Chapitre 18 [1/2] ~ Le Lac des Elfes

     L'impact de la Foudre s'abattant sur le corps du monstre arracha les quêteurs de leur sommeil. Campée sur ses pieds en une fraction de seconde, Iryanä, désemparée, dévisagea avec effroi le cadavre fumant du félin. Son attention se porta sur Noà, puis à nouveau sur la créature.

— Elle... elle allait te piquer, parvint-il à bredouiller, encore sous l'effet de l'adrénaline.

     Après s'être assuré que l'électrochoc avait eu raison de l'animal, Matharach l'examina dans les moindres détails. Noà remarqua alors ses deux ailes squelettiques repliées dans son dos. L'épée dégainée, le chef d'escadron finit par lever les yeux au ciel, l'air agité.

— Ce n'est pas fini, indiqua-t-il à ses congénères. Préparez-vous.

— C'était un worgèns, n'est-ce pas ? lui demanda Kalyö en saisissant son arc nacré.

     Matharach hocha la tête, sous les regards déconcertés des xomythois.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? l'interrogea Töm.

— Ça veut dire qu'une meute nous a pris en chasse depuis plusieurs heures et qu'elle s'est décidée à nous attaquer, pesta Iryanä.

— Les worgèns n'attaquent jamais seuls, expliqua Kalyö, à l'affût. Leur méthode de chasse implique que le plus faible du groupe teste la réactivité et la puissance de ses proies pendant que le reste de la meute regarde, afin d'agir en conséquence.

— De com... combien d'individus se compose une meute ? balbutia Aria.

     Noà inspecta l'horizon, à la recherche d'un bruit ou d'un mouvement suspect. La plaine aride sur laquelle il se trouvait n'offrait aucune échappatoire, aucune manière de tromper l'ennemi. Seul le silence demeurait, entrecoupé par de légères rafales de vent.

— Combien ? répéta Aria d'une voix plus forte.

— Ça dépend, répondit Matharach. Trois. Dix. Parfois vingt-cinq... nous n'allons pas tarder à le découvrir.

     À cet instant, Töm montra du doigt un point noir dans le ciel, qui grossissait à mesure qu'il se rapprochait. Lorsqu'il fut assez près, il se démultiplia et laissa une horde de worgèns prendre les élémentaires par surprise.

— En cercle ! hurla Matharach, alors que les monstres aériens les cernaient.

     Noà tressaillit. Ses yeux glissèrent sur ce qu'ils serraient dans leurs griffes. Armés de poignards ou de petites arbalètes, des corps pourris maintenus sur quelques amas de chair se balançaient dans tous les sens et le fixaient avec un regard sanguinaire. Inhumain. De douloureux souvenirs s'insinuèrent en lui. Il relâcha son pouvoir divin sur le nortox le plus proche, qui explosa dans un craquement sourd. Aria, Matharach, Kalyö, Töm et Iryanä l'imitèrent et attaquèrent les créatures à leur portée.

     Dès lors, Noà sentit la plaine disparaître de son champ de vision. Son cerveau se câbla sur les ennemis qui venaient de rejoindre la terre ferme et qui se précipitaient vers eux, l'arme brandie. Bien qu'il ne pût les voir, il entendait ses amis combattre, crier, lutter pour leur vie. Des rais de lumière embrasaient les environs, le plus souvent accompagnés d'un râle de douleur, puis d'un bruit sourd – signe qu'un worgèns ou un nortox s'effondrait.

— En l'air ! cria une voix dans son dos.

     Noà leva la tête au moment où une masse noire plongea sur lui. Il la bloqua par réflexe avec son rar'kh, mais le worgèns réussit tout de même à planter ses crocs dans son bras avant de se faire transpercer par la lame. Entraîné dans sa chute, Noà tomba à la renverse, piégé par le cadavre encore convulsif et sanguinolent du félin.

     La douleur mit un certain temps à lui parvenir. Affalé au sol, Noà tenta de se dégager, mais le poids de la créature l'empêchait d'esquisser le moindre geste. Il se contenta de balancer des gerbes d'électricité à distance, en partie protégé par le corps de l'animal. Son pouvoir atteignit le crâne d'un nortox quand celui-ci voulut planter son poignard dans le flanc d'Aria. Une autre salve démembra un guerrier-squelettique qui essayait d'attaquer Kalyö par-derrière.

     Un jet de flamme illumina alors la plaine, à quelques mètres sur sa gauche. Croyant d'abord à l'œuvre de Töm, Noà finit par apercevoir Kréah, dans les airs, carboniser en un souffle une dizaine de worgèns et de nortox. Dylix la rejoignit et, en quelques secondes, les dragons mirent un terme aux espoirs de leurs ennemis, qui n'eurent aucune occasion de s'échapper.

     Matharach, Kalyö et Iryanä s'occupèrent des dernières créatures, puis se laissèrent choir, éreintés. Aria aida Noà à se libérer du cadavre du worgèns tandis que Töm, qui peinait à reprendre sa respiration, semblait à la limite de la pâmoison.

— Tout le monde va bien ? demanda Matharach après s'être assuré que ses dragons n'avaient rien.

— Il me faut un bandage ! s'exclama Aria en compressant la blessure de son ami. Ça va ?

     Noà grimaça. Son avant-bras lui paraissait en feu.

