dois en avoir la certitude avant de vous en parler.

— La certitude de quoi ? Avec qui devez-vous vous entretenir ?

     Gréo ne prit pas la peine de répliquer. Il rouvrit la porte qui menait à la cuisine et se tourna au dernier moment vers ses hôtes.

— Vous pouvez passer la nuit dans les chambres, à l'étage. Kétil viendra vous déposer des vêtements de rechange afin que vous puissiez enlever ces étranges costumes. En attendant, mangez, lavez-vous, dormez. Nous discuterons de tout cela à votre réveil.

     Sans attendre de réponse, il quitta sa demeure et laissa les xomythois plus seuls qu'ils ne l'avaient jamais été.

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Fox Sailor ~ Supernova ♫

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