Chapitre 19 [2/2] ~ Un Visage Familier
- Précédemment-
— Bien, déclara Juxane aux drakkiens, une fois arrivée au pied d'une parcelle de montagne dressée devant un immense escalier de pierre. L'entrée au château se trouve là-haut.
— Vous ne nous accompagnez pas ? lui demanda Matharach.
— Mon frère et moi devons reprendre notre service. Quelqu'un vous attendra dans la cour, au sommet des marches. Elle vous amènera jusqu'à la reine.
— Merci beaucoup, répliqua le drakkien.
Juxane lui sourit en guise de réponse, puis tourna les talons. Sans un quelconque regard, Fyriss l'imita en s'assurant de laisser plusieurs soldats avec les quêteurs, au cas où ils chercheraient à vagabonder clandestinement dans les rues du royaume.
Les six élémentaires levèrent la tête vers le sommet, éreintés de leur ascension avant même de l'avoir commencée. Après quoi, Kalyö s'engagea sur la première marche, suivi de près par ses acolytes.
La cour du château, sur laquelle débouchait l'interminable escalier de pierres, était en parfaite harmonie avec le reste de la cité. La simplicité du lieu frappa Noà à tel point qu'il ne put s'empêcher de le comparer, une fois de plus, à celui de Drakkä. À défaut des fontaines d'or, des buissons taillés en forme d'élément, des statues représentant des guerriers en posture de combat, ici, il n'y avait rien. Pas la moindre décoration ou sculpture visant à symboliser la grandeur d'Errakys. Un désert de dalles nacrées s'étendait à perte de vue sur la surface de la montagne aplanie, au bout de laquelle se dressaient les portes argentées du château.
Épuisé par son ascension, Noà remarqua la personne qui les attendait. Un sentiment de déjà-vu s'immisçait dans son esprit à mesure qu'il s'en rapprochait.
Femme âgée. Silhouette élancée. Cheveux d'un blond terne, virant sur le blanc. Yeux incarnadins...
— Nom d'un glougne défiguré ! s'exclama Töm, avant que Noà n'eût pu faire le lien. Joana !
— Joànne ! rectifia Aria avec le même entrain que son frère. Mais... que faites-vous ici ?!
L'habitante de Zajox leur adressa son plus radieux sourire, puis baissa la tête pour saluer les trois autres drakkiens.
— C'est un plaisir de vous retrouver ici, leur dit-elle.
— Mais... comment ? Qu'est-ce que... ? bégaya Töm, aussi confus que ses acolytes.
— Vous vous connaissez ? l'interrogea Matharach, sans lâcher la vieille femme des yeux.
— Oui, lui répondit Aria. On s'est arrêtés dans un village malfamé pendant qu'on tentait de rejoindre Drakkä. Joànne nous a secourus et nous a accueillis chez elle.
Elle se tourna ensuite vers la concernée.
— Comment avez-vous pu rejoindre le royaume aussi rapidement ?
— C'est une assez longue histoire, répliqua Joànne. Pour tout vous avouer, mon véritable nom est Oryâle. Je suis née et j'ai passé ma vie sur Errakys.
— Quand nous nous sommes rencontrés sur Zajox, vous nous aviez dit que vous possédiez plusieurs noms, se remémora Noà.
— En effet. J'étais en mission sous les ordres d'Androméda et il m'était primordial de cacher mon identité ; de dissimuler ma véritable forme.
— Que voulez-vous dire par là ? demanda Iryanä, soudainement intéressée par la conversation.
— Avec l'Ombre qui se propage sur Ustral, mon peuple s'éteint peu à peu. L'air des territoires septentrionaux devient nocif, perd de sa pureté... cet air est le seul qui nous permet de survivre. C'est pour cela que ma mission sur Zajox n'était que de courte durée. Ce royaume est l'un des derniers endroits qui permet de me maintenir en vie.
— Vous êtes une fée, en conclut Kalyö, admiratif.
L'errakoise hocha la tête, puis, devant les regards braqués sur elle, ferma les paupières. Une lumière aveuglante émana de son corps. Ses pieds décollèrent du sol avec grâce et Oryâle se mit à rapetisser encore, et encore. Lorsque la transformation fut achevée, les six quêteurs avaient face à eux une petite créature à la peau turquoise, aux fines ailes translucides et aux yeux globuleux d'un rose pastel. Devant la stupéfaction de ses hôtes, son visage s'étira en un sourire moqueur, dévoilant par la même occasion de minuscules dents éclatantes.
— Je suppose que c'est la première fois que vous voyez une fée, devina-t-elle d'une voix guillerette et beaucoup plus aigüe.
— J'en ai croisé plusieurs dans ma vie, mais je n'avais jamais assisté à une métamorphose, souffla Matharach. Pouvez-vous prendre n'importe quelle apparence ?
— Seulement celle d'une ou deux personnes, mais la ressemblance n'est jamais parfaite. Ma forme humaine correspond aux souvenirs que j'ai de celle de ma grand-mère.