— On a eu de la chance de s'en être tous sortis, souffla-t-il. Ces nortox... comment ils ont pu savoir qu'on était ici ?

— Ils nous ont suivis à la trace, répondit Kalyö avant de sortir de son sac un bout de tissu uniforme, qu'il enroula autour du bras du xomythois.

— Mais... comment ?

     Les iris du soldat s'assombrirent. Un frisson parcourut Noà de part en part quand il comprit :

— Nous sommes traqués...

— Orbis avait raison, confirma Kalyö. Le Triménium au service d'Arkalax a dû le renseigner sur notre départ de Drakkä, peut-être même sur notre destination...

— Ça veut dire qu'il sait où se trouve l'Oracle du Temps ?

— Non, intervint Matharach. Si elle savait déjà, l'Ombre ne se prendrait pas la peine de nous poursuivre de la sorte. Elle agit indirectement, nous utilise...

— Si elle se rend compte que nous nous dirigeons sur Errakys, toutes ses armées se déploieront contre le royaume, indiqua Iryanä. Nous ne pouvons pas condamner un peuple innocent de la sorte.

— Mais on ne pourra jamais quitter le repaire de Kraskènyd sans l'aide de la reine et du Triménium, fit remarquer Aria. Orbis l'a dit lui-même. On n'a pas le choix.

— J'ai une idée, annonça Matharach en repliant son couchage souillé par du sang de worgèns. Ces créatures nous ont sûrement retrouvés à cause de Dylix et Kréah. Deux dragons qui survolent les territoires nordiques d'Ustral... difficile de passer inaperçus.

     Il plongea ses yeux cristallins dans ceux de ses enfants, puis acquiesça, comme s'il confirmait ses propres pensées :

— Kréah va retourner sur Drakkä et Dylix restera autour des chaînes de montagnes, au cas où nous aurions besoin de lui. Nous ne devrions plus tarder à les atteindre, de toute façon.

— Tu veux qu'ils fassent diversion, comprit Kalyö. Ça peut fonctionner. Combien de temps nous reste-t-il pour rejoindre Errakys à pieds ?

— Une demi-journée, au minimum. La quête prendra du retard, mais si ça peut empêcher le royaume d'entrer en guerre, je suppose que ça vaut le coup.

     Matharach se tourna vers ses cadets.

— Tout le monde est d'accord ?

     D'un geste commun, les quêteurs hochèrent la tête et entreprirent de ranger leurs affaires. Grimaçant sous la douleur de sa blessure, Noà se fit aider par Töm, qui lui adressa au passage un sourire moqueur.

— T'es vraiment pas doué.

— On serait tous morts si je ne m'étais pas réveillé à temps, répliqua-t-il en lui donnant un coup de poing sur l'épaule. De rien.

— La morsure du worgèns est plus douloureuse qu'autre chose, ajouta Kalyö. Tu as eu de la chance de ne pas t'être fait piquer, les conséquences n'auraient pas été les mêmes...

     Une fois prêts à reprendre la route, les ustralois laissèrent Matharach dire au revoir à Kréah et lui déposer dans la patte un mot soigneusement rédigé.

— Apporte-ça à Stelleüm, lui dit-il d'une voix douce. Fais attention à toi.

     Dans un rugissement amical, la dragonne prit son envol et, en quelques secondes, sa silhouette disparut derrière les nuages auréolés des premières lueurs de l'aube.

— On se revoit bientôt, promit son père dans un murmure.

     Il jeta son sac sur son dos, puis déclara :

— Allez les mômes, en route.


     Les six quêteurs poursuivirent le reste de leur traversée à pied. Peu après le départ de Kréah pour Drakkä, Dylix les quitta à son tour, sous l'œil attentif et soucieux de Matharach.

     Après plusieurs heures de marche, la plaine aride finit par disparaître et laisser place à un paysage escarpé. L'herbe sèche se changea en un sol compact, jonché de gravats et de terre humide. Des montagnes titanesques aux crêtes hérissées, sur lesquelles reposaient d'éclatantes neiges éternelles, luisirent à l'horizon. Bien que leur sommet fût imperceptible en raison du brouillard mystique qui les couvrait, Noà demeurait fasciné par ce spectacle de la nature.

     Lorsqu'il vivait encore sur Xomythe, ses voyages avec son père, sa mère et Isach se résumaient à des sorties dans les villages voisins ou des nuits à la belle étoile dans les forêts denses du nord-ouest. Noà n'avait connu la neige qu'en de rares occasions. Jamais il n'avait pu visiter l'un des Six Grands ; jamais ses yeux ne s'étaient posés sur une chaîne de montagnes aussi impressionnante. Si les circonstances n'avaient pas été tant dramatiques, l'élémentaire se serait senti revigoré, extasié par les décors somptueux qu'offrait Ustral. Au lieu de quoi, un poids comprimait sa poitrine à mesure qu'il se rapprochait du lieu. Une force occulte agitait son être, éveillait le pouvoir d'Aelèk qui sommeillait en lui.

­— Ce sont les Montagnes de Warmaugh, n'est-ce pas ? demanda-t-il aux drakkiens.

— Exact, affirma Matharach d'une voix tendue. Point final de notre mission, repaire de l'Oracle du Temps...

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Mark Petrie ~ Aurora 

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