Chapitre 21 [1/2] ~ Décompte Lancé
En proie à des doutes et des conjectures qui lui glaçaient le sang, Noà, incapable de le supporter davantage, rejoignit ses amis quelques secondes après le départ de Kalyö.
Il avait espéré faire l'impasse sur ce à quoi il venait d'assister. Il avait prié pour ne pas trahir ses émotions et préserver – le temps d'en savoir plus –, le secret du guerrier. Mais dès l'instant où il croisa le regard des jumeaux, il comprit que c'était peine perdue. Aria le dévisagea d'un œil perplexe, à l'instar de Töm, jusque-là assis sur l'une des marches à l'extérieur du centre de soins.
Si la plupart des drakkiens et des errakois s'agglutinèrent autour de lui, Kalyö ne lui prêta pas la moindre attention. Tous avaient l'air dépités, animés par une inquiétude provoquée par le récit du commandant d'escadron. Celui-ci gardait la tête baissée en permanence, comme s'il craignait que quelqu'un d'autre découvrît sa mystérieuse particularité.
Ses yeux avaient changé de couleur. Noà en était persuadé. La réaction du soldat avait été trop suspicieuse pour mettre cela sur le compte de la fatigue ; de l'état semi-léthargique dans lequel baignait le xomythois après son rêve.
Kalyö était-il capable de manier le pouvoir de Ferkhâd, en plus de celui de Tellüs ? D'après ce que Noà avait pu entendre, seules les Lumières en avaient la faculté, et le jeune guerrier ne possédait pas les iris dorés. Il avait aperçu ceux de Stelleüm, l'éclat mythique – presque divin – qui les habitait. Kalyö, bien que puissant, ne dégageait aucune aura semblable à celle du roi de Drakkä.
Noà ne savait même pas comment réagir. Il voulait en apprendre plus, mais l'expression qu'avait affichée Kalyö le fit réfléchir à deux fois. Il avait été terrifié. Littéralement. Sa voix s'était brisée. Ses membres s'étaient mis à trembler. Une larme avait manqué de dévaler sa joue de justesse. Il y avait forcément une raison.
— Tu te sens d'attaque, petit ? demanda Matharach à Noà, l'arrachant de ses pensées.
L'élémentaire hocha la tête. Les quêteurs avaient déjà accroché leur sac à dos, rangé leur arme dans leur fourreau. Ils étaient prêts à reprendre la route, et Noà refusait de les faire attendre plus longtemps. Une guerre s'apprêtait à éclater. Tòphios marchait droit vers eux.
— Allons-y, répondit-il.
Le pont magique d'Erkam avait déjà été activé lorsque les quêteurs débouchèrent sur la berge du Lac des Elfes. Zunqèl commençait à se coucher, auréolant la surface de l'eau de teintes crépusculaires.
Les six drakkiens remercièrent Androméda et Roskaï, saluèrent Oryâle, Juxane et Aldarwam, puis s'engagèrent sur l'édifice d'Adzôd. Le Triménium les intercepta avant même de les avoir rejoints :
— J'avais oublié ! s'exclama-t-il. Quand vous aurez conversé avec Kraskènyd et que vous souhaiterez activer le cristal, n'oubliez pas d'établir un contact physique entre vous pour créer le lien. Si quelqu'un ne fait pas partie de la chaîne, cette personne ne sera pas téléportée.
— Entendu, rétorqua Matharach.
— Les derniers espoirs d'Ustral reposent entre vos mains... murmura le vieillard afin de ne pas se faire entendre par la reine. Votre entrevue avec l'Oracle du Temps est primordiale. Si quelque chose tourne mal et que vous devez faire un choix entre Warmaugh ou Errakys, j'ose espérer que vous prendrez la bonne décision.
— Nous ferons tout pour revenir à temps, intervint Iryanä, et Noà remarqua à cet instant à quel point participer à cette guerre comptait pour elle. L'Ombre va s'en prendre à votre royaume à cause de nous.
— Ne vous blâmez pas pour cet incident, princesse. Arkalax aurait attaqué les Six Grands un par un, dans tous les cas. Ce n'était qu'une question de temps. Ça n'a toujours été qu'une question de temps...
Iryanä acquiesça, sans pour autant paraître convaincue.
— Nous vous remercions encore pour votre aide, ajouta Matharach.
Roskaï rétorqua par un faible sourire, mais ne répondit rien. Il laissa ses hôtes quitter Errakys en silence, les yeux rivés sur l'horizon, au-delà des sommets enneigés.
Au cours de la première heure, les élémentaires suivirent leur doyen à travers les montagnes qui bordaient le Lac des Elfes. Le drakkien sifflait dans l'espoir que son fils l'entendît. Après quelques tentatives, un rugissement finit par percer l'air. Une ombre bleu métallique fendit le ciel et se posa à côté de Matharach dans un grondement affectueux. Même s'il s'était habitué à sa présence, Noà ne put s'empêcher de reculer devant l'envergure imposante du dragon.
