Chapitre 14 [1/3] ~ L'élection des Quêteurs

     Malgré ce qui avait été convenu, le dôme d'entraînement fut le dernier édifice que Noà, Töm et Aria visitèrent de la journée. Servant de « clou du spectacle », comme l'avait qualifié Kalyö, il donna aux rescapés de Xomythe l'impression d'avoir été construit à une époque bien plus avancée que la leur.

     Posté devant une haute barrière en métal frappée du symbole de l'Exhadràlûm, Noà en eut le souffle coupé. En comparaison avec ce qu'il avait face à lui, l'amphithéâtre dans lequel jouaient les musiciens et les magiciens du royaume, ou la caserne, qui accueillait à elle seule les dix milles soldats de Drakkä, paraissaient dérisoires. Bien que le bâtiment en lui-même ne fût pas aussi imposant que le château, son architecture demeurait, elle, d'autant plus stupéfiante.

     Il s'agissait d'une immense arène ovale, dont les murs, bâtis dans un étrange verre bleu nuit, reflétaient les rayons de Zunqèl et les renvoyaient dans toutes les directions. Couvrant la moitié de sa superficie, une toiture faite du même matériau plongeait une partie du dôme dans l'ombre, provoquant ainsi un fabuleux contraste avec son côté opposé qui, lui, baignait dans la lumière.

— On dirait une étoile, balbutia Aria, aussi troublée que ses acolytes. Une étoile brisée, qui s'est écrasée, mais qui brille encore...

— Je pense que c'était l'effet escompté par les architectes, afin de rendre hommage à Lyréah, expliqua Kalyö. Étant donné que l'arène accueille les tournois élémentaires organisés par le roi et la reine, ça me paraît logique.

     Perdu dans sa contemplation, Noà finit par apercevoir des petits points lumineux frapper les murs du dôme et s'éteindre tout aussi vite. Intrigué, il se tourna vers Kalyö, qui s'empressa de lui répondre :

— Vous vous souvenez des ponts, à l'entrée du royaume ? Eh bien, cette arène est faite avec le même verre utilisé pour les construire. Fort heureusement, aucune imploradiation n'a été nécessaire ici. Ces illuminations qui apparaissent et disparaissent proviennent d'un élément qui entre en contact avec sa surface. Cela indique juste que des soldats s'entraînent à l'intérieur.

— Est-ce qu'on peut aller les voir ? demanda Töm, aussi excité que Noà à l'idée d'entrer dans le bâtiment.

— Si ça ne tenait qu'à moi, je vous laisserais y aller sans souci. Malheureusement, je dois reprendre mon service dans quelques minutes et il m'est interdit de vous laisser vagabonder dans le royaume. Je vais vous ramener au château et je verrai si un de mes soldats est disponible pour vous accompagner. Si c'est le cas, je lui demanderai de vous amener directement ici.

     Comprenant qu'il s'agissait d'un ordre de la reine et qu'ils ne pourraient pas négocier, les xomythois acquiescèrent et suivirent Kalyö sans rechigner. Sur la route du retour, le commandant en profita pour leur montrer d'autres bâtiments, tels que la forge ou les écuries, mais ne prit jamais la peine de s'y attarder.

     En dépit de la situation dans laquelle Drakkä se trouvait, Noà était abasourdi par la quiétude qui émanait des habitants. Même s'il avait conscience que personne ne devait savoir qu'une ombre se répandait sur Ustral, l'élémentaire s'était attendu à recevoir des regards inquisiteurs, mais il n'en fut rien. Quatre drakkiens, dont l'héritière du royaume, avaient disparu sans laisser de trace, et personne ne semblait intrigué d'apercevoir de nouveaux arrivants.

     Une justification traversa alors son esprit. Au risque de se faire rejeter, Noà ne put se résoudre à poser sa question à Kalyö :

— Les habitants ne sont au courant de rien, concernant les disparitions, n'est-ce pas ?

— Pourquoi me demandes-tu cela ?

— Je... j'ai l'impression que personne ne se doute de quoi que ce soit. Hormis les membres du Conseil, ce matin, pendant la réunion, j'ai le sentiment que personne ne fait attention à nous, que tout le monde nous accepte alors qu'on est de parfaits inconnus...

— Tu aurais préféré te faire dévisager, que les drakkiens chuchotent à voix basse en vous voyant vous pavaner dans les rues du royaume ?

— Pas du tout, c'est juste que...

— Non, personne n'est au courant, répondit-il finalement. Hormis les familles des disparus, les membres du Conseil Royal et les gardes situés aux frontières dans les tours de guet, pas un seul habitant ne sait quoi que ce soit. Nous avons ordonné à chacun de garder le silence, histoire d'éviter toute anarchie.

— Mais...

— Est-ce une mauvaise chose ? demanda-t-il à Aria quand il la vit ouvrir la bouche pour intervenir. Préfèreriez-vous vivre dans le chaos, sans être capable de regarder votre voisin dans les yeux par peur qu'il s'agisse du ravisseur ? Sans être capable de vivre votre vie par crainte de disparaître à votre tour sans raison apparente ?

— Bien sûr que non ! s'exclama-t-elle. Mais d'un autre côté, savoir permettrait de prendre les mesures nécessaires pour se défendre. Éviter de sortir le soir ou éviter de sortir seul, tout simplement. Un garde pourrait être assigné à chaque Lumière du royaume afin de les protéger...

— Je vous ai dit tout à l'heure que les Lumières n'étaient pas les seules personnes visées !

— C'est un exemple ! Je trouve ça injuste que le Conseil garde cette information pour lui alors que si les habitants savaient, ça leur permettrait d'éviter de nouvelles disparitions. Vous privilégiez la sérénité d'un royaume au détriment de sa sécurité, c'est égoïste.

