Chapitre 20 [2/3] ~ Au Cœur du Songe
- Précédemment -
— J'ai récupéré dans la matinée le dernier ingrédient nécessaire à la création du Cristal de Téléportation. Accordez-moi encore quelques heures et il sera entre vos mains.
— Est-ce l'unique objet dont ils ont besoin ? l'interrogea Androméda. Dois-je demander à mes guerriers de les accompagner pour le reste de leur périple ?
— Ça pourrait être utile, en effet... murmura Töm bien trop fort pour paraître inaperçu.
— Merci beaucoup, Votre Majesté, mais ce ne sera pas nécessaire, rétorqua Matharach. Nous ne sommes plus très loin de notre destination et nous souhaitons éviter de mettre plus de vies en danger.
— Très bien. Dans ce cas...
Androméda se leva, imitée la seconde d'après par Aldarwam.
— Laissons à Roskaï le temps de finir sa préparation. Oryâle, je te confie ces élémentaires. Ils sont désormais sous ta responsabilité. Un de mes soldats viendra vous chercher quand le cristal sera prêt.
La fée reprit sa forme originelle et invita les drakkiens à la suivre. Les yeux rivés sur l'oracle, Noà quitta le Consulat en espérant de toute son âme que Roskaï ne fût pas, volontairement, sur le point de les conduire à leur perte.
Après un copieux repas offert par Oryâle à ses visiteurs et une escapade sur la Grand-Place du royaume, Juxane retrouva la cohorte devant la grotte d'Andromède, que tous avaient initialement convenu d'explorer.
— Roskaï exige votre présence dans la salle du trône, les informa-t-elle d'une voix ferme. Laissez-moi vous accompagner.
En quelques minutes, ils atteignirent le château et pénétrèrent dans la pièce royale. Une lumière aveuglante inonda les yeux de Noà quand il entra. Après s'y être tant bien que mal habitué, il remarqua que l'intégralité du lieu était vide. Un océan blanc s'étendait sur des dizaines de mètres de longueur et de hauteur, sans que rien ne vînt ternir la moindre parcelle de marbre. De l'autre côté, se dressant sur des marches qui se fondaient avec le décor, reposait le majestueux trône d'argent d'Androméda.
À mesure qu'il s'en rapprochait, Noà sentit l'air s'alourdir. Il eut l'impression que l'odeur ancienne dégagée par la salle cherchait à l'envelopper, comme si elle voulait s'assurer qu'il ne représentait aucune menace pour le royaume. Le bout de ses doigts se mit à refroidir, puis un choc électrique traversa son crâne et il manqua de peu de perdre connaissance.
Roskaï, assis sur le trône de sa dirigeante, paraissait endormi. Debout à ses côtés, la reine posa l'index devant sa bouche lorsque ses hôtes parvinrent à sa hauteur, les incitant à ne pas faire de bruit. Noà ne sut d'abord pas comment interpréter son geste, jusqu'à ce que son regard glissât sur l'objet tenu par l'oracle : une pierre grise, aussi ordinaire d'aspect qu'un vulgaire fragment de roche.
Hypnotisés par le silence et l'aura que dégageait le Triménium, les quêteurs eurent un mouvement de recul à la seconde où le cristal quitta ses paumes et se mit à léviter dans les airs. Roskaï ouvrit alors les yeux puis, en état de transe, prononça d'une voix qui ne semblait lui appartenir :
— Chambre royale d'Errakys.
La pierre changea du tout au tout. Sa couleur s'éclaircit jusqu'à prendre une teinte rosâtre. Ses bords, affilés, se taillèrent d'eux-mêmes en une forme lisse et ovale. Après quoi, elle retomba avec grâce dans les mains de l'oracle qui, dans un sourire satisfait, la tendit à Matharach.
— Et voilà.
Le commandant drakkien hésita un court instant, mais finit par l'accepter. Intrigué, il fit tournoyer la roche entre ses doigts afin de la contempler sous tous les angles.
— Pour activer son effet, vous n'aurez qu'à l'écraser dans votre main, expliqua Roskaï. N'ayez crainte de vous entailler la peau, ce cristal est beaucoup plus fragile qu'il n'y paraît. Je l'ai enchanté de manière à ce qu'il vous fasse revenir ici-même, une fois votre mission effectuée.
Personne ne prononça le moindre mot. Tous gardaient les yeux rivés sur la pierre précieuse.
— Je vous le répète : ceci est votre porte de sortie ; votre seule chance de quitter le repaire de Kraskènyd. Si vous perdez cette pierre, Ustral est condamné. Me comprenez-vous ?
