Chapitre 20 [1/3] ~ Au Cœur du Songe
Oryâle fut réquisitionnée pour amener les quêteurs dans le consulat du royaume. En silence, ils suivirent la fée jusqu'à la tour est du château, qui les fit entrer dans une vaste pièce aux murs blancs. Éclairée par plusieurs torches argentées aux flammes incandescentes, elle était uniquement meublée de tables en pierre, toutes différentes de par leurs tailles et leurs formes.
— Installez-vous ici, leur conseilla l'errakoise en désignant la plus grande, au centre.
Noà, Töm, Aria, Matharach, Kalyö et Iryanä patientèrent de longues minutes, l'estomac serré par l'appréhension. L'élémentaire de Foudre sentait l'atmosphère du lieu l'écraser de tout son poids, affaisser ses épaules déjà bien trop chargées par les péripéties de ces derniers tours.
Il savait très bien ce qui les attendait, ses amis et lui. Androméda débarquerait avec une équipe de conseillers, de bras droits, de commandants d'armée, et il serait contraint – une fois de plus – de tout leur expliquer. Les souvenirs de la mort d'Isach et Aurora reviendraient le happer pour l'entraîner dans un néant duquel il commençait seulement à émerger. La grimace de son frère, crispé par sa blessure létale, s'immiscerait à nouveau dans son esprit. Aussi, lorsque la reine poussa la porte du Consulat, un voile blanc apparut devant les yeux du xomythois, qui dut s'agripper aux rebords de la table pour ne pas basculer de son siège.
— Tu vas bien ? lui murmura Kalyö, profitant de l'obnubilation des autres par l'arrivée de l'elfe.
— Oui, je suis juste fatigué, mentit-il d'une voix à peine perceptible.
Accompagnée d'un unique guerrier, Androméda s'assit sur la première chaise qui lui tomba sous la main. Elle redressa la tête, puis glissa son regard quasi-transparent sur celui de chaque quêteur.
— Voici Aldarwam, mon conseiller stratégique de guerre, leur indiqua-t-elle en désignant l'elfe à ses côtés.
L'armure que portait l'errakois resplendissait, dégageait des reflets dorés et argentés si radieux que Noà ne sut deviner quel métal dominait l'autre. Ses iris de plomb contrastaient avec sa longue chevelure blonde, tressée d'une façon à la fois délicate et complexe. S'il fut en premier temps mal à l'aise par l'aura noble qu'il renvoyait, Noà sentit la pression retomber dès l'instant où Aldarwam sourit aux drakkiens pour les saluer.
— Roskaï devrait arriver d'un moment à l'autre, précisa Androméda. Il m'a informé avoir un léger contretemps, mais que nous pouvions commencer sans lui.
— Roskaï est votre Triménium, n'est-ce pas ? la questionna Matharach.
— En effet. Vous m'avez annoncée il y a quelques minutes avoir besoin de son aide. Pourquoi ?
Les quêteurs se dévisagèrent tour à tour, à la recherche de la personne en mesure de tout lui expliquer. Même Matharach qui, jusque-là, avait toujours pris l'initiative de parler en leur nom, demeurait silencieux.
— Je pense que vous devriez commencer, supposa Kalyö, les yeux émeraude braqués sur les trois xomythois. Après tout... sans votre arrivée sur Drakkä, nous ne serions pas là aujourd'hui.
Devant l'impassibilité de ses acolytes, Noà finit par se résigner. Alors qu'il s'apprêtait à prendre la parole, Töm le devança, à son plus grand soulagement.
Il commença par raconter d'où sa sœur, son ami et lui étaient originaires. Il enchaîna avec l'attaque des nortox au Tournoi Annuel, sans oublier de mentionner Tòphios, leur fuite dans la forêt d'Azikru et leur entretien avec Gréo et Boulrèk. Il expliqua à Androméda leur rencontre avec Oryâle sur Zajox, leur arrêt dans l'auberge de Béross, ainsi que leur traversée dans la Forêt des Ambres, qui les mena tout droit aux portes de Drakkä.
