- Précédemment- 

     Le vote s'éternisa, au cours duquel Kalyö prit rapidement l'avantage. Son nom fut prononcé trois fois d'affilées, puis vint celui de Maxwell, et à nouveau celui d'Iryanä.

     Lorsque, pour la cinquième et dernière fois, le prénom de Kalyö sortit de l'urne, assurant sa participation, les membres du Conseil le congratulèrent par une salve d'applaudissements. Un large sourire au coin des lèvres, le drakkien se tourna vers les rescapés de Xomythe, comme pour les remercier personnellement.

     Bien que soulagé de l'avoir à ses côtés, Noà ne parvint à atténuer le poids qui comprimait sa poitrine. Selon ses calculs, Iryanä et Maxwell étaient à égalité, et il ne restait qu'un seul bulletin. Il n'avait aucune idée de ce qui allait se passer si les deux drakkiens finissaient avec le même nombre de voix. À son plus grand désarroi, il n'eut pas besoin de s'en inquiéter longtemps.

     Orbis lut le dernier vote, qui brisa définitivement les espoirs de la princesse :

— Maxwell Nérys.

     Contrairement à Kalyö, le soldat de Feu ne reçut qu'un silence écrasant de la part du Conseil. Les regards se posèrent sur Iryanä, dont les yeux s'étaient assombris. Même Stelleüm, qui ne cherchait pas à dissimuler sa réjouissance de l'issue du vote, paraissait sur ses gardes, prêt à subir le courroux de sa fille.

     Après l'avoir laissée digérer la situation, Orbis se leva avec lenteur et tendit les bras vers les deux élus.

— Que les dieux vous accordent désormais...

— C'est n'importe quoi !

     Furibonde, Iryanä se leva. Elle se prépara à sortir de la salle, mais fut aussitôt interrompue dans son élan par le Triménium :

— Cette attitude ne sera en aucun cas tolérée, princesse, lui souffla-t-il d'un ton à la fois calme et lourd de reproches. Cinq autres membres n'ont pas été élus, ce n'est pas pour cela qu'ils laissent éclater leur déception. Le Vote Royal n'est pas terminé, asseyez-vous.

     Surprise des propos de l'oracle, l'héritière réfléchit un instant, puis retourna sur sa chaise, le visage cramoisi. Un nuage de poudreuse s'échappa de son corps et fit chuter la température du Consulat.

— Bien, reprit Orbis. Je tiens à féliciter Kalyö Sandust et Maxwell Nérys. Vous pouvez désormais choisir le second qui vous remplacera en cas d'acci...

— Je choisis Iryanä, déclara le guerrier de Feu, sans se rendre compte qu'il venait de lui couper la parole. Veuillez me pardonner, mon roi, mais si quelque chose venait à m'arriver avant le lancement de la quête, je souhaiterais accorder à votre fille sa chance, si elle accepte...

— Peu importe, cracha la princesse sans lui accorder un regard.

— Kalyö ? demanda ensuite Stelleüm.

— J'aimerais que Cûrtiss soit mon second, annonça le commandant. En l'absence de Matharach, il est le drakkien le plus qualifié et ce serait un honneur de le voir me remplacer.

— Merci, petit, claironna le guerrier d'une tape sur son épaule.

— Ceci est donc fait, conclut le roi. Le départ a été fixé au vingt-troisième tour de Tellüs, soit dans cinq levers de Zunqèl.

     Il s'adressa ensuite à Kalyö :

— Tu annonceras dès demain ton départ à ton escadron et demanderas à Sélianh de te remplacer pour une durée indéterminée. Quant à toi, Maxwell, nous attendons toujours le retour de Matharach de sa mission sur Azikru. S'il ne rentre pas avant le lancement de la quête, ton adjoint prendra ta place.

     Les deux soldats hochèrent la tête.

— Je laisse désormais les cinq élus entre les mains d'Orbis, afin que vous puissiez réciter votre serment et apprendre la localisation de l'Oracle du Temps. À tous les autres, merci pour votre dévouement envers Drakkä. Le Vote Royal est terminé, vous pouvez disposer.

     Orbis emmena Noà, Töm, Aria, Kalyö et Maxwell dans sa demeure, située proche des jardins, dans l'aile ouest du château. Après avoir traversés plusieurs dédales de couloirs à une lenteur sidérante, les élus entrèrent dans ce qui s'apparentait à un cagibi poussiéreux. Aux quatre coins de la pièce, des cartons, livres, plantes et autre babioles en tous genres étaient amoncelés dans un désordre étrangement agréable à contempler.