Les mots durs de Roskaï suffirent à récupérer l'attention des quêteurs. Ils hochèrent la tête au moment où un courant d'air glacial s'immisça dans la salle du trône et vint serpenter autour de chacun. Noà ressentit le même malaise l'envahir que lorsqu'il était entré dans la pièce.
— J'ai eu de la chance d'avoir à disposition les outils nécessaires pour fabriquer cet artefact. Je serai, en revanche, incapable d'en confectionner un deuxième avant que vous ne repreniez la route, poursuivit l'oracle.
Il prit une grande goulée d'air, puis une deuxième.
— Prenez-en le... le plus grand soin et... n'oubliez pas...
Roskaï ferma subitement les yeux. Sa tête bascula sur le dossier du trône. Il porta une main trémulante à son front tandis que son souffle se saccadait de plus en plus.
— Faites... faites attention... haleta-t-il, les traits de visage déformés par une géhenne invisible.
Androméda s'avança vers lui. Inquiète, elle tendit le bras pour lui venir en aide, mais le corps du vieil homme glissa du fauteuil argenté et s'écroula sur le sol avant qu'elle n'eût pu le rattraper. Roskaï se mit alors à trembler, les mains et les jambes parcourues de spasmes incontrôlables.
— Roskaï ! hurla-t-elle.
Elle se tourna vers Juxane.
— Va chercher de l'aide, vite !
Un éclair traversa l'esprit de Noà. Le visage bienveillant de sa mère lui apparut. Sa voix réconfortante l'appela au plus profond de son être et il se remémora le protocole à suivre si quelqu'un se mettait à convulser devant lui. Aurora avait été l'une des guérisseuses les plus respectées de Xomythe, Noà ne pouvait ignorer ce qu'elle s'était démenée à lui apprendre.
— Lâchez-le, indiqua-t-il à Androméda, en voyant qu'elle tentait désespérément de maintenir le Triménium en place.
Noà accourut vers le vieillard, le cœur au bord des lèvres. Sous les regards ahuris de ses acolytes, il saisit le visage de Roskaï entre ses mains, le bascula en arrière et s'assura de le protéger du trône, au cas où il viendrait à le heurter.
— Ça... ça ne devrait pas durer trop longtemps... déclara-t-il.
— Qu'est-ce qui lui arrive ? demanda Iryanä, les yeux cristallins exorbités par la peur.
— Une crise d'épilepsie. Il en a déjà fait une auparavant ?
Androméda secoua la tête.
— Jamais.
— Il n'y a rien à faire, précisa l'élémentaire de Foudre d'une voix agitée, mais déterminée. Il faut juste attendre et s'assurer qu'il ne se blesse pas en bougeant...
Quelques secondes plus tard, alors qu'il commençait à douter de ses propres souvenirs, Noà poussa un soupir de soulagement quand le corps de l'oracle s'immobilisa. Androméda s'agenouilla à ses côtés, suivie de près par Matharach et Kalyö.
— Roskaï... murmura-t-elle, loin d'être rassurée. Comment allez-vous ?
Contre toute attente, le Triménium se mit à pleurer. Non pas par gros sanglots, mais assez pour se faire remarquer de l'assemblée. Son visage se crispa et une larme dévala sa joue ridée.
Jamais Noà n'aurait cru voir un être immortel, aussi vénérable, s'effondrer de la sorte. Quelle qu'en fût la raison. Roskaï avait côtoyé les dieux, traversé les âges pour guider les générations d'antan. Une simple crise n'aurait pu le mettre dans cet état. Alors, avant même que l'oracle ne s'expliquât, Noà sut qu'il aurait préféré ne pas entendre ce qu'il s'apprêtait à annoncer.
— J'ai... j'ai vu Errakys... dévoré par les flammes, noyé dans le sang, balbutia le prophète. L'hybride au corps de loup et son frère, l'entité au corps de félin... ils seront là, eux aussi.
Une terreur primitive côtoyait ses orbes noirs. Impuissant, Noà croisa le regard des jumeaux, tout aussi bouleversés par cette annonce. Tòphios avait exterminé Xomythe. Savoir qu'il s'apprêtait à réitérer avec un des Six Grands d'Ustral – qui plus est, aux côtés d'un autre démon ancestral – fit naître en lui une colère démesurée.
— Quand ? s'écria la reine.
— En fin de cycle lunaire, lui répondit Roskaï entre deux pleurs. Cette vision était on-ne-peut-plus limpide. Ils viennent pour moi.
— Ils pensent qu'il est l'Oracle du Temps, souffla Kalyö.
Matharach hocha la tête. Il connecta ces deux informations ensemble, puis baissa le regard, honteux.
— Le gosse a raison. Nous sommes suivis depuis notre départ de Drakkä. C'était stupide de croire que nous aurions pu semer ces créatures en terminant le voyage à pied.