— Moi aussi, je suis content de te revoir, souffla le guerrier à Dylix en lui grattant le haut du crâne. Je vais avoir besoin de ton aide.
Comme si elle comprenait son maître, la créature battit des ailes et secoua sa longue queue hérissée de pics.
— Tu vas aller chercher ta sœur et la ramener ici, sur Errakys. Et tu dois apporter ça à Stelleüm.
Matharach sortit de son sac un morceau de parchemin, qu'il plaça entre les griffes de son dragon.
— J'ai prévenu le Conseil Royal de notre avancée et demandé à Stelleüm de laisser Kréah repartir avec son frère, expliqua-t-il à ses acolytes. Ils se battront avec nous, comme convenu.
— Vous pensez que le roi enverra des guerriers pour aider Errakys ? lui demanda Töm.
— Aucune idée. Dylix et Kréah ne seraient capables de porter que six ou sept drakkiens à eux deux. Je n'en vois pas l'utilité, étant donné que la route les fatiguerait énormément. À moins qu'il envoie ses meilleurs soldats...
Iryanä tourna la tête vers Matharach, les sourcils haussés.
— Mon père ne prendra pas la peine de sacrifier les meilleurs éléments de son armée pour une bataille qui n'est pas la sienne, trancha-t-elle. Tant que Drakkä ne sera pas directement menacé, il ne se souciera guère du reste.
Le chef d'escadron reporta son attention sur son fils.
— Va, maintenant, lui dit-il. Rejoins ta sœur et revenez dès que possible. On se revoit vite.
Mais contrairement à la fois précédente, Dylix refusa d'obtempérer. Il frotta sa gueule contre l'épaule de son père et émit un râle semblable à une lamentation.
— Qu'est-ce qui lui arrive ? l'interrogea Noà.
— Nous n'avons jamais été séparés aussi longtemps, expliqua Matharach. Il sait aussi où nous nous rendons. Ses souvenirs des Montagnes de Warmaugh sont ancrés dans son esprit. Il doit ressentir la magie qui habite le lieu, les dangers que l'on risque de croiser...
L'élémentaire de Glace posa son front sur le museau du dragon, lui susurra des paroles que Noà ne parvint à entendre, et Dylix prit son envol. Il adressa un dernier regard à celui qui l'avait sauvé, élevé, aimé comme son propre enfant, puis disparut derrière les nuages.
— C'est à nous de jouer, annonça Matharach, les yeux levés au ciel.
— Prochain arrêt : le repaire de Krèska... Karkèn... de l'Oracle du Temps ! s'exclama Töm avec un enthousiasme exagéré, ce qui fit rire le reste du groupe.
***
Aucun obstacle ne vint perturber l'avancée des quêteurs vers la chaîne de montagnes. À mesure qu'ils se rapprochaient, et bien que la sorgue commençât à étaler ses ombres sur le sol rocailleux, la température augmentait mystérieusement.
Les premiers versants apparurent lorsque Töm proposa d'utiliser son pouvoir pour s'éclairer à travers l'obscurité. Tous marchaient depuis plus de trois heures, extenués, sans qu'aucune pause n'eût été octroyée. Noà savait que personne n'oserait demander de s'arrêter pour la nuit, la guerre sur Errakys sommeillant dans un coin de leur esprit.
Le ciel se mit à dévoiler ses étoiles par milliards. Pour passer le temps, Noà chercha parmi les constellations celles qu'il connaissait, que son père lui avait appris à identifier. Une boule se forma dans son estomac quand il repensa à la fois où il avait observé le Marchand et le Vétéran, la veille du Tournoi Annuel de Xomythe. Isach et lui venaient de se disputer. Aurora leur avait préparé sa traditionnelle soupe aux radwäts. Suite à leur altercation, son frère lui avait donné le croquis de leur père, et Noà ne s'était jamais senti aussi revigoré.
Une source de chaleur parcourut son corps tandis qu'il se remémorait ces instants. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire nostalgique et Noà crut perdre pied un court moment, mais il tint bon. Le temps n'était plus aux larmes et aux lamentations. Quelque part, dans la voûte céleste, sa famille veillait sur lui. Isach avait peut-être rencontré Tellüs et rejoint Aliona ; Aurora avait sûrement retrouvé Rocorme. Il revoyait le sourire curatif de sa mère, ressentait l'odeur florale dégagée par chacun de ses passages. Il imaginait son frère le bloquer dans ses bras et lui ébouriffer les cheveux. Il repensait aux fois, après la mort de son père, où Isach lui avait lu des histoires, l'avait réconforté à chaque seconde où il en avait eu besoin. Des éclats de rires illusoires se mêlèrent à ces images ; vestiges inestimables, bribes de souvenirs inoubliables.
La troupe s'arrêta quand Töm fut incapable de maintenir ses flammes plus longtemps. Kalyö trouva un abri discret, caché derrière un ubac, et les quêteurs entreprirent de défaire leur couchage.
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Fringe Element ~ Hero's Burden ♪
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