Une étrange sensation s'empara de Noà à mesure qu'il écoutait Töm parler ; l'impression d'entendre le récit de parfaits inconnus. Les tours s'étaient enchaînés à une vitesse démesurée si bien que, un court instant, il ne parvînt à réaliser où il se trouvait et ce qu'il avait accompli pour en arriver là. Il savait, au fond, que tout était vrai ; qu'il faisait partie intégrante de cette histoire.
Noà avait été l'un des premiers – si ce n'est le premier – à apercevoir les nortox sur Xomythe. Son cri d'alerte avait déchiré l'air bien avant la flèche imprégnée de venin ; bien avant que Luke ne s'écroulât au sol et ne sauvât brièvement la vie d'Isach. Il avait observé sa mère s'achever après que la vespertoxion l'eût atteinte. Il avait combattu Tòphios, les aliénés de Zajox, les nortox de l'auberge et Smaragdus dans la Forêt des Ambres. Ses douleurs estompées ressurgirent même le temps de quelques secondes pour le lui prouver.
— De là, on a eu une longue discussion avec le Conseil Royal et Orbis, conclut Töm.
— Que s'est-il dit, lors de cette entrevue ? renchérit Androméda, le visage crispé.
— Je prends le relais si tu veux, annonça Matharach à l'égard du xomythois, ce qui ne parut pas lui déplaire.
Le drakkien poursuivit en prenant soin de s'attarder sur les informations énoncées par Orbis : que l'apparition de Tòphios présageait le retour de ses deux frères hybrides ; que celle des nortox indiquait – quoique sans certitude – celui d'Arkalax. Il rapporta qu'un vote avait eu lieu sur Drakkä pour choisir les quêteurs chargés de rejoindre le repaire de l'Oracle du Temps ; cible potentiellement visée par les multiples assauts de l'Ombre dans les villages du nord. Il termina avec leur voyage aérien à dos de ses dragons, jusqu'à ce qu'ils subissent une attaque de worgèns et fussent contraints de finir leur route à pied.
— Et ce repaire secret, où se trouve-t-il ? demanda Androméda quand il eut achevé son récit, comme si cette indication était la seule qui l'intéressait.
— Nous avons l'interdiction d'en informer qui que ce soit, vous y compris, trancha Iryanä sans la moindre appréhension. Comprenez simplement que nous ne sommes pas loin et que sans l'aide de votre Triménium, il nous sera impossible de l'atteindre.
La reine d'Errakys pesa un instant les mots de la princesse, puis décida de renoncer.
— Très bien. Je comprends.
— Ainsi, les rumeurs colportées par nos soldats étaient vraies, soupira Oryâle de sa voix aiguë.
— J'en ai bien peur, confirma l'elfe. Je connais bien ces légendes ustraloises. Mes ascendants avaient l'habitude de me les conter dans ma jeunesse. Si ce Tòphios est bien celui qu'il prétend être, nul ne fait aucun doute que ses frères soient eux aussi reparus. Qui plus est, avec une armée sortie tout droit des catacombes d'Hoxynûr...
— Reste à savoir s'ils obéissent à une force supérieure, intervint Aldarwam d'un ton étonnamment serein. De ce que j'ai toujours cru comprendre, la progéniture de Sâtomb avait été vaincue par le roi Glawar à l'issue de la Guerre des Lumières. Rien ne nous affirme qu'il ait trouvé un moyen de revenir à la vie.
— Arkalax ou non, le problème reste le même, renchérit Aria. Des contrées entières se font massacrer par ces démons. Son retour n'a beau être qu'une supposition, si ne nous trouvons pas l'Oracle du Temps avant eux, tout est fini.
Au même moment, la porte du Consulat s'ouvrit dans un léger grincement métallique. Un petit homme au crâne dégarni et au corps frêle passa sa tête dans l'entrebâillement, comme s'il voulait s'assurer d'être au bon endroit avant d'entrer.