— Et le gardien du lac, ajouta Töm à voix basse. Il a dit qu'on laissait une trace derrière nous... des ténèbres facilement repérable par l'Ombre.
— De quoi parlez-vous ? les interrogea Androméda, confuse. Expliquez-vous !
— Orbis nous a fait comprendre qu'un membre de l'assemblée des Triméniums s'est rangé du côté d'Arkalax, avoua Noà. Je ne sais pas comment il a fait pour nous retrouver, mais il doit lui faire part de nos agissements. Ils vont s'en prendre à Errakys parce qu'ils nous ont vus nous diriger vers votre royaume après avoir quitté Drakkä.
— Mais, ils se trompent !
— Je pense qu'il est trop tard pour les inviter chez vous et les raisonner autour d'un jus de numïlé, renchérit Iryanä. Ils vont débarquer avec leur armée et décimeront chaque parcelle de montagne jusqu'à ce qu'ils mettent la main sur Roskaï.
— Quand se termine le cycle lunaire ? demanda Matharach en se relevant.
— Dans deux tours, soupira l'oracle. Ils attaqueront à la tombée de la nuit.
— Alors il nous reste deux tours pour retrouver l'Oracle du Temps, revenir avec les vers de la prophétie et combattre pour vous.
— Nous n'aurons jamais assez de temps, fit remarquer Iryanä. Autant rester ici, se préparer à l'attaque et rejoindre Kraskènyd une fois celle-ci terminée.
— Et si nous n'y survivons pas ? répliqua Aria. Il y a beaucoup trop en jeu pour se permettre de placer cette guerre en haut de nos priorités. Si nous mourons, Drakkä n'aura pas le temps d'envoyer une deuxième cohorte vers le repaire de Kraskènyd.
— Elle a raison, poursuivit Kalyö d'un ton calme. Je suis certain qu'Errakys possède une force militaire assez grande pour se défendre face à ce genre de situation. Privilégions notre rencontre avec l'Oracle du Temps. Si, par chance, nous revenons à temps, nous nous battrons à vos côtés.
Androméda acquiesça. Une lueur endiablée dansait derrière ses iris anthracite.
— Je vais demander à Aldarwam de préparer nos forces.
Elle se tourna vers Roskaï.
— N'avez-vous rien vu d'autre ? Une troisième entité, quelque chose qui nous apporterait plus de réponses ?
Le concerné secoua la tête.
— Est-il possible de demander de l'aide aux autres royaumes ? demanda alors Noà.
— Non, trancha l'elfe. Errakys est reculé des Six Grands. Seuls des villages mineurs bordent ses frontières... aucun qui puisse nous apporter un soutien considérable.
— Et Drakkä ?
— Beaucoup trop loin, répondit Aria, avant de se raviser devant le regard de son ami. À moins que...
Les deux xomythois pivotèrent vers Matharach, qui venait lui aussi de comprendre.
— Ils ne pourront jamais porter une armée à eux deux, indiqua-t-il. Ils ramèneront six soldats, au maximum.
— Ce n'est pas aux soldats qu'on pensait, répliqua Aria.
— Ils n'ont jamais combattu... se justifia Matharach, déchiré entre ses principes et sa raison.
— De qui parlez-vous ? demanda Androméda.
— Des... amis, renchérit Kalyö. C'est une très bonne idée. Ça pourrait faire la différence.
Le guerrier de Glace hésita de longues secondes avant de finalement acquiescer, le visage marqué par une tristesse que lui seul était en mesure d'éprouver.
— Très bien. Ils combattront.
Malgré les martèlements hystériques de son cœur et l'angoisse agitant sa Foudre, Noà ne put réprimer la satisfaction malsaine que son esprit tentait de chasser. Tòphios et lui seraient de nouveau confrontés. Si loin de Xomythe, l'élémentaire allait avoir sa chance de venger ses proches disparus. Bien qu'il n'eût jamais pris part à un conflit d'une si grande ampleur, Noà exultait. Les quêteurs et lui ne pouvaient se permettre de perdre trop de temps, au risque de voir son opportunité s'envoler.
Habité par une force divine, il se redressa quand la voix lui parvint. Le courant d'air froid lui enserra le cou telle une corde que l'on réservait aux condamnés. Pris de court, Noà ouvrit la bouche, mais fut incapable de prononcer le moindre mot.
Un voile blanc troubla sa vision. Une vague occulte paralysa ses membres. Dans un geste désespéré, Noà implora Kalyö du regard – le seul qu'il avait face à lui –, mais le commandant d'escadron ne sut comprendre à temps.
Noà bascula en arrière et sombra juste avant que son crâne ne percutât les dalles de marbre.
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Position Music ~ Reborn ♫
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