Oryâle reporta son attention sur les survivants de Xomythe.
— Avez-vous des nouvelles de votre compagnon de voyage ?
— Non, lui répondit Noà d'une voix faible, en comprenant qu'elle voulait parler de Thaelôs. Azikru s'est fait éradiquer il y a quelques tours, comme vous l'aviez présagé... Nous ne savons même pas s'il est arrivé à temps pour... pour retrouver sa famille et s'enfuir avec des habitants.
— Je suis navrée de l'apprendre. Le principal est que vous ayez pu rejoindre Drakkä et avertir ses dirigeants. Je suppose que si vous êtes ici, c'est pour faire de même avec Androméda ?
— En quelque sorte, intervint Kalyö. En plus de lui faire passer le message, nous avons besoin de son aide et de celle de votre Triménium.
— Roskaï nous a bel et bien prévenus de votre arrivée, déclara la fée. Androméda doit vous attendre, à l'heure qu'il est.
Comme si elles étaient contrôlées par le son de sa voix, les portes du château s'ouvrirent dès l'instant où Oryâle termina sa phrase. Elle invita ses hôtes à l'accompagner et s'engouffra à l'intérieur en virevoltant.
Sans dire un mot, les drakkiens suivirent la fée et empruntèrent d'innombrables couloirs dédaléens. Accrochés sur ses murs de marbre blanc, des braseros argentés faisaient danser leur flamme, dont les ombres se mouvaient avec fougue tels des esprits facétieux.
Un sentiment d'angoisse prit possession de Noà tandis qu'il s'enfonçait à l'intérieur du lieu. Ce vide, si étouffant, agitait le pouvoir d'Aelèk qui sommeillait en lui. S'il commençait à être habitué par le manque d'artifice ou de décoration dans le royaume, un autre détail s'insinua en lui après qu'il eût bifurqué dans un énième couloir.
— Il n'y a personne ? demanda-t-il à Oryâle.
— Les employés de ménage ont terminé leur service depuis une bonne heure, répondit la fée naturellement.
— Non, je veux parler des soldats, ceux qui gardent l'entrée du château où l'accès aux zones restreintes.
L'errakoise le dévisagea, l'air outré.
— À quoi cela servirait-il ?
— À protéger le lieu, votre reine... à s'assurer que personne ne saccage ce qui se trouve dans le château ?
— Nous ne nous faisons aucun souci pour cela. La confiance et la loyauté dictent la vie des errakois. L'éducation fournie pour chaque elfe, centaure, fée ou élémentaire du royaume prône des valeurs fondamentales, comme que le respect ou l'intégrité. Si quelqu'un cherche à blesser la reine, qu'il essaie. Son acte sera puni par le Jugement de ses ascendants.
— Le... le Jugement ?
— Les esprits purs croient en la réincarnation, expliqua Oryâle d'un hochement de tête. Nous autres, les fées, aspirons à rejoindre les grands éléments que compose la nature ; ceux qui permettent d'établir un équilibre parfait dans le monde. Les plus anciens arbres d'Ustral renferment l'âme d'un membre de notre espèce. Les cours d'eau restent potables car des fées les purifient tout au long de leur mort, de même que les terres agricoles demeurent fertiles, que le vent ne propage aucune maladie, que les fleurs produisent un pollen exquis.
— Quel rapport avec les mauvaises actions ? demanda Töm. Vous vous réincarneriez en glougne ?
Le xomythois perdit aussitôt son sourire quand Oryâle lui lança un regard accusateur.
— Une assemblée divine accueille l'esprit dans ce qu'on appelle l'Empyrée. De là, sa vie est passée au crible. Si les Inquisiteurs émettent un jugement positif, la réincarnation du sujet est immédiate. Si elle ne l'est pas, son âme patiente pendant un certain nombre d'années, le temps d'expier toutes fautes commises lors de sa première vie.
— Dans tous les cas, les esprits finissent toujours par se réincarner ?
— Bien entendu. Ce serait du gâchis de détruire l'essence d'un défunt sans en tirer un certain profit. Mais croyez-moi, attendre un millénaire dans un vide insondable, tout en restant conscient, peut vous encourager à ne pas commettre le moindre régicide...
— C'est admirable de n'éprouver aucune crainte envers ses habitants, ajouta Kalyö, l'air rêveur.
— Nous ne voyons rien d'admirable dans le fait de prendre soin du royaume dans lequel nous résidons, mon garçon. Si quelqu'un en a après Androméda, sa façon de diriger, il viendra lui dire en personne au lieu de comploter derrière son dos. Mais au vu des récents évènements qui touchent Drakkä, je peux comprendre votre fascination.
— Vous... vous êtes au courant ?
Le regard tourné vers Iryanä, Oryâle hésita quelques secondes avant de répondre :
— J'ai énormément voyagé, ces dernières lunes. Des rumeurs parcourent les contrées du Nord, annoncent un âge nouveau, ainsi que d'étranges disparitions affectant votre royaume. Je ne me permettrais pas d'affirmer quoi que ce soit sans en avoir la certitude, mais on raconte que l'héritière de Drakkä, Garyä Luxiòr, l'une des dernières Lumières du continent, en fait partie. La plupart des drakkiens que j'ai croisés ont réfuté ces allégations et m'ont certifiée qu'elle est tombée malade, mais c'est assez difficile à croire...
