Chapitre 3 [1/3] ~ Invasion Indésirable
Xomythe sombra dans le chaos lorsque la flèche transperça Luke en pleine poitrine.
À l'instant où l'inconnu la décocha, du côté du terrain, le cinquième cycle réussit à prendre l'ascendant sur Isach et le plaquer au sol avec son élément. Au péril de sa vie, il venait de sauver celle de son adversaire et gisait désormais dans une mare de sang et de toxine, les yeux bleu électrique plongés dans le vide d'un autre monde.
Les secondes qui suivirent furent pour Noà les plus insoutenables de son existence. Il ne savait plus s'il respirait, ni même s'il vivait encore. Son regard alternait entre le cadavre de Luke et son frère, toujours au sol, statufié par la peur.
Dès que l'information eut été assimilée, les villageois se mirent à hurler et à courir dans tous les sens. Noà fut bousculé, piétiné, entraîné par la foule qui cherchait à prendre le plus de distance possible avec le terrain sur lequel se tenait encore Isach.
Un déclic lui permit de sortir de sa torpeur. Il reporta son attention vers l'homme à la cape, constatant avec effroi qu'il était en train de placer une deuxième flèche sur son arc, sans se soucier de l'anarchie qui l'entourait.
Noà décida d'oublier tout code moral et envoya une décharge électrique sur le meurtrier. L'inconnu la reçut en plein torse avant d'être projeté dans les airs. Quand il retomba au sol, en dépit des cris et du vacarme, l'ustralois entendit ses os se briser.
— Isach !
Noà rejoignit son frère, qui n'avait pas esquissé le moindre geste depuis l'accident. Isach leva la tête et afficha une expression que son cadet n'avait encore jamais lue dans ses yeux.
— Debout, il faut y aller !
— Qu'est-ce que... qui... ?
Noà lui attrapa la main et le releva de force.
— Il faut rejoindre maman et les autres !
— Mais, Luke...
— Il est mort ! hurla-t-il afin de le ramener à la raison. On peut rien faire pour lui !
Sans lui laisser plus de temps, il l'entraina avec lui et se mit à chercher sa mère dans la foule. Un bourdonnement aigu rasa son oreille, suivi d'une plainte. Noà pivota et discerna une femme étalée au sol avec une flèche plantée dans le mollet. Il se précipita vers elle pour la relever mais, en arrivant à sa hauteur, il constata qu'elle ne respirait déjà plus.
— Noà ! Isach !
Töm apparut dans la foule. Haletant, le visage trempé de sueur, il écarquilla les yeux quand il aperçut le cadavre de l'habitante à côté de Noà. Il parvint malgré tout à reprendre ses esprits.
— Votre mère vous cherche ! Faut pas rester là, ils sont partout !
— Qui ça, ils ?! s'exclama Isach, paniqué.
Noà n'avait besoin d'aucune réponse. Il savait très bien de qui son ami faisait allusion. Et si tous les inconnus qu'il avait repérés précédemment se mettaient à attaquer, les pertes seraient bien trop importantes.
Les deux frères suivirent Töm, qui les ramena auprès de leur mère, Aria et Azérine. En voyant ses fils arriver, Aurora se jeta dans leurs bras.
— Par les dieux, j'ai cru que... que vous...
— On va bien, la rassura Isach.
— Il ne faut pas perdre de temps, se ressaisit-elle. À la maison, allez !
De nouveaux sifflements fendirent le ciel derrière eux. À mesure que les six ustralois s'éloignaient de la Grand-Place, les hurlements se multipliaient et gagnaient en intensité, comme si plusieurs dizaines d'inconnus décochaient leurs flèches à l'unisson.
Le cœur de Noà battait à un rythme effréné. Partout où il posait le regard, ses yeux glissaient sur le corps sans vie d'un villageois. Les soldats commençaient seulement à se réunir en plusieurs groupes et à affronter les intrus. Il faillit s'écrouler lorsqu'il remarqua leur nombre décuplé.
Qui étaient-ils ? Comment avaient-ils pu envahir Xomythe sans se faire repérer ? Pourquoi avaient-ils choisi d'attaquer le village en plein Tournoi Annuel ?
Les ennemis affluaient de tous les côtés, infiltraient les ruelles, défonçaient les portes des habitations afin d'assassiner ceux qui tentaient de se cacher. Malgré la peur et l'adrénaline l'empêchant de fatiguer, Noà comprit que ce n'était qu'une question de minutes avant que Xomythe ne tombât en ruines. Les combattants étaient déjà en sous-effectif. Ils ne tiendraient plus longtemps si les meurtriers continuaient à s'immiscer dans le village.
