Chapitre 22 [1/3] ~ De Lumière et de Glace

     Uniquement éclairés par les flammes de Töm, les quêteurs progressèrent à travers les dédales labyrinthiques de Warmaugh dans un mutisme complet. Toute notion de temps finit elle-même par s'estomper. Une heure. Trois heures. Une demi-journée ; et pourtant, Noà n'eut aucunement la sensation d'avancer.

     La température grimpa en flèche à mesure qu'ils s'enfonçaient dans les profondeurs de la grotte. L'air froid devint âcre. Les parois noires se teintèrent d'un gris cendré et se mirent à dégager une odeur de brûlé. Décrivant parfois des arcs de cercle, certaines galeries souterraines donnaient l'impression aux drakkiens de revenir au point de départ.

     Sans savoir s'il s'agissait d'un coup de chance ou d'un mauvais présage, Noà ne vit rien ; n'entendit rien qui fût en mesure de nuire à leur traversée. Seul le bruit des gouttes s'échouant sur le plancher caverneux rompait celui de leurs pas. Un instant, il crut même se trouver dans la grotte de ses songes, mais il remarqua bien vite que le décor ne correspondait en rien à cette dernière.

     En dépit de tout ; de sa difficulté à respirer, de la sueur qui collait à ses vêtements et de l'énergie dépensée pour maintenir la vivacité de ses flammes, Töm tint bon. Plusieurs fois, Aria dut imposer au groupe de s'arrêter en voyant l'état de son frère, qui faiblissait à vue d'œil.

— Je... je crois pas que je vais pouvoir tenir encore longtemps, haleta-t-il au détour d'un énième couloir.

— Ne t'inquiète pas, petit, lui répondit Matharach. Tu nous as déjà bien aidés.

     Aria s'agenouilla à ses côtés et lui tendit sa gourde. Malgré l'obscurité, Noà vit clairement la fierté qui brillait derrière ses iris céruléens. Töm n'avait jamais révélé la moindre once de courage, et voici qu'il prenait les devants, guidait le reste du groupe à travers une caverne inconnue.

— Repose-toi, lui dit-elle avec un sourire.

— On s'est déjà trop arrêtés, répliqua-t-il en tentant de se redresser. On peut pas s'accorder plus de...

— Tais-toi et bois. Je me fiche du temps qu'on doit passer ici. Tu utilises ton élément depuis plusieurs heures, il est hors de question que tu reprennes la route maintenant.

     Un bruit sourd retentit soudain au loin. Les yeux plissés devant lui, Kalyö avança d'un pas et matérialisa un pieu en bois parsemé d'épines. Lorsque l'écho parvint à leur hauteur, des milliers de cris stridents déchirèrent le silence et fusèrent vers la cohorte.

— Baissez-vous ! hurla-t-il.

     À l'unisson, tous s'exécutèrent et se couchèrent à plat ventre. Une nuée de chauves-souris leur rasa la tête la seconde qui suivit, puis s'enfuit par là où les quêteurs étaient arrivés. Certaines d'entre elles n'eurent pas cette chance et s'effondrèrent au sol, l'aile calcinée, le corps carbonisé.

— Qu'est-ce que... murmura Iryanä devant un des cadavres.

— Il y avait une lumière rouge, là-bas, indiqua Kalyö en montrant du doigt l'extrémité du couloir.

     Comme pour confirmer ses propos, une vague de chaleur s'immisça dans la galerie et disparut aussi vite qu'elle était arrivée.

— Elles ont fui quelque chose, devina Matharach. Quelque chose qui se trouve devant nous.

— Vous croyez qu'il y a un autre chemin ? demanda Noà.

— J'ai bien peur que non. Il n'y a encore eu aucune bifurcation depuis que nous sommes entrés dans cette caverne.

     Dans une grimace marquée par l'épuisement, Töm tenta de se relever, mais se rattrapa de justesse à l'épaule de son meilleur ami.

— Arrête, lui ordonna-t-il. Ça sert à rien de forcer, t'es trop fatigué.

— On va tous se faire tuer si on reste ici. Je peux continuer.

­     De sa main libre, Kalyö réajusta son arc attaché dans son dos et ancra ses yeux dans ceux de Matharach.

— On a qu'à s'accorder quelques minutes de repos. Je vais partir en éclaireur, voir jusqu'à où on peut marcher sans avoir à se séparer ou à décider d'un chemin à prendre.

— Je viens avec toi, annonça aussitôt Noà.