Elle ancra ses iris incarnadins dans la princesse de Glace.
— Tu es Iryanä Luxiòr, n'est-ce pas ? La sœur de Garyä...
L'héritière hocha la tête, la mâchoire serrée.
— Elle n'a jamais été retrouvée, avoua-t-elle d'une voix sèche. Presque personne n'est au courant.
Une aura gelée émanait de son corps et faisait chuter la température du couloir. Les quêteurs se contentèrent d'avancer en silence tandis qu'Oryâle les guidait vers un dernier croisement.
— Nous y voilà, annonça-t-elle avant de s'arrêter devant une porte en acier trempé. J'espère de tout cœur que la reine sera en mesure de vous aider... et que vous trouverez les réponses à vos questions.
Elle posa sa minuscule main sur l'épaule d'Iryanä, puis lui adressa un sourire rempli d'espoir.
— Tu la retrouveras. N'abandonne surtout pas.
— Merci, lui répondit-elle.
La fée s'écarta du chemin et laissa Matharach prendre les devants. Après un dernier coup d'œil vers ses acolytes, le commandant drakkien donna un coup contre la porte métallique. Une voix lui parvint de l'autre côté, et il entra.
Lorsqu'il pénétra dans le bureau d'Androméda, Noà posa aussitôt les yeux sur le morceau de parchemin que son pied venait d'écraser. Troublé, il reporta son attention sur la pièce et se rendit compte que des dizaines de monticules jonchaient le sol, lui-même composé d'ardoise et de granit. Une odeur ancienne régnait sur le lieu ; une odeur qui fit remonter de nombreux souvenirs dans l'esprit du xomythois : celle des livres usagés.
Jusque-là occupée à rédiger une lettre sur son écritoire en bois, la reine d'Errakys s'interrompit et releva la tête quand elle discerna ses invités.
— Vous voici enfin, leur dit-elle d'une voix rêche.
Ses orbes argentés, aussi clairs que l'argile, alternaient entre chaque quêteur à mesure qu'elle se rapprochait d'eux. Bien qu'elle semblât soulagée de les voir, une certaine contrariété dansait derrière son regard puissant. Malgré cela, si Noà l'avait croisée dans le royaume sans connaître son identité, il n'aurait jamais imaginé qu'elle pouvait être la dirigeante d'un des Six Grands.
Son apparence, aussi ordinaire que celle des citoyens errakois, renvoyait d'elle une image honorable. Car Androméda n'avait besoin d'aucune parure somptueuse pour affirmer son rang. Ses longs cheveux noir de jais étaient attachés en une simple tresse épi. Aucun textile onéreux ne composait sa tunique à lacets, faite de coton et de camelin. L'unique insigne royal résidait dans la tiare posée sur son crâne, dont les arabesques de cristal s'entrelaçaient les unes aux autres, jusqu'à se perdre derrière ses oreilles pointues.
— Bienvenue sur Errakys. Roskaï et moi vous attendions depuis ce matin. J'imagine que votre retard est rémissible ?
D'abord intimidé par la franchise de la reine, Matharach, en porte-parole du groupe, baissa la tête en signe de révérence.
— Votre Majesté. Nous avons, en effet, rencontré quelques problèmes sur notre route, bien qu'ils n'aient en rien entravé la suite de notre périple.
Androméda arqua un sourcil. Elle laissa néanmoins le guerrier expliquer la raison de sa venue.
— Nous avons besoin de votre aide, indiqua-t-il. Votre aide et celle de votre Triménium. Je ne sais pas s'il vous a raconté tout ce qu'il y a à savoir, mais j'ai bien peur que cela soit on-ne-peut-plus important. Pour votre royaume, pour le nôtre... pour Ustral dans son entièreté.
— Roskaï m'a prévenu de votre arrivée, bien qu'il n'ait souhaité m'en dire trop, rétorqua l'elfe, insensible aux propos du drakkien. Quant à la situation qui touche le continent, des échos me sont parvenus. J'attendais de vous rencontrer pour obtenir plus de détails ; savoir si ces rumeurs colportées au sein d'Errakys sont exactes.
La reine retourna à son pupitre. Elle regroupa des parchemins étalés sur sa surface en plusieurs tas.
— Errakys et Drakkä sont en paix depuis des siècles, reprit-elle. Si un ennemi, quel qu'il soit, cherche à compromettre cette alliance et ravager les terres ustraloises que nous partageons, il n'y a aucune raison de débattre.
Elle plongea ses iris anthracite dans ceux de Matharach, le regard illuminée par une avidité débordante.
— Dites-moi tout ce que je dois savoir... et comment je peux vous apporter l'aide dont vous avez besoin.
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Audiomachine ~ New Beginning ♫
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