     L'oracle débarrassa de vieilles chaises des manuscrits posés sur leur surface, puis invita les quêteurs à s'asseoir.

— Pardonnez l'état de cette pièce, s'excusa-t-il avant d'observer le sol avec intérêt. Cet endroit me semblait le plus discret pour vous parler. C'est ici que je passe la majeure partie de mon temps.

— En lisant des livres ? demanda Töm d'une voix sarcastique.

     Il se pencha vers Noà et murmura :

— Il est pas trop vieux pour ça ? Qu'est-ce qu'on peut apprendre de plus quand on a trois mille balais ?

— Vieux, mais toujours doté d'une ouïe remarquable, mon garçon, répliqua le Triménium, toujours à la recherche de quelque chose par terre. Par ailleurs, le savoir est une source inépuisable qui nous est attribuée et qui demande à être nourrie au quotidien. Peut-être devriez-vous commencer à enrichir la vôtre ? Cela ne pourrait vous faire aucun mal.

     Se retenant de lui rire au nez, Noà détourna la tête quand il vit son ami baisser la sienne, honteux. Après quoi, Orbis poussa un cri de victoire avant de ramasser un énorme livre aux pages jaunies.

— Le voici !

     Il le déposa sur une table en bois usagée, qui souleva par la même occasion un épais nuage de poussière. Noà se pencha de manière à pouvoir déchiffrer l'inscription sur sa couverture.

— « Lieux touristiques de l'Est, sites historiques et Royaumes Majeurs », lut-il à voix haute.

— On part en vacances ?

— Par Zoraïn, tu peux rester sérieux au moins une minute ? s'exclama Aria en morigénant son frère.

— Il est temps pour moi de vous indiquer la localisation de l'Oracle du Temps, annonça Orbis sans prêter attention à Töm. Mais avant cela, il m'est primordial de vous expliquer qu'au fil de l'histoire, des milliers d'ustralois ont essayé de le dénicher afin de connaître leur avenir. Certains étaient prêts à combattre, tuer, voire même à risquer leur vie pour le rencontrer. Voyant qu'il demeurait introuvable, ces explorateurs ont fini par reporter leur attention sur mes frères et moi-même, les autres membres de l'assemblée. C'est pourquoi nous vivons aujourd'hui dans un royaume protégé, pour que personne ne vienne nous menacer afin qu'on leur révèle cet endroit.

     Orbis reprit le livre dans ses mains. Il l'ouvrit à une page et le posa contre son ventre.

— Si je vous raconte ceci, c'est parce que personne – et j'insiste sur ce mot – ne doit connaître votre destination. Si, par malheur, vous venez à être capturés durant cette quête, vous ne devrez jamais révéler ce que vous cherchez... qui vous cherchez. C'est bien clair ?

     Tous hochèrent la tête.

— Qu'est-ce qui se passerait si le continent venait à prendre connaissance de cet endroit ? demanda Maxwell. Qu'adviendrait-il de Kraskènyd s'il se faisait tuer ?

— Non seulement nous, les autres Triméniums, perdrions l'intégralité de nos pouvoirs, mais la balance entre le bien et le mal se fragiliserait considérablement. Kraskènyd est l'archétype de l'Avenir. Un monde privé d'avenir se verrait sombrer dans le néant. Ustral serait aussitôt bouleversé et bloqué dans une spirale d'incertitude, où la nature primitive de ses habitants prendrait le dessus sur leur raison. Une grande majorité d'entre eux chercherait à survivre, peu importe les valeurs sur lesquelles leur vie était fondée. Vous pouvez ainsi imaginer ceux qui basculeraient du côté d'Arkalax. Les ténèbres gagneraient en effectif et en puissance, sans que personne ne puisse inverser le cours des choses. C'est pour cela qu'un serment se doit d'être récité. Si Kraskènyd meurt, Ustral est perdu. Et, aussi horrible qu'il me coûte de vous l'avouer, si vous devez choisir entre votre vie ou la sienne, j'ose espérer que vous prendrez la bonne décision.

— Nous devrons les laisser nous tuer, comprit Aria.

— Et s'ils nous torturent jusqu'à ce qu'on parle... ? demanda Töm avant de déglutir.

— Dans ce cas, le sacrifice sera nécessaire, répondit Kalyö. Si l'enjeu est aussi grand, seule l'imploradiation nous permettra d'éviter de leur donner ce qu'ils veulent.

— Mais... on sait même pas comment faire !

— Personne ne le sait, le rassura l'oracle. Aucun élémentaire n'a déjà survécu à une imploradiation. Il est donc impossible de savoir comment procéder. Certains racontent que le pouvoir divin implose en temps voulu, lorsque la conscience lui ordonne de se déverser, mais ce n'est pas quelque chose dont vous devez vous préoccuper maintenant.

     Orbis retourna finalement le livre et Noà découvrit qu'il s'agissait d'une carte. L'est d'Ustral était représenté ; ses villages, ses lacs, son relief. Son attention se porta sur le doigt d'Orbis, posé sur une gigantesque chaîne de montagnes.

— Depuis la séparation des Triméniums dans leur royaume respectif, Kraskènyd vit reclus à cet endroit.

— « Montagnes de Warmaugh », prononça Maxwell en lisant l'inscription de la page.

— C'est loin ! s'exclama Töm. Si Drakkä est ici...

     Il chercha le royaume et, lorsqu'il l'eut localisé, fit le calcul dans sa tête.

— Ça nous prendra un temps fou pour y accéder !

— Warmaugh représente l'un des massifs montagneux les plus dangereux d'Ustral, déclara le vieil homme. Notre seigneur ne l'a pas choisi pour rien. Son but premier était de s'isoler au maximum du reste du continent. La route sera longue, périlleuse... cette destination représentera l'apogée de votre quête ; flancs glissants et instables, avalanches fréquentes, températures extrêmes... le roi, la reine et moi-même avons réfléchi à un moyen de réduire le temps de trajet, mais rien n'est encore décidé. De plus, une certaine magie habite les lieux ; des sortilèges créés par Kraskènyd afin d'empêcher qui que ce soit de sortir de son repaire.

— Co... comment ? balbutia Kalyö.

— Vous voulez dire que si, par chance, nous réussissons à trouver sa demeure, nous ne pourrons pas en ressortir ? demanda Aria.

— En effet, répondit Orbis le plus naturellement possible. C'est pour cela qu'avant de rejoindre les montagnes, vous devrez faire halte chez l'un de mes semblables, le Triménium résidant au royaume des Elfes. Voyez...

     Il leur indiqua sur la carte un château entouré d'un gigantesque lac.

— D'une part, Errakys est situé juste derrière Warmaugh, ce qui vous permettrait de prendre une pause bien méritée avant de vous lancer à l'assaut du massif. Par ailleurs, mon frère, Roskaï, et la reine Androméda, pourront vous apporter leur aide. Experts en arts de la magie, ils vous fabriqueront une arme capable de vous faire quitter le repaire de Kraskènyd en sécurité. Indiquez votre situation, comme vous avez pu le faire en arrivant sur Drakkä. Ils ne pourront pas refuser.

— Une minute, intervint Noà quand une horrible pensée lui traversa l'esprit. Vous nous avez fait comprendre ce matin qu'un membre des Triméniums est certainement rangé au service de l'Ombre. S'il s'agit de lui, de votre frère vivant sur Errakys... vous ne pensez pas que c'est inutilement risqué ? Il pourrait prétendre nous accorder son aide et nous jeter droit dans la gueule du dragon.

— Dorénavant, chaque pas que vous ferez, chaque décision que vous prendrez sera risquée, mon garçon. Roskaï est, à ma connaissance, l'unique ustralois capable de créer l'artefact qui vous permettra de sortir des montagnes. C'est le seul moyen, je suis navré.

— Il ne reste plus qu'à prier les dieux pour qu'il ne s'agisse pas de lui, alors... en conclut Aria.

— Et ensuite ? questionna Maxwell. Une fois l'Oracle du Temps trouvé, la prophétie dévoilée, une fois rentrés sur Drakkä, que se passera-t-il ?

     Orbis mit un certain temps avant de répondre, comme s'il cherchait les bons mots à prononcer. Noà comprit alors, en l'observant, que rien de ce qu'il s'apprêtait à annoncer n'allait être agréable à entendre.

— Tout sera décidé en fonction de ce qu'indiquent les vers du message, finit-il par rétorquer. Ils nous accorderont peut-être l'espoir dont Ustral finira par manquer ou, au contraire, nous feront comprendre que le continent est d'ores et déjà submergé par les ténèbres. Dans tous les cas, nous devons nous préparer au pire. Nous sommes en train d'assister au commencement d'une nouvelle ère... une ère encore plus sombre, encore plus meurtrière que celle ayant confronté Arkalax aux Lumières.

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Steve Jablonsky ~ Our Final Hope ♫

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