— Pas la peine, je sais très bien me défendre tout s...

— Je sais, mais on ne sait pas ce qu'on risque de trouver. Autant être deux si quelque chose tourne mal.

     Kalyö parut réfléchir un instant, mais finit par acquiescer. S'il avait tout fait pour l'éviter depuis l'incident au centre de soins d'Errakys, il ne pouvait se permettre de refuser sa compagnie devant les autres. Noà le savait, cela ne ferait que le rendre suspect.

— Très bien. Allons-y, renchérit-il.

     Satisfait, Noà pivota vers Töm, toujours adossé contre un mur aux côtés de sa sœur.

— Repose-toi bien, on risque d'avoir besoin de toi.

— Compte-sur moi, frérot, soupira le concerné en feignant un sourire.

     Noà tourna les talons et courut rejoindre Kalyö, bien décidé à trouver la sortie et à avoir les réponses à ses questions.


     Plongés dans un noir abyssal, les deux alliés progressèrent à tâtons, la main gauche sur une paroi, l'autre prête à déverser son pouvoir divin. Plusieurs fois, Noà fonça dans Kalyö après qu'il se fût arrêté sans prévenir, tant il lui était impossible de voir plus loin que le bout de son nez. La température continuait de grimper, l'air lui-même gagnait en humidité.

— Il doit y avoir un volcan endormi dans ces montagnes, anhéla le commandant d'escadron. Ce n'est pas normal qu'il fasse aussi chaud.

— Si c'est le cas, j'espère qu'il n'est pas en train de s'éveiller, rétorqua Noà d'un ton sarcastique. Et ces chauves-souris brûlées... tu crois qu'une partie de la caverne a pris feu ?

— Je ne sais pas. Mais vu le peu d'oxygène qu'il y a ici, il devrait se consumer rapidement.

     Noà entendit Kalyö déraper et manquer de trébucher.

— Fais attention, il y a plusieurs trous ici, indiqua le guerrier. La dernière chose dont on a besoin, c'est d'une cheville cassée.

     Une idée traversa alors l'esprit du xomythois.

— Si seulement on avait le Feu de Töm pour nous éclairer... murmura-t-il.

     Sans grande surprise, le drakkien ne répliqua pas.

— Pourquoi tu n'utilises pas le tien ?

— Noà...

— Je suis sérieux. On est que tous les deux, rien ne t'en empêche.

     Une fois de plus, Noà heurta son acolyte. Il ne le vit pas, mais il était certain que le soldat lui faisait face.

— Écoute. Je sais que tu cherches à m'isoler pour comprendre ce qui s'est passé sur Errakys. Tu m'as promis de ne rien dire à personne, alors lâche l'affaire.

— Et je respecterai cette promesse ! s'empressa-t-il d'ajouter. Explique-moi juste pourquoi tes yeux ont changé de couleur, s'il te plaît. Cette teinte... c'était la même que celle de Töm, la même qu'avait mon père. Elle ne peut qu'appartenir aux descendants de Ferkhâd !

— Tu te trompes...

— Kalyö. Tu peux me faire confiance, lui assura-t-il. Je ne te le demande pas que par simple curiosité. J'ai besoin de savoir.

— Que veux-tu dire ?

     D'abord réticent à l'idée de lui partager son ressenti, Noà se résigna.

— Je commence à douter de tout, avoua-t-il. Le Triménium de mon rêve, celui rangé du côté d'Arkalax, m'a dit que quelqu'un de mon entourage saurait m'aider à comprendre les indices qu'il me laissait... et que cette personne était plus concernée que je pouvais le croire.

— Et tu penses que cette personne, c'est moi ?

— Je ne sais pas. Mais tu gardes quelque chose en toi, un secret que tu refuses de révéler.

     Noà voulut s'arrêter là, mais il ne put s'y résoudre.

— Et si tu savais plus de choses que tu le prétendais, mais que tu refusais de nous en faire part ? Ce statut te rendrait dangereux pour Arkalax. Peut-être même que d'autres personnes, avant moi, ont découvert ce que tu sembles vouloir cacher au péril de ta vie. Comme Maxwell... ou Garyä.

     Préparé à recevoir un coup de massue face à de telles accusations, Noà expira quand il entendit Kalyö rire nerveusement.

— Tu as raison.

— Que... quoi ?