— Maman ! cria-t-il au détour d'une rue commerçante en feu. Il faut les aider !
— Non ! rétorqua-t-elle sans prendre la peine de le regarder. Les soldats ont entamé le combat, il faut leur faire confiance !
— Ils vont tous se faire tuer ! Ces monstres sont en train d'anéantir le village !
Aurora s'arrêta et se tourna vers son fils. Ses iris émeraude s'étaient assombris et dévoilaient une terreur si grande que Noà ne les reconnut presque pas.
— Ce n'est pas le moment de jouer les héros, tu m'entends ? Si nos guerriers ne peuvent rien faire, ce n'est pas toi qui retourneras la situation !
Devant l'expression de son enfant, Aurora se calma et lui prit le visage entre les mains.
— Je refuse de te perdre...
Noà plongea les yeux dans ceux de sa mère, puis hocha la tête. Aussi dur que ça lui coûtait de l'admettre, il savait qu'elle disait vrai. Un adolescent de dix-sept ans n'arriverait jamais à repousser ces créatures à lui seul.
Ils reprirent ainsi leur route, jusqu'à atteindre la partie rurale de Xomythe. Noà jeta un coup d'œil aux alentours, par-delà les collines, et constata qu'il n'y avait pas âme qui vive. Il entendait encore les cris derrière lui, auxquels s'étaient mêlés des bruits d'explosions. Hormis sa famille et celle des jumeaux, aucun villageois n'avait, pour l'instant, réussi à s'échapper du cœur de la bataille.
— Ils vont se faire massacrer... murmura Aria en baissant la tête.
Elle dévisagea son meilleur ami, puis sa mère.
— C'est lâche de s'enfuir à six sans se donner la peine de sauver ceux qui peuvent encore l'être.
— Si tu retournes là-bas, tu mourras, expliqua Azérine d'une voix tremblante. Écoute-moi. On ne peut rien faire pour eux. Nous avons de la chance d'être encore ensemble, alors ne gâchons ce cadeau des...
Elle s'interrompit et Noà comprit aussitôt pourquoi. Azérine faisait partie des rares ustralois à descendre des pèlerins, arrivés sur le continent il y a des milliers d'années. Cette lignée n'avait jamais reçu le don des dieux, les considérait d'ailleurs comme de simples légendes. Les pèlerins possédaient leur propre religion, qu'Azérine avait délaissée après son mariage avec le père défunt des jumeaux. Elle avait passé sa vie à élever ses enfants et à grandir dans un environnement différent de son identité. Selon les dires de sa fille, elle avait même fini par croire aux six divinités, bien qu'elle eût toujours essayé d'en parler le moins souvent possible.
— On va s'enfuir d'ici, rejoindre le village voisin en espérant qu'il n'ait pas subi le même sort, poursuivit-elle. On demandera de l'aide sur place.
— Il sera trop tard d'ici là ! s'exclama Aria.
— Ma mère a raison...
L'élémentaire d'Eau pivota vers Noà, incrédule.
— Tu ne pourras pas repousser ces inconnus toute seule, reprit-il.
— Je ne cherche pas à les repousser ! Je dis simplement que les habitants sont encore sur la Grand-Place en train de se faire assassiner un par un !
Elle leva les bras au ciel.
— Regardez autour de vous ! Il n'y a absolument personne ! Je suis certaine que des enfants et leur famille sont cloîtrés chez eux, terrorisés, sans aucun moyen de s'échapper ! Si on peut en sauver plusieurs et les emmener avec nous, ce sera au moins ça de gagné !
Un craquement retentit derrière la troupe, qui fit aussitôt volte-face. Trois hommes encapuchonnés apparurent de nulle part et brandirent un arc ou une arbalète dans leur direction.
Personne n'osa sourciller. Noà sentit ses doigts crépiter d'électricité, mais se contrôla pour ne pas le faire remarquer. L'un des meurtriers s'avança à pas feutrés. Il tendit la corde de son arme et pointa son carreau sur Aurora.
Noà ne sut dire si le fait de voir sa mère en danger fut ce qui le poussa à prendre autant de risques. D'un geste célère, il propulsa une décharge de foudre vers l'arbalétrier, qui l'accusa en pleine tête. Le monstre lâcha son arme et s'écroula, secoué par une série de spasmes incontrôlables. Isach ne laissa pas aux deux autres le temps de répliquer. Il posa une main au sol, érigea une crevasse qui s'ouvrit sous leurs pieds et qui les engloutit sans la moindre difficulté. Töm conclut le travail en lançant une sphère enflammée dans le piège et sur ses ennemis.
Le souffle court, Noà fit abstraction de l'odeur de chair pourrie dégagée par les cadavres en feu, puis se rapprocha de l'arbalète noire abandonnée. Aria l'imita. Elle s'accroupit afin de l'examiner plus attentivement. Après plusieurs secondes, les deux amis parvinrent à la même conclusion : l'arme était imprégnée de sang.
— Faites ce que vous voulez, mais moi j'y retourne, annonça la xomythoise, le visage obombré par la haine.
— Non ! s'exclama Azérine en lui attrapant le bras.
— Lâche-moi !
Elle se débattit et força sa mère à lâcher prise.
— Je refuse de vivre avec ça.
Sans laisser plus de temps aux autres de la persuader, Aria tourna les talons et se précipita dans la direction opposée. Impuissant, Noà observa sa silhouette disparaître derrière les habitations en flammes. Ses yeux bleu métallique s'ancrèrent sur Töm, tétanisé, puis sur son frère, occupé à relever Azérine qui venait de s'effondrer au sol.
Aria était sa meilleure amie. Il la connaissait depuis toujours, avait passé son enfance à ses côtés. Il avait accepté l'idée de fuir au risque de laisser les villageois mourir derrière lui, mais l'abandonner elle était tout bonnement impossible.
— Maman...
Aurora croisa le regard de son fils. Comprenant ses intentions, elle lui murmura d'une voix contristée :
— Je t'en supplie, ne fais pas ça...
— Je suis désolé.
Le cœur au bord des lèvres, Noà fit demi-tour et courut retrouver Aria, sous les plaintes de sa mère et Isach qui lui ordonnait de revenir.
Les cris et les détonations se rapprochaient tandis qu'il regagnait la partie urbaine du village. Des nuages d'orages commençaient à recouvrir la voûte céleste, plongeaient Xomythe dans le froid et les ténèbres. Le spectacle de désolation qui s'offrit à lui quand il arriva dans la rue commerçante l'obligea à s'arrêter et contempler avec effroi ce qui l'entourait.
La quasi-totalité des étales et des habitations baignaient dans les flammes. Des corps d'élémentaires et de pèlerins jonchaient le sol. Parmi eux, Noà reconnut Dwight, l'adolescent qu'il avait affronté quelques minutes plus tôt. Une flèche noire était plantée dans son cou, duquel un fluide écarlate se répandait sur les pavés de pierre. L'ustralois fut pris d'un haut-le-cœur et s'efforça de détourner le regard. Il scruta les alentours à la recherche d'Aria, mais le chaos l'empêchait de se concentrer. Des sifflements continuaient de transpercer l'air et atteindre des innocents, qui s'écroulaient avant même de pouvoir se défendre. Noà porta son courage à deux mains. Il s'engouffra au cœur de la bataille, focalisé sur son seul objectif : retrouver son amie.
Quelque part sur sa gauche, un éclair de foudre percuta un homme encapuchonné. À sa droite, une maison en feu s'effondra et souleva du sol un épais nuage de poussière. À quelques mètres devant lui, un petit garçon pleurait sur le cadavre de sa mère. Noà ne réfléchit pas une seconde et se précipita vers lui.
— Viens avec moi ! cria-t-il pour que sa voix passât au-dessus des hurlements.
L'enfant releva la tête et tendit aussitôt les bras. Son corps entier convulsait de terreur. Noà le souleva avec peine et poursuivit sa route. Plus le temps s'égrainait et plus l'air se changeait en un amas de fumée, rendant la respiration presque impossible. Des cendres chutaient du ciel comme de vulgaires flocons de neige. Noà commençait à suffoquer, tant le poids du garçon qu'il portait l'accablait. Il manqua de s'évanouir à plusieurs reprises. Après quelques minutes, un voile embruma sa vision et, trop affaibli, il ne parvint à distinguer le corps dans lequel ses pieds s'emmêlèrent. Il s'écroula tête la première sur le bitume, entraînant au passage l'enfant dans sa chute, et perdit connaissance.
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Audiomachine ~ Shadowfall ♪
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