— Roskaï ! s'exclama Androméda. Nous vous attendions.
Le Triménium avança à petits pas au centre de la pièce. Il se courba pour souhaiter la bienvenue à ses invités et prit place sur la chaise que lui proposait la reine d'Errakys. Ses yeux noirs, aussi vieux que le monde et parfaitement identiques à ceux d'Orbis, se posèrent sur chaque drakkien avant qu'il prît la parole :
— Je vous prie de bien vouloir m'excuser. Un soldat a eu l'aberrante idée de me défier dans une partie de Roi Déchu. Ce bougre voulait absolument la finir sans même remarquer que tout était joué dès le troisième tour.
L'assemblée entière dévisagea le prophète, mais il n'y porta guère attention.
— C'est l'avantage d'être né du temps des dieux, déclara-t-il. J'en ai joué, des parties...
À ses côtés, Noà vit Töm et Matharach se retenir de rire.
— Bien, reprit Androméda. Roskaï, voici les six drakkiens envoyés par votre frère. Ils étaient en train de nous relater les dangers qu'ils ont rencontrés pour arriver jusqu'ici ; les mêmes qui menacent Ustral depuis plusieurs cycles. Laissez-moi vous résumer brièvement...
— Ce sera inutile, Votre Majesté, l'interrompit Roskaï d'une main levée. J'ai entendu tout ce que je devais savoir.
— Mais, vous n'étiez pas encore...
— Orbis a dû prédire le fait que j'allais avoir un léger contretemps. En plus de m'informer par télépathie du retour supposé de l'Ombre, il m'a demandé si je pouvais aider ces courageux ustralois. Requête que je me dois d'accepter, cela va de soi.
— Et ne pensez-vous pas qu'il aurait été judicieux de m'en faire part ? répliqua la reine, abasourdie. Enfin... que pouvons-nous faire pour eux ?
Roskaï hésita un instant, puis répondit :
— Le seul artefact qui leur permettra de quitter le repaire de Kraskènyd en toute sécurité est, selon moi, le Cristal de Téléportation.
— C'est quoi ? demanda Töm.
— Eh bien... comme son nom l'indique, mon garçon, ce cristal renferme une part de magie qui permet de se téléporter à un endroit déjà programmé. Malheureusement, il est à usage unique et demeure très long à fabriquer. Vous avez de la chance qu'Orbis m'ait tout expliqué la veille de votre départ de Drakkä. J'ai pu anticiper votre arrivée et m'y prendre à l'avance.
— Vous l'avez déjà terminé ? comprit Kalyö, qui perdit aussitôt son entrain lorsque le Triménium secoua la tête.
— J'ai récupéré dans la matinée le dernier ingrédient nécessaire à sa création. Accordez-moi encore quelques heures et il sera entre vos mains.
— Est-ce l'unique objet dont ils ont besoin ? l'interrogea Androméda. Dois-je demander à mes guerriers de les accompagner pour le reste de leur périple ?
— Ça pourrait être utile, en effet... murmura Töm bien trop fort pour paraître inaperçu.
— Merci beaucoup, Votre Majesté, mais ce ne sera pas nécessaire, rétorqua Matharach. Nous ne sommes plus très loin de notre destination et nous souhaitons éviter de mettre plus de vies en danger.
— Très bien. Dans ce cas...
Androméda se leva, imitée la seconde d'après par Aldarwam.
— Laissons à Roskaï le temps de finir sa préparation. Oryâle, je te confie ces élémentaires. Ils sont désormais sous ta responsabilité. Un de mes soldats viendra vous chercher quand le cristal sera prêt.
La fée reprit sa forme originelle et invita les drakkiens à la suivre. Les yeux rivés sur l'oracle, Noà quitta le Consulat en espérant de toute son âme que Roskaï ne fût pas, volontairement, sur le point de les conduire à leur perte.
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Volta Music ~ On the Edge of Glory ♪
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