— Tu as raison quand tu dis que découvrir ce que je suis serait dangereux pour Arkalax, expliqua le soldat. En revanche, ce que tu ne sais pas, c'est que ce serait d'autant plus dangereux pour moi. J'ai voulu participer à cette quête pour les mêmes raisons que vous. Je veux sauver le continent, rétablir la paix sur Ustral. Me croire capable de pousser Maxwell d'une tour, d'enlever la sœur d'Iryanä ou ma petite-amie...

     Sa voix se brisa et Kalyö s'interrompit quelques secondes.

— Le monde n'est pas celui que tu penses être, Noà. Il y a encore des tas de choses que tu ignores. Ce que je garde en moi... je ne l'ai pas choisi. Quant aux informations du Triménium de tes rêves, sache que jamais je ne vous cacherai quoi que ce soit qui puisse nous aider à dissiper l'Ombre. Je t'en donne ma parole, à toi de la saisir ou non.

— D'accord. Dans ce cas... je te promets ne plus t'embêter avec tout ça si tu réponds à ma question.

     Le ricanement de Kalyö l'encouragea à poursuivre.

— Es-tu une Lumière ?

— Ai-je les yeux dorés ? le questionna le drakkien en guise de réponse.

— Non, mais tu es capable de maîtriser plusieurs éléments. Seule la lignée d'Adràzyde en a la faculté.

— Mais la lignée d'Adràzyde a les yeux dorés, renchérit-il. Et qui te dit que je possède cette faculté ?

     Noà poussa un soupir d'exaspération.

— Kalyö, s'il te plaît. Tu joues avec mes nerfs. Je suis certain de ce que j'ai vu. Tu fais peut-être partie d'une espèce rare d'élémentaire, capable de maîtriser plusieurs éléments, sans pour autant contrôler les six ou être une Lumière...

     Alors, venue de nulle part, une lueur incandescente apparut dans l'obscurité et illumina le visage des deux ustralois. Une flamme ardente dansait dans la paume du drakkien, brillait sous ses orbes devenus vermillons.

— Par tous les dieux... souffla Noà.

— Tu as ta réponse, indiqua Kalyö à voix basse.

— C'est énorme ! Je comprends pas pourquoi tu veux cacher ça aux autres !

— Tu m'as promis de n'en parler à personne. Encore une fois, c'est quelque chose qui doit rester entre nous. Le sujet est clos.

     Noà ravala son excitation, puis hocha la tête.

— T'inquiète. Personne ne saura rien.

     Incapable de détacher ses yeux de l'orbe enflammé, l'élémentaire de Foudre reprit sa route et suivit Kalyö en silence. De temps en temps, la sphère éclairait un cadavre d'animal roussi au sol, des traces de sang sur les murs ou des os encore intacts. Noà voulut faire demi-tour à plusieurs reprises afin de rejoindre ses amis, mais l'impassibilité de Kalyö devant ces ignobles découvertes suffit à lui faire garder son aplomb.

     Après plusieurs minutes de marche et pour la première fois depuis leur entrée dans les montagnes, les deux quêteurs débouchèrent dans une immense salle souterraine.

     La température atteignait son paroxysme. Incrustées dans les murs et le sol, des coulées de lave éclairaient les environs d'une lumière ténébreuse tandis que d'énormes crêtes rocheuses émergeaient du plancher à divers endroits. Noà, déconcerté par la beauté malfaisante du lieu, se rapprocha d'un précipice et remarqua avec effroi qu'il n'en voyait pas le fond. Une étrange sensation prit possession de son corps ; le désir de plonger dans l'abîme, de rejoindre les âmes perdues dans cette vacuité insondable.

— Fais attention à toi, intervint Kalyö. Personne ne pourra venir te chercher si tu tombes là-dedans.

     Noà reprit ses esprits et s'éloigna du gouffre. Son cœur battait si fort qu'il le sentait tambouriner à l'extérieur de sa poitrine.

— Il semble y avoir un chemin de l'autre côté, signala du doigt le drakkien, dont les yeux avaient retrouvé leur teinte émeraude. La bonne nouvelle, c'est que Töm n'aura pas besoin d'utiliser son élément pour nous guider.

     Noà posa son regard sur la passerelle qu'il désignait : un pont colossal ne tenant plus que par quelques blocs de pierre. Malgré la distance, Noà put discerner les trous qui le composaient, mais surtout, le néant qui l'entourait. Si l'un d'entre eux venait à glisser, il ne saurait même pas deviner combien de temps durerait la chute.

— Il faut prévenir les autres, annonça Kalyö. Suis-moi.

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Twelve Titans Music ~ Fractured ♪

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