     Kalyö se rapprocha d'Aria. Un éclat sombre brillait dans ses yeux smaragdins.

— Un couvre-feu a été instauré depuis la disparition de Garyä, que Stelleüm et Ylærä ont dû faire passer pour morte lorsque les recherches ont cessé. Le nombre de patrouilleurs a été doublé la journée et triplé la nuit. Une fiche de présence est distribuée à chaque nouvelle lune de manière à vérifier que personne d'autre ne disparaisse. Des équipes sont envoyées au-delà de la Forêt des Ambres, sur l'ensemble des routes qui mènent à Drakkä, afin d'empêcher qui que ce soit de franchir nos frontières. Penses-tu sérieusement que nous n'avons pris aucune mesure nécessaire pour empêcher cet enfoiré de récidiver ?

     La xomythoise demeura immobile, incapable de trouver les mots. Quand Kalyö se recula pour poursuivre sa route, elle jeta un œil interrogateur à Noà, qui avait assisté à la scène avec incrédulité.

— Vos mesures sont pas très au point, lâcha Töm malgré lui. Elles nous ont pas empêchés de franchir votre forêt et de nous rapprocher du royaume sans nous faire voir...

     Persuadé que le guerrier allait exploser et l'envoyer au tapis, Noà fut d'autant plus ébahi lorsqu'il observa Kalyö le dévisager d'un air triste, presque déçu.

— Je ne peux qu'être d'accord avec toi. Je n'ai pas mon mot à dire dans ce genre de décisions, et c'est bien ce qui me met hors de moi. Je ne peux rien tenter pour faire bouger les choses, ni même demander à la famille royale de relancer les recherches. Elle rejetterait ma requête sans réfléchir.

— Cette quête tombe au bon moment, alors, ajouta Töm. Et puis... tu parles du ravisseur comme s'il était seul. Vu vos défenses impénétrables et la facilité qu'à cette personne à enlever les Lum... les habitants de Drakkä, qui te dit qu'ils travaillent pas à plusieurs ?

— Nous y avons déjà réfléchi. Ça ne nous avance pas plus que ça. Cela rendrait même les recherches encore plus compliquées.

— Avez-vous déjà fouillé les souterrains du royaume ? proposa Noà. Égouts, tunnels...

— Oui. Avant de commencer à chercher à l'extérieur de Drakkä, ça a été le dernier endroit inspecté. Les habitations, le château, la Forêt des Ambres, le lac qui se trouve de l'autre côté du royaume... tout a été examiné de fond en comble. Sans succès.

     Instinctivement, Noà se mit à scruter les alentours afin de vérifier que personne ne les écoutait. Il avait la désagréable impression de se sentir épié.

— Comment tu fais pour rester serein, regarder les gens en face sans penser que tu t'adresses peut-être à celui ou celle qui a enlevé ces personnes... ? demanda-t-il à voix basse.

— Je me pose toujours ces questions, avoua Kalyö. Mais si tout le monde se mettait à douter des autres, Drakkä sombrerait dans une série d'émeutes et de conflits. Je me dois d'avoir confiance en mes soldats et les habitants. Je n'ai pas le choix. En attendant, j'ose espérer que justice sera rendue et que celui ou celle qui commet ces atrocités subira le châtiment des dieux une fois exilé de Lyréah.

     Noà décela une telle hargne dans ses iris qu'il aurait juré les voir prendre une teinte différente. Lui-même ne parvenait pas à s'imaginer à sa place. En dépit de tout ce qui lui était arrivé, il avait pu observer son frère et sa mère mourir devant lui. Ces instants le hanteraient jusqu'à la fin de sa vie, mais au moins, il savait. Il savait qu'ils étaient partis rejoindre les dieux, qu'Isach avait retrouvé Aliona et que ses parents étaient de nouveau réunis, que tous veillaient désormais sur lui. Noà commençait à accepter leur mort, mais pour Kalyö, Iryanä et les familles des disparus, l'espoir subsistait tel un fugace nuage de fumée ; visible, pourtant impossible à attraper. Eux ne pourraient jamais faire leur deuil avant d'obtenir des preuves ou des réponses – qui ne viendraient sans doute jamais.

     Garyä Luxiòr avait peut-être volontairement quitté Drakkä afin d'échapper à son destin ; celui de gouverner l'un des Six Grands. Zénaë, la petite-amie de Kalyö, était peut-être partie suite à une offre d'emploi qui ne se présenterait pas deux fois dans sa vie et ce, sans informer son entourage, parce qu'elle savait que les adieux seraient insurmontables. Les autres avaient peut-être rencontré quelqu'un, venaient de se disputer avec leurs parents, leur conjoint, voulaient tout simplement changer d'air... ou tous s'étaient peut-être fait assassiner. À cet instant, et peu importait les raisons, Noà réalisa que les dommages collatéraux engendrés par ces disparitions s'étendaient bien plus loin qu'il ne le pensait.


     De retour au château, Kalyö s'excusa et laissa ses hôtes seuls afin de retourner travailler. Dès que les portes se refermèrent derrière eux, Noà et les jumeaux se regardèrent dans le blanc des yeux sans savoir quoi faire. Ils décidèrent de patienter jusqu'à ce que quelqu'un vînt les chercher mais, après une interminable attente, Noà comprit que personne n'userait de son temps pour eux. Déambulant dans les couloirs déserts, Töm et lui essayèrent plusieurs fois de sortir du bâtiment. Les soldats postés à l'entrée les en empêchèrent à chaque reprise. Frustrés, ils retournèrent tous les trois dans leur chambre jusqu'à la nuit tombée.

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Franck Barré ~